
I I I T R A T R A
T e x t e .
Hoec vociferantem ,
quibus état imperatum
jugulant. Sera deinde
poenitentia fiubïit re~
gem ; ac ver a diociffe
confeffets , eum fepeliri
ju jjil.
M. B E A U 2 É E.
Tandis qu’il parloit
ainfi à haute voix ', ceux
qui en avoient' reçu l’ordre
le tuèrent. Le roi s’en
repentit dans-la fuite lorsqu’il
n’étoit plus temps |
Sc ayant reconnu la vérité
de fes avis, il lui fit
rendre les honneurs de la
fépulture.
Vaüge las rajeuni.
Comme il ptoféroit ces
paroles à haute voix , il
rut étranglé par ceux qui
en avoient reçu l’ordre.
Un repentir tardif vint
faifîr le roi ; il reconnut
qu’il ne lui avoit dit que
trop vrai y & lui fit rendre
les honneurs de la
Sépulture..
Vaüge l as ancien*
Comme il proféroit ces
paroles à haute voix, ceux
qui avoient charge de
le faire mourir lui ‘coupèrent
la gorge ; dont le
roi fe repentit après,, mais
trop tard ; & ayant reconnu
que ce. qu’il lui
avoit dit étoit véritable ,
il lui fit donner la Sépulture.
J’invite le le&eur, moins pour ma propre jufti-
fication, que pour faire ici même Tenai des principes
que j’ai poSés, dèvelopcs, & appliqués à
des exemples , à comparer les trois Traductions
avec le texte & entre elles : mais il fera bien de
Se défier des déclamations du cenfeur contre les
prétendus dangers de la fidélité trop fcrupuleufe;
i l y a bien plus de danger à être infidèle en Traduction
, & mon Critique ne prouve qu^ trop par
Son exemple, qu’après ce premier pas on manque
aiSément de bonne foi en toute autre occafîon :
Son Vaügelas & le mien Sont fi différents ! Ce
qu’il a fait de mieux, c’eft de garder l ’anonyme ;
c’eft du moins rougir, & conférver unrefte d’honnêteté.
Avant de finir cet article, je dois aller au devant
de l ’impreflion que pourroit faire ,.Sur beaucoup
d’efprits , une remarque de Voltaire dans Ses
Quefiions fu r VEncyclopédie ( Suppl, au mot Scoliaste ). Voltaire & d’autres qu’ôn admire
avec raiSon à beaucoup d’égards , étoient de grands
hommes fans doute; mais c’étoient des hommes
Summi fu n t , hommes tamen.
» V o ic i, dit-il, la Traduction mot à mot &
vers pour ligne ( du commencement de Y Iliade ) :
» L a colère ch an te z , D é e f ie , de P iliad è A ch ille .,
» F u ne fte, q u i infinis au x a k i e n s maux aporca,
» E t plufîeurs f o r t e s âmes à l ’ enfer en v o ya
» D e héro s ; & à l’ égard d’ eu x , pro ie les fit a u x c h ie n s
» Ec.à tous les oifea u x. S ’ accomplifloic la v o lo n té de D ieu ,
» Depuis que d’ ab o rd d ifférèrent députants
» A g am em n on c h e f des hommes Ôc le d iv in A ch ille .
» Q ui des dieux par dilpute le s commit rà combattre ?
» D e La ton e & de D ie u le fils. C a r contre le roi étant irrité
» I l fufeita dans l’ armée une maladie m a u v a ife , & mo u -
» ro ient le s peuples.
» I l n’y a pas moyen d’aller plus -loin. Cet
». échantillon fuffit pour montrer le différent génie
» des langues, & pour faire voir combien le sTra*
» ductions littérales font ridicules ».
