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des deux premières que par le t , qui en eft le caractère
propre.
11 faut prendre garde, au relie, que je ne prétends
autorifer les rationnements analogiques que dans
deux circonftances j lavoir , quand F Ufage eft. douteux
, & quand il eft partagé. Hors de la ., je crois
que c’eft pécher en effet contre le fondement dé
toutes les langues,, que d’opposer a YUfage général
les rayonnements même les plus vraifembla-
bles et les plus plaufibles ; parce qu’une langue
eft en effet la totalité des Ufàges propres à une
nation pour exprimer la penfée par la parole (voyeç.
L a n g u e ) , 8c non pas le réfulat des conventions
réfléchies & fymétrifées des philofophes oudesrai-
fonneurs de la nation.
Ainfi, l’abbé Girard, qui a conful-tél’Analogie
avec tant de fticcès en faveur de je vas , en a- abufé
contre la lettre x , qui termine les mots j e veux ,-
j e peux , ttt. v eu x , eu peux, « J’avoue F Ufage ,
» dit-il ( ibid. pag. 51 ) , 8c en même temps l ’in-
» différence de la chofe pour l’effenciel dés-règles ...
, » Si je m’éloigne dans certaines occasions des idées
» de quelques grammairiens c’eft que j’ai at-
» tention de diftinguér ce que la langue a dé
» réel , de' ce que l ’imagination y fuppofè par la
» façon de la traiter , & le bon Ufage du mati-
» v ais , autant que je les peus connôître . . . Quant
à s au lieu d’«? en cette occafion , j,’ai pris ce
» parti , parce que c’eft une règle invariable que
5> les fécondés- perfonnes tutoyantes finiffent par s
» dans tous les verbes ainfi- que les premières per-
» fonnes quand elles ne fe terminent pas en e muet».
Cet habile grammairien n’a pas affer pris garde
qu’en avouant Funiverfalité de l ’ Ufage qn’i l con-
dânne, i l dément d’avance ce qu’il dit enfuite ,. que
de terminer par s les fécondés perfonnes tutoyantes,,
& les premières qui ne font point terminées par
«n e muet ,, c’eft, dans notre langue, un Ufage
invariable y 1’ Ufage , de fon aveu , a varié à l ’évard
de j e peux 8c j e veux. Il réplique que ce dernier
Ufage eft mauvais, & qu’i l a attention à le distinguer
du bon. C ’eft un vrai paralogifme ; Y U"fige
«niverfel né. fauroit jamais être mauvais , par la
raifon toute Ample, que toutee qui eft très-bon n’eft
pas mauvais, & que le fouverain degré de la bonté de
V Ufage eft l ’univerfalité.
• ( ^ Ce n’eft pas , au refte que je ne condanne ,.
auffi bien que l ’abbê Girard, les x qui terminent les'
aïots je veux , tu veux, j e peux, tu p eu x , & même
les mots aux , c eu x , deux, eux , animaux, chevaux
, heureux, ja lo u x &c : je n’attaque ici que
le défaut de fon raifonnemeut. Ces a? de la fin des
mots , où elles 11e repréfentent pas e s ou g \ , y
ont été introduites par la fureur irréfléchie des maîtres
à écrire , pour avoir occafion de figurer dés traits
hardis ; comme ils avoient introduit des y a la fin des
inots balai , mari , lui , mai , to i, fo r , f o i , loi ,
toi y Scc. On a- enfin abandonné Yy final , comme
contraire à l’Analogie : pourquoi n’abandonneroit-
©n pas les.* >par l a m êm e raifon ? Woye^ N é o g r a -
€R APH ISM £ .y)i* - v
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Mais cet tffa g ey dont l’autorité eft fi abfolu»
fur les langues, contre lequel on ne permet pas
même; à. la raifon. de réclamer , & dont on vante
l ’excellence , fur tout quand il eft- univerfeL,, n’a
jamais en. fa faveur qu’une univerfalité momentanée..
Sujet à- des change mens continuels , i l n’eft plus
tel qu’il étok du temps de nos pères,,qui-avoient
altéré celui de nos aïeux , comme nos» enfants altéreront
celui que nous leur aurons tranfmis, pour
y en fubftituer un autre qui effuiera- les mêmes
révolutions. Omnia quoe nunc vetufijjima eredam
u-r , nova fuêre . . . In veterafeerh ov- quoque;.
& quod hodie exemplis tuemur, inter exempla eut,.
( Taeit. Ann. x j . 24. ï
Ut fylvee fo liis gronos- mutantîtr in annds t .
Puma- cadunt;, ita verborum- vêtus interit ce tas ,
E t juvenum ritu Jlorent modo nota vigentque,
Nsdum fermonum Jiet honos & gratin vivax,
Multa retiafcentur qutz juin cecidère, cadentque
Quce nutic£unt in honore vocabula, Ji.volet Ufus,
Quem g an es. arbitrium eft , &. ju s , & tiorma loquendi
Hor. Art. poët.
Quel eft celui de tous ces Ufages; fugitifs, qui
fe tuccèdent fans fin comme les eaux.- d’un même
fleuve, qui doit dominer lur le langage national?
La répoüfe à- cette queftiom ëft- àffèz- fimple.-On
ne parle que pour être- entendu , & pour l ’être
principalement der ceu» avec: qui? l ’on vit : nous
n’avons aucun befoin de nous- expliquer avec- nôtre.-
poftérité; c’eft à elle à étudier notre langage , fi:
elle veut pénétrer dans nos penfées pour e-n tirer
des lumières, comme nous étudions le langage des-
Anciens pour tourner au profit de notre expérience
leurs découvertes' & leurs penfées cachées pour
nous fous le voile de l’ancien langage. C’eft .donc.'
Y Ufage du temps on nous vivons qui doit nous
fervir de règle y & c’eft précifément à quoi penfoit
Vaugelas, & ce que j’ai envifagé. moi-miême ,
lorfque lui & moi avons fait entrer, dans la notion1
du bon Ufage,, l ’autorité des auteurs- eltimés ;du.
temps-
Au forplus , entre tous ces U fa g e s fuc-cefiîfs, i l
peut s’en trouver un qui devienne la règle univer-
felle pour tous -les temps, • du moins à bien dés
égards.» Quand une langue r dit Vaugelas ( P r é f
a r t . x , n9. 1 ), » a nombre & cadence en fes-
» périodes , comme la langue françôife l’a main-
» tenant, elle eft dans fa perfe&ionj & étant venue
» à ce point, on en peut donner des règles cer-
» taines qui dureront toujours: . - . Les règles que
» Cicéron a obfervées y & toutes les diétions &
» toutes, les phrafes dont il s’eft fervi, étoïent aufli
» bonnes & auffi eftimées du temps de Sénèque,;
» que quatre-vingts ou cent ans auparavant y quoi-
» que du temps dè Sénèque on ne parlât plus connue
» au fiède de Cicéron, & que la langue fdt extrê-
» mement déchue ».
J’ajoiîterai qu’il fubfifte toujours deux fourcef
inépuilables de changement par raport aux langues î
qui ne changent en effet que' la- fuperficie dirbon
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Ufage une fois conftaté , fans en altérer les principes
fondamentaux & analogiques : ce font la eu- ,
riofité & la cupidité. La curiofité fait naître ou
découvre fans fin de nouvelles idées , qui tiennent
néceffairement â de nouveaux mots j la cupidité
combine en mille manières différentes les pallions
Sa les idées des objets qui les irritent, ce qui donné,
perpétuellement lieu à de nouvelles combinaifons
de mots, à de nouvelles phrafès. Mais la création
de ces mots & de ces phrafes eft encore affujétie
,aux lois de l ’Analogie, qui n’eft, comme je l’ai
dit, qu’une extenfion de Y Ufage à tous les cas
fetnblables à ceux qu’i l a déjà décidés. On peut
voir ailleurs (. article N é o l o g i sm e & P h r a s e )
çe qu’exige l’Analogie dans ces occurrences.
Si un mot nouveau ou une phrafe infolîte fo
préfentent fans l ’attache de l’Analogie , fans avoir,
pour ainfi dire , le fceau de Y Ufage attuel, fegna-
tüm proefente nota ( Horat. Art.poët, ) ; on les
xejette avec dédain. S i , nonobftant ce défaut d’Ana-
logie, il arrive par quelque hafard qu’une phrafe
nouvelle ou un mot nouveau faffe une fortune
fuffifante pour être enfin reconnu dans la langue j
je réponds hardiment, ou qu’infenfiblement ils prendront
une forme analogique ; ou que leur forme
aftuelle les mènera petit â petit â un fens tout
autre que celui de leur inftitution primitive, & plus
analogue à leur forme ; ou qu ils n’auront fait
qu’une fortune momentanée, pour rentrer bientôt dans
le néant d’où ils n*auroient jamais dit fortir.
( M. B e a u z é e . )
(N. ) Usage. Dans la manière de s’exprimer,
comme dans celle de fe vêtir , Y Ufage diffère de la
mode,en ce qu’il a moins d’inconftance : miàsY Ufage t
comme la mode , ne reconnoît pour règle que le
goût ; & félon que les moeurs publiques, le caractère,
& l ’efprit dominant rendent le goût d’une nation
plus raifonnable ou plus fantafque , l ’ Ufage eft
auffi plus fenfé ou plus capricieux dans fes variations.
