
fécond mot finira de même ou par l’équivalent *
ainfi prétend rimera très-bien avec infiant, accord
avec rejfort, lois avec bois , glacés avec ajje\.
A plus forte raifon , lorfque la confonne finale
fe fait entendre , doit - elle être à la fin des deux
mots , linon la même pour les yeux , du moins la
même pour les oreilles : fa n g ne rimera point
avec innocent, mais avec flanc , dont le c final
a le même fon que le g.
On s’eft permis quelquefois des Rimes que
l ’oe il ou l’oreille défavoue : par exemple ,. celle
d’encor avec f o r t , celle de mer avec aimer , de
remords avec, mort, celle de toucher avec cher, celle
de fiers avec foyers , &c. Parmi ces licences les
plus ufitées font les Rimes de guerre avec'père,
de couronne & de trôné, de travaux St de repos.
L a diffonnance des deux premières eft cependant
très - fenfible ; Sc quant à la dernière , une oreille
un peu délicate s’apperçoit aîfément de la différence
du fon de ,l’o clair & bref de repos, & du «
fon de l ’o plus grave , plus fourd & plus long
de travaux. I l n’y a point de voyelle qui ne
foit de même, tantôt plus claire & plus brève,
tantôt plus grave & plus longue ; mais dans les
fons de Va , de' Y i , de Vu , de Y o u , & c ., cette
différence n’eft pas auffi frappante que dans les
fons de Ye & dans lqs fons de l ’o : auffi ne fait-on
pas de difficulté fur la Rime d'âge Sc de f ig e ,
aile Sc de fertile , de gîte & d’agite , dc^chûte
Sc d'exécute , de coûte & de redoute , &c. Il n’en
eft pas dé même de trompette Sc de tempête, _de
terre & de myfière , d'homme Sc d'atome , de pôle
& de boujfole, dont la Rime ne fera jamais qu’ iine
licence.
jPeut - on ne p as regarder le travail bifarre
de rimer , nous dit l’abbé Dubos , comme la plus
bajfe des fonctions de la méchanique de la Poéfie ?
Que n’a-t-il dit la même chofe de la mefure &
du rhythme du vers d’Homère & de Virgile , &
de ces conftru&ions fi foigneûfement travaillées
qui occupoient Démofthène , Platon, Thucydide,
St Xénophon , chez les grecs ; Cicéron , Tite-
Live , & Sallulte , chez les latins ; & qui les occupoient
auffi férieufement que la recherche &
l ’enchaînement des penfées ? Ce méchanifme de la
parole doit paroître bas & puéril à un obfer-
vateur auftère qui ne compte pour rien le charme
de l ’exprefflon : mais pour l ’homme doué d’un organe
fenfible & d’un goût délicat , cette mécha-
nique a {on prix.
Entre le travail qu’exige la R im e , & celui
qu’exige la conftruétion du vers mefuré ou de la
période harmonieuse , la différence ne peut être
que dans le plus ou le moins de plaifîr qui en
xéfulte. Il falloit donc examiner d’abord fi la Rime
faifoit plaifir, & un plaifir affez fenfible pour mériter
la peine qu’elle, donne.
L a Rime peut caufer trois fortes de plaifirs.
L ’un eft relatif à l ’organe , e’eft le fentiment de
la confonnance ; & ce plaifir, je l’avoue , eft factice
: il reffemble à l’ufage de certaines odeuri
qui ne plaifent pas , qui déplaifent même a ceux
qui n’y font pas accoutumés , Sc qui deviennent
une jouïffance & un befoin pat l ’habitude. Il y
auroit peu de bon fens à raifonner dette-•■ efoece
de phaifir & à le difputer à ceui qui en jouiflent :
il s’agit feulement de favoir s’il eft réel Si s’i l
eft fenfible; dès lors, naturel ou faâice , c’eft un
plaifir dé plus, & il ne fauroit trop y en avoir
dans la nature Sc dans les arts.
La Rime n’intérefie pas feulement l'oreille ,
elle foulage, elle aidé la mémoire ; Sc fi c’eft
un plaifir pour l ’efprit de fe retracer fidèlement
& fans peine les idées qui lui font cheres , tout
ce qui rend léger & facile ce travail de la rémi-'
nifcence , doit être un agrément de plus. Or il
eft certain que la Rime donne à la mémoire des
fignaux plus marqués' pour retrouver la trace des
idées. Par ce rapport de confonnances , un mot
en rappelle un autre ; Sc tel vers, nous auroit
échappé , qui, par cette extrémité que l ’on tient
encore, fera retiré de l’oubli.
