
événement plus tôt que de le-raconter, il y aurôit
une infinité de petites circonftances qui auroient trahi
Tart 5c changé la pitié en rifée. Le précepte d’Horace
y eft formel ; 8c quand Horace ne l ’auroit
point dit , la raifon le dit alTez. -
• On y exige encore, non feulement que l ’a&ion
foit une, mais qu’elle fe paffe toute en un même
jour, en un même lieu. L a raifon de tout cela eft
dans l ’imitation. .
Comme toute a&ion fe paffe en un lieu , ce
lieu doit être convenable â la qualité des aéteurs':
fi ce font des bergers, la fcène eft un payfage $
celle des rois eft un palais j ainfi du refte.
Pourvu qu’on conferve le caractère du lieu , il
eft permis de l ’embellir de toutes les riçheffes
de l’art ; les couleurs & la perfpe&ive en font
toute la dépenfe. Cependant il faut, que les moeurs
des aéteurs foient peintes dans la lcène même ;
qu’il y ait une jufte proportion entre la demeure
& le maître qui l ’habité ; qu’on y remarque les
ufages des temps , des pays,- des nations. Un américain
ne doit être ni vêtu , ni logé comme un
françois ; ni un françois comme un ancien romain ,
ni même comme un etpagnol moderne. Si on n’a
point de modèle, i l faut s’en figurer un conformément
à l ’idée que peuvent en avoir les fpe&a*
leurs.
Les deux principales eipèces de Poèmes dramatiques
font la Tragédie & la Comédie, ou, comme
difoient les anciens, le Cothurne & le Brodequin*
L a Tragédie partage avec l ’Épopée la grandeur
& f importance de l’aftion , & n’en diffère que par
le dramatique feulement. E lle imite le beau , le
grand ; la Comédie imite le ridicule. L ’unç élève
Pâme & forme le coeur , l ’autre polit les mçeur$
& corrige le dehors. La Tragédie nous humanile
par la compaffion, & nous retient par la^crainte,
<po/3os kj cAsos : la Comédie nous ôte le mafque
â demi, & nous préfente adroitement le miroir. La
Tragédie ne fait pas rire, parce que les fottifes des
.Grands font prefque des malheurs publics ;
Quidquid délirant reges , plecluntur achiyï.
L a Comédie fait rire , parce que les fottifes des
petits ne font que des fottifes j on n’en craint
point les fuites. La Tragédie excite la terreur & la
pitié , ce qui eft fignifïé par le nom même de la
Tragédie. L a Comédie fait rire , & c’eft ce qui la
fend comique ou comédie.
Au refte , la poéfle dramatique fit plus de progrès
depuis 163$ jufqu’eo i 66$ j elle fe perfectionna
plus en ces 30 années-là , qu’elle ne l ’avoit
fait dans les trois fiècles précédents. Rotrou parut
çn même temps que Corneille ; Racine,. Molière
«jk Quinaut vinrent bientôt après. Quels progrès a
faits depuis parmi nous, cette même poéfie dramatique
? aucun. Mais il eft inutile d’entrer ici dans
'{Je plus grands détails, JToye^ C omÉpie l T uagédie
, D rame , Dramatique , Opéra , &c*
( L e Chevalier d e Ja u c o u r t . )
Voye\aufp. ce que nous allons dire de /’A&e &
de /’Entr’adle.
U Acte eft une partie d’un Poème dramatique
féparée d’une autre partie par un intermède.
Pendant les intervalles qui fe rencontrent entre
les A fies , le théâtre refte vacant, & il ne fe paffe
aucune a&ion fous lès leux des fpe<ftateurs ; mais on
fuppofe qu’il s’en paffe hors de la portée de leur
vue quelqu’une relative- à la pièce , & dont les
Actes fuivants les informeront.
On prétend que cette divifion d’une pièce en
plufieurs Actes n’a été introduite par les modernes
, que pour donner à l ’intrigue plus de probabilité
& la rendre plus intéreffante. Car le
fpedtateur, à qui dans Y Acte précédent on a infinué
quelque choie de ce qui eft fuppofé fe paffer
dans l ’Entracte , -nëfait encore que s’en douter , &
eft agréablement furpris , lorfque dans Y A lte fui-
vant il aprend les fuites de l ’action qui s’eft pàf-
fée, & dont il n’avoit qu’un fimple foupçon. Voye\ Probabilité & V raisemblance.
