
Scudéri nous fournit ainfi un grand exemple de
Prolixité-, & le légiflateur de notre Parnafle , une
belle defcription de ce défaut : mais il ne s'en tient
pas à la (impie defcription il condanne formel-
rnellement cet écart, & juftifie fur le champ fa
décifion : ( il- ÎP - 63-)
F u y e z de ces auteurs l'ab on d ance ftérile., .
E t ne vous chargez point d 'u n d étail inutile :
T o u t ce qu’ on dit de trop e ft fade & reb u tan t ,
l ’efprit rafiafié le rejette à l’ inftant,
Quand on eft plein de fa matière, qu’on en a
examiné en détail toutes les parties-, on eft fi touché
du plaifir de faire une defcription brillante, de fe
faire honneur d’une penfée fine & . d’une réflexion
profonde, de montrer de l ’érudition ou de l ’intel-
lioence dans les fciences ou dans les beaux arts ! Il
eft fi doux de fe livrer à fon enthoufiafme , au feu
de fon imagination ! Il eft fi aifé & fi agréable tout
à la fois de céder à l ’affluence defesidees! car c’eft
la la véritable fource de la P ro lix ité , félon la
remarque d’Horaçe (D e Artepoét. 337):
Omne fupervacuum pleno de peciore manat.
Les jeunes gens furtout doivent fe tenir en garde
-contre une tentation fi féduifante. Scudéri, aujour-
dhui oublié, n’eft pas le feul à qui l’on puiffe
faire des reproches de P ro lix ité : Racine , l ’immortel
Racine, qu’on lira avec plaifir tant que la
langue françoife fubfiftera, n’a pu fe dérober à ce
brillant défaut. Dans fa tragédie de Phèdre, (V . vj.)
Théfée , inquiet du fort d’Hippolyte , voit arriver
Théramène,- & frappé des pleurs qu’il lui voit répandre
, i l lui dit ;
Q u e fait m o n fils î _
T H É R A M È N E,1
O foins tardifs & fuperflu# !
in u t i le tendrefle ! Hipp o lyte .n’ eft .plus.
On ne peut rien de mieux : mais i l falloit en
refter là ; c’eft du moins l ’opinion de plufieurs
hommes de Lettres diftingués, à qui Racine le fils
a moins répondu par un examen raifonné, que par
une forte de dédain. Mais fur une exclamation naturelle
de Théfée, Théramène lui fait très longuement
-un magnifique récit de la mort du jeune
prince ; & ce récit eft chargé d’upe infinité de détails
minutieux en fo i , & totalement étrangers à l’intérêt
qui doit occuper Théfée qui écoute & Théramène
qui raconte. Pure Prolixité. « Rien n’ eft moins
*> naturel, dit Fénélon( Leur, a V A c a d .fr . )
» que la narration de la mort d’Hippolyte a la fin
» de la tragédie de Phèdre, qui a d’ailleurs de
v grandes beautés. Théramène, qui vient pour ap-
>> prendre à Théfée la mort funefte de fon fils, défi
yro.it ne dire que ces deux mots, St manquer
» même de force pour les prononcer diftifléfcement '
» Hippolyte eft mort ,* un monftre, envoyé du,
» fo n d de la mer par la colère des dieux ,
» Va fa i t périr j e l'ai vu. Un tel homme ,
» faifi, éperdu, fans haleine, peut-il s’amüfer a
» faire la defcription la plus pompeufe & la plus
» fleurie de la figure du dragon, &c ». l-M. BEAU-
ZÉE ). .
PROLOGUE, f. m. Dans notre ancien théâtre
françois, le Prologue étoit fort en ufage r celui
des Myftères étoit communément une exhortation
pieufe, ou une prière à Dieu pour l’auditoire :
J é fu s , que nous d evons p rie r,
L e fils de la Vifcrge M a r ie ,
V eu ille z paradis o étroy er
A cette belle compagnie !
Seigneurs & D am e s , je v ous prie ,
Séez-Yous tretouç à votre aife ;
E t de fainte B a rb e la vie
A ch è v e ro n s , ne vous dépjaife.
