
prefque jamais ; tout fe paffe devant la porte d’une
maifon où il fait rencontrer naturellement fes acteurs.
Les françois ont fuivi la même règle ; mais
les anglois en ont fecoué le joug, Tous prétexte
qu’elle empêche la variété & l ’agrément des aventures
& des intrigues néceflaires pour amufer les
fpeCtateurs. Cependant les auteurs les plus judicieux
tâchent de ne pas négliger totalement la
vraifemblance, & ne changent la Scène que dans
les entraxes, afin que pendant cet intervalle les
acteurs foient çenfés avoir fait le chemin néceffaire;
& par la même raifon , ils changent rarement la
Scène d’une ville à une autre : mais ceux qui
méprifent ou violent toutes les règles y fe donnent
cette liberté 3 ces auteurs ne fe font pas même
- de forupule de tran{porter tout à coup la Scène de
Londres au Pérou. Shakelpéar n’a pas beaucoup
relpeéfé la règle de l’ unité de Scène ; il ne faut-
que parcourir les ouvrages pour s’en convaincre.
Scène eft ,auffi une divifion du Poème drama-
tique , déterminée par l ’entrée d’un nouvel afteur ;
on divife une pièce en aères, & les aéfes en
Scènes.
Dans plufieurs pièces imprimées des anglois, la
différence des Scènes n’eft marquée que quand le
lieu de la Scène & les décorations changent : cependant
la Scène eft proprement compofée des
aéleurs qui font préfents ou intéreffés a l ’aCtion ;
ainfi, quand un nouvel aôteur paroît ou qu’i l fe
retire, l ’aétiou change & une nouvelle Scène commence.
L a contexture ou la liaifon & l ’enchaînement
des Scènes entre e l l e s e f t encore une règle du
Théâtre ; elles doivent fe fuccéder les unes aux
antres, de manière que le théâtre ne refte jamais
vide jufqu’à la fin de l’aCte.
Les anciens ne mettaient jamais plus de trois
perfonnes enferable fur la Scène , excèpté les choeurs,
dont le nombre, né toit pas limité : les modernes ne
fe font point aftreints à cette règle.
Corneille , dans l ’examen de fa tragédie d’Horace
, pour juftifîer le coup d’épée que ce romain
donne à fa feeur Camillé, examine cette queftion,
s ’i l ejl permis d’enfanglanter la Scène : & il
décide pour l ’afBrmative , fondé r°. fur ce qu’Arif-
tote. a dit que , pour émouvoir puilfamment , i l
falloit faire vok de grands déplaifirs , des bleffures,
U même des morts ; z°. fur ce qu’Horace n’exclut
de la vue des fpectateurs que les évènements trop
dénaturés , tels que le feftin d’Àtrée , le raaffacre
que Médée fait de fes propres enfants : encore
oppofe- t-i-I un exemple de Sénèque au précepte-
d’Horace 3 & il prouve celui d’Ariftole par Sophocle
, dans une tragédie duquel Ajax fe tue
devant les fpedlateurs. Cependant le précepte d’Horace
n’en paroît pas moins fondé dans la nature &
dans les moeurs, i °. Dans la nature car enfin ,.
quoique la Tragédie fe propofe d’exciter la terreur
ou la pitié, elle ne tend point à ce but par des
fpeétades barbares & qui choquent l’humanité :
or les morts violentes , les meurtres, les affaf-
finats y le carnage, infpirent trop d’horreur j & ce
n’eft pas l’horreur , mais la terreur qu’il faut exciter.
z°. Les moeurs n’y font pas moins choquées:
en effet , quoi de plas proprè à endurcir le coeur,
que l ’image trop vive des cruautés? quoi de plus
contraire aux bienféançes , que des a étions dont
l’idée feule eft effrayante ? les maîtres de. l ’art
ont dit3
Ce qù’on ne doit point voir , qu’un récit- nous l’expofe î
Les ie u x , en la voy ant, faiffroient mieux la chofe.3
Mais il eft des objets que l’art judicieux
Do it offrir à l ’oreille & reculer des ieux.
A r t poét. chant iij.
