
principe prefque infonfîble, foit par fa petîtefTe
loit par l'on éloignement. On montrera des liai-
ions imperceptibles; on Couvrira des fouterrains ;
une^ legere circonftance , mile hors de la foule ,
deviendra le dénoùment des plus grandes entre-
prife3. Par ce moyen, on aura la- gloire d’avoir
eu de bons ieiix , d avoir fait des recherches profondes
, de connoître bien les replis du coeur humain
; & par-deffus tout cela >• on captivera la
reconnoiffance & 1 admiration de la plupart des
leéteurs. Ce defaut n’eft pas , comme on peut le
croire , celui des têtes légères & vides de fens ; mais
pour etre proche de la vertu, ce n’en eft pas moins
un vice.
Outre la fidélité & l ’exaétitude , le Récit à
trois autres qualités efiencielles : il doit être court ,
clair , vraifemblable. On n’eft jamais long, quand
on ne dit que ce qui doit être dit; la brièveté du
Récit demande qu’on ne reprenne pas les chofes
de trop loin, qu on finifle où l ’on doit finir, qu’on
n ajoute rien d’inutile à la narration, qu’on n’y
mêle rien d etranger, qu’on y foufentende ce qui
peut être entendu fans être dit, enfin qu’on ne
dife chaque choie qu’une fois. Souvent on croit
■ être court, tandis qu’on eft fort long : il ne fuffit
pas de dire peu de mots, i l ne faut dire que ce qui
eft néeefiaire. *
Le Récit fera clair , quand chaque chofo y fera
mife en fa place , en fon temps , & que les termes
& les tours feront propres , juftes , naïfs, fans équivoques
, fans défordre.
I l fera vraifemblable, quand il aura tous les
traits qui fe trouvent ordinairement dans la vérité;
lorfque le temps , l ’occafion , la facilité , le lieu,
la difpofition des aéteurs , leurs caraftères femble-
xont conduire a 1 action ; quand tout fera peint
félon la nature , & félon les idées de ceux à qui
on raconte. 1
Le Récit aquiért une grande perfection, quand
i l joint, aux qualités dont nous avons parle, la
naïveté & la forte d’intérêt qui lui convient : la
naïveté plaît beaucoup dans le difcours, par con-
féquent elle doit plaire également dans le Récit.
Quant à l ’intérêt, celui du Récit véritable eft
fans doute plus grand que celui du Récit fabuleux ;
parce que la vérité hiftorique tient à nous - &
qu’elle eft comme une partie de notre être : c’eft
le portrait de nos femblables , & par cônféquent
le nôtre. Les fables ne font que des tableaux d’imagination
, des chimères ingénieufes; qui nous touchent
pourtant, parce que ce font des imitations
de la nature ; mais qui nous touchent moins qu’elle ,
parce que ce ne font que des imitations : In omni
j e procul dubio vincit imitationem veritas. Quint.
A toutes ces qualités du Récit ajoutons qu’il
Jdoit être revêtu des ornements qui lui conviennent.
. On peut réduire les diverfes efpèces de Récits
quatre , qui font le Récit de l ’Apologue , le
Récit- hiftorique , le Récit poétique, & le Récit
oratoire : nous y joindrons le Récit dramatique ,
quoiqu iLapartienne à la claffe générale des Récits
poétiques; & nous dirons un mot de» chacun
de: ces Récits , parce qu’i l eft bon de les cara&é-
rifer. 1
^ ECIT DE l’A pologue; Expofé d’une aélion
allégorique, attribuée ordinairement aux animaux.
Le Récit de VApologue jlo it en particulier- être
court, clair , & vraifemblable ; le ftyle en doit
etre fimple, riant, gracieux , naturel ou naïf. Les
ornements qui*lui conviennent confiftent dans les
images, les defcriptions , les portraits des lieux ,
des perfonnes, des attitudes. Ses tours peuvent être,
vifs & piquants ; les exprefiîons, riches, hardies ,
brillantes, fortes, &c. Telles font les principales
qualités qu on demande dans les Récits de la Fab
le , &en général dans tous ceux qui font faits po-ur
plaire.
