
6 i o U S A
pas une qui intéreffe férieufement la Poulie ou l’Éloquence.
Mais ce qui.peut contribuer à la richeffe
de 1 expreffion , à fa délicateffe, ou à fou énergie
toutes ces façons de parier, q u i, négligées llans
la langue ufuelle, ne laiffent pas d’avoir leur place
v - j ■ Ut dans langue écrite , foit pour
1 tdee, foit pour l'image ,. foit pour la précifion , le
nombre, & l ’harmonie, font-elles coadannées à ne
jamais revivre! & l ’Éloquence & la Poéfie n’ont-
elies plus aucun efpoir de recouvrer les larcins que
leur a faits 1 Ufage, ou plus tôt que leur a faits
1 oubli ? Car le plus grand nombre de ces phrafes
& de ces mots perdus pour e lle s , ont été délaiffés
plus tôt que rebutés ; & l ’on ne s'en fert plus, par
Ta feule raifon qu’on a celle de s'en fervir.
‘ Lorfque les grands écrivains ne font plu s, on
nous les cite comme des modèles de déférence
& de docilité pour les défenfes de l ’ Ufage. On
.ne fait pas pu l’on oublie, combien de fois ils fe
font permis ce que VUfage n’approuvoit pas. On
ne lait pas, en lui cédant, combien il leur en a
conté de dégoûts & de facrifices; combien de fois,
dans ,1 eipreffion des mouvements de l ’âme ou des
faillies du caraftère, ils ont envié l ’énergie , la
franchife, le naturel, le tour vif & rapide de la
langue ,du peuple ; combien de fois ils ont fou-
piré après la liberté de l ’imagination & de la plume
de Montaigne’. Quoi qu’il en fo it , fi de grands
écrivains ont méconnu leur afcendant & fe font fait
un devoir trop étroit de céder à VUfage, loif-
qu’ils auroient voulu & dû lui réflfter ; c’eft un
excès de modeftie , dont nous les louons à regret
comme d’une vertu timide. ô 9
, Rifn. ou Pref9 ue rien de la langue de Pafcal ;
u|a vieilli : cela prouve fans doute un goût pur & i
févère , mais trop fevère & trop exquis. Pafcal, en
épurant la langue, l ’a, pour ainfi dire , paflée à
un tamis trop fin. Il n’a pas affez confervé de la
fqbftance de Montaigne. On trouve à celui-ci une
forcenée une faveur préférable à la pureté même.
Ce n’eft pas que fon vieux langage n’eût grand
fcefoin dette purgé, & que la langue, dans fon
.état aéhiel, ne foit mille fois préférable : elle a
plus de clarté , d’aifance , de nobleife , de décence
& de dignité-, de. délicateffe Sc de grâce,
é harmonie & de coloris j mais ion élégance a trop
pris fur fa vigueur ; fes poliffeurs l’ont affoiblie;
e lle a perdu de fa naïveté, de fa concifion, &de
fon énergie ; & je crois qu’il était poffible d’en
perfectionner les formes , & d’en moins altérer le
fond.
Je ne mets certainement pas an nombre de fes
pertes la rouille qu'elle a dépofée, les inverfions
dures, les tours forcés, les locutions mal conftrnites
les termes bas ou pédantefques, d’un fon déplaçant ’
d’un fens louche , d’une articulation pénible, ou qui
avoient de l ’affinité avec des objets dégoûtants; & je
«e reproche à l ’ Ufage que d’avoir manqué trop fouirent
de difeernement dans fon choix.
. Mds à mefure qu’il rebutoff une foule de tours
U S A
naïfs, qu’on ne retrouve plus que dansLa Fontaine,'
un grand nombre de tours vigoureux & concis &
de phrafes lubftancielles, qui font perdues depuis
Une rau^^luc^e de mots harmonieux
lenhbles , faits pour parler à l’âme, faits pour plaire’
a 1 oreille ; je demande comment des hommes qui
en fait de goût, difpufoient de l ’opinion, ont pu
laiikr périr tant de richeifes ? Qui les eut empêchés
de les conferver dans leur ilyle ?
