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» action j plus tôt que par cette multiplicité d’in-
» cidents, par cette foule de reconnoiffances ame-
v) nées comme par force } refuge ordinaire des
» poètes ftériles , qui fe jettent dans i’extraordi-
» naire en s'écartant du naturel ». Cette fîmplicité
d aâion qui contribue infiniment à fon Unité eft
admirable dans les poètes grecs. Les anglois, &
entre autres Shakefpear , n'ont point connu cette
règle : fes tragédies de Henri I V , de Richard I I I ,
de Macbeth , font des hiftoires qui comprennent
les évènements d'un règne tout entier. Nos auteurs
dramatiques , quoiqu’ils ayent pris moins de licence
, le font pourtant donné quelquefois celle ,
ou d’embraffer trop d'objets , comme on le peut
voir dans quelques tragédies modernes , ou de
joindre à 1'aétion principale des épifodes, qui par
par leur inutilité ont refroidi l’intérêt , ou par
leur longueur l’ont tellement partagé ; qu’il en
a réfulté deux aérions au lieu d'une. Corneille 8c Ra cine n’ont pas entièrement évité cet écueil. Le
premier , par fon épifode de l’amour de Dircé
pour Théfée , a défiguré fa tragédie d'OEdipe : lui -même a reconnu que, dans Horace, l’aérion
eft double , parce que fon héros court deux périls
différents, dont l’un ne l’engage pas néceffaire-
ment dans l’autre ; puifque d’un péril public, qui
întéreffe tout l’É tat,, il tombe dans un péril particulier
, ou il n’y va que de fa vie. La pièce
auroit donc pu finir au quatrième aéfce, le cinquième
formant , pour ainfi dire , une nouvelle
tragédie. Auffi Y Unité’ d’aérion , dans le Poème
dramatique, dépend-elle beaucoup de Y Unité de
péril pour la Tragédie, & de Y Unité d’intrigue
pour la Comédie : ce qui a lieu, non feulement
dans le plan de la fable, mais auffi dans la fable
étendue & remplie d’épifodes. Voye\ A c t io n ,
F a b l e . Les épifodes y doivent entrer fans en corrompre
XUnité, ou fans former unë double aérion ; il faut
que les différents membres foient fi bien unis &
liés enfemble, qu’ils n’interrompent point cette
Unité d’aétion , fi néceffaire au corps du poème,
& fi conforme au précepte d’Horace , qui veut que
tout fe réduife à la fîmplicité & à Y Unité del'aétiôn.
Sic quodvis Jimplex duntaxat & unum. Voyez Épisode.
C’eft fur ce Fondement qu'on a reproché â Racine
qu’il y avoit duplicité d’aérion dans Andro-
maque 8c dans Phèdre : 8c à confîdérer ces pièces
fans prévention , on ne peut pas dire que l’aétion
principale y foit entièrement une 8c dégagée ; fur-
tout dans la dernière , où l’épifode d’Aricie n'influe
que foiblement fur le dénoûment de la pièce ,
même en admettant la raifon que le poète allègue
dans fà préface pour juftifier l’invention de
ce perfonnage. Une des principales caufes, pour
laquelle nos tragédies en général ne font pas :
fi fimples que celles dés Anciens , c'eft que nous 1
y avons introduit lapaffion de l'amour , qu’ils en
^voient exclue. Or çette pafïïon étant naturellement
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vive & violente , elle partage l ’intérêt, & nuit pan
conféquent très-fouvent à 1 Unité d'aétion. ( Principes
pour La lecture des poètes, t. I l , pug. 52, <£
Juiv. Corneille , D i f cour s des trois Unités.)
A l ’égard du Poème épique, M. Dacier obferve
que Y Unité d’aérion ne confifte pas dans T Unité
du héros , ou dans l ’uniformité de fon caractère ,
quoique ce foit une faute que de lui donner, dans
la même pièce , des moeurs différentes. L’ U n i t é
d’aérion exige, qu’il n’y ait qu’une feule aérion principale
, dont toutes les autres ne foient que des accidents
& des dépendances. Voye\ H é r o s , C a r a c t
è r e s , M oe u r s , A c t io n .
