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deux hommes uniques , ne pouvoit pas manquer
d'être à jamais débarrafle d’Entracïes & d’intermèdes.
Voye\ Intermède.
UEn.tr acte , a la Comédie françoife, eft compofé
de quelques airs de violon qu’on n’écoute point.
A T Opéra, le fpettacle va de fuite ; l ’Entr’ acte eft
une fymphonie que l ’Orcheftre continue fans interruption
, & pendant laquelle la décoration change.
Cette continuité de fpeétacle eft favorable à l ’illu-
lîon , & fans l’illufion il n’y a plus de charme dans un fpeâracle en mufique. W&ye\ Illusion.
Le grand ballet fert d’Entr acîe dans les drames
dç collège. Voye\ Ballet de collège.
X ’Opera italien a befoin ’ Y Entr actes ; on les
nomme en Italie In t e rm e , Intermèdes. Ofe-t-on
l e dire ? auroit-ôn befoin de ce malheureux fecours
dans un opéra qu’un intérêt fuivi ou qu’une variété
agréable foutiendroit réellement? on parle beaucoup
én France de l’Opéra italien j croit-on le con-
noître ? Voye\ O péra. -
Les italiens eux-mêmes ,' toujours amoureux &
jaloux de ce fpeélacle, l ’ont-ils jamais examiné ?
On avance ici une proportion que l'expérience
feule ne nous ,a, pas fuggérée j /elle nous a été confirmée
par des perlbnnes fages & inflruites;, .dont
aucune nation ne peut reculer le fuffrage. },11 n’ y
a pas un homme en Italie qui ait écouté de fuite
une feule fois en fa vie tout l ’Opéra italien. On
- a eu recours aux intermèdes de bouffons ou à des
dames pantomimes, pour combattre l ’ennui pref-
que continuel de plus de quatre heures de fpeétacle ;
& cette reffource eft un défaut très - grand , de
génie , comme il fera démontré à Varticle Intermède.
( M. de C a h u z a c . )
P oème é p i q u e , Poéfie. Récit poétique de quelque
grande aftion qui intéreffe des peuples entiers ,
ou même tout le genre humain. Les Homère &
les Virgile en ont fixé l ’idée, jufqu’à ce qu’il vienne
des modèles plus accomplis.
Le Poème épique eft bien différent de l ’Hiftoire,
quoiqu’il ait avec elle une reffemblance apparente.
L ’Hiftoire eft confacrée à la vérité) mais Y Epopée
peut ne vivre que de menfonges ; elle iie connoît
d’autres bornes que celles de la poffibilité.
Quand l ’Hiftoire , continue M. le Batteux, à
rendu fon témoignage , tout eft fait pour elle' ;
on ne lui demande rien au delà.. On veut au contraire
que YÊpopée charme le lecteur ; qu’elle
excite ton admiration ; qu’elle occupe enmême
temps la raifon , l ’imagination , l ’efprit ; qu’elle
touche les coeurs, étonne les fens , & fiffe éprouver
à l ’âme une fuite de fîtuations déiicieufes, qui
ne foient interrompues ^quelques inftants que pour
les renouveler avec plus de vivacité.
L ’Hiftoire préfente les faits, fans longer â plaire
par la fingularité des caufes ou des moyens. C’eft
le portrait des temps.& des hommes; par confé-
quent l ’image de 1’ineokftanc.e & du caprice de
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mille variations qui femblent l ’ouvrage du hafard
& de la fortune. U Epopée ne raconte qu’une action y
& non plufieurs ; cette action eft eflenciellement
intérèffante ; fes parties font concertées; les caufes
font vraifemblables ; les aéteurs ont des carattères
marqués , des moeurs foutenues ; c’eft un Tou t,
entier , proportionne , ordonné , parfaitement lié
dans toutes fes parties.
Enfin l ’Hiftoire. ne montre que les caufes naturelles)
elle marche , fes mémoires & fes dates à
la main; guidée par la Philofophie , elle va quelquefois
dans le coeur -des hommes chercher les
principes fecrets,des évènements, que le Vulgaire
attribue à d’autres caufes; jamais elle ne remonte
au delà des. forces ni. de la prudence humaine.
U Epopée eft le récit d’une Mùfe , c’eft à dire ,
d’une Intelligence célefte , laquelle ,a vu ,non feulement
le jeu de toutes les. caufes naturelles., Amais
encore Taéiion des .caülès_ furnaturelles , qui préparent
les r'efforts humains , qui leur .donnent l’im-
pulfion & la direction pour produire Taêbion qui
eft l ’objet du Poème.
La première- idée qui fe préfente â un poète qui
veut entreprendre cet ouvrage , e’eft d’immortaüfe>ir
fon génie ; c’eft la fin de l ’ouvrier : cette.idée: le
conduit naturellement au choix d’ùn fujet qui inté-
reffe un grand nombre d’hommes , & qui foit en
même temps capable de. porter le merveilleux ; ce
fujet ne peut être qu’une aôtion.