La Cour , dont le langage roule fur un petit
nombre de mots, la plupart vagues & confus, d’un
lens équivoque ou â demi-voilé, comme il convient
a la politefle, a la diffimulation, à l ’extrême réferve
a la plaifanterie légère, à la malice raffinée, ou à la
flatterie adroite ; la Cour a pu, dans tous les temps,
négliger une infinité d’expreffions naïves ou franches,
dont elle n avoitpas befoin. Le monde poli & fuper-
ficiel, qui fuit 1 exemple de la Cour , & qui croit
q uil eft du bon ton de parler de tout froidement,
legerement, à demi-mot, fans chaleur & fans éner^
gie j ce monde , dis-je , a du laifler tomber tout ce
qui n étoit pas de fa langue ufuelle. L ’expreffion fine
& piquante a dû lui être chère ; il l ’a dû conferver :
il a dû conferver de même le langage du fentiment
dans toute fa délicatefTe, comme effenciel au caractère
de politefle & de galanterie , qui eft la fu.rface
de les moeurs. Mais fon Dictionnaire n’a pas dû
s étendre au delà du cercle de fes befoins; & mille
façons de parler, néceflaires à l ’homme qui penfe
fortement 8c <jui veut s’exprimer de même, a l’homme
qui s affedte d un fentiment paffionné ou d’une image
pathétique , & qui veut rendre ce qu’il fent , en
deux mots, le langage de l ’Éloquence & de la
roeue n a pas du trouver dans le monde des obfer-
vateurs bien zélés. Mais en négligeant des richefles
qui leur étoient inutiles , la Cour & le monde fe-»
foient-ils une loi de les abandonner comme eux ? Et
ceux à qui toutes les couleurs, toutes les nuances de,
la langue etoient fi précieufes , n’auroient - ils pas
e te a u moins bien excufables de ne pas les laifler
périr ? *
La langue ufuelle fe trouve riche, parce qu’elle
fournit abondamment au commerce intérieur de la,
fociété : mais la langue écrite ne laifle pas d’être
indigente & néceffiteufe, parce que fes befoins s’étendent
au dehors. Tous les jours elle eft obligée de
correfpondre a des moeurs étrangères, à des U Cages
qui ne font plus : tous les jours l ’hiftorien , le poète,
le philofo.phe fe tranfplante dans des pays lointains,
dans des temps reculés ; 8c que deviendra-t-il, fi fa
langue n eft pas .cofmo.polite comme lu i , fi elle
n a pas les analogues & les équivalents de celles des
pays & des temps qu’il fréquente ? Que deviendra
furtout le traducteur d’un écrivain affez habile pour
avoir mjs en .oeuvre toutes les richefles de fa propre
langue ? I l en eft qu’il eft impoffible de traduire
fidèlement,; & la raifon n’en eft que trop fenfible :
c’eft que les langues, dont le but commun devroit
etre une parfaite correfpondance, fe font enorgueillies
de leurs propriétés , & ont négligé leur corail
S A
merde. Ce qui dans l ’une furabonde, manque flans
l ’autre j & réciproquement. Ce font, pour changer
.de figure , des palettes de peintres, qui n’ont pas
les mêmes couleurs ; & c’eut été aux gens de Lettres
à s’en apercevoir & â les affortir, C ’eft ce qu’ont
fait Montaigne, Arnyot , La Fontaine, fouvent
Racine. Leur langue eft conquérante^ elle prend
les. tours & les formes des langues éloquentes &
poétiques qu’elle a pour adverlaires , comme les
romains empruntoient les armes de leurs ennemis.
Si, plus aflervisi VUfâge , nous renonçons à ce
droit de conquête, au moins que ne confervons-nous
ce que nos pères ont aquis? Et fans parier des phrafes
que nous avons perdues (car ce détail nous mèneroit
trop lo in ), par quelle complaifance avons-nous
renonce à une infinité de mots ou négligés^ ou rebutés,
ou, fi je l ’ôfe dire, dégradés de noblefle par le caprice
t e l ’ Ufage?
V a l, par exemple , n’eût - il pas dû garder fa
place dans de beaux vers, comme vallon?\ Ombreux
n’avoit-il pas fa nuance à cô té de /ombre, 8c
rais à côté de rayons? Labeurs, au figuré, ne
valoit-il pas bien travaux , & pour le fens & pour
l ’oreille ? Quel goût affez bizarre auroit pu rebuter
blondir ? Soulagement eft-ii plus doux que Uniment
y ogx allègement, ou <Ju'allégeance ? Alléger
lui-même, en parlant de peines, auroit-il dû être
interdit au langage du fentiment ? Dévaler devok-
il être- moins durable que r a v a le r dérivé de la
meme fource ? Se prendre exprime une aétion plus
forte que s'attacher ; pourquoi f e détacher eft- il
plus noble que fe déprendre ? Et feeouer, dont le
fon eft fi foible, a - t - i i bien remplacé brandir?