La Rime eft enfin un plaifir pour l’efpritjpar
la furprife qu’elle caufe : Sc lorfque la difficulté ,
heureufement vaincue, n’a fait que donner plus
de faillie & de vivacité, plus de grâce- ou d’énergie
à l ’expreffion & à la penfée, foit par la Angularité
ingénieufe du mot que la Rime a fait
naître, foit par le tour adroit , Sc pourtant naturel,
qu’elle a fait prendre à lexpreflion-, foit par
limage nouvelle & jufte quelle a préfentée à
l’efpnt; la furprife qui naît de ces hafards ré-
fèrvés au talent , où la recherche eft déguifée
fous Taparence- de la rencontre , cette furprife
mélée de joie , eft un plaifir à chaque inftant nouveau.,
pour qui connoît l ’indocilité de la langue
& les difficultés de l ’art*
-Ce plaifir eft d’autant plus v if , que la Rime
pâroît à la fois plus rare & plus heureufement
trouvée. Dans la langue italienne, où les confonnances
ne font que trop fréquentes , la Rime doit
caùfer peu de furprife : elle eft fi commune, qu’en
improvifant on la rencontre à chaque pas ; Sc dans
la contexture du vers, .comme dans celle de la
I profe, les italiens ont plus de peine à fuir la
Rime qu’à la chercher.
Elle eft plus clair fêmée dans la langue fran-
çoife , grâce à la variété de nos définences ; auffi
■ y a - t - il, s’il m’ eft permis de comparer le poète
au cliaffeur , plus de bonheur à la découvrir, St
plus d’adrefle à l ’attraper. Ce plaifir eft réellement,
pour le fpe&ateur, femblable à celui de la
chafle ; & en fuiyant la comparaifon , on verra
que dans l ’une & l ’autre la fagacité dans la recherche
, l ’inquiétude dans l’attente , la furprife
. dans la rencontre , l’adreffe & la célérité-à tiret
jufte & comme à la courfe, font une fuite continuelle
& rapide d’agréables émotions.
Un autre avantage que la même comparaifon
fera fentir en faveur de la t e , ceft de donner
à l ’efprit, à l ’imagination, & au fentiment plusd’ardeur
& d’aftivitd par 1 aiguillon de la difficulté
, qui à chaque inftant les preffe & les anime.
L ’efprit humain eft naturellement porte a l indolence
& en écrivant en profe, rien de plus dit-
ficile que de ne pas fe iaiffer aller à une indulgence
parèffeufe , St aux négligences quelle au-
torife ; au lieu du moins qu’en écrivant en vers ,
& en vers rimes , la difficulté renaiflatite réveille
à tout moment l’attention prête à fe ralentir ,■ &
la tient , fi j’ôfe le dire , en haleine. Tout le
monde connoît. les vers de la Faye où la gene du
vers eft comparée à ces canaux qui rendent les
eaux jailliffantes ; lèroit - il permis d ajouter que
la Rime , à la fin d’un vers, eft comme 1 extrémité
plus étroite encore du tuyau^ d’où les eaux
iailliflent. C’eft une attention, curieufe à donner
à la lefture des bons poètes , que dé voir combien
d’images nouvelles ,-de tours originaux , d’ex-
prelfions de génie , de penfées qu’ils n’auroient pas
eues fans la contrainte dè la Rime, leur ont été
données par elle; & combien d’heureufes rencontres
ils ont faites en la cherchant. ^
■ Mais comme c’eft en même temps à la difficulté
de la Rime Sc à l ’aifance avec laquelle on
a vaincu cette difficulté , que le plaifir de la furprife
eft attaché ; il fuit de la que, fi la Rime
eft trop commune, fi les mots conformants ont
trop d’analogie & font trop voifins l ’un de l ’autre
dans la penfëe , comme le fimple & le compdfé,
ou comme deux épithètes à peu près fynonymes,
la Rime n’a plus fon effet. De mêmeffi elle eft
trop fingulière, tirée de trop loin , trop pénible-
. ment recherchée , l’effort s’y fait fentir , & 1 idee
de bonheut & d’adreffe s’évanouît. Boileau appeloit
Rimes de bouts rimes , celle de Sphinx’ Sc de
Sirinx , Sc la reprochoit à Lamotte. L ’efclave
qui traîne fa chaîne ne. nous caufe aucune furprife :
mais s’il joue avec fes liens , il nous étonne ; Sc
encore plus f i , par la grâce & la dextérité avec
laquelle il en déguife & la gêne Sc le poids, il
s’en fait comme un ornement.