D ’ailleurs les auteurs dramatiques ont trouvé
par là le moyen d’é.earter de la Scène les parties
de l ’aétion les plus fèches , les moins intéreffantes ,
celles qui ne font que préparatoires & pourtant
idéalement néceffairés , en les fondant, pour ainfi
dire , dans les Entractes , de forte que l ’imagination
feule les offre au fpe&ateur en gros, 8c même
affez rapidement pour lui dérober ce qu’èlies auroient
de lâche ou de défagréable dans la repré-r
fentation. Les poètes grecs ne connoiffoient point
ces fortes de divifions : .il eft vrai que l ’aéfcion paroît
de temps en temps interrompue fur leur théâtre , 8c
que les aéteurs occupés hors de la fcène , ou gardant
le filence, font place-aux chants du choeur -
ee qui produit des intermèdes , mais non pas ab~
folumënt des Actes dans lç goût des modernes J
parce que les chants du choeur fe trouvent lié«
d’intérêt à l ’a&ion principale avec laquelle ils ont
toujours un raport marqué. Si dans les nouvelles
éditions leurs tragédies le trouvent divifées en cinq
A c te s , c’eft aux éditeurs & aux commentateurs qu’il
faut attribuer les divifions, & nullement aux originaux
5 car de tous les anciens qui ont cité des pa£
fages de comédies ou de tragédies grèques , aucun
ne les a défignés par Y Acte a où ils font tirés , &
Ariftote*n’en fait nulle mention dans fa Poétiaue*
I l eft vrai pourtant qu’ils confidéroient leurs pièces
comme confiftant en plufieurs parties de divifion,
qu’ils appeloient Protafe , Epitafe , Catartafè %
& Catajirophe ,• mais il n^y avoit pas fur le théâtra,
d’interruptions réelles qui marquaffent ces divi*
fions. Voye\ P rotasb ; Épitase , 8cc.
Ce font les romains qui, les premiers, ont infro#
duit dans les pièces de théâtre cette divifion pa£
A êtes» Donat, dans l ’argument de l ’ Andrienne 3
remarque pourtant qu’i l n’éto^t pas facile de l ’aperçevçjl
ce/oir dans leurs premiers poètes dramatiques' :
mais du temps d’Horace 1 ufage en etoit établi, il
avoit même paflé en loi j
pleve minor, mußt quinto produclior aclu
Fabula, quee pofci y ait Se fpCâata rcpon'u
Cependant on n’eft pas d’ accord fur la néceffî lé de cette
divifion , ni fur le nombre des A lte s . Ceux qui
les fixent à cinq , aflignent à chacun la portion de
l ’a&ion principale qui lui doit apartenir : dans
le premier , dit Voffius ( Infiit. poet. lib. I l ) on
expofe le fujet ou l ’argument de la pièce fans
en annoncer le dénouement , pour ménager du
plaifîr au fpe&ateur, & l ’on annonce les principaux
cara&ères j dans le fécond , on dèvelope
l ’intrigue par degrés ; le troifième doit être rempli
d’incidents qui forment le noeud $ le quatrième
prépare des reffources ou des voies au dénouement,
auquel le cinquième doit être uniquement confacré.
Selon l’abbé d’Aubignac, cette divifion eft fondée
fin l ’expérience ; car on a reconnu i°. que toute
tragédie devoit avoir une certaine longueur, z°.
qu’elle devoit être divifée en plufieurs parties ou
Aêtes.On a enfuite fixé la longueur de chaque Acte j
i l a été facile après, cela d’en déterminer le nombre.
On a vu , par exemple , qu’une Tragédie devoit
être environ de quinze ou feiz'e-cents vers partagés
en plufieurs Acte s ; que chaque Acte devoit être environ
de trois-cents vers : on en a conclu que la
Tragédie devoit avoir cinq actes , tant parce qu’il
étoit néceffaire de laiffer relpirer le (peftateur, Sc
de ménager fon attention en ne le furchargeant pas
par la repréfentation continue de l ’aélion , que
pour accorder au poète la facilité de fouftraire
aux ieux des Ipeétateurs fcertaines circonftances,
foit par bienféance foit par néceffîtéjce qu’on
appuie de l ’exemple des poètes latins & des préceptes
des meilleurs Critiques.
Jufqueslà la divifion d’une Tragédie en Actes
paroît fondée : mais eft-il abfolument néceffaire
qu’elle foit en cinq Actes , ni plus ni moins ?
L ’abbé Vatry * de qui nous empruntons une
partie de ces remarques , prétend qu’une pièce de
théâtre pourroit être également bien diftribuée en
trois A l t e s , & peut-être même en plus de cinq ,
tant par raport à la longueur de la pièce que
par raport à fa conduite : en effet, il n’eft pas
effenciel à une tragédie d’avoir quinze ou- feize-
cents vers ; on en trouve dans les anciens qui n’en
ont que mille , & dans les modernes qui vont juf-
qu à deux-mille : or dans le premier cas , trois
intermèdes feroient fuffifants^ & dans le fécond ,
cinq ne le feroient pas , félon le raifonnement de
l ’abbé .d’Aubignac. La divifion en cinq^Actes eft
une.règle arbitraire, qu’on peut violer fans feru-
pule. Il peut fe faire , conclut le même auteur ,
qu’il convienne en général que la Tragédie foit
en cinq A lte s , & qu’Horace ait eu raifon d’en
faire un précepte^ & il peut être vrai en même
Gramm, e t Lit t é r a t . Tome 11L
temps qu’un poète feroit mieux de mettre fa pièce
en trois , quatre, ou fix Actes-, que de filer des
A llé s inutiles ou trop longs, embarraffés d’épi-
fodes, ou lurchargés d’incidents étrangers , &c.
Voltaire a déjà franchi l ’ancien préjugé , en
nous donnant la Mort de Céfar, qui n’eft pas moins
une belle tragédie pour n’être qu’en trois A llé s .
Les A ctes fe divifenten fcènes. Voffius remarque
que, dans les anciens, un Acte ne contient jamais plus
de fept fcènes. On fent bien qu’î i ne faudroit pas
trop les multiplier , afin de garder quelque proportion
dans la longueur refpeélive des A ile s ;
mais il n’y a aucune règle fixée fur ce nombre.
Vojf. Infl. poet. lib. I l . Mém. de VAcad, tom,
VIU , pag. 188 & fuiv.
Comme les Entr actes parmi nous font marqués
par une fymphonie de violons ou par des changements
de décorations , ils l ’étoient chez les anciens
par une toile qu’on baiffoit à la fin de Y Acte
5c qu’on rclevoit au commencement du fuivant.
Cette toile , félon Donat, fe nomnjoit Sipanum.
Voffius , Infl. poet. lib. I I .
U E n tra lle eft en général l ’efpace de temps qui
fépare deux a&es d’une pièce de théâtre, foit qu’on
rempliffe cet etpace de temps par un fpe&acle différent
de la pièce, foit qu’on laiffe cet efpace abfolument
vide.
Entr'acte -, dans un fens plus limité, eft un diver-
tiffement en dialogue ou en monologue , en chant
ou en danfe, ou erifin mélé de l ’un 5c de l ’autre,
que l ’on place entre les aéles d’une comédie ou
d'une tragédie.-L’objet de ce divertiffement , ifolé
5c de mauvais goût, eft de varier l ’amulement des
fpettateurs, fouvent de donner le temps aux afteurs
de changer d’habits , 5c quelquefois d’alonger le
fpe&acle j mais il n’en peut être jamais une partie
néceffaire.: par conféquent il n’ eft qu’une mauvaife
reffource qui décèle le manque de génie dans celui
qui y a recours, 8c le défaut de gont dans les fpec-
tateurs qui s*en amufent.
Les grecs aroient des Entractes de chant & de
danfe dans tous leurs fpeâacles : i l ne faut nas les
en blâmer. L'art du Théâtre , quoique traité alors
avec les plus belles reffources du génie, ne fefoit
cependant que de naître : ils ne l ’ont connu que
dans fon enfance ; mais c’étoit l ’enfance d’Hetcule
qui jouoit avec les lions.
Les romains , en adoptant le Théâtre des grecs
prirent tous les défauts de leur genre, & nattei-
gnoient à prefque aucune de leurs beautés. En France
lorfque Corneille & Molière créèrent la Tragédie
& la Comédie , ils profitèrent des fautes des romains
pour les éviter ; & iis eurent affez de génie & de godt
pour fe rendre propres les grandes beautés des
grecs, & pour en produire de nouvelles, que les So-
phocles & les Ariftophanes n’auroient pas laiffe
échaper, s’ils avoient vécu deux-mille ans plus
tard. r
Ainfi, le Théâtre françois ,dans les mains de ce*
L