
toujours être conféquente. Renard a excellé dans
les rôles d’ivrogne. Un v alet, dans la Sérénade ,
prie un paffant de lui aider à retrouver fa maifon :
Où ejl - elle , ta maifon ? lui dit celui - ci :
'Parbleu, répond l ’Ivrogne, f i j e le fa v o is , je
ne vous le demanderais p a s. Le même , ayant
perdu un billet qu’il étoit chargé de remettre
a celui qu’il a rencontré, & voyant qu’i l .s ’impatiente
de ce qu’il cherche inutilement, lui dit pour
«xcufe , Comment voulez-vous que j e retrouve un
billet ? j e ne puis pas retrouver ma maifon.
Il y a des exèmples encore plus fenfibles du P ta ï-
fant qui n’eft que plaifant. Voltaire en a cité
un : c’eft le mot d’un gendre à fa belle-mère ,
qui au pied du lit de fa fille chérie qu’elle voyoit
a l’extrémité , offroit à.Dieu tous Tes autres enfants
pour làuver celle-là & le conjuroit de les prendre.
— Madame , les gendres en fon t - ils 2
En voici un qui n’eft pas moins piquant. Un
homme ennemi du menfonge avok coutume de'tout
nier à un menteur de profelfion. Un jour que celui-
ci difoit une nouvelle , l ’homme véridique lui fou-
tenoit & vouloit gager qu’il n’en étoit rien ; quelqu’un
s’aproche & lui dit à l’oreille , Ne gagez
p a s : le fa i t ejl vrai. S 'i l ejl vrai , pourquoi
le dit-iï ? répond le véridique avec impatience. . On
voit le caractère du Plaifant bien marqué dans le
contraire de ces mots , S ’ il ejl vrai, pourquoi le
d it-il ? Saillie bizarre en apparence , & cependant
pleine de vérité.
On l ’aperçoit de même , ce caractère piquant &
fin, dans la réponfe faite à Louis X IV par un
homme auquel i l difoit , en lui failant admirer
Verfailles , Savez-vous q u il rfy avoit ici qu’un
moulin à vent ? Sire, lui dit cet homme , le moulin
n’y ejl plus , mais le vent jv ejl toujours.
Cette façon imprévue de rabattre l ’orgueil d’un
Souverain qui s’aplaudit d’avoir furmonté la nature,
f a i t , avec cet orgueil même & lés éloges qu’il
attendoit, le contrafte dont nous parlons.
Il le retrouve encore dans ces mots de Montagne,
Sur le p lus beau trône du monde on n ejl jamais
ajfis que fu r fon cul : & dans ces mots de Diogène
à Alexandre , qui lui demandoit ce qu’il pou-
roit faire pour lu i; T3ôter de devant mon foleïL :
& dans ce reproche d’un Spartiate à fon ami , qu’il
furprenoit avec fa femme, laquelle n’étoit ni jeune
»i jolie ; Vous n y étiez point obligé : & dans
l e flegme d’un ancien roi qui , étant tombé dans
les embûches de Ion ennemi , avoit paffé pour
mort, fi bien que le prince fon frère avoit pris
fa couronne & époufé fa femme ; il revient, & dans
le moment que Ion frère le croit perdu, il Fem-
bralfe & lui à ït‘,-Mon frère , une autre fo i s ne
vous prejfez pas tant d’époufer mq femme. Cet
exemple de fang froid & de bonté rapelie le mot
de M. de Turenne ; Eh quand c’eût été Georges,
eût-il fa llu frâper f i fo r t ? trait charmant, quon
ne peut entendre fans rire & fans être attendri.
( *f L ’air d’ingénuïté ajoute infiniment au fel delà
Plaifanterie. A Naples un commandeur de Malte ,
homme riche & avare , lailfoit ufer fa livrée au
point qu’un favetier du voifinage , voyant les habits
de fes gens tout troués , s’en moquoit. Ils's’en plaignirent
à leur maître , qui fit venir le favetier & le
tança fur fon infolence. Non , Monfeigneur, dk
humblement le favetier , je fa is trop le refpecl
que je dois à votre excellence pour me moquer
de f a livrée. Mes gens aflurent cependant que ta
ne peux t’empêcher de rire en voyant leurs habits.
— I l ejl vrai , *Monfeigneur ; mais j e ris des
trous où il n’y a point de livrée.