Pour-en dreffer toutes les parties •& les rédiger
en un feul corps , il fait comme les hommes qui
agiffent ; il fe propofe un but ; où fe . portent tous
les efforts de ceux qu’il fait agir : c’eft la fin de
l’oiivrage.
Toutes les parties étant ainfi ordonnées vers
un féui terme marqué avec précifion le poète
fait valoir tous les privilèges de fon art. Quoique
fon fujet foit tiré de l ’Hiftoire ,- il s’en rend: le
maître ; il ajoute , il retranche , il tranfpofe ; il
crée j il dreffe les machines à fort gré ; il prépare
de loin des refforts fecrets , des forces mouvantes j
il deffine, d’après les idées de la belle nature , les
grandes parties-; il détermine les caraâères de fes
perfonnagés ; il forme le labyrinthe de l ’intrigue ;
il difpofe tous fes tableaux félon l ’intérêt de l ’ou-
vrage ; & conduifant fon letfeur dé merveilles ën
merveilles , il lui laiffe toujours apercevoir dans
le lointain uiïe; perfpe&ive plus charmante , qui
Céduit fa curiofité & l’entraîne, malgiélui, jufqu au
dénouement & à la fin du Poème.'
Il eft vrai que ni. là foçieté: ni l ’Hiftoire . ne
lui offrent point de tableaux fi parfaits & fi achevés;
mais il fuffit quelles lui en montrent les parties ,
& qu’i l ait en foi les principes qui doivent le
guider dans là compofition du Tout.
Le plan de toute l ’aftion étant dreffé de la forte,
il invoque la Mufe qui doit l ’infpirer : auffi tôt
après cette invocation il dévient un autre homme ;
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v . . . . . C u i taliafânti . . . Subito noit vultusj non colorututs ; •
E t rabie fera corda tument, ma j orque videri ,
. E ec mortale fonans afflatur numine quando
Jam propiore dei.
I l eft autant dans le ciel que fur la terre ; il
paroît tout pénétré de l ’efprit divin ; fes difeours
reffemblent moins au témoignage d’un hiftorien
fcrupuleux, qu’à l ’extafe d’un prophète. Il appélle
par leurs noms les .chofès - qui n’exiftent pas encore
; il voit plufieurs fiècles auparavant la mer
Cafpienne qui frémit, & lès fept embouchures du
Nil qui fe troublent dans l’attente d’un héros.'* 1
Ce ton majeftueux fe foutient ; tout s’ennoblit
dans fa bouche; les penfées , les expieffions , les
tours, l ’harmonie, tout eft_rempli de hardieffe &
de pompe.' Ce n’eft point le tonnerre qui gronde
par intervalle , qui éclate , & qui fe tait ; c’eft un
grand fleuve qui roule fes flots avec bruit, & qui
étonne l e voyageur qui l ’entend de loin dans une
vallée profonde : en un mot, c’eft un dieu, qui
fait récit à des dieux (i).
.(iJ L ’Action du Poème épique doit être grande, une,
entière, merveilleufe, Ôc d’une certaine durée. •
x°. Elle doit être grande, c’eft à dire, noble & întéref-
fanté. Une aventure commune, ordinaire , ne foiirniflànt
pas de fon propre fonds les inflruftions que fe propofe
le Poème épique, il faut que VAction foit importante &
héroïque. Ainfi , dans PÉnéide , un héros échapé des ruines
de fa patrie erre long temps_avec les relies de fes concitoyens,
qui l’ ont choifi pour ro i; & malgré la colère de
Junon , qui le pourfük. fans relâche, il arrive dans un
pays que lui promettoient les deftins , y fait des ennemis
redoutables ; & après mille, traverfes furmontées avec autant
de fageffe que de valeur, il y jette les fondements
d’un_puifiant Empire. Ainfi, la conquête de Jérufalem pat
les croifés, celle des Indes par les portugais, la rcduélion
de Paris par Henri le. Grand malgré les efforts de la
ft8ue » font d e fujet des Poèmes du Taffe , du Camoëns,
de Voltaire: d’où il eft aifé de conclure qu’une hifto-
riettè;;; une intrigue amoureufe , ou telle autre aventu.re
qui fait le fonds de nos romans , ne peut jamais devenir
la matière d’un Poème épique, qui veut dans le fujet de la
noj?leffe & de la majefté.
Il y a deux manières de^rendre VAction épique intéref-
fante : la première, par .là dignité & l’importance des
perfonnages; c’eft la feule dont Homère.fafle ùfage, n’y
ayant rien d’ailleurs d’imporcant dans fes modèles , Ôc
qui ne puifie ; arriver à des perfonnages Ordinaires : la
fécondé eft l’importance de VAction en elle-même, comme 1 etabliffement ou l’abolition d’ une; Religion ou d’ un État,
tel qu ell fc fujet choifi. par'Virgile, qui en ce point l’emporte
fur Homère. L’Action de la Henriade réunit dans un
haut degré ce double intérêt.