Récit historique. Le Récit hiftorique eft
un expofo fidèle de la vérité, fait en profe, c’eft
a dire , dans le ftyle le plus naturel & le plus
uni : cependant le Récit hiftorique a autant de
caraéïeres qu il y a de fortes d’Hiftoires. Or il y
â l ’Hiftoire des hommes confédérés dans leurs rapports
avec la Divinité , c’eft T ’Hiftoire de la Re-
ligion ; l ’Hiftoire des hommes dans leurs raports
entre eux, c’eft l ’Hiftoire profane ; & l ’Hiftoirb ^
naturelle, qui a pour objet les productions de la nature
, fes phénomènes, & fes variations.
Réc it oartoire: C ’e ft, dans le genre judiciaire
, la partie de l ’oraifon qui vient ordinairement
apres la divifîon où l ’exorde. Ainfi , l ’art de
cette partie confifte à préfonter , dans cette première
expofîtion , le germe à demi éclos dès. preuves
qu on a deflein d’employer , afin qu’elles paroiffent
plus vraies & plus naturelles quand bn le/en tirera
tout a fait par l ’argumentation.
L ordre & le détail du Récit doivent être relatifs
a la même fin. On a foin de mettre dans les
lieux les plus apparents les circonftances favorables
, de n’en laiffer perdre aucune partie, de les
mettre toutes dans le plus beau jour. On laifie
au contraire dans l ’obfcurité celles qui font défa^
vorables; ou on ne les préfente qu’en paffant ,
foiblement, & par le côté le moins défâvangeux :
car i l y auroit fouvent plus de danger pour la
caufe , dè les omettre entièrement, que d’en, faire
quelque mention ; parce que l ’adverfaire , revenant
fur vous , ne manqueroit pas de- tirer avantage de
votre filence;, de le prendre pour un aveu tacite ;
& il renverforoit alors fans peine toutes vos preuves.
On trouve tout l’art de cette forte de R é c it, dans
celui que fait Cicéron du meurtre de Clodius par
Milon.
Récit poétique. C ’eft un expofé de-menfonges
& de fictions , fait eh langage artificiel, .c’eft a
dire, avec tou tl’apareil de fa r t & -de- la fédu&ion.
Ainfi, de même que dans l ’Hiftoire les chofe«
font vraies , l’ordre naturel, le ftyle franc & ingénu,
les exprefiîons fans art 8c fans apprêt, du moins
apparent ; il y a au contraire, dans le Récit poétique
> ux.tà'ùce yout les chofes, artifice pour la
narration , artifice pour le ftyle & pour la verfifica-
tion..
La Poéfie a , dans le R é c it , un ordre tout différent
de celui de l ’Hiftoire. Le Récit poétique
fe jette quelquefois 'au milieu des évènements ,
comme fi le leéfeur étoit inftruit de ce qui a précédé.
D’autres fois les poètes commencent le Récit
fort près de la fin de l ’a&ion , & trouvent le moyen
de renvoyer l ’expofitipn des caufes à quelque oc-
cafîon favorablè : c’eft ainfi qu’Énée part tout d’un
coup des côtes de Sicile : i l touchoit prefque a
l'Italie, mais une tempête le rejette à Carthage ,
où il trouve la reine Didon , qui veut favoir fes
malheurs & fes aventures ; i l les lui raconte, &
par ce moyen le poète a occafion d’inftruire en
même temps fon leéteur de ce qui a précédé le
départ de Sicile. 11^ ont aufli un, art particulier
par raport à la forme de leur ftyle ; c’eft de donner
un tour dramatique à la plupart de leur Récits.
11 y. a trois différentes formes-que peut prendre
la Poéfîe dans la manière de raconter. La première
forme eft lorfque le ppète ne fe montre point ,
mais feulement ceux qu’il fait agir : ainfi, Racine
& Corneille ne paroiflent dans aucune de leurs
pièces;, ce font toujours leurs aéteurs qui parlent.
L a fécondé forme eft celle où le poète fe montre
& ne montre pas fes afteurs , c’ eft à dire, qu’il
parle en. fon nom & dit ce que ces aéteurs ont
fait : ainfi, La Fontaine ne montre pas la montagne
en travail; i l ne fait que rendre compte de
ce qu’elle a fait.
