
bien s’attirer nos regards , mais ne faurolt captiver
notre attention : ainfi, le poète doit être un
homme éloquent, qui ait en partage la facilité
& la noblefle de l ’expreffion. Enfin , la verve &
l ’Eloquence doivent être accompagnées de la beauté
du génie & de la folidité du jugement. Ces discours
coulants, qui Sortent de la verve comme un
torrent, doivent exciter des idées & des Sentiments
qui ayent quelque chofe de neuf, d’important, &
de grand, afin d’éviter le reproche qu’Horace fait
à. ceux qui ouvrent trop la bcuçhe pour ne rien
dire, & ne font point entendre digna tanto hiatu.
Sans cela le poète devient ridicule , pour s’être
annonce, par Son ton & par Son expreffion, comme
s’il avoit de grandes chofes à dire ; car tout poète
veut, être regardé comme un homme quia droit
d exiger l ’attention & qui ne manquera pas. de
la Satisfaire : cëft ce qui a fait dire à Horace ,
qye ni les dieux ni les hommes ne peuvent élever,
au rang de poète,.celui qui n’a que la médiocrité
en partage 3 parce qu’un ton, aufG élevé que
celui de la Poéfie , elt incompatible avec des
chofes médiocres. Quand un aéleur-fe produit fur
la Scène avec un air & urî ton im p o r tan tqu o iqu’il
n’ait rien à dire qui vaille la peine d’être
écouté, il mérite d’être - chaffé.
Je crois en avoir affez dit pour le dèvelope-
ment exaél du vrai caractère de la Poéfie ; & tout
homme capable de réflexion, peut en déduire les
règles d’après lefquelles. on doit juger des- ouvrages
poétiques. On pourra auffi en inférer qu’un
Poème parfait ne fauroit être une chofe commune,
• puifque dans une nation il n’y a que très-peu de
-génies dans lefquels fe trouve rafïemblé tout ce qui
.efi requis pour faire une vrai poète. A l ’aide des
mêmes ptin;ipes.\. un homme intelligent fera en
état d’apprécier les poéfies qui fourmillent chez
les peuples où les Beaux - Arts font en vogue , &
. de di (cerner le petit ' nombre: de vrais, ouvrages
poétiques qui fe trouvent dans cette ftérile abondance
, pour rejeter tous; les autres & les regarder
comme de chétives broflailles qui croif-
ieni dans les forêts autour des grands arbres , &
<jui ne font, bonnes qu’a être arrachées pour en
faire des fagots & les brûler.
On a tenté à.diverfes reprifes de bien diftiiîguer
toutes les .efpèces différentes de poéfies, pour les
ranger dans léurs cia Ses ou divifïons naturelles, :
mais on n a pas pas encore bien pu. s’accorder fur
le principe qsi feryiroit à déterminer les caraftères
: de chaque efpèce. Au fond, cela n’eft pas. d’une
. grande importance , quoiqu’à toute rigueur il pût
en réfulter quelque utilité.
Un Critique moderne , l ’abbé Batteux, à qui
la manière agréable, dont -il traite, les fuj'e.ts a
peut-être donné trop de vogue & de crédit, parle
i3c cette divifion & réduftion des poéfies dans leurs
efpèces ou claf&s. naturelles , comme fi c’étoit la
chofe la plus aifée du monde.
Les anciens n’ont pas pris beaucoup de peine à
cet égard. A mefure que le génie de leurs poètes
produifoit quelque nouveauté , ils lui donnoient
le nom qu’ils jugeoient à propos, fans s’inquiéter
fi les careélères intrinfèques de. celte “efpece de
poéfie s’y trouvoient. Plufieurs de -ces morceaux
reçurent des noms qui avoient plus de raport à leur
forme extérieure qu’à leur contenu. Cependant
Ariftote s’efl montré i c i , comme partout ailleurs,
fubtii & méthodique , quoiqu’au fond fa divifion
ne puiffe pas fervir à grand’chofe.- Comme il place
l’eüence de la Poéfie dans l’imitatioii, il en détermine
auffi les efpèces d’après les propriétés de lim itation
3 & cela lui en fournit trois : la première
fe raporte aux inftruments de l ’imitation 3 la fécondé,
à fes objets 3& la troifième , à la forte d’imitation.