Pour bien remplir cette règle, le P. Le Boffu
demande trois chofes : 1 °. que l ’on ne fàffe entrer
.dans le poème aucun épifode qui ne foit pris dans
le plan , ou qui ne foit fondé fur l ’aétion, & qu’on
ne puiffe regarder comme un membre naturel du
corps du poeme ; z°. que ces épifodes ou membres
s’accordent & foient liés étroitement les uns
aux autres j 3?||queron ne finiffe aucun épifode,au
point qu’il puiffe reffembler à une aérion entière
& féparée ou détachée, mais que chaque épifode
ne foit jamais qu’une partie d’un T o u t , & même
une partie qui ne faffe point un Tout elle-
même.
Le Critique , examinant fur ces règles YÉnéide,
Y Ilia de , & YOdyffée , trouve qu’elles y ont été
obfervées à la dernière rigueur. En effet, ce n’eft
que de la conduite de ces poèmes qu’il a tiré les
règles <^u’il prefcrit ; & pour donner un exemple
d’un poeme où elles ont été négligées , il cite la
Thébaïde de Stace.
II. U Unité de temps eft établie par Ariftote
dans fa Poétique , où il dit expreffément que la
durée de l’aétion ne doit point excéder le temps
que le foleil emploie à faire fa révolution, c’eft
à dire, l ’efpace d’un jour naturel. Quelques Critiques
veulent que Paétiôn dramatique foit renfermée
dans un jour artificiel, ou l’efpace de douze heures.
Mais le plus grand nombre penfent que l ’aéüon qui
fait le fujet d’une pièce de Théâtre , doit être
bornée à vingt quatre heures, o u , comme on dit
communément , que fà durée commence & finiffe
entre deux foléils : car on fuppofe qu'on préfente
aux fpeétateurs un fujet de Fable, ou d’Hiftoire,
ou tiré de la vie commune , pour les inftruire ou
pour les amufer 5 & comme on n’jr parvie nt qu’en
excitant les paffions , fi on leur laiffe le temps de
fe refroidir , il eft impoffible de produire l ’effet
qu'on fe propofoit, Or en mettant fur la Scène
une aérion qui vraifemblablement ou même nécef-
fairement n’auroit pu fe paffer qu’en plufieurs années,
la vivacité des mouvements fe .ralentit : ou
fi l ’étendue de l ’adàon vient à excéder de beaucoup
celle du temps, il en réfulte néceffairement
de la confufîon ; parce que le fpeélateur ne peut
fe faire illufion jufqu’à penfer, que des évènements
en fi grand nombre fe leroient terminés dans un fi
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court -efpace de temps. L ’art confifte donc à proportionner
tellement l ’aérion & fa. durée, que l’une
paroiffe être réciproquement la mefure de l ’autre ;
ce qui dépend lurtout de la. fîmplicité de l’aélion.
Car fi l ’on en réunit plufieurs fous prétexte de
varier 8c d’augmenter le plaifîr, il eft évident
quelles fortent des bornes du temps prcfciit &
de celles de la vraifemblance. Dans le C id , par
exemple , Corneille fait donner dans un même
jour trois combats finguliers & une bataille , 8c
termine larjoumée par l ’efpérance du mariage de
Chimène avec Rodrigue, encore tout fumant du
fang du comte de Gormas, père de cette même
Chimène ; fans parler des autres incidents, qui naturellement
ne pouvoient arriver en auffi peu de •
temps, 8c queTHiftoire met effectivement'à deux
ou trois ans les uns des autres. Guillende Caftro,
auteur efpagfiol , dont Corneille avoit emprunté
le fujet du C id , l ’aVôit traité à la manière de fon
temps & de fon pays , qui, permettant qu’on fît
paroître fur la fcène un héros qu'on vo yo it, comme
die Defpréaux,
Enfant au premier a&e , & barbon au dernier,
»’affujétiffoit point les auteurs, dramatiques à la
règle des vingt quatre heures j 8c Corneille pour
vouloir y ajuiter un évènement trop vafte, a pe-
ché contre la -vraifemblance. Les Anciens n’ont
pas toujours refpeété cette règle j mais nos premiers
dramatiques François 8c les anglois 1 ont
violée ouvertement. Parmi ces derniers furtout,
Shakefpear femble ne l’avoir pas feulement connue
j & on lit à la tête de quelques-unes de fes
pièces , que la durée de l’aélion eft de trois , dix ,
feize années, 8c quelquefois davantage. Ce n’eft
pas qu’èn général on doive condanner les auteurs
q u i, pour plier un évènement aux règles du
Théâtre, négligent la vérité hiftorique , en rapro-
