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O r a i s o n f u n è b r e ; ç f .L f e a t * .
ment d intérêt qui attache l'homme à l ’opinion de
la poltérité , & qui le fait jouir ' d’avance du fou-
Vt'nir qui reliera de lui quand il ne fera plus ,
i émulation qu’infpirent aux vivants les éloges
quon donne aux morts, & l ’impreffion que font
lùr les âmes de grands exemples retracés avec
une vive éloquence , font les principes d’utilité
fur lefquels a été fondé dans tous les temps l’ufao-e
»les O raiforts funèbres : il fut inftitué, chez les
grecs, par Solon f chez les rpmains, par Yalérius-
Pubiicola.
L’&oge-funèbre y en É gypte, étoit perfonnel,
comme il le fut à Rome. Dans la Grèce, il fut
con'acre la gloire commune des citoyens qui
^voient péri dans les combats pour la défenfe de
la patrie, Cette inftitution le rendoit en même
temps plus pur , plus jufte, & plus utile ; plus
pur, parce qu’i l étoit exempt de l ’adulation personnelle
, à laquelle ne manque pas -de donner
lie u , même à l ’égard des morts, la complaifance
pour les-vivants ; plus jufte, en ce qù’i l emr
brafloit tous ceux qui l ’avoient mérité ; plus utile,
en ce que l ’exemple de la vertu & de la’ o-foire
regardoit tous les citoyens, & pouvait être&éga-
lement pour tous un objet d’efpérance & d’émulation.
De là l ’elpèce d’eniyrement que les athéniens
rapportoient de raffemblée,, on leurs enfants,
pères , leurs fjreres , leurs amis venoient
a être folennellement honorés des regrets & des
eloges de la Patrie- A Rome, fous les empereurs
on vit à quel degré de baffeiTe & de fervitudé VOrai-
fonfunèbre pouvoit être réduite, lorfque l'oroucil
la commandoit. Voye^ D é m o n s t r a t i f . d
Parmi nous , elle eft perfonnelle & réfervée
pour la haute naiffauce , ou pour les premières
dignités; & quoique moins fervile & moins adulatrice
qu elle ne le devint à Rome, elle n’a pas
été exempte du reproche de corruption. L ’on a
quelquefois entendu célébrer en Chaire des hommes
que la voix ^ publique n’avoit jamais loués de
même, & qu’elle étoit loin de bénir. Jjlajs fans
infîfter fur l'abus que l’on a fait fonvent & que
l ’on fera peut-être encore de ces éloges de bien-
féance., cojifidérons ce qu’ils, auroient d’utile, li
l ’orateur , en s’interdifant le menfonge & ï a flatterie
fