& ne touchent pas également ; mais chaque genre
nous touche, à proportion que l ’objet qu’i l eft
de fon eflence de peindre & d’imiter eft capable1
de nous émouvoir. Voilà pourquoi le genre élé-
giaque & le genre bucolique/ ont plus d’attraits
pour nous que le, genre dramatique.
Les fantômes des pallions que la Poéfie fait
exciter , allumant en nous des pallions /artificielles ,
iatisfont au befoin où nous fommes d’être occupés.
Or les poètes excitent en nous-ces pallions artificielles
, en préfentant à notre âme les imitations
des objets capables de produire en nous des
pallions véritables : mais comme l ’impreflion que
l ’imitation fait n’eft pas aulfi profonde que l ’imfreflion
que l ’objet même auroit faite ; comme
•impreflion faite par l ’imitation n’eft pas fé-
rieufe , d’autant qu’elle ne va pas jufqu’à la railon,
pour laquelle i l n’y a point d’illulion dans fes
fenfations ; enfin , comme l ’impreflïon faite par
l ’imitation n’afrefte vivement que l ’âme fenfitive j
e lle s’efface bientôt. Cette imprelfion fupèrficielle ,
faite par une imitation artificielle , dilparoît fans
avoir des fuites durables , comme en auroit une
imprelfion faite par l ’objet même que le poète
a imité.
Le plaifîr- qu’on fent à voir les imitations que
les poètes favent faire , des objets qui auroient
excité en nous des pallions dont la réalité nous
auroit été à charge, eft un plaifîr pur 41 ireft
pas fuivi des inconvénients dont les émotions fé-
rieufes, qui auroient été caufées par l ’objet même,
feroient accompagnées,.
Voilà d’où proçède le plaifîr que fait la -Poefie ,*
voilà encore pourquoi nous-regardons avec contentement
des peintures dont le mérite confîfte à
mettre fous nos ieux des aventures fi funèftes ,
qu’elles nous auroient fait horreur fi nous les
avions vues véritablement. Une mort telle que
mort de Phèdre ; une jeune princefle expirante
avec des convulfions afFreufes, en s’acculant elle-
même de crimes atroces , dont elle eft punie par
le poifon , feroit un objet à fuir. Nous ferions
plufieurs jours avant que de pouvoir nous diftraire
des idées noires & funeftès qu’un pareil fpeétaclç
me manquproit pas d’empreindre dans notre imagination.
La tragédie de Racine , qui nous préfente
l ’imitation de cet évènement , nous émeut
& nous touche , fans lailfer en nous la fe-
mence d’unè triftefle ' durable. Nous- jouïffons de
notre émotion , fans être alarmés par la crainte
qu’elle ne dure trop long temps. C ’èft (ans nous at-
trifter réellement que la pièce de Racine fait
couler des larmes de nos ièux ; & nous fentons
bien que nos pleurs finiront avec la repréfentation
de la fiélion ingénieufe qui les fait couler. Il j
s’enfuit de l à , que le meilleur poème eft celui
dont’ la lecture ou dont la repréfentation nous
émeut & nous intérelTe davantage. Or c’eft à
proportion dés charmes de la Poéfie du f ty le ,
^u’un poème nous intérefle & nous émeut. Hoye-^
donc Poésie du style. ( Le chevalier DE
J au cou rt, )
Poésie dramatique , voye\ Poème drama-<
TIQUE.
Poésie épique , voye% Poème épique.
* Poésie des H ébreux , Critique facrêe. Les
pfeaumes, les cantiques , le livre de Job , paflenè
pour être en vers: cèla fe peut ; mais nous ne
le fentons pas. Aulfi, malgré tout ce que les modernes
ont écrit fur la Poéfie des Hébreux , la
matière n’en eft pas plus éclaircie , parce qu’on
n’a jamais fu & qu’on ne faura jamais la prononciation
de la langue hébraïque j par conféquent
i l n’eft pas pôflîble de fentir ni l ’harmonie, des
paroles de cette langue, ni la quantité des fyllabes
qui conftituent ce que nous y nommons des vers,
[L e chevalier d e J AU c o u r t .)
( ^ Cette décifion n’eft - elle pas un peu trop
tranchante , & peut - être aventurée ? Qu’il ne foit
plus polfible aujourdhui de fentir ni l ’harmonie des
paroles de la langue hébraïque , ni la quantité
des fyllabes qui conftituent ce que nous y nommons
des vers ; cela peut être : mais fommes-
nous pour cela fans aucun moyen de nous aflurer
de la réalité de la Poéfie des hébreux ? Sans
feuilleter une immenfité de volumes , qu’on life
feulement l ’excellent ouvrage de Robert Lowth
D e facrâ Poëfi hebroeorum ; & je doute qu’on
ne foit pas convaincu que les hébreux avoient
une véritable Poéfie. Le favant évêque de Londres
( car le mérite de l ’auteur l ’a élevé fur ce fiége )
prouve qu’elle eft métrique ; que le ftyle des
pièces ou il en montre l ’exiftence , eft poétique
par la hardie fie des figures", par la magnificence
des images de toute efpèce , par l ’éclat de. la
didion , par la grandeur des ^penfées, par la fu-
blimité des fentiments ; & enfin que l ’Ecriture
fainte renferme differentes fortes de poèmes, élégies
, poèmes didactiques , idylles V odes, &ç.
Les amateurs de la faine érudition doivent fe
procurer cet ouvrage de Lowth , troifième édition
imprimée à Oxford en 1765 in-8°. & y joindre
celui du (avant Michaelis -, qui fo,nt des Notes
fur les Leçons du doéteur anglois : ce dernier écrit
eft auffi imprimé in-8°. à Oxford en 1763. [M , B e a u z é e . ) '
P oésie lyrique , Poéfie. Parlons-en encore
d’après M. Batteux. C ’eft une efpèce de Poéfie
toute confacrée au fentiment ; c’eft fa matière,
fon objet effenciel. Qu’elle s’élève comme un trait
de flamme en frémiflant ; qu’elle s’infînue- peu à
peu. & nous échauffe fans bruit ; que ce foit un
aigle ? un papillon , une abeille y c’eft toujours
le fentiment qui la guide ou qui l ’emporte.
La Poéfie lyrique en général eft deftinée à
être mife en chant j c’eft pour cela qu’pn l ’appçUq
ly n à ü i, & parce qa’autrefpis, quand on la chid-
toit, la lyre acconipagnoït la voix. Le mot Ode
a la même origine ; il lignifie chffnt, chanfon,
hymne , cantique. :
Il fuit de là que la Poéfie lyrique & la Mu-
fique doivent avoir entre elles un raport intime ,
fondé dans les chofes mêmes , puisqu'elles ont
l ’une & l ’autre les mêmes objets à exprimer j &
fi cela eft , la Mufique étant une exprelîîon des
fentimertts du coeur par les fons inarticulés , la
Poéfiè muficalé ou lyrique fera l ’expreflion des
fentimehts par les fons articulés , ou , ce qui eft
la même chofe , par les mots.
On peut donc définir la Poéfie lyrique , celle
qui exprime le fentiment dans une forme de vérification
qui eft chantante ; or comme les fen-
timents font chauds, paflioimés , énergiques , la
chaleur domine néceflairement dans ce genre d’ouvrage.'
De là naiflent toutes les règles de la
Poéfie lyrique, auflî bien que fes privilèges : c’eft
là ce qui autorife la hardiefle des débuts, les emportements
, les écarts ; c’eft de.là qu’elle tire ce
fublime qui lui appartient d’une façon particulière
, & cet enthoufiafme qui. l ’approche de la
divinité.
La Poéfie lyrique eft auflî ancienne que le
monde. Quand l ’homme eut ouvert les ieux fur
l ’univers , fur les impreflions agréables qu’il rc-
cevoit par tous fes fens , fur les merveilles qui
l ’environnôient , il éleva fa voix pour payer le
'tribut de gloire qu’il devoit au fouverain bienfaiteur.
Voilà l ’origine des cantiques, des hymnes,
des odes , en un mot de la Poéfie lyrique.
Les païens avoient dans le fonds de leurs fêtes
le même principe que les-.adorateurs du vrai Dieu.
Ce fut la joie & la reconnoiflance qui leur firent
inftituer des jeux folennels pour célébrer les
dieux, auxquels ils fe croyoient redevables de lèur
récolte. De là vinrent ces chants de joie qu’ils
confacroierit au dieu des vendanges & à celui dè
l ’amour. Si les dieux biénfefaiïts étôient l ’objet
naturel de la Poéfie lyrique : les héros, enfants
des dieux, dévoient naturellement avoir part à cette
efpèce de tribut j fans compter que leur vertu ,
leur courage, leurs fervices rendus, foit à quelque
peuple particulier foit à tout le genre humain ,
étoient des traits de reffemblance avec la divinité.
C ’eft ce qui a produit les poèmes d’Orphée , de
Linus , d’Alcée , de Pindare , & de quelques autres,\
qui ont touché la lyre d’une, façon trop brillante
pour ne pas mériter d’être réunis dans un article,
particulier. P o y e \ donc O de , Poète lyrique.
Nous remarquerons feulement ici que c’eft particulièrement
aux poètes lyriques qu’il eft donné
d inftruire avec dignité & avec agrément ; la Poéfie
dramatique & fabulaire réunifient plus rarement
ces deux avantages. L ’Ode fait refpefter une-divinité
morale par la fublimité des penfées, la ma-'
jefté des cadences , la hardiefle des1 figures, la
force des expreflions ; en même temps elle prévient
le dégoût par la brièveté, par la variété dei
fes tours , & par le choix des ornements qu’un habile
poète fait employer à propos. ( L e chevalier
DE J AU COURT. )
Poésie orientale moderne , Poéfie. Les
beaux - arts ont été long temps le partage des
orientaux. Voltaire remarque que , comme les
Poéfies du perfan Sady font encore aujourdhui
dans la bouche des perfans, des turcs, & des
arabes, il faut bien quelles ayent du mérite. Il
étoit .contemporain de Pétrarque , & i l a autant de
réputation que lui. Il eft vrai qu’en général, le
bon goût n’a guère régné chez les orientaux :
leurs ouvrages reflemblent aux titres de leurs Souverains
, dans lefquels i l eft fouvent queftion du
foleil & de la lune. L ’efprit de fervitude paroît
naturellement ampoulé , comme celui de la l i - ,
berté eft nerveux , & celui de la vraie grandeur
eft (impie. Ils n’ont point de délicatefle , parce
que les femmes ne font point admifes dans la
fociété. Ils n’ont ni ordre ni méthode,- parce que
chacun s’abandonne à fon imagination dans la fo-
litude où ils paflent une partie de leur vie , &
que leur imagination pair elle-même eft déréglée.
Ils n’ont jamais connu la véritable Eloquence ,
telle que celle de Démofthène & de Cicéron : qui
auroit-on eu à perfuader en Orient? des efclaves?
Cependant ils ont de beaux éclats de lumière ; ils
peignent avec la parole , & quoique les figures
foient fouvent gigantefques & incohérentes , on
y trouve du fublime. Voltaire ajoûte , pour
le prouver, une traduction qu’i l a faite en vers-
blancs dun paflage du célèbre Sady : c’eft une
peinture de la grandeur de Dieu ; lieu commun
à la vérité, mais qui fait connoître le génie
de la Perfe.
Il fait diftinclement ce qui ne fut jamais.
D e ce qu’on n’entend point fon oreille eft remplie.
Prince , il n’a pas befoin qu’on le ferve à genoux j
Juge, il n’a pas befoin que fa loi foit écrite.
D e l’éternel burin de fa prévifion,
Il a tracé nos traits dans le fein de nos mères.
D e l’aurore au couchant il porte le foleil ;
Il sème de rubis les maffes des montagnes.
I l prend deux gouttes d’eau : de l’ une il fait un homme 5
De l’autre il arrondit la perle au fond des' mers.
L ’être, au fon de fa v o ix , fut tiré du néant.
Qu’il parle, & dans l’inftant l’ univers va rentrer.
Dans les immenfités de l’efpace Se du vide :
Qu’ il parle , & l’univers repaffe eu un clin d’ ceil
Des abîmes du rien dans les plaines de l’être.
j Voltaire , Efiai fu r VHifloire. [L e chevalier d e
J AU COURT.)
P o é s i e p a s t o r a l e , voye\ P a s t o r a l e ,
: (P oésie. )