Les grecs & les romains, quelque polis qu’on
veuille les fuppofer, avoient encore quelque férocité
: chez eux*, le fùïcide paffoit pour grandeur
d’âme 3 chez nous, il n’eft qu’une frénéfie , une
fureur : les ieux, qui fe repaifloient au cirque des
combats de gladiateurs , & ceux mêmes des femmes
qui prenoient plaifir à voir couler le fang humain ,
pouvoient bien en foutenir l ’image au théâtre 3 les
nôtres en feroient bleffés : ainfi , ce qui pouvoit
plaire relativement à leurs moeurs étant tout à
fait hors des nôtres , c’eft une témérité que d’en-
fenglanter la Scène. L ’ufàge en eft encore fréquent
chez les anglois , & Shakefpéàr furtout eft plein
de ces fituations. En vain Greffet a voulii les imiter
dans fà tragédie Edouard ; le goût de Paris ne
s’eft pas trouvé conformé au .goût de Londres. Il
eft vrai que toutes fortes de morts, "même violentes
, ne doivent point être bannies du théâtre
Phèdre & Inès empoifonnées y viennent expirer :
Jalon, dans la Médée de Longe-Pierre, & Orof-
mane, dans Zaïre , s’arrachent la vie de leur propre
main 3 mais 'outre que ce mouvement eft extrêmement
vif& rapide, on emporte^ces perfe^nages-,
on les dérobe promptement aux ieux des fpedateurs
, qui n’en font point bleffés y comme ils le
. feroient , s’il leur falloit foutenir quelque temps
la vue d’un homme qu’on fuppofe maffacré & nageant
dans fon fang. L ’exemple de nos voifins,
quand il n’eft fondé que fur leur façon de penfe-r,.
qui- dépend du tempérament & du climat, ne devient
point une lo i pour nous , qui. vivons fous un
autre horizon., & dont les moeurs font plus conformes
à l ’humanité. Principes pour la lecture des
poètes, tom. 1 1 , p. 5 8 & fuiv. ( Le chevalier d e
J A U c o u r t - )
SCÉN IQ U ES ( jeux) , Théâtre des grecs &
des romains.. Ludi fcenïci. Les Jeux jcéniques
comprennent toutes les repréfontations & tous les
Jeux qui fe font faits fur la fcènej mais il ne doit
être ici queftion que de généralités furies JeuxJcé-
niques des grecs'& des romains.
/
|
Les plaifirs des premiers hommes furent purement
champêtres : ils s’affemblèrent d’abord dans
les carrefours ou dans les places publiques , pour
célébrer leurs Jeux ; mais étant fouvent incommodés
par l ’ardeur du fo le il ou par la p lu ie , ils firent
des enceintes de feuillages , que les grecs appelèrent
o-xn'v»1, & le s latins Scena. Ainfi , Virgile a dit
dans fon Enéide :
T uni Jilvis Scena corufcis
Defuper horrentique atrum nemus imminet umbrât
Servius a-joiîte far ce vers,- Scena apud antiquos
parietem non habuit. Telle fut la Scène de ce
fameux théâtre que Romulus fit préparer pour
attirer les fabinés dans le piège qu’il leur tendoit.
Ovide nous en a fait une peinture bien différente de
celle des théâtres qui fuivirent.
Jrrimus follicitos fec ijli , Komule, Ludos
Qutkh juvit viduos rapta fabina viros.
Tufie neqïie martnoreo pendebant vela theatro:*
Nec fuerant liqüido pulpitn riibra croco :
lllicq u a s tulerant nemcràfa palatin frondes
Simpliciter pofitee Scena fine arte fuit.