Aventureux n’âuroft - il pas dû fe foutenir à côté-
d aventure ? Et puifqu’on a détourné le fens de
aelayer , ne failoit-il pas-conferver, à délai , fon
verbe dilayer , qui valoit mieux que traîner en
longueur, & qui n’a pas d’autre fynonyW ? Ne
falloit- il pas.laifler à émouvoir, émoi ? à fe fo u -
venir , fouvenance ? Bruit n’eut-il pas dû garder
bruire, dont on a retenu bruyant ? Pourquoi f a l lacieux
a-t-il péri depuis Corneille , & affres depuis
Boffuet ? Pourquoi Y U fage a - 1 - il confervé
oubli y & abandonné oublieux ? Pourquoi du verbe
fimuler n’avons-nous que le participe , & ne difons-
nous pas, comme les latins, fimuler & diffmuter ?
Feindre^ exprimeroit les menfonges de l ’imagina-
tion j fimuler exprimeroit les menfonges du fen-
timent ou de la peufée. Pourquoi lo ijü le , nuance
fine & délicate dé permis , n’eft - il plus du haut
«yie ? Pourquoi dit-on durable, & ne dit-on plus-
perdurable, qui l ’agrandit? Pourquoi calamité &
non calamiteux ? peuplé, & non populeux?' Po^ir-
quoi prépondérant, & non pas pondérant qui
nous ferait fi néceffaire, & auquel ni gravi , ni
lourd, ni pefint ne peuvent fuppléer ? Car pon-
di,ro1i,t dü ?yle . i 11 fe diro“ de l ’Éloquence ;
il ie diroit del efprit même ; & ce feroît toute autre
chofe qu un ftyle pefitnt, qu’une Éloquence grave
qu uu efprit lourd. Ou croit n’avoir peiîdu que des
U S T 'VII]
fynonymes , & l’on fe trompe. Ècüthant fe diroit
des vagues j écumeux fe diroit de l’écueil ou du
rivage blanchi d’écume : pourquoi l’avoir abandonné?
Difcord, dans fes trois fens , ne devroit-iX
pas être inféparable de dijcorde ; & ne devoit-o»
pas dire encore un caractère inégal & 'difeord ,
des ejprits divers & difeords , • les difeords qui
troublent le monde ? Apre donnoit exafperer ; entrave
donnoit entraver ,* pourquoi l’un de ces mots
a-t-il vieilli, & non pas l’autre ? Pourquoi fé lo tt
8c félonie ne fe trouvent-ils plus que dans iecode
criminel? Loyal 8c déloyal, loyauté 8c déloyauté auroient-ils dû jamais être, bannis du langage héroïque
> Ferveur devoit-il être exclu du langage
'de l’amitié-? devoit il l’être de celui de l’amour ,.
â qui d’ailleurs on a laifle- tous les cara&êrés du
culte ?. Débouté ne devoit-il pas fedire auflï long
temps que honte ? Infiabilité devoit-il être plus
heureux qu’infiable ? 8c importun plus heureux"
oyt opportun? Pourquoi a-t-on perdu le pluriel’de
jeunejfe , qui exprimoit fi bien d’un feui mot les
iilufions-, les, erreurs, les folies de ce bel â^e ?
Si Cour 8c Courtifan fent nobles , pourquoi leurs
analogues , courtoi-s & counoifie,, ne fent - ils
plus du même ton? Quel mot remplacera lieffe 9
pour exprimer une douce jpie heur?^ & la volupté du bonQu’on
fe donne la peine de remettre «i leur place*
quelques-uns de ces mots , & qu’ on fe "demande a
foi-même s’ils feroient tache dans le ftyle.
Suppofons, par exemple ,• que, pour exprimer la'
chute de ce qui roule ou gliffe par une longue penfe,
mavoetc lenteur & fans bondir, on employât le vieux dévaler ,.
- l e s neiges par monceaux dévaloient des montagnes :•
ne feroit-ce pas une image de plus? Si onfefoit dire'
à un homme affligé , qu’il trouve à fa douleur une-
douce allégeance, qu’on applique à fes maux un
foible leniment j fi l’on difoit d’une province ,, qu’elle n’étoit pas poptileufé de fa nature , mais
mque’reclele :• a été peuplée par rïnduftrie & le comSi
l’on- difoit que fout ce qur dépend de la fo-r-
tunç7 ou de l’opinion eft infiable comme elles ;
J Qu’une longue fouvenance du pafle éclaire un
vvoieyiallnacred ÿfur 1 avenir, & qu’il la tourne en pré^
maQisu n’oenn pPaos lliati que, la diffimulation eft permife, Jimulation ,*
Que’, dans les temps calamiteux , l’humeur dn
peuple sexafpere ? qu’il fautie contenir, mais-nons
pas Ventraver ;
Que d’èlever un homme, en un inftant, du rang;
fIonrftiumnee a;u rang fuprême , ce n’eft qu’un- je i* pour la’
Qu’un riche étale fon opulence avec un orgueil
outrageux ÿ,