
Quelquefois auffi elles ne font que- peindre :
l ’extrême oifïveté des bergers , & ce n eft que par ;■
là qu’on peut juftifier la defcription que fait
Théocrite d’une coupe cifelée où il y a différentes
figures.
En général-, on doit éviter dans le ftyle paftoral
tout ce qui fentiroit l’érude 8c l ’application , tout
ce qui fuppoferoit quelque long & pénible voyage,
en un mot, tout ce qui pourroit donner l’idée de
peine & de travail. Mais comme ce font des gens j
d’efprit qui infpirent les bergers poétiques , . il eft
bien difficile qu’ils s’oublient toujours allez eux-
mêmes pour ne point fe montrer du tout.
Ce n’eft pas que la Poéfie paflorale ne
puiffe s’élever quelquefois. Théocrite & Virgile
ont traité, des chofes très-élevées : on peut le faire
auffi bien qu’eux, & leur exemple répond aux
plus fortes objeélions. 11 femble néanmoins que la j
nature de la Poéfie paflorale eft limitée par elle-
même : on pourra , fi l'on veut, fuppofer dans
les bergers differents degrés de connoiffance &
d’efprit j mais fi on leur donne une imagination aufli
Jiardie & auffi riche qu’à ceux qui ont vécu dans les
v illes , on les appellera comme on le voudra j pour
“nous , nous n’y voyons plus de bergers. ■ •. :
‘ Nous avons d it , une imagination hardie ■: les
bergers peuvent imaginer les plus grandes chofes ;
mais il faut que ce foit toujours avec une forte
de timidité , & qu’ils en parlent avec un étonnement
, un embarras qui faffe fentir leur fimplicité 1
au milieu d’un récit pompeux. « Ah ! Mélibée !
v) cette ville qu’on appelle Rome, je la croyois ;
» femblable a celle où nous portons quelquefois
■ » nos agneaux ! Elle porte fa tête autant au deffus i
» des autres villes , que les cyprès font au deffus |
» de i ’ofier ». Ou fi l’on veut abfolüment chanter
& d’un ton ferme l ’origine du monde, prédire
l ’avenir j qu’on introduife Pan , le vieux Sylène ,
Faune, ou quelque autre divinité de la Fable.
Les bergers n’ont pas feulement leur Poéfie;
ils ont encore leurs danfes, leur mufique , leurs
-parures,: leurs fêtes., leur architeôlure, s’il eft
•.permis de donner ce nom à des buiffons, à des
ibofquets, à des coteaux. L a fimplicité, la douceur,
gaiefé riante , en font toujours le caractère
fondamental : & s’il eft vrai que , dans tous les
-temps, les connoiffeurs ont pu juger de tous les
arts par un fe u l, ou même , comme l ’a dit Sénèque
, de tous les arts par la manière dont une
table eft fervie ; les fruits vermeils., les châtaignes,
le lait caillé , & les lits de feuillages dont Tytire
. veut fe faire honneur auprès de Mélibée, doivent
nous donner une jufte idée des danfes, des chan-
fons, des fêtés des bergers , auffi bien que de leur
JPoéfie.
Si la Poéfie paflorale eft née parmi' les ber- -
f ers , elle doit être un des plus anciens genres :
e Poéfie, la profeflion de berger étant la plus
naturelle à Thromme, & la première qu’i l ait
-exercée. Il eft aifé de penfer que les^ premiers
hommes, fe trouvant maîtres paifibies d une terre
qui leur offroit en abondance tout ce qui pouvoit
fbfine à leurs befoins 8c flatter leur goût , fongèrent
à en marquer leur reconnoiffance au fouv.erain
Bienfaiteur ; & que , dans leur enthoufiàfme , ils in-
térefsèrent à leurs fentiments les ‘fleuves, les prairies
, les montagnes, les bois, 8c tout ce qui les
envirennoit. Bientôt après avoir chante la reconnoiflance
, ils célébrèrent là tranquilité & le bonheur
de leur état'; & c’eft précifément la matière-de la
Poéfie paflorale, l’homme heureux : il ne fallut
qu’un pas pour y arriver.
