
'Soi . U N I
d’allée en allée le jardin de Pope fera bientôt un
labyrinthe; & comme il n’en eft alleu ne que l ’on
ne pût fupprimer fans changer la grande, il n’en
cil aucune aufli qui ne pût mener à de nouvelles
routes multipliées à l'infini. J’aime mieux l ’image
du fleuve dont les obftacles prolongent -le cours ,
mais q u i, dans fes détours les plus longs , ne cefle
de fuivre fa pente ; il fe partage en rameaux , forme
des îles qu’i l embrafle, reçoit des torrents , des
ruifleaux, de nouveaux fleuves dans fonfein ; mais
foit qu’i l entre dans l ’Océan par une ou plufîeurs
embouchures , c’eil toujours le même fleuve qui fuit
la même impulfion.
( ^ Montagne, avec ce fens profond & ce goût
naturel dont il é,toit doué, a parlé du mérite de la
fimplicité, de V U n ité , dans l ’aCtion épique & dramatique
, comme nous ferions aujourdhui. J1 difoit
de Virgile & de l ’Ariofte, Celui-là , on le voit
aller à tire <Faile , d'un vol haut & ferme , fu i-
vant toujours f a pointe ; cettuuci, voleter &
fauteler de conte en conte, comme de branche en
branche, ne Je fiant à fe s ailes que pour une bien
courte traverfe , <5* prendre piea à chaque bout
de champ , de peur que Vhaleine & la force lui
f a i l l e : Excurfusque brèves tentât. Auffi ne
pouvoit-il fouffrir la betife & la fiupidité barba-
refque de ceux qui, à cette heure , comparaient
VAriofte à Virgile.
I l n’étoit pas moins choqué du mauvais goût
de ceux qui apparioient Plaute , à Térence ;
mais ce qui le blefloit bien davantage dans les
fefeurs de comédies de fon temps , c’étoit de voir
qu’ils employaient trois ou quatre arguments de
celle de Térence ou de Plaute pour en faire un
des leurs. I ls entajfent, d it- il, en une feule comédie
cinq ou f i x contes de Boeace. Ce qui
les fa i t ainfi f e charger de matière , c\efl la
défiance qu’ ils ont de pouvoir f e foutenir de leurs
propres grâces. I l fa u t qu’ils trouvent un corps
oit s’ appuyer ; & n’ayant pas , du leur, ajfe5
de quoi nous arrêter, ils veulent que le conte nous
amujè. I l en va de mon auteur ( de Térenee )
tout au contraire : les perfeélîons & beauté,s de
f a fa çon de dire nous fon t perdre l’appétit de fon
fujet-i fa gentillejfe & Ja mignardife nous retiennent
partout. I l eft partout f i plaifant, liqui-
dus, puroque fimillimus amni, & nous remplit
tant lame de fe s grâces, que nous en oublions
..celles de fa fable.
Montagne auroit fait, comme on voit, peu de
cas de tous ces drames pantomimes, où, de notre
temps comme du fien , on fait fans celle' agir fes
perfounages , pour s’épargner la peine de les faire
parler. Il auroit dit de ces compofiteurs de tableaux
mouvants , Sc d’intrigues échafaudées : A mefitre
qu’fis ont moins d’efprit , i l leur fa u t plus de
corps : ils montent à cheval, parce qu’ ils ne font
p as qjfefforts fur leurs jambes : tout'ainfi qu’en
nos b a ls, ces hommes de vile condition qui en
tiennent école , pour ne pouvoir repréfeiîter le
U S A
port & la décence de notre Noblejfe, cherchent à
fe recommander par des Jauts périlleux , & autres
mouvements étranges & bâtelerefques. ) { Effais,
L . I I , c h . x . ) (M . M A R M o n t e l . }
'• 'U S A G E y f ni. GrammaireLa différence
prodigieufe de mots dont fe fervent les différents
peuples de la terre pour exprimer les mêmes idées ;
la diverfité des conftruCtions , des idiotifm.es, des
phrafes qu’ils emploient dans les cas femblables,
& fouvent pour peindre lés mêmes penfées ; la
mobilité même de toutes ces chofes, qui fait qu’une
expreüfion reçue en un temps eft rejetée en un
autre dans le. même langage , ou que deux çonf-
truétions différentes des mêmes mots y préfentent
des fens qui quelquefois n’ont entre eux aucune
analogie , comme grojfe femme & femme grojfe,
f ig e femme & femme fa g e , honnête homme &
homme honnête, &c : tout cela démontre aflez qu’il
y a bien de l ’arbitraire dans les langues , que les
mots & les phrafes n’y ont que des lignifications
accidentelles, que la raifon eft infuffifante pour les
faire deviner , & qu’il faut recourir à quelque autre
moyen pour s’en inftruire. Ce moyen unique de fe
mettre au fait des. locutions qui conftituent la langue
,’ c’eft l’ Ufage. » Tout eft U fage dans les
» langues (vôye\ L an g u e , init. ) ; le matériel
» & la lignification des mots , l ’analogie & l’ano-
» malie des terminaifons, la fervitude ou la liberté
» des conftruCtions,le purifme ouïe barbarifme des
» enfembles». C ’eft pourquoi j’ai cru devoir définir
une Langue , la Totalité éesl/fages propres à une
nation pour exprimer les penfées pat la voix.