Cet échantillon , quelque fidélité qu’ait préténdu
v mettre le Traducteur, ne montre en effet ni le
différent génie des langues, ni le ridicule des ' Tra-
ductions littérales.
i° . Les mots grecs a la vérité font rangés dans
l ’Original, comme les mots françois dans cette
caricature : mais la différence du génie des langues
ne confifte-t-elle que dans celle de l ’arrangement
des mots ? Si en françois nous fuivons à peu près
l’ordre analytique: c’eft que nous n’avons que ce
moyen , avec l ’ufage des prépofîtions, pour rendre
fenfibiés:les raports dés mots les uns aux autres;
& que l’intelligence de ces raports n’eft pas moins
néceffaire à celle du Cens total du difçours, que
la connoiffance de la lignification fondamentale de
chacun des mots dont il eft, compofé. Si en grec
ou en latin on paroît abandonner l ’ordre analytique
: c’eft que la corrélation des mots y eft rendue
fenfible par leurs terminaifon.s ; que ces terminàifons
indiquent l ’ordre analytique Ôc s*y raportent ; &
que l ’affervifTement à cef ordre analytique étant
alors inutile à l'intelligence du fens total, on a
pii lui fubftituer un autre arrangement pour plaire
du moins à l ’oreille. Voila la véritable différence
du génie de ces langues. Mais peut-on l'apercevoir
dans ce qui eft donné ici comme Traduction .? les
terminàifons grèques ont difparu ; l ’ordre analytique,
qui les remplaceroit en françois , eft abandonné;
z°. Il réfulte de cette première remarque que
ce n’eft point ici une Traduction littérale. Ùne
Traductiofi véritablement littérale doit rendre tout
ce qu’exprime la lettre- de l ’Original, & la valeur
jufte & précife de chaque mot : mais, la valeur
qu’ils tiennent en grec de la différence des térmi-
naifons, ne peut être rendue en françois que par
les prépofîtions & la confira étiqn analytique ; elle
manque i c i , cette conftfuétion ; & ce défaut eft la
principale eaufe du ridicule de cette tirade barbare,
que l ’auteur donne mal à propos pour une
Traduction littérale.
3°. Quand on difpoferoit les mots de Voltaire
félon l ’ordre analytique , ce ne feroit encore q u ’ une
Verfion du grec, & ce n’en feroit pas une Traduction
, même littérale. La Verfion, .comme je
l ’ai dit dès le commencement, tient aux procédés
8c aux idiotifraes de la langue originale; la Traduction
,
T R A
daction , quoiqu’elle conferve le fens littéral, doit
fuivre les procédés & les idiotifmes de la langue
quelle emploie : ainfi, la Verfion aura peut-être
raifon.de dire, Dè s qu’ Agamemnon & le divin
Achille différèrent difputants ; mais la Traduction,
même littérale, doit dire , Dès le moment
qu’une çonteflation eut divifé -Agamemnon Ù le
divin Achille ). ( M, B e a u z é e . )
TR A D U C T IO N , f. £ Littér. Les opinions ne
s’accordent pas fur l ’efpèce de f â c h e que s’impofe
le Traducteur, ni far l ’ e fp è c e de mérite que doit
avoir la Traduction. Les uns penfent que c’eft une
folie de vouloir aflimiler {deux langues dont le
génie eft différent ; que le devoir du Traducteur
eft de fe mettre à la place de fon auteur autant
qu’il eft poflîble, de fe remplir de fon efprit, &
de le faire s’exprimer dans la langue adoptive ,
comme s’il fe fût exprimé lui-même s’i l eût écrit
dans cette langue. Les autres penfent que ce n’eft
pas a f f e z : ils veulent retrouver dans la Traduction ,
non, feulement le c a r a c t è r e de l ’écrivain original,
mais le génie de fa langue , & , s’il eft permis de le
dire, l ’air du climat & le goût'du terroir.
Ceux - là femblent ne demander qu’un ouvrage
utile ou agréable ; ceux-ci, plus curieux , demandent
la production d’un tel pays & le monument
d’un tel âge : la première de ces opinions eft communément
celle des gens dû monde ; la fécondé
eft celle des Savants. Le goût des uns, ne cherchant
que des jouïffances pures , non feulement
permet que le Traducteur efface les taches de
l’original, qu’i l le corrige & l’embelliffe ; mais il
lui reproche comme une négligence d’y laiffer des
incorrections : au lieu que là févérite des autres lui
fait un crime de n’avoir pas refpeCté ces fautes
précieufes , qu’ils fe rappellent d’avoir vues &
qu’ils aiment a retrouver. Vous copiez un vafe étruf-
que , & vous lui donnez l ’élégance grèque ; ce n’eft
point là ce qu’on vous demande & ce que l ’on attend
de vous.
Chacun a raifon dans fon fens. I l s’agit» pour
le Traducteur, de fe confulter, & de voir auquel
des deux goûts il veut plaire. S’il s’éloigne trop
de l ’Original, il ne traduit plus, il imite; s’i l
le copie trop fervilement, il fait une Verfion, &
n’eft que Tranflateur. N’y auroit-il pas un milieu à
prendre ?