Il y avoit donc eu avant Théocrite des chati-
fons pafiorales , des deferiptions, des récits mis
en'vers, des^ combats poétiques, qui fans doute
avoient été célébrés dans leurs temps; mais comme
il furviht d’autres1 ouvrages plus parfaits, on oublia
ceux qui avoient précédé-, & on prit les
chef-d’oeuvres nouveaux pour une époque au delà
de laquelle il ne fallpit pas fe donner-la peine
de remonter. C ’eft ainfi qu’Homère fût cènfe le
père de l ’Épopée ; Efchile, de la Tragédie ; Éfope ,
de l ’Apologue ; Pindare , d elà Poéfie lyrique; &
Théocrite , de la Poéfie paflorale. D’ailleurs on
s’eft plu à voir naître celle- ci fur les bords de
TAnàpus , dans les vallées d’Élore où fe jouent
les zéphyrs , où la fcène eft toujours verdoyante
& l ’air rafraîchi par le voifinage de la mer. Quel
berceau plus digne de la Mufe paflorale, dont le
caractère eft fi doux !
Théocrite, dont nous venons de parler r naquit
à Syracnfe , & vécut environ z6o ans avant Jéfus-
Chrift. IL a peint dans fes Idylles là nature naïve
& gràcieufe. On’ pourroit regarder fes ouvrages
comme la bibliothèque des bergers , s’il leur étoit
permis d’en avoir une. On y trouve, recueillis une
infinité de traits dont on peut former les plus
beaux caractères de la Bergerie. 11 eft vrai qu’il
. y en a auffi quelques - uns qui auroient pu être
plus délicats, qu’il y en a d’autres dont la fimplicité
nous paroit trop peu aflaifonnée ;. mais1
dans la plupart il y a une douceur, une mollefie ,
à laquelle aucun de fes fucceffeurs n’a pu attein>-
. dre. Ils .ont été réduits à le copier prefque littéralement
, n’ayant pas affez de génie pour l ’imiter.
On pourroit comparer fes, tableaux à ces fruits
d’une maturité, exquife, fervis avec toute la fraîcheur
du matin & ce: léger coloris que femble
y laiffer la rofée. La verfification de ce poète eft
admirable, pleine de feu, d’images, & furtout d’une
mélodie,qui lui donne une fupériorité inconteftable
fur tous les autres..
Mofchus &. Bion vinrent quelque temps après
Théocrite. Le premier fut célèbre en Sicile; &
l ’autre, à Smyrne. en Ionie. Si l ’on en juge par le
petit nombre de pièces qui nous reftent de lui „
il ajouta à l’Églogue un certain art qu’elle' n’avpifc
point» On y vit plus de finçffe, plus de choix a
'moins de négligence ; mais peut-être qu’en gagnant
du côté de l ’exa&itude , elle perdit du côté de la
naïveté, qui eft pourtant l’âme des Bergeries. Ses
bois font des bolquets plus tôt que des bois , &
fes fontaines font prefque des jets d’eau. Il femble
même que ce foit, finon un autre genre que celui
de Théocrite, au moins une autre efpèce dans le
même genre. On y voit peu de Bergerie, ce font
des allégories ingenieufes , des récits ornés, des
éloges travaillés &'qui paroiflent l ’avoir été. Rien
n’eft plus brillant que fon Idylle fur l ’enlèvement
d’Europe.
.Bion a été encore plus loin que Mofchus, 8c
fes Bergeries font encore plus parées que celles
de ce poète. On y fent partout le foin déplaire;
quelquefois même il y eft avec affedation. Son
tombeau d’Adonis1, qui eft fi beau 8c fi touchant,
a quelques antilhèfes qui ne font que des jeux
d’efprit.
Si l ’on veut rapprocher les caradères de ces
trois poètes & les-comparer.en peu de mots; on
peut dire que Théocrite a peint la nature fimple
& quelquefois négligée, que Mofchus l’a arrangée
avec art , que Bion lui a donné des parures. . Chez
Théocrite , l ’Idylle eft dans un bois on dans une
verte prairie ; chez Mofchus , elle eft dans une
v ille ; chez Bion, elle eft prefque fur un théâtre.
Or quand nous lifons' des Bergeries , nous fommes
bien aifes d’être hors des villes.
Virgile , né près de Mantoue , de parents de
médiocre condition, fe fit cônnoîcre à Rome par
fes Poéfies pafiorales. I l eft le feul poète latin
qui ait excellé en ce genre ; & il; a mieux aimé
rendre pour modèle Théocrite, que Mofchus ni
ion. I l s’y eft attaché tellement, que fes Eglo-
gues ne font prefque que des imitations du poète
grec- • H H
Calpurnius & Néméfianus fe diftingùèrent par
la Poéfie paflorale , fous l ’empire de Dioclétien ;
l ’un étoit ficilien , l ’autre naquit à Carthage. Après
«qu’on a lu Virgile , on trouve chez eux peu de
ce moelleux qui fait l ’âme de cette Poéfie. Ils
ont de temps en temps des images^ gracieufes,
des vers heureux; mais ils n’ont rien de cette
verve paflorale qu’infpiroit la mufe de Théocrite.