Le P. le Boflu ajoute une troiiième manière de jeter de 1 intérêt dans [’Action ; favoir , de donner aux ledteurs une
plus haute idée des perfonnages du Poème , que celle qu’on
fe fait ordinairement des hommes, fie cela, en comparant les
héros du Poème avec les hommes du fiède préfent, Voyer
Héros fie Car ac tère . j ' (
Je ne difeuterai point ici ce qui concerne le plan
de l ’Epopée } fon choix , fon a&ion, fon noeud ,
fon dénouement, fes épifodes, fes perfonnages, 8c fon
ftyle : toutes ces.chofes ont été traitées profondément
au moi Épopée; j’y renvoie le leéteur, 8c je me
borne aux remarques générales les plus importantes,
qu’on trouvera ingéni e ufe m en t détaillées dans un
difeours de Voltaire fur cette matière.
Que l ’adtion du Poème épique foit fîmple ou
complexe , dit ce beau génie ; qu’elle' s’achève dans
un mois ou dans une année , ou- qu’elle dure plus
long temps ; que la fcène foit fixée dans un feul
endr'oit, comme dans l ’Iliacîe ; qüe le héros voya'ge
de me fs èn mers , comme dans l’Odyffée; qu’il foit
hçùreyx ôü infortuné , furieux comme Achiie , ou
pieux comme Énéê ; qu’il y ait un principal per-
fofinage -ou plufieurs ; que l ’aftion fe pane fur la
terré ou fur la mer , fur le rivage'd’Afrique
comme dans la Lufiade , dans l’Amérique comme
dans ; Y Araucana, dans le c ie l , dans l ’enfer , hors
des limites de notre monde comme dans le P a radis
de Milton : il n’importe) le Poème fera toujours
un Poème epique, un Poème héroïque, à
moins qu?on ne lui trouve un nouveau titre proportionné
à fon mérite.
2°. L’Action doit :être une , c’eft à d ire, que le poète
doit fe/borijer à une feule ôc unique encreptife -iiîlu.ffré,
exécutée par fon héros, & ne peut èmbraflér l ’hiftoire de
fa vie to it entière. L’ Iliade n’eft que l’hiftoire de la
colère d’Achille; ôc l’Odyflée,que celle du retour d’Ulyffe
à Ichaque : Homère n’a voulu décrire ni toute la vie de
ce dernier , ni toute la guerre de Troie. Stace au contraire y
dans ion Achïlléide , fie Lucain , dans fa Phar fale, ont
entajïe trop d’évènements' dceoufus , poürr- que leurs ouvrages
méritent le nom de Poèmes épiques : on leur donne
celui Y héroïques , parce qu’il s’ y agit de héros. Mais il
faut prendre gard/î que l’unité de héros ne fait pas l’unité
de [’ Action. La vie de l’homme eft pleine d’ inégalités; il
change fans ceffe de detfein, ou par l’inconftance de fes
paflious, ou par les accidents imprévus de fa vie. Quî
voudroit décrire tout l’homme , ne formeroit qu’un tableau
bizarre , un contrafte de pallions oppofées fans liaifon ôc
fans ordre. C’eft pourquoi VÉpopée n’eft pas la louange
d’un héros qu’on fe propofe pour, modèle, mais le récit
d’ une Action grande ôc illuftre qu’on donne pour ëxemple-
11 en eft de la Poéijê comme de la Peinture : l’unité
de [’Action principale n’empêche pas qu’on n’ y mette plufieurs
incidents particuliers ,, ôc ces incidents fe nomment
Epifodes. Le deflein eft formé dès le commencement du
Poème , le Héros, en vient à bout en franchiflant tous
les obftades : c’eft le récit de ces oppoficions qui fait les
épifodes ; mais tous. ;ces épifodes dépendent de [’Action
principale, . ôc font tellement liés-avec elle ôc fi unis entre
eux,-, qli’on ne perd jamais de vue ni le héros ni [’ Ac tion
que lé poète s’eft propofe de chanter. Au moins
doit-on fuivre. inviolablenient cette règle , fi l’on veut
que l’unité à’Action foie confervée. Difeours fur le Poème
épique a la tête du Télémaque, pag. vz & T 3 ; Principes
pour la lecture des poètes , tom. I l , pag. 109.
, 3 °. Pour l’intégrité de YA d io n , il faut -, félon Ariftoce
qu’i l . y ait un commencement, un milieu, & une fin ;
précepte en foi-même affez obfcur, mais que le P. leBoffu
dèyelope dé la forte. « Le commencement, dit - il , ce
» foiiç lçs caufes qui influeront fur une Action, fie la réfo-
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