» II n’y a nul objet, dit le P. Bufïier | Gramm.
franç. ré, z6 ) , » dont il foit plus aifé & plus
» commun de fe former l ’idée, que de YUfage
» [ en général ] ; & il n’y a nul objet dont il foit
» plus difficile & plus rare de le former une idée
» exaCte que de .l’ Ufage par raport aux langues ». Ce
n’eft pas préciferaent de YUfage des langues qu’il eft
difficile & rare de fe former une idée exaCte ; c’eft
des caractères du bon Ufage & de l ’étendue de fes
droits fur le langage. Les recherches du P. Buffier
en font la preuve , puifqu’après avoir annoncé cette
difficulté, i l entre en matière en commençant par
diftinguer le bon & le mauvais Ufage, 8ç ne s’occupe
enfuite que des caractères du bon & de fon influence
fur le choix des expreffions,
». Si ce n’eft autre chofe , dit Vaugelas., en parlant
des Ufàges des langues {Rem. Préf. art. ij,
n°. 1 ) 9 » fi ce n’eft antre chofe, comme quel-
» ques-uns fo l’imaginent, que la façon ordinaire
» de parler d’une nation dans le fiège de fon Em-
» pire ; ceux qui y font nés & élevés n’auront qu’à
» parler le langage de leurs nourrices & de leurs
» domeftiques , pour bien parler la langue du
» pays . . . Mais cette opinion choque tellement
» l ’expérience générale, qu’elle fe réfute d’elle-
» même . . . Il y a fans doute, continue - 1 - il
( n°. 1} , » deux fortes d’Ufages , un bon & un
U S A
p mauvais. Le mauvais- fe formé du plus grand
p nombre de perfonnes, qui prefqne en toutes choies
p n’elt pas le meilleur : & le bon,, au contraire ,
» eft compofé , non pas de la pluralité, mais de
p l ’élite des voix; & c’eflj véritablement celui que
p l’on nomme le maître des langues, celui qu’il
» faut fuivre pour bien parler & pour bien écrire ».
Ces réflexions de Vaugelas font très-folides f§|
tres-fages ; .mais elles font encore trop générales
pour lervir de fondement ,à la définition du bon
Ufage , qui eft , dit - i l . ( n°. 3. ) , la façon de
parler de la plus faine partie de la Cour > conformément
à la façon d’écrire de la p lus faine partie
des auteurs du temps.
» Quelque judicieufe , reprend le P. Buffier
/ n°. 3:1 ) , » que foit cette définition , elle peut
» devenir encore Torigi-ne d’une infinité de diffi-
» cultés : car dans les conteftations qui peuvent
» s’élever au fujet du langage, quelle fera la plus
» J aine partie de la Cour & des écrivains, du
» temps ? Certainement fi la eonteftation- s’élève
» à la Cour ou parmi les écrivains , chacun des deux
» partis- ne manquera pas de fe donner pour la
» plus faine partie . . . . . Peut-être feroit-on
mieux, ajoute-t-il ( n°. 33 ) , » de fubftituer ,- dans
» la définition de M. de Vaugelas-, le terme
» de plus grand nombre à- celui de la plus Jaine
» partie, Car enfin là où le plus grand nombre
» de perfonnes de la Cour s’accorderont à parler
■» comme 1-e plus grand nombre des écrivains dé
» réputation , on pourra aifément drfeerner quel eft
i> le [bon] Ufage. La plies nombreufe partie eft
» quelque, chofe de palpable & de fixe , au lieu que
» lapins faine partie-peut fouvent devenir infenfible
» & arbitraire
Cette obfervation critique dû lavant jeffute eft
très-bien fondée ; mais il ne corrige qu’à demi la-
définition de Vaugelas. La plus nombreufe partie
des- écrivains rentre communément dans la clafle
défignée par Vaugelas, comme n’étant pas la meilleure;,
& poiir juger avec certitude du bon Ufage
f l faut effectivement indiquer la portion" la plus
faine des auteurs , mais lui donner des caractères-
fenfîbles, afin de n’en pas abandonner la. fixation
au gré de ceux qui auroient des doutes fur la langue.