Une mère & fon fils paflbientmi a été chez un
notaire ; & dans cet a&e i l falloit que leur âge fut
énoncé. Le fils avoit accufé le lien & avoit dit
vingt quatre ans. Vint la mère à fon tour', quj,
n’ayant pas entendu fon fils & ne voulant fe donner
que l’âge qu’elle fe donnoit dans le monde , dit
aufli, vingt quatre ans. — Ma mère, lui dit tout
bas fon fils , dites vingt cinq pour raifon. Pour
quelle raifon? reprit - elle, avec impatience. C’e j l,
lui d it- il, à caufe que 'j’en ai„ vingt quatre , &
comme vous êtes ma mère , i l fa u t abfolument
que vous foyez née avant moi.
On voit qu’ici la Plaifanterie eft bonne s’il y a
delà malice j mais que le mot. eft plus plaifant
encore fi c’eft de la naïveté : car au ridicule de la
mère fe joint la bétife du fils ; & la bétife dans fes
faillies produit des contraires d’idées qui font pref1
que toujours plaifants.
Je dis la bétife, & non pas la fottife : car la
fottife eft un ridicule choquant, qui n’excite que
le mépris. On s’en amufe avec malignité, & on
fe plaît à le voir humilié, parce qu’il offenfe. La
bétife au contraire eft un défaut innocent & naïf,
dont on s’amufe fans le haïr. On palferoit la vie
avec celui dont la bétife eft le caractère : la vanité
s’en accommode, o u , pour mieux dire, elle s’y
complaît. Mais la fottife eft pour l ’amour propre
un ennemi d’autant plus importun qu’il n’eft pas
digne de la colère ; & rien n’eft plus impatient
ou un homme d’elprit harcelé.
La fottife eft la gaucherie de I’elprit qui fe
pique.d’aàrefle ; l ’ineptie , de l ’efprit qui fe pique
d’habileté; la maulfaderie, de l ’efprit qui prétend
fe donner des grâces; la faulfe fineffe, de i ’elprit qui
veut être malin ; la lourdeur ,'de celui qui croit être
léger, furtout la fuffifance, de eelu-i qui fait le capable.
• C’eft une afturance hardie qui va de bévue
en bévue avec une pleine fécurité , une vanité dé-
daigneule qui le croit fupérieure en toutes choies r
& dont les prétentions , toujours manquées &
toujours intrépides , font le contrafte perpétuel d’un
orgueil exceflif & d’une exceftive médiocrité.
La bétife eft tout fimplerpent une intelligence
émoulfée , une longue enfance de l’efprit , un dénû-
ment prefque ablolu d’idées, ou une extrême.inhabi-
leté à les combiner & à les mettre en oeuvre ; & foit
habituelle ou foit accidentelle , comme elle nous
donne fur elle un avantage qui flatte nôtre vanité,
elle nous amufe , fans nous caufer. ce plaifir malin
que nous goûtons à voir châtier la fottile. Ainfi , la
fottife eft comique & n’eft point plaiƒante ; la bé--
tifeau contraire eft plaifant'e de n’eft point comique.
La bétife eft rare parmi les hommes, mais les bé-
tifes font fréquentes ; & ce qu’elles ont de plus
plaifant, c’eft une application férieufe à bien penfer
& à raifonner jufte.
On en voit line image affez fidèle dans le jeu du
Colin-maillard , ou ce'iui qui a les yeux bandés ,
pafte à côté de celui qui l ’agace , l ’effleure de la
main, croit l ’attraper, le,manque, & donne dans
le pot au noir; .
Il y a des bêtifies d’ineptie & qui déclarent évidemment
une privation d’idées, ou un étourdilfe-
rnent habituel qui empêche de les lier entre elles
ou de les alfortir aux mots. La bétife de cette elpèce
Conlifte à oublier ou à ne pas apercevoir ce qui Fait
le plus à la choie. Celui qui entendoit parler d’un
homme de: cent ans comme' d’un phénomène , &
qui difoit : Belle merveille ! S i mon grand-père
n étoit pas mort, il aUroit p lus de cent dix ans ;
celui-là oublioit que n’être pas mort étoit le point
de la difficulté. Celui à qui l ’on demandoit quel
âge avoit fon frère dont il étoit l ’aîné, & qui ré-
pondoit, Dans deux ans mon frète & moi nous
ferons du même âge , oublioit que lui-même il
vieilliroit de ces deux ans. Le marchand qui ven-
doit cinq fous ce qu’il achetait fix , & qui fe fa u -
voit , difoit-il, fu r la quantité, oublioit que la
quantité qui multiplie les-gains , quand i l y en a ,
multiplioit aulfi les pertes. Ce pauvre enfant à qui
l ’on reprochoit d’être bête, & qui difoit, Ce n’ejl
pas ma fa ute f i je n’ai point d’efprit, on m’ a
changé en nourrice , ne voyoit pas que cette
exeufe de la vanité de fes parents ne valoit
rien pour lui : il la répétait fans l ’entendre. Une
J>étife de ce genre qui fait fentir le vice de toutes
les autres eft celle de ce matelot qui entendoit jurer
fon camarade contre le cable qu’il rouloit: Je crois,
difoit l ’un , que ce damné de cable n’ a point de
bout j N o n , lui répondit l’autre , le bout nen valoit
r'ien , on l ’a coupé : il ne penfoit qu’au bout
coupé , fans faire attention qu’i l en reftoit un
autre.