chant comme en un même- point' des circonftances
éparfes qui font arrivées en différents temps, pourvu
que cela fe faffe avec jugement & en matières peu
connues ou peu importantes: » Car le poète , di-
» fent meilleurs de l’Académie françoife dans
leurs Sentiments fu r le Cid , » ne confie!ère
» dans l ’Hiftoire que la vraifemblance des évèrîe-
» ments , fans fe rendre efclave des circonftances
» qui en accompagnent la vérité 5 de manière
» que, pourvu qu’il foit vraifemblable que plu-
» fieurs aérions fe foient auffi bien pu faire con-
» jointe ment que féparément, il eft libre au poète
p de les raprocher , fi par. ce moyen il peut rendre
» fon ouvrage plus merveilleux ». Mais la liberté
à cet égard ne doit point dégénérer en licence, :
& le droit qu’ont les poètes de raprocher les objets
éloignés1, n'emporte pas avec foi celui de les
entaffer & de les'multiplier , de manière que le
tétnps prefcrit ne fuffife pas pour les dèveioper
tous; puifqu’il én réfulteroit une confufion, égale
à celle qui règneioit dans un tableau, où le peintre
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auroit voulu réunir un plus grand nombre de
perfonnages que fa toile ne pouvoit naturellement
en contenir. C a r , de même qu ici les ieux ne
pourroient rien diftinguer ni déméler aveenettete,
là l’efprit du fpeéfcateur & fa mémoire ne pourroient
ni concevoir clairement ni fuivre ailêment
une foule d’évènements, pour l'intelligence 8c 1 exécution
defquels la mefure du temps, qui n eft que
de vingt quatre heures au plus, iè^ trouveroit trop
courte. Le poète eft même , à cet égard , beaucoup
moins gène que le peintre ; celui-ci ne pouvant
faifir qu'un coup d 'oe il, un inftant marque de la
durée de l ’aérion , mais un inftant fubit & prefque
indivifible. Principes pour la leélure des poètes,
tom. i l , p. 48 & fu iv .
Dans le Poème épique, Y Unité de temps prife
dans cette rigueur n’eft nullement neceffaire , puif-
qu’on ne fauroit guère y fixerla durée de l ’aérion :
plus celle-ci eft vive 8c chaude, & plus il en
faut précipiter la durée. Ç ’eft pourquoi Y Iliade ne-
fait durer la colère d’Achille que quarante fept
jours tout au plus : au lieu que félon le P. Le
Boffu, l ’aétion de YOdyffée occupe l ’efpace de
huit ans & demi ; 8c celle de YÉnéide, près de fept
ans : mais ce fentiment eft faux-.
Pour ce qui eft de la longueur du Poème épique,
Ariftote veut qu’il puiffe être lu tout entier"
dans l ’efpace d’un jour y & il ajoute que, lorfqu’u»
| ouvrage en ce genre s’étend au delà de ces bornes y
la. vue s’égare , de forte qu’on ne fauroit parvenir
à la fin fans avoir perdu l ’idée du commencement. .
III. L 'U n ité de lieu eft une règle dont on ne
trouve nulle trace dans Ariftote 8c dans Horace ,
mais qui n’eft pas moins fondée dans la nature.
Rien ne demande une fi exaéle vraifemblance que
le Poème dramatique : comme il confifte dans l’imitation
d'une aétion complète & bornée , il eft d’une
éaale néceffité de borner encore cette aétion à un
Jeul 8c même lieu, afin d'éviter la confufion, &
d’obferver encore la vraifemblance , en foutenant
le fpeélateur dans une illufion qui ceffe bientôt
dès qu’on veut lui perfuader que les perfonnages
qu’i l vient de voir agir dans un lieu vont agir
à dix- ou vingt lieues de ce même endroit , &
toujours fous fes regards, quoiqu’il foit bien sûï
que lui-même n’a pas changé de placé. Que lè
lieu de là Scène fo it f ix e & marqué, dit D e f préaux,
voilà la loi. En effet , fi lés fcènes iïë
font préparées , amenées, 8c enchaînées les unes
aux autres, dé manière que fous les perfonnages
puiffent fe rencontrer fucceffivement 8c avec bien-
féancë dans un endroit commun; fi les divers incidents
d’une pièce exigent néceffairement une
trop grande étendue de terrein ; fi enfin le théâtre
repréfente plufieurs lieux différents les uns après
les autres ; le fpeéïateur trouve toujours cès changements
incroyables , & ne fe prête point a 1 ima.-
gination du poète, qui choque à cet égard les
I idées ordinaires & , pour parler plus nettement j