Nous venons de tranferire avec grand plaifir un
uUfcours complet fur la Poéfie paflorale, dont
Von a établi la matière, la forme , le ftyle, l ’ori-
ggine, & le caraéfère , d’après les auteurs anciens,
nqui s’y font le plus diftingués. Ce difeours inté-
ire (Tant eft l ’ouvrage de l ’auteur des Principes . de
Littérature ; & nous croyons qu’en le joignant aux articles Bucolique, Églogue , & Id y l l e , le
leôteur n’aura plus rien à défirer en ce genre. ( Le chevalier de J a u COURT.)
* P A T H É T 1Q U E , Éloquence. , Poéfie, A r t
■ oratoire. Une diftinétion quon na pas affez faite
& qui-peut avoir fon utilité, eft celle des deux P a thétiques
> l ’un dire&& l ’autre réfléchi.
Nous appelons direct, celui dont l ’émotion fe
communique fans changer de nature, lorfqu’on fait
pafler dans les âmes le même fentiment d’amour,
de haîne, de vengeance , d’admiration, de pitié,
de crainte , de douleur, dont on eft foi - même
rempli.
Nous appelons réfléchi, le Paihétique dont
l ’impreffion diffère de fa caufe , comme lorfqu’au
moment du crime qui le menace*, la tranquile fécurité
de l ’innocent nous fait frémir. ;
Quand on a défini l ’Éloquence, l ’art de corn-
i muniquer les affections & les mouvements de fon
âme, on n’a confidéré que l ’un de fes moyens; 8c
ce ' n’eft ni le plus puifiant ni le plus infaillible.
C ’en eft un Pans doute pour l’orateur qui veut nous
émouvoir, que d’être paflîonné lui-même : mais
i l eft rare qu’il puifle le paroître, fans courir le
rifque, ou d’être fufpeét, ou d’être ridicule; 8c
à moins que la caufe pour laquelle il fe paflîonné
ne foit bien évidemment digne des grands mouvements
qu’il déploie & de la chaleur qu’il exhale , „
fa violence porte â faux : & c’eft ce qu’on appelle
un Déclamateür. D ’un autre côté , l ’on a de la
peine, à fuppofer que l ’homme paflîonné foit bien
fincère 8c jufte ; & fi on fe livre à lui par fenti-
ment, on s’en défie par réflexion. L ’Éloquence paf-
fionnée veut donc & fuppofe des efprits déjà per-
fuadés 8c difpofés à recevoir une dernière' impul-
fion.
Le Pathétique indire«#, fans annoncer autant
de force , en-a bien davantage. 11 s’infinue , il
pénètre, il s’empare infenfîblement des efprits , &
les maitrife fans qu’ils s’en aperçoivent, d’autant
plus sûr de fes effets qu’i l paroît agir fans effort :
l ’orateur parle* en fimple témoin ; & lorfque la
chofe eft par elle-même ou terrible, ou touchante ,
ou digne d’exciter l ’indignation & la révolte , i l
fe garde bien de mêler au .récit qu’il en fait les
mouvements qu’il veut produire. I l met fous les
ieux le tableau de la force & de la foibleffe , de
j l’injure & de l’innocence ; i l dit comment le fort
a écrafé le foible , & comment le foible, en gé-
miffant, a fuccombé : c’en eft affez. Plus il expofe ^
Amplement, plus il émeut. Voyez , dans la pérorai
fon de Cicéron pour Milon fon ami , voyez ,
dans la harangue d’Antoine au peuple romain fur
la mort de Cefar , l ’artifice viélorieux de ce genre
de Pathétique... Cicéron ne fait que répéter le
langage magnanime & touchant que lui a tenu
Milon ; 8c Milon , courageux, tranquile , eft plus
intéreffant dans fa noble confiance , que ne l ’effc
Cicéron en fuppliant pour lui. Antoine ne fait
que lire le teftament de Céfar ; & cet expofé
fimple de fes dernières volontés en faveur du peuple
romain, remplit ce peuple d’indignation & de
fureur contre les meurtriers : au lieu que les mouvements
paffionnés d’Antoine, fa douleur ; fon