Les inflruments de l ’imitation font le langage,
l ’harmonie, & le rhythme, d’après lefquels le philo-
fophe détermine les diverfes efpèces de Poème ,
fuivant qu’on emploie un ou plufieurs de ces inftru-
ments. L ’Epopée, au jugement d’Ariftote , conftitue
une efpèce particulière, parce que le langage çfî
le feul infiniment qui y foit employé. Le genre
lyrique efl caraélérifé par le- concours du langage r
du rhythme, & de l ’harmonie , &c. Mais il efl aifé
de. s’apercevoir, par ces échantillons , qu’on a bien’
peu d’utilité à efpérer de fèmolables fubtilités.
Peut-être qu’on diviferoi-t avec plus de fruit les
poéfies en efpèces principales qui feroient-déduites-
des différens degrés de la verve poétique3 auxquelles-
on en fubordonneroit d’autres , prifes de la contingence
des matières ou de la forme des Poèmes.
On pourroit en donner pour exemple , que la
Poéfie lyrique , qu’elle loit d’ailleurs douce ou
véhémente , fuppoje un degré de verve dans lequel
l ’àme efl entièrement hors d’elle-même '& livrée
à une forte d’enthoufiafme.: la force de cet enfhou--
fiafme détermineroit le caraélêre de l ’Ode fublime 3
fa douceur, celui de la CKanfon 3&ü. Une conftilu-
tion poétique, qui admettroit. toutes fortes;' de
degrés & y joindroit la plupart du temps une
force médiocre, caraélériferoitle Poème épique & la
Tragédie. Mais-après tout, le temps qu’on emploie-
roit à bien marquer iestermes.de toutes ces divi-
fions, ne feroit peut-être pas récompenfé par les
avantages qu’elles procureroient.
On s’efl néanmoins a fiez généralement accordé
à ranger les principales compofitions poétiques fous
quatre claffes , auxquelles on peut raporter tout
ce qui efl réellement paré des vrais caraélères' du
Poème: Sous le genre lyrique , on comprend
tout ce qui n’eft defliné qu’à exprimer les; mouvements
pa-ffionnés qu’éprouve l ’âme du poète en
confidérant l ’objet- dont il s’occupe. S'ous la claffe
dramatique ,- on comprend tout ce qui peint
comme préfente une aétion unique & paffagère,
dont les. aéteurs eux-mêmes paroiffent, parlent ,
a biffent , &r fe font connoître , fans qu’ôn ait
befoin des narrations du poète. Sous la dalle épique
j on comprend foute narration, faite par le
poète lui-même, d’un évènement préfenlé comme
paffé. Enfin fous le genre aidaétique , on comprend
toute expofition que le poète fait d’une vérité
fpéculative ou pratique. ( M, SüLZER. )
P oème bucolique, voye\ Pastorale ( P oés
i e . )
P oème comique, voye\ Comédie, Comique, &.Poète comique.
‘ P oème cyclique , Poéjîe. 11 y en a de trois
fortes. Le premier efl lorfque le poète pouffe fon
fujet depuis un certain temps jufqu’à un autre ,
comme depuis le commencement du monde jufqu’au
retour d’Ulyffe , & qu’i l lie tous les évènements
par une enchainure indiffoluble , de manière que
l ’on puiffe remonter de la fin arn commencement,
comme on efl allé du commencement à la fin. C ’efl
de cette manière que. les Métamorphofes d’Ovide
font un Poème cyclique, perpetuum carmen 3
parce que la piemière fable efl la caufe de vla
fécondé , que la fécondé produit la troifième , que
la quatrième naît de ce lle -c i, & ainfi des autres.
C ’efl pourquoi Ovide a donné ce nom à fon Poème
dès l ’entrée :
TPrhnâque ah origine miindi
In tnea perpetuum deducite tempora carmen,
A cette forte de Poème étoit dire élément oppofée
la compofition que ‘les grecs nommoient A t acte,
c’efl à dire /.fans liaifon 5 parce qu’on y voyoit
plufieurs hifloires fans ordre, comme dans la JYLop-
Jonie d’Euphorion , qui contenoit prefque tout ce
qui s’étoit paffé dans l ’Attique.