L e Prologue des Moralités , des Scktifes, & de?
Farces, étoit, à la manière des anciens , ou l ’expofé
du fujet, ou une harangue aux fpe&ateurs pour
captiver leur bienveillance , le plus fcruveat une
facétie qui faifoit rire les fpedlateurs à leurs dépens.
I l y avoit dans la troupe un a&eur chargé
de faire ces harangues r ç’étoit gros Guillaume ,
Gaulthier, Garguilje , Turlupin, Guillot Gorju }
Brufcambille , & dans la fuite des perfonnages plus
décents. Les Prologues de Brufcambille font d’un
ton de plaifanterie aprochant de celui de nos parades,
& qui dut plaire dans fon temps.
Dans l ’un dé -ces Prologues, Brufcambille fç
plaint de l ’impatience des fpe&ateurs . . . « Je vous
r> dis donc ( fpectatores impatientijjimi) que vous
» avez tort, mais grandjort, de venir depuis vos
» maifons jufqu’ici poiiF y montrer l’impatience
» accoutumée. . . . Nous avons bien eu la patience
» de vous attendre de pied ferme , & de recevoir
» votre argent à la porte , d’auffi bon cçeur , pour
» le moins, que vous l’avez préfenté; de vous
» préparer un beau théâtre , une belle pièce , qui
» fort de la forge Çc eft encore toute chaude. Mais.
» vous, plus impatients que l’impatience même,
» ne nous donnerez pas le loifir de commencer,
» A-t-on commencé? c’eft pis qu’auparavant : l ’un
» touffe , l ’autre crache , l’autre rit, & c .. . . Il eft
» queftion de donner un coup de bec ea paffant
» à certains péripatétiques qui fe pourmènent pen-
» dant que 1 on repréfente : chofe aufli ridicule que
».de chanter au lit ou de fiffler à table. Toutes
» chofes opt leurs temps, toute adion fe doit con-
» former à ce pourquoi on l’entreprend : le lit pour
» dormir, la table pour boire, l ’hôtel de Bourgogne
» pour ouïr & voir', affis ou debout.. . . Si vous
» avez envie de vous pourmener, il y a tant de
a lieux pour çe faire. . . .Vous répondrez peut-être
q u e
& que le jeu >ne vous plaît pas ; -c’eft la ou je vous
» attendois. Pourquoi y venez-vous donc? Que
» n’attendiez-vous jufqu’à amen, pour p dire votre
» râtelée ? Ma fo i, fi tous les ânes mangeoient du
» chardon , je ne voudrois pas fournir la compagnie
» pour cent écus ».
Dans le poème didactique & dans le poème
en récit, s’eft introduit aufli l’ ufage de cette efpèce
•de Prologue. Lucrèce en a orné le frontifpice de '
tous fes livres,; l ’Ariofte en a- égayé fes chants; la
Fontaine a joint très-fouvent de petits Prologues
à fes Contes : dans Tes poèmes badins rien n’a plus
de grâce; dans le didactique i*ûble rien n’a plus
de majefté. Mais je ne crois pas que le poeme
épique férieux admette un pareil ornement; l ’intérêt
qui doit y régneT attache trop à l ’aétion pour
ifouffrir des digrelîions. Ni Homère, ni Virgile ,
ni le Taffe, ni Voltaire dans Ta' Henriade, ne
fe font permis les Prologié$t. Milton lui feu l,
à la tête d’un "de fes chants, au fortir des enfers,
s’eft livré à un mouvement très-naturel , en faluant
la lumière •& en parlant du malheur qu’i l avoit
d’être privé de fes rayons.
Le Prologue en forme de drame étoit connu
de nos anciens farceurs. Le théâtre comique moderne
en a quelques exemples, dont le plus ingénieux
eft , fans contredit, le Prologue de VAm-
phitrion de Molière.