L a troifième eft mixte, c’eft a dire que , fans y
montrer les aéteurs, on y cite leurs difcours comme
venant d’eux, en les mettant dans leurs bouches; ce
qui fait une forte de dramatique.
Rien ne feroit fi languiflant & fi monotone qu’un
Récit , s’i l étoit toujours dans la même forme.
I l n’y a point d’hiftorien , quoique lié à la vérité ,
qui n’ait cru à propos de lui être en quelque forte
infidèle , pour varier cette forme & jeter ce dramatique
dont nous parlons dans quelques endroits
de fon Récit : à plus forte raifon la Poéfie ufera-
t-elle de ce droit, puifqu’elle veut plaire ouvertement
& qu’elle en prend fans myItère tous les
moyens.
Mais i l ne fuffit pas à la Poéfie de diverfifier
fes Récits pour plaire , i l faut qu’elle les embel-
liffe par la parure & les ornements :. or c’eft. le
génie qui les produit, ces ornements , avec la
liberté d’un dieu créateur , Ingenium cui f i t divi-
~nius.
Récit dramatique. Le Récit dramatique ,
qui termine ordinairement nos tragédies, elt la
defeription d’un évènçment funefte deftiné à mettre
le comble aux partions tragiques, c’eft: à dire, a
porter; à leur plus haut point la terreur & la
pitié, qui fe font accrues durant tout le cours de la
pièce.
Ces fortes de Récits font ordinairement dans la
bouche de perfonnages q u i, s’ils' n’ont pas un intérêt
à l ’aétion du poème , en ont du moins un
très-fort qui les attache au perfonnage le plus
intéreffé dans l ’évènement funefte qu’ils ont â raconter.
Ainfi , quand ils viennent rendre compte
de ce qui s’eft paffé fous leurs ieux, ils font dans
cet état de trouble qui naît du mélange de plu-
fieurs pallions : la douleur, le défir de faire pafler
cette douleur chez les autres, la jufte indignation
contre les auteurs du défaftre dont ils viennent
d’être témoins , l ’envie d’exciter à les en punir, &
les divers fentiments qui peuvent naître des différentes
raifons de leur attachement d ceux dont ils
déplorent la perte; toutes ces raifons agiffent en
eux, en même temps , indiftinftement, fans qu’ils
le fâchent eux-mêmes, & les mettent dans une
fituation à peu près pareille à celle où Longin
nous fait remarquer qu’eft Sapho, qui , racontant
ce qui fe paffe dans fon âme à la vue de l ’infidélité
de ce qu’elle aime, préfonte en elle , non pas
une pafllon unique, mais un concours de paf-
fions.
On voit aifément que je me reftreins aux Ré cits
qui décrivent la mort des perfonnages pour
lefquels on s’eft intéreffé dans la pièce. Les Récits
de la mort des perfonnages odieux ne font pas
abfolument affujétis aux mêmes règles , quoique
cependant il ne fut pas difficile de lès y ramener,
à l’aide d’un peu d’explication.
Le but de nos Récits étant donc de porter la
terreur & la pitié le plus loin qu’elles puiflent aller,
il eft évident qu’ils ne doivent renfermer que les
circonftances qui conduifont à ce but. Dans l’évènement
le plus trifte & le plus terrible , tout n’eft
pas également capable d’imprimer de la terreur
ou de faire couler des larmes : il y a donc un
choix à faire; & ce choix commence par écarter
1er circonftances frivoles, petites, & puériles : voila
la première règle preferite par Longin ; & fa néceffité
fe fait fi bien fontir, qu’il eft inutile de la détailler
plus au long.
. La fécondé règle eft de préférer , dans le choix
des circonftances, les principales circonftances en-?
tre les principales. La raifon de cette fécondé
règle eft claire. I l eft impoflible, moralement
parlant', que , dans les grands mouvements , le
feu de l ’orateur ou du poete fe foutienne toujours
au même degré : pendant qu’on paffe en revue une
longue file de circonftances , le feu fe ralentit
héceffairement, & l ’impreflion qu’on veut faire fur
l ’auditeur languit en même temps ; le pathétique
manque une partie de fon effet ; & l ’on peut dire
que , dès qu’i l en manque une part, i l le perd tout
entiçtt
î f fl t