: L ’autre efpèce de Poème cyclique efl lorfque
le poète prend un feul fujet & une feule aétion,
pour lu i1 donner une étendue raifonnable dans
un certain nombre de vers : dans ce fens l ’Iliade
ôe l’Enéide font auffi cjes Poèmes cycliques 3 dont
l ’un a en vue de chanter la colère d’Achille, fatale
aux troyens 5 & l ’autre , l ’ établifTement d’Ênée en
Italié. ,
: On compte encore une troifième efpèce de Poème
cycligne 3 lorfque le poète traite une hiftoire
depuis, fon commencement jufqu’à la fin : comme ,
par exemple, l ’auteur de la Théféide dont parle
Ariftote 3 car il avoit ramaffé dans ce feul Poème
tout ce qui étoit arrivé à fon héros 3 comme An-
timaqye , qui avoit fait la Thébàïde , qui a été
appelée cyclique par les anciens 3 & celui dont parle
Horace dans Y A r t poétique :
Nec'Jic incipies ut fcriptor cyclicus olïm,
MOrtunam Priami cantabo & nohile bellum.
Ce poète n’avoit pas feulement parlé de la guerre
de Troie, dès.- fon- commencement 3 mais il. avoit
épuifé toute riiiftoire de ce prince , fans oublier
aucune de fes aventures ni la moindre particularité
de fa vie. I l nous rcfte aujourdhui un Poème dans
ce goût 3 c’eft l ’Achiiléide de Stace , car ce poète y
a chanté Achille tout entier : Homère en avoit
laiffé à dire plus qu’il n’en avoit dit , mais Stace
n’à voulu rien oublier. C ’efl cette dernière efpèce
de Poème qu’Ariftote blâme , avec raifon , à caufe
de la multiplication vicieufe de fables, qui ne
peut être excufée par l'imité du héros.
I l réfulte de ce détail, que les poètes cycliques
font ceux q u i, fans emprunter de ia Poéfie cet art
de déplacer les évènements , pour les faire naître les
uns des autres avec plus de merveilleux en les ra-
.portant tous à une feule & même aétion , fuivoient
dans leurs Poèmes l ’ordre naturel & méthodique de
l ’Hiftoire ou de la Fable, *& fe propofoient, par
exemple , de mettre \.n vers tout ce qui s’éloit paffé
depuis un certain temps jufqu’à un autre , ou la vie
entière de quelque prince dont les aventures avoient
quelque chofe de grand & de fingulier. { Le Chevalier
DE Jau c cü RT. ) '
PoÈjME didactique , Poéjîe. Poème où l ’on fe
proppfè, par des tableaux d’après nature, d’inftruire ,
de tracer les lois de la raifon, du bon fens", de
guider les arts , d’orner & d’embellir l a . vérité fans
lui faire rien perdre de fes droits. Ce genre efl une
forte d’ufurpatlion que la Poéfie a faite fur la Profe,
Le fonds naturel ae celle-ci efl l ’inflruélion. Comme
elle efl plus libre dans fes expreffions & dans fes
tours , & qu’elle n’a point la contrainte de l ’harmonie
poétique 3 i l lui efl plus' aifé de rendre nettement
les idées , & par conséquent de les faire
pafîer, telles qu’elles font, dans l ’èfpr-it de ceux
qu’on inftruit. Auffi les récits de l ’Hiftoire ,. les
fciences , les arts font-ils traités en profe. La raifon
en eft fimple : quand i l s’agit d’un fervice important
, on en prend le moyen le plus fur & le
plus facile 3 & ce moyen, en fait d’inftruéiion, eft
fans contredit la profe.
Cependant, comme il s’eft trouvé des hommes
qui réuniffoient en même temps les connoïffances
& le talent de faire des vers 3 ils ont entrepris de
joindre dans leurs Ouvrages ce qui étoit joint dans
leur perfoiine, & de revêtir, de l ’expreffion & de
l’harmonie de la Poéfie , des matières qui étoienf
de pure“ doélrine. C ’efl de là que font venus les
ouvrages & les Jours d’Héfiode , les Sentences de
Théôgnis, la Thérapeutique de Nicandre , la Chafle
& la Pêche d’Oppien j & pour parler des Latins,
le Poème de Lucrèce fur la nature, les Géorgiques
de Virgile , la Pharfale de Lucaiii, & quelques
autres.
Mais dans tous ces ouvrages i l n’y a de poétique
que la forme 3 la matière étoit faite , il ne s’agif-
foit que de la revêtir. Ce n’eft point la fiélion qui
a fourni les chofes' félon les règles de l ’imitation,
c’eft: la vérité même 3 auffi l ’imitation ne [porte-
t-elle fes'règles que fur l ’expreffion. G’eft pourquoi