Mais l ’Opéra françois s’en eft fait comme un vef-
tibule éclatant ; & Quinault, dans cette partie ,
eft un modèle inimitable. Je ne parle point des
petites chanfonpettes qu’il a été obligé d’y mêler
pour animer la danfe, & qui font les feuls traits
qu’on en a retenus; je parle des idées vraiment
poétiques & quelquefois fublimes qu’i l y a prodiguées.,
& dont perfonne ne fe foùvient. Obligé
de louer Louis X IV , il a ennobli l ’adulation par
la manière grande & magnifique dont i l a flatté
le héros, ou plus tôt l ’idole du fiècle. Tantôt, dans
fes Prologues, la louange eft directe, tantôt elle
eft allégorique : elle eft allégorique, dans le P ro logue
de Cadmiis ; c’eft l ’Envie qui , pour obfcur-
cir l ’éclat du fo lé il, fufeite le fetpent Python.
L ’ E N V I E.
C ’ eft trop v o ir le fo le il b riller dans fa carrière;
- -Les rayons qu’ il lance en tous lieu x
O n t trop Méfié mes ieux .
f e r i e z , noirs ennemis de fa v iv e lumière ;
Jo ignons nos t tànfpofts furieux.
Que chacun me fécondé. . .
P a io i f i ê z , Mon ftre affreux r
S o r te z , V en ts fou ce rrain s , des antres Içs plus creux ;
V o le z , T y ratis des airs t ro u b le z la terre & l ’ onde .
Répandons la terreur
•Qu’ayec nous le. ciel g ro n d e ;
Q u e l’ enfer nous réponde ;
Rempliffons la terre d’ ho.rreur >
Ghamm. e t L it t é r a t . Tome III,
Que la nature fe confonde. -
Jetons dans tous les coeurs du mondé
La jalouf® fureur
Qui déchire mon coeur.
(Elle s’adrefle au ferpent Python. )
Et vous , Monftre , armez-vous pour nuire
A cet aftre puiffant qui vous a -fu produire;
XI répand trop de biens, il reçoit trop de yeeux%.
. Agitez vos marais bpturbeux ;
Excitez contre lui mille vapeurs mortelles )
Déployez, étendez' vos ailes ;
Que cous les vents impétueux
S'efforcent d’éteindre fes-feux.
Ofons tous obfcurcir fes clartés les plus belles ;
Ofons nous oppofer à fon cours trop heureux.
( Le ferpent s’élance dans Pair, & retombe frappé
des traits du dieu de la lumière. )
Quels traits ont crevé le nuage
Quel torrent enflammé s’ouvre un brillant paflage
T u triomphes , Soleil î tout' cède à ton pouvoir*
Que d’honneurs tu vas recevoir î
A h ! quelle rage ! ah ! quelle rage î
Quel défelpoir ! quel défefpoir i
Dans tous les autre« Prologues de Quinault, îa
louange eft directe, quoique le plus fouvent la
fable foit allégorique. Dans celui d’Alcefte , la
nymphe de la Seine fe plaint à la Gloire de l ’ab-î
fence de fon héros 7
Hélas 1 fuperbe Gloire, hélas 1
N é -dois-tu point être contenteï
Le héros que j’attends ne reviendra-t-il pas ?
Il ne te fuit que trop dans l’horreur des combats,
Laiffe en paix un moment fa valent triomphante.
Le héros que j ’attends ne reviendra-t-il pas ï
Serai-je toujours languifiance
Dans une fi cruelle attente ? . -
Le héros que j’accends reyiendca-t-il pas ?
L a G l o i r e .
Pourquoi tant .murmurer? Nymphe, ta plainte eft vaine J
T u ne peux voir fans moi le héros que tu fers :
Si fon éloignement te coûte tant de peine ,
Il récompeufe affez les douceurs que tu perds.
Vois ce qu'il fait pour toi quand la Gloire l’emmène ?
Vois comme fa valeur a fournis d la Seine
Le fleuve le plus fier qui foit dans l ’univers.
Dans le Prologue de Théfée , on voit Mars &
Vénus également occupés de la gloire & desplai-
fîus de Louis X IV .
__ ‘ V É N U S .
Inexorable Mars, pourquoi déchainez-vous
Contre un hérô$ vainqueur tant d’ennemi ; jaloux ?