Il eft aifé de voir , dans la bétife , à quelle apparence
de raifon s’eft mépris celui qui l’a dite. Celle
du bout du cable , par exemple , porte fur ce principe
, que ce qu’on a ôté d’une choie n’y eft plus.
La méprife eft communément caufée par une
faulfe lueur de raport dans les termes,, comme
lorfqu’un benêt demandoit à époufer la foeur , &
difoit à fon père pour fa raifon , Vous avez
époufé ma mère.
Mais une fotirce intarilfable de bétifes , c’eft la
faulfe application des façons de parler habituelles &
communes. Celui à qui Louis X IV demandoit,
Quand accouchera votre femme 2 & qui lui répondit,
Qiulnd i l plaira à votre majejlé, ne fongeoit qu’à
parler r e fp e du eu fe me n t, & plaçoit au hafard un
propos d’habitude.
E jl- il peureux ? deiüandoit-on à un homme en
parlant de fon nouveau cheval. Oh , point du tout >
voilà trois nuits qu’ i l ' coucha JeuL dans mon
écurie. Une femme difoit de fa petite fille qui
avoit la fièvre , . Cette en fa n t- là a déraifonné
toute la nuit comme une grande perjônne. On
demandoit à un bourgeois, comment le portoit fon
enfant ? Vous^ lui ja itè s bien de l ’honneur , ré-*
pondit le bon homme, // ejl mort hier au fo ir •
Un jeune libertin difoit, U n i ejl mort pour cent-
mille écus d’oncles , & je n’ai pas hérité d’un
fo u : ceci eft pire qu’une bétife. Un homme en
voyant palfer fon médecin fe détourna : on lui en
demanda la raifon ; Je fu is honteux, d it- il, de paraître
devant lui ,* i l y a f i long temps que je
n ai été malade ! Deux hommes fe battoient l ’épée
à la main , l’un des deux avertit fon adverfaire qu’il
n’étoit pas en garde : Que vous importe, répondit
1 autre, pourvu que j e vous tue ? Que m’ importe
que j e m’ennnuie , difoit un autre, pourvu que j e
m’amufe ?
Ces derniers mots , dits par des gens d’elprit, le-*
roient de bonnes P laifanterie s ; & bien des mots
de Fontenelle , à force d’être fins , auroient pu
palfer pour des bétifes , fi on n’eût pas connu
l ’homme qui les difoit : l’homme & le ton lèvent
l ’équi/oque , & avertirent d’y penfer. Mais au
faux femblant de la bétife , on ne fait que lourire- r-
& pour en rire de bon coeùr on y veut la- réalité»-
L ’ignorance fait dire plus de bêtifies que la bêtifie
même : mais les traits d’ignorance ne font plaifan
ts , que lorfqu’iis portent fur des chpfes qus
tout le monde doit favoir , & qu’avec une légère
attention à ce qu’on entend dire du doit avoir
apprifes ; celui qui, en voyant un bateau fi chargé
que les bords étoient à fleur, d’eau , difoit , S i la
rivière devient un peu plus grojfe , ce bateau va
couler à fo n d , celui-là ignoroit ce que lavent les
gens du peuple. La femme qui, allant voir une
éclipfe à rObfervatoire , difoit à fa compagnie ,
qui craignoit d’arriver trop tard ; M.- de Cajjini
e jl de mes amis ,, i l voudra bien recommencer
pour moi , n’étoit pas une femme ioftruite : mais
l ’homme qui dans le même cas,.difoit, Je ne-crois?
p as que l’on s ’avife de commencer Véclipfe avant
, que le roi fo i t arrivé', dut être jugé à- la rigueur.
On devoit bien plus d’indulgence à la nouvelle
époufée qui, revenant de l ’autel,, difoit à fon mari
qui la menoit un peu trop vite : D e grâce, allons;
p lus doucement- ; j e pourrais faire une faujfe
couche*
Une abfence d’èlprit relfemble quelquefois à
une privation abfolue ;: & de là vient que les gens
diftraits difent fort fouvent des bétifes. Le caractère
du Diftrait n’eft pas comique , parce que la difi-
tra&ion n’eft pas un ridicule ; mais çe cara&èrr