
courage & plus long temps que les ailles américains.
Alonzo foutitit contre eux une pénible & longue
.guerre. I l courut des dangers extrêmes ; i l vit &
lit. des actions étonnantes , dont la feule récom-
penfe fut l'honneur de conquérit des rochers, & de
réduire quelques contrées incultes fous l’obéiflance
du roi d’Efpagne.
Pendant le cours de cette guerre, Alonzo conçut
le deflein d’immortalifer les ennemis en s’immor-
talirant lui-même. 11 fut en même temps le conquérant
& le poète j i l employa les intervalles
de loilïr que la guerre lui laiffoit, à en chanter les
évènements.
I l commence par une defcription géographique
du C h ily , & par la peinture des moeurs & d.es
coutumes des habitants. Ce commencement, qui
le roi t infupportable dans tout autre Poème , eft
ici néceïïaire & ne déplaît pas., dans un fujet où
la fcène eft par delà l'autre tropique , & où les
héros font des fauvages qui nous auroient été
toujours inconnus, s'il ne les avoit pas conquis &
célébrés.
L e fujet, qui étoit neuf, a fait, naître à l’auteur
quelques penfëes neuves & hardies y on remarque
auffi de l'éloquence dans quelques-uns de
les dîfcdurs , & beaucoup de feü dais s fes batailles :
mais fon Poème pèche du côté de l’invention. On
n’y voit aucun plan, point dé variété dans les
defcriptions , point d unité dans le defïïn. Enfin
ce Poème eft plus fàuvage que les nations qui en
font lé fujet. Vers la .fin de l'ouvrage, l'auteur,
qui eft un des premiers héros du Poème, fait
pendant là nuit une longue & ennuyeufe marche,
fuivi de quelques foldats pour paffer le temps ,
51 fait naître entre eux une difpüte au fujet de
Virg ile , & principalement fur l ’épifode de Didon.
Alonzo faifit cette occafîon pour entretenir fes
foldats' de la mort de Didon, telle qu'elle eft
raportée par les anciens hiftoriensj & afin de rel-
titùer a la reine dé Carthage fa réputation , il
s’amufë à en difcourir pendant deux chants, entiers.
Ce n'eft pas d’ailleurs un défaut médiocre de fon
Poème d’être compofé detrenté-fix chants : on peut
‘ fuppofer avec raifon qu’an auteur qui ne fait ou qui
ne.peut s’arrêter, n'eft pas propre à fournir une telle
carrière.
Milton ( Jean ) naquit à Londres en i 6oS- Sa
vie eft à la tête de fes oeuvres ; mais il ne s'a put
ici que de fon Poème épique , intitulé, Le Paradis
perdu, The Paradife lojl, I l employa neuf
ans a la compofition de cet ouvrage immortel;
mais à peine î ’éut-il commencé, qu'il perdit la
vile. 11 étoit pauvre , aveugle , '8c ne Fut point
découragé. Son nom doit augmenter la lifte des
grands hommes perfécutés de la fortune. Il mourut
en 1 674 , fans fe douter de la réputatiou qu’auroit
un jour fon Poème \ fan» croire qu'il furpafTôit de
beaucoup celui du TaiTe , & qu'il égaioit en beautés
ceux de Virgile & d’Homère.-
Les françoîs rioient quand on leur difoit que
l ’Angleterre avoit un Poème épique, dont le fujet
. étoit le diable combattant contre Dieu , & un
ferpent qui perfuadoit à une femme de manger une
pomme ; ils inaaginoient qu'on ne pouvoit faire
fur ce fujet que des vaudevilles •: mais ils font bien
revenus de leur erreur. I l eft vrai que ce Poème
.fingulier a fes taches & fes défauts. Au milieu
des idées fublimes dont il. eft rempli, on en trouve
plufieurs de bizarres & d’outrées. La peinture du
péché, monftre féminin , qui, après avoir vioié fa
mèjre , met au monde une multitude d'enfants formant
fans cefle de fes entrailles , pour y rentrer &
les déchirer, révolte avec raifon les efprits délicats
; c’cft manquer au vraifemblable , que d’avoir
placé du canon dans l'armée de fa tan , & d’avoir
armé d’épées des efprits qui ne pouvoient fe bleffer.