I l eft impofiîble de découvrir quand on commença
de tranfporter les fpeètaeles de deffus le
terrain fur un théâtre 3 & de qui pourrions - nous
l ’aprendre, puifque pendant long temps les hommes
favoient à peine former des caractères pour
exprimer leurs penfées? Les premières repréfen-
tations qu’on vit fur le théâtre d’Athènes , ■ confif-
.ioientjen quelques choeurs d’hommes-, de femmes,
& d’enfants , divifés en différentes bandes , lefquels ,
barbouillés de lie , chantoient des vers compofés
fur le champ & fans art. C’étoit particulièrement
apres les vendanges que les gens de la campagne
s’uniffoieht pour faire des facrifîces & marquer aux
dieux leur reconnoiflance. Paufanias nous affûre que
l ’on immoloitune chèvre , comme étant ennemie de
la vigne ,- que l ’on chantoit des hymnes en l ’honneur
de Bacchus, & que l ’on donnoit une fimple couronne
au vainqueur. •
. Les romains imitèrent les grecs 3 ils chantoient,
dans leurs fêtes de vendanges ,. ces vers naïfs &
fans art, connus fous le nom de vers fefeennins,
de Fèfcennia, ville d’Étrurie. Mais i ’an 380 ou
391 , fous le confulat de C. Sulpicius-Pæticus &
de C. Licinius-Stolon , Rome étant ravagée par
la pefte, on eut recours aux dieux. Il n’y a rien
que les hommes , dans le paganifme, n’ ayent
jugé digne d’irriter ou d’apaifer la Divinité. On
imagina de faire venir d’Étrurie des farceurs,, dont
les Jeux furent regardés' comme un moyen propre
à détourner la colère des dieux. Ces joueurs , dit
Tite-Live, fans réciter aucun vers & fans aucune
imitation faite par des difeours, danfoient au fon
de la flûte , '& fefoient des geftes & des mouvements
qui n’avoient lien d’indécent. La Jeuneffe
romaine imita ces danfes & y joignit quelque»
plaifanteries en vers 3 ces vers n’avoient ni mefure
ni cadences réglées. Cependant cette nouveauté
parut agréable : à force de s’y exercer, itifage
s’en introduifit. Ceux d’entre les efclaves qu’oir
employoit a ce métier , furent appelés hiß rions ,
parce qu’un joueur de flûte s’àppeloit hifler èa langue étrufque.
Dans la fuite , à ces vers fans mefure on fobf-
titua les fatyres3 & ce Poème devint exaét par
raportala mefure des vers, mais il y régnoit toujours
une plaifanterie licencieufe. Le chant étoit
accompagné delà flûte, & le chanteur joignoitT
fa voix.des geftes & des' mouvements convenables.-
Il n’y âvoit dans ces Jeux aucune idée de Poème
dramatique : les romains en ignoroient'alors juf-
qu’au nom, ils n’avoient encore rien emprunté
des grecs à cet égard 3 ils ne commencèrent â le»
imiter , que lorfqu’ils entreprirent de former un
art de ce que la nature ou le hafàrd leur avoit
préfenté. Livius-Andronicus , grec de naifîance y
efclave de Marcus - Liviüs - Salinafor , & depuis-
affranchi par fon maître, dont il avoit élevé l'es
enfants ^ iporca â Rome la connoiffance du Poème
dramatique : il ôfa le premier donner-dés pièces
dans lefquelles il introduifit la fable’, ouTa'ebm’-
pofition des chofes -qui dévoient former le Poème
dramatique, c’eft à dire, une action. Ce fut l’an
514 de la fondation<de Rome, 1 60 ans après la
mort de Sophocle c, •&nandre. yz ans après celle de MéL
’exemple de Livius-Andronieus fit naître plufieurs
poètes, qui s’attachèrent a perfectionner ce nouveau genre. On imita les grecs, ori tradnïfît
leurs pièces, &• l’on en fit fur de bons modèles
& d’après les règles de l’art. Leurs Jeux fcéni-
ques comprenoient la Tragédie & la Comédie. Ils
avoient deux efpèces de Tragédies : l’une , dont les
moeurs, les perfonnages, & les habits ètoient grecs ,
fe nommoit palliata ; l’autre , dont 'les perfonnages
étoient romains, s’appeloit preetextata, du-
nom de.l’habit que portoient à Rome les perfonnes
de condition. Voye\ T ragédie.
La Comédie romaine fe divifoit en quatre efpèces
: la togata proprement dite , la tabernaria ,
les attellanes, & les mimes. La togdta étoit du
genre férieüx 3 les pièces du fécond caraCtère l ’étoient-
beaucoup moins j dans les attellanès, le dialogue
n’étoit point écrit 3 lès mimes n’ëtblént bue dès
farces, on les aCteurs jôuoient fans- chauffurè. Si
la Tragédie ne fit pas de grands progrès a Rome ,
la bonne Comédie ne fut guère plus heureufe ?
nous ne connoiffons que les titrés de quelques-
unes de leurs ‘pièces tragiques , qùi ne font pas-
parvenues jufqu’à1 nous 3 SrTcifs ri’avons de leurs
comédies que celles de Plaute & Ûe Tèrence, qui
furent enfuite négligées par de goût de la multitude
pour les attellanes & les rarces des "himes.
'Enfin Ce qui s’oppofâ le plus , chez les romains,
aux progrès eu vrai genre dramatique fut l ’art