Chez les peuples qui ne parlent que pour fe faire
entendre ,1a langue eft prefque invariable ; & qu’elle
fuffife au commerce de la vie & de la penfée, c’en
eft affez1.: elle a pour eux le néceffaire, & ils ignorent
le fuperflu.
Mais à mefure que , dans fon langage , comme
flans fes vêtements, une nation fe livre â l ’attrait
du luxe , & qu’en parlant pour foii plaifîr, plus que
pour fes befoins , elle s’occupe de l ’élégance & de
l ’agrément de l’Élocution y le défir & le foin de plaire
la rendent inquiète, curieufe , incertaine dans la recherche
de fes parures : & de laies raffinements & les
caprices de l’ Ufage.
Cependant on obferveque , de toutes les langues,
celle qui a le plus donné à l ’ornement & au luxe
de l ’expreffion ,1a langue grèque , a été peu fujète
aux variations de Y Ufage ,* & la différence de fes
dialeétes une fois établie , on ne s’aperçoit plus
qu’elle ait changé depuis Homère j*fqu’à Platon.
La langue d’Homère fembloit douée , ainfi que fes
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divinités, d’ âne jeunefie inaltérable ; on eut dit que,
l ’heureux génie qui l’avoit inventée eût pris conteil
de la Poéfie, de l ’Éloquence, de la Philofophie-
elle-même, pour la compofer à leur gré. Voues
aux grâces dès fa naiffance, mais inftruite & dilci-
plinée à l’école de la raifon , également propre i
exprimer, & de grandes idées , & de vives images^,
& des affections profondes , à rendre la vérité fenh-
b le , ou le menfonge intéreflant ; jamais 1 art de
flatter l’oreille , de charmer l ’imagination, de parler
à l’efprit, de remuer le coeur & l ’âme,.n eut un inl--
trument fi parfait. Pandore, embellie a l envi des
dons de tous les dieux, étoit lefymbole de la langue
des grecs.
I l n’en fut pas de même de celle des latins'.
D ’abord rude & auftère comme .la difeipline 5c
comme les lois dont elle étoit l ’organe , pauvre
- comme lé peuple qui la parloit, fimple & grave
comme fes moeurs, inculte comme fon génie , elle
éprouva les mêmes changements que le caractère
5c les moeurs de Rome. De fa nature, elle eut fans
peine la force 5c la vigueur tragique qu’il falloit
a Pacuvius , la véhémence 8c la franchife que ^de-
mandoit l ’éloquence des Gracques 5 mais lorfqu une
Poéfie féduifànte , voluptueufe , ou magnifiqueen
voulut faire ufage j lorfqu’une Éloquence infinuante,
adulatrice, 5c fervilement fuppliante, voulut 1 accommoder
â fes defleins : il fallut quelle prit de
la molleffe , de l ’élégance , de l’harmonie , de la
couleur ; & que, dans l ’art de prêter au langage
un charme intéreffant 8c une douce majefté, Rome
devînt l ’écolière d’Athènes, avant que d’en être
l ’émule. Ce qu’ont fait les latins pour donner de la
grâce à une langue toute guerrière, eft le chef-d oeuvre
de l ’induftrie ; 8c dans les vers de Tibulle 8c d’Ovide ,
elle femble réalifer l’allégorie de la mafïue d Hercule
, dont l ’amour, en la façonnant, fe fait un arc
fouple 8c léger.
Celles de nos langues modernes qui fe font le
plus tôt fixées/font lefpagnol 8c l’italien : lune â
caufe de l’incuriofité naturelle des caftillans, 6ç
de cette fierté nationale, qui , dans leur langue 9
comme en eux-mêmes , fait gloire d’une noblefle
pauvre, & dédaigne de l ’enrichir ; 1 autre, a caufe
du rèfpeét trop timide que les italiens conçurent
pour leurs premiers grands écrivains, 8c de la lo i
prématurée qu’ils s’imposèrent à eux - mêmes de
n’admet-tre , dans le bon ftyle 8c dans le langage
épuré, que les expreffions confignées dans les écrits
de ces hommes célèbres. De telles lois ne conviennent
aux arts qu’à cette époque de leur virilité
où ils ont aquis toute leur force & pris t ° ut
leur accroiffement : jufques là rie ine doit contraindre
cette intelligence inventive , qui eleve
l ’induftrie au deffus de l’inftinft j 8c réduire les arts ,
comme l ’on fait fouvent, à leurs premières infti-
tutions , c’eft perpétuer leur enfance. L a langue
italienne fe dit la fille de la langue latine : mais elle
n’a pas.recueilli tout l ’héritage de fa mère j l ’Ariofte
8c le Taffe même , à côté de Virgile , font des fuc-
' ceffeurs appauvris. H h h h z