Le premier & le plus indifpenfable des devoirs
du Traducteur eft de rendre la penfée ; & les ouvrages
qui ne font que penfés font aifés à rm-
duire dans toutes les langues. La clarté, la propriété,
la jufteffe , la précifion , la décence font alors
tout le mérite de la Traduction , comme du ftyle
original : & fi quelques-unes de ces qualités manquent
à celui-ci , on fait gré au copifte d’y avoir
fuppléé. Si au contraire il eft moins clair ou
moins précis, on l’en accufe , lui ou fa langue.
Pour la décence, elle eft indifpenfable, dans quelque
langue qu’on écrive. Rien de plus choquant,
Gr a m m . e t Li t t é r a t . Tom. IIJL
T R A
-pat exemple , que de voir le plus grave & le plus
noble des hiftoriens, traduit en langage des halles.
-Mais jufques-là il n’eft pas difficile de téuffir , fur-
j tout dans notre langue, qui eft naturellement claire
; & noble. Un homme médiocre a traduit l’E ffa i
fu r l’entendement humain, & l ’a traduit allez
bien pour nous, & au gré de Locke lui-meme. ]
Mais fi un ouvrage profondément penfé.eft écrit
avec énergie , la difficulté de le bien rendre commence
à lèfaire fentir : on chercheroit inutilement,
.dans la profefi travaillée de d’Ablancourt, la force &
la vigueur du ftyle de Tacite.
Quoique la brièveté donne toujours , finon plus
de force , au moins plus de vivacité à la penfee ;
on ne l ’exige de la langue du Traducieux qu autant
qu’elle en eft fufceptible ; & quoique le françois
ne puiffe atteindre à la concifion du latin de
Sallufte , il n’eft pas impoflible de le traduire
avec fuceês. Mais l ’énergie eft un caraétère de l ’ex-
preffion fi adhérent à la penfée, que ce fera un
prodige dans notre langue, diffufe & fôîble comme
elle eft en comparaifon du latin, fi Tacite eft jamais
traduit.
Ainfi , à mefure que , dans un ouvrage, le caractère
de la penfée tient plus à l’expreffion , la Tra-
duâtion devient plus épineufe. Or les modes que
la penfée reçoit de lexpreffion font la force ,
comme je l ’ai dit , la nobleffe , 1 élévation , la
facilité , l ’élégance , la grâce , la naïveté , la
elélicsteffe , la fineffe, la fimplicité, la douceur ,
la légèreté , la gravité , enfin le toûî , le mouvement,
le coloris , & l ’harmonie : & de tout ce la ,
ce qu’il y a de plus difficile à imiter n’eft pas ce
qui' femble exiger le plus d’effort. Par exemple,
dans toutes les langues, le ftyle noble, élevé
fe traduit ; & le délicat, le léger , le fimple , le
naïf eft prefque intraduifible. Dans toutes les
langues, on réuffira mille fois mieux à traduire
Cinna qu’une fable de La Fontaine ou qu’une
épitre de Voltaire , par la raifon que toutes lef
langues ont les couleurs entières de l ’éxpreftîon ,
& n’ont pas les mêmes nuances. Ces nuances apar-,
tiennent furtout au langage de la fociété ; & rien
n’eft plus difficile à imiter, d’une langue à une
autre ,que le familier noble. Or c’eft ce naturel
exquis & pur qui fait le charme de ce qu’on appelle
les ouvrages d’agrément. C’eft là que le travail
ç ft plus précieux que la matière.
L ’abondance & laricheffe ne font pas les mêmes
dans toutes les langues. L a nôtre , dans rexpreffion
du fentiment & de la paffion , eft l ’une des plus
riches de l’Europe ; au contraire, dans les détails
phyfiques, foit de la nature ou des arts, elle efl
pauvre & manque fouvent, non pas de mots , mais
de mots ennoblis. Cela vient de ce que nos poètes
célèbres fe font plus exercés dans la Poéfie dramatique
1 que dans la Poéfie deferiptive. Au/fi les combats d’Homère font-ils plus-difficiles à traduire
dans notre langue que les belles fcènes de Sophocle
& d’Euripide ; les Métamorphofes d’Ovide, A a a «