- On regarde comme un tour de force d'employer
des Rimes bifarres, & cela eft permis dans un
poème badin, comme le conte & l ’épigramcne ;
mais dans le vrai, rien n’eft plus facile , & rien
ne feroit de plus mauvais goût dans un poeme
férieux. De cent perfonnes qui rempliffent paffa-
blement des bouts rimes hétéroclites , il n’y en
a quelquefois pas une en état de*ïaire quatre
vers élégants.L’extrême difficulté dans l’ emploi de
la Rimé , èft de la rendre à la fois heureufe Sc
naturelle , imprévue & facile, au point qu’elle
paroiffe avoir obéi au poète , comme le cheval
d’Alexandre, que lui feul avoit pu dompter. On
fent que ce mérite exclut également la Rime
triviale & la Rime forcée : Racine eft en cela
le premier modèle de l ’art.
Ôbfervons cependant qu’à mefure qu un poeme
a par fon caraétère , plus de beautés fupérieures,
plus de grandeur & d’intérêt, le foible mente de
la Rime y devient plus frivole & moins digne
d’attention. Il eft encore de quelque conféquence
dans la partie deferiptive de l ’Epopée , ou la Iran-
quile majefté du récit laiffe appercevoir a lojhr
tous les agréments acceffoires du _ f ty lem a t s des
que la palfion s’empare de la fcènc, foit dramatique
foit épique, l’harmonie elle-meme eft a
peine fenfible ; le vers fe brife , les nombres le
confondent , la Rime frape en vain 1 oreille ;
l’efprit n’en eft plus occupé. De là vient que, dans
plufieurs de nos plus belles tragédies, c eft la
partie la plus négligée , & perfonne encore ne
s’eft avifé, en fanglottant & en verfant des larmes,
de critiquer deux vers fublimcs , pour être rimes
faiblement. . - . ,
Mais dans des Poéfies d un genre moins anime ,
moins entraînant, dans celles qui , foibles de penfées
& dénuées de pallions , tirent prefque tout
leur mérite de l ’ingénieufe induftrie de la parole;
l’écrivain qui néglige lu Rime , renonce à lu u
. de fes grands avantages: & que ré ité ra-t-ri de
curieux & de piquant dans la .conftruftion de ces
vers froids, .s’ils ne font pas rimes!
Les vetfificateurs vulgaires, qui négligent la
Rim e , pour teffembler en quelque chofe à un grand
poète , qui dans la rapidité de (es compofitions
l ’aura quelquefois négligée , font loin d avoir les
mêmes droits que lui de fe difpenfer de la réglé.
On les entend parler avec dédain de cette attention
à bien rimer , qu’ils appellent minutieufe.
Mais que n’ont-ils, comme Voltaire , vingt-mille
beaux vers bien rime's à produire, pour faire voit
que, s’ ils le vouloient bien , ils. rimeraient encore
de même > En s’épargnant la peine d’être correérs ,
les grands écrivains fe donnent des licences , les
petits fe donnent des airs, & l’afteftation de mé-
prifer le talent qu’on n’a pas, fut toujours la
reffource de la vanité impuiffante. ( M. M a r -
m o u t b l . )
I l faut tenir compte ici de differents ulàges
de la Rime, que nos anciens poètes avoient imaginés
& qu’ils regardoient comme merveilleux
fins doute, a caufe de la difficulté, quoique^ ce ne
fuffent au fond que des tours de force puérils.
Rime annexée, concatence , enchaînée, fr a -
ternifée ou fratrifée, car tous ces mots prefeotent
à peu près la même idée. Cette Rime , dont on
trouve force exemples dans les premiers poetes
françois , confiftoit à commencer un vers par la
dernière fyllable du vers précédent , ou par une
partie confidérable du dernier mot , ou par le
dernier mot entier de ce vers precedent. Exemples :
Dieu gard’ma maitrefle 6c régeaîe ,
Gente de corps 8c de fafon ;
Son coeur tient le mien en fa tente,
Tant Sc plus d ’ un ardent fr iffo n ..V
V Si