Or il eft' confiant que c’eft la voix publique
de la Renommée qui nous fait connoître les
meilleurs auteurs qui fe font rendus célèbres par
leur exactitude dans le langage.-C’eft donc d’après
ées observations que je dirois que le bon Ut âge
eft la Façon de parler de la plus nombreufe partie
de là Cour , conformément à la fa çon d’écrire de
là plus nombreufe partie des auteurs les plus efii-
més die temps,V ■
Ce n’eft point un vain orgueil qui- Ôte à la multitude
le droit de concourir à l’établiffement du
bon Ufage, ni une baffe flatterie qui s’en rap'orte à
la plus'nombreufe partie, de la Cour c’eft la nature
uraême du langage.,
USA c o 3
La Cour eft, dans la fociéié foumife au même
Gouvernement , ce que le coeur eft dans le
corps animal; c’eft le principe du mouvement &
de la vie. Comme le làng part du coeur, pour fe
diftribuer par les canaux convenables jufqu’aux extrémités
du. corps animal ,■ d’où il eft enfuite reporté
au coeur, pour y reprendre une nouvelle vigueur
& vivifier encore les parties par où ilrepaffe continuellement
aux extrémités; ainfi la jultice & la
protection partent de la Cour , comme de la première
fouree, pour fe répandre, par le canal des
lois, des tribunaux, des magiftrats, & de tous les
officiers prépofés à cet effet, jufqu’aux parties les
plus éloignées- du corps politique, qui , de leur
côté, adreffent à la Cour leurs follicitations, pour"
y faire Gonnôître leurs, befoins & y ranimer la
circulation de protection & de juftiee, que leur fou-
miffion- & leurs charges leur donnent droit d’en a t tendre..
Or le langage eft le lien néceflaire & fondamental
de la fociété, qui n’auroit, fans ce moyen
admirable de communication- , aucune confiftance
durable ni aucun avantage réel. D ’ailleurs il eft
de l’équité que le fôible employé , pour faire connoître
fes befoins , les figues les plus connus du
proteCieur à qui il s’adreffe ,- s’il ne veut courir 1er
vifque de" n’ être ni > entendu ni fecouru. Il eft donc:
raifonnable que la Cour , protectrice de la nation v
a it , dans le langage national , une autorité prépondérante
à la- charge également raifonnable que
la partie la plus nombreufe de la Cour l ’emporte
fur la partie la moins nombreufe , en cas de con-
teftation fur la- manière de parler la plus lé g i-
tiriie. »- Toutefois, dit Vaugelas ( ibid. n°. 4 ) ,.
» quelque avantage que nous donnions-a la Cour,.
» elle n’eft pas fuffifante toute feule pour fervir
» de règle; il faut que la Cour & les bons au-
» teurs y concourent : & ce n’eft que de cette coo-
» formité qui fe trouve entre les deuxque YUfage- » s’établit ». C’eft que, cbmme je l’ai remarqué
plus h a u t le commerce de la Cour & des parties
du corps politique fournis à fon Gouvernement, eft.
; eflenoiellemenr réciproque. Si les peuples doivent
fe mettre au fait du langage de la Cour, pour lui;
faire connoître leurs befoins & en obtenir juftiee
& proteClion; la Cour doit entendre le langage
‘ des peuples, afin de leur diftribuer avec intelligence
la protection & la juftiee qu’elle leur doit ,
& les lois qu’elle a. droit en conféquence de leiyr
i-mpofer.
» pC.e n’eft pas pourtant , continue Vaugelas;
( ibid. n°. 5 ) ; » que la Cour ne contribue in—
. » comparablement plus à YUfage que les auteurs,,
» ni qu’il y ait aucune proportion de l’un.à l ’autre. .V-
» Mais le confentement des bons auteurs efteomme
» le fceau ou une vérification qui autorife [q u f
» conftate ] le langage de la Cour , qui .marque.
» le bon Ufage & décide celui qui eft doo-> » teux