C’eft encore fe contredire, que de mettre dans la
bouche dé Dieu le père, un ordre à fes anges de
pourfuivre fes ennemis , de les punir y & de les
précipiter dans le Tartare : cependant Dieu parle &
manque de puiffance ; la victoire de fes anges refté
indécife , & on vient à leur réfifter.
Mais enfin ces fortes de défauts font noyés dans
le grand nombre de beautés merveilleufes dont1 le
Poème étincèle. Ajoutez-y lesA traits, majéftueux
avec iefquels l ’auteur peint l ’Etre lu prenne , &
le caraftèré brillant qu’il ôfe donner au diable.
On eft enchanté de la defcription du printemps ,
de celle du jardin d’Éden, & des amours innocents
d’Adam & d’Ève. En effet, i l eft bien remarquable
que dans tous les autres Poèmes l ’amour eft
regardé comme une foibleffe dans Milton feul ,
l ’amour eft une vertu. Ce poète a fu lever d’une
main chafte le voile qui couvre ailleurs les plaifirs
'de cette paflion : il tranfporte le leéteur dans le
jardin des délices : il femble lui faire goûter les
voluptés pures dont Adam & Eve font remplis.
I l ne s'élève pas au de if us de la nature humaine ,
mais au deffus de la nature.humaine corrompue %
& comme il n’y a point d'exemple d’un pareil
amour, il n'y en a point d’une pareille poéfie.
C e génie fupérieur a encore .reuni dans fon
ouvrage le grand, le beau, • l’extraordinaire. Per-
fonne n’a mieux fu étonner & agir fur l ’imagination.
Son Poème reifemble à un fuperbe palais
bâti de briques , mais d’une architecture fublime.
Rien de plus grand que le -combat des anges, la
majefté du Meffie , \z taille & la conduite du
démon & de fes collègues. Que peut-on fe repré-
fenter de plus augùfte que le Pandæmonium (lieu
de l’affemblée des démor.s) , le paradis , le c ie l,
les anges , & nos premiers parents ï Qu'y a-t-il
de plus extraordinaire que fa peihture-, dans la
création du mondé , des différentes métamorphofes
des; ,angés apoftats', & les aventures qu'éprouve
leur chef en cherchant le paradis ? ce font la dés
fcènes toutes neuves & parement idéales ; & jamais
poète ne pouvoit les peindre avec des couleurs
plus vives& plus frapantes. En un mot, le Paradis
perdu peut être regardé comme le dernier effort
de l’efprit humain , par le merveilleux , le fublime',
les images fuperbes, les penfëes hardies ,
la variété, la force, 8c l’énergie de la poéfie.
Toutes ces choies admirables ont fait dire ingé-
«ieufement â Dryden , que la nature avoit formé
Milton de l ’âme d’Homère & de celle de Vir-
gile.
La France n’a point eu de Poème épique juf-
qu’au dix-huitième fiècle ; aucun des. beau-x génies
qu’elle a produits n’avoit encore travaillé dans
ce genre. On n’avoit vu que les plus foibles ôfer
porter ce grand fardeau , & ils y ont fuccombë.
Enfin Voltaire, âgé de. 30* ans , donna la Henriade
en 1713 , fous le nom de Poème de la
Ligue,"
L e fujet de cet ouvrage épique eft le fiège de
Paris, commencé par Henri de Valois & Henri
le Grand , 8c achevé par ce dernier feul. Le lieu
de la fcène ne s’étend pas plus loin que de Paris
â Ivry , où f e , donna cette fameufe Bataille qui
décida du fort de la France & de la maifon
royale.
Le Poème eft fondé fur une liiftoire connue ,
dont l ’auteur a confervé la vérité dans les principaux
évènements. Les autres , moins refpe «Stables ,
ont été retranchés o* arrangés fuivant la vraifenir
blance qu’exige un Poème.
Celui - ci donc eft compofé d’évènements réels
& de fi étions. Les évènements réels font tirés de
1 Hiftoire ; les fiétions forment deux clafles. Les
unes font puifées dans le fyftême merveilleux,
telles que la prédiction de la convèrfion de Henri
IV , la proteétion que lui donne S. Louis-; fon
apparition, le feu du ciel détruifant les opérations
magiques- qui étoient alors fi communes , <Sv. Les
autres font purement allégoriques ; de ce nombre
font le voyage de la Difcorde à Rome, la Politiq
u e , le Fanatifme perfonnifiés , le temple de l ’A mour
, enfin les pallions 8c les vices
Prenant un corps, une âme , un efprit, un vifage.
T e lle eft l ’ordonnance de la Henriade. A peine
eut - elle vu le jour, que l ’envie & la ja-
loufie déchirèrent l ’auteur par cent brochures ca-
lomnieufes. On joua la Henriade fur le théâtre
de la comédie italienne & fur celui de la foire :
mais cette cabale & cet odieux acharnement ne
purent rien contre la beauté du Poème ; le Public
indigné ne l ’admira que davantage. On en fit en
peu d’années plus de vingt éditions dans toute
l ’Europe ; & Londres en particulier publia la
Henriade par une foufeription magnifique. Elle
fut traduite en vers anglois par M. Lockman ; en
vers italiens, par MM. Maffey , Ortolani & Nénéi;
envers allemands, par une aimable mùfe , madame
Gotfched ; & en vers hollandois, par M. Faitema.
Quoique les actions chantées dans ce Poème régardent
particulièrement les françois, cependant
comme elles font fimples, intérefiantes, & peintes
avec le plus brillant coloris , il étoit difficile
qu’elles manquaient de plaire à tous les peuples
policés.
L ’auteur a choifi un héros véritable , aj> lieu
d’un héros fabuleux ; i l a décrit des guerres réelles,
& non des batailles chimériques. I l n’a ôfé employer
que des fi étions qui fuient des images
fenlibles de la vérité ; ou bien il a pris le parti
de les renfermer dans les bornes de la vraiiem-
blance & des fatuités humaines. C ’eft pour cette
raifon qu’il a placé le tranfport de fon jié^os au
ciel & aux enfers dans un fonge, -çjù ces fortes
de vifions peuvent paroître naturelles & croyables.
Les êtres invifibles ,. fans l ’entremife defquels les
maîtres de l ’art i ôfer oient entreprendre un Poème
épique , comme l ’âme de S. Louis & quelques
pâlirons humaines perfonnifiées , font ici mieux-ménagées
que dans les autres Épopées modernes; &
l’ouvrage entier foutient fon éclat fans être chargé
d’une infinité d’agents furnaturels.
L ’auteur n’a fait entrer dans fon Poème que le
merveilleux convenable â une Religion au lu pur e
que la nôtre, .& dans un • fiècle où la raifon èft
devenue auffi féyère que la Religion même.
Tout ce qu’i l avance fut la cotiftitution de
l ’univers, les lois de la nature & de la Morale ,
dévoilent un génie fiipérieur , aufti fage philô-
fophe qu’excellent phyficien. Son ouvrage ne relpire
que l ’amour de l ’humanité ; on y détefte également
la rébellion & la perfécution.
La fageffe dans la compofition, la dignité dans
le deflîn , le g o iit , l’élégance , la correction, &
les plus belles images y régnent éminemment.
Les idées les plus communes y font ennoblies par
le charme de la Poéfie, comme elles l ’ont été
par Virgile. Quel Poème enfin que la Henriade,
dit un de nos collègues ( au mot É popée ) , fi
l ’auteur eût connu toutes fes forces lorfqu'il en
forma le plan ; s’il y eût déployé, le pathétique
de Mérope & d’Alzire , l’art d;es intrigues & des
fituations ! Mais c’eft au temps feul qu’i l apar-
tient de confirmer le jugement des vivants, & de
tranfmettre à la Poftérité les ouvrages dont ils font
l’éloge.
Comme je n’ai parlé dans ce difeours que des
poètes épiques de réputatiou , je ne devois rien
dire de Chapelain & de quelques autres , dont
les ouvrages font promptement tombés dans l ’oubli.
Chapelain (J e a n ) , né â Paris en 1525, &
l ’un des premiers dé l ’Académie françoife , mourut
en 1674. If fut penfionné par le cardinal de R ichelieu
, par le duc de Longueville , & par le
cardinal Mazarin. Cet homme , comblé des pré-
fents de la-fortune, fut cinq ans à méditer fon
Poème de la Pucelle. I l l ’avoit divifé en vingt
quatre chants, dont i l n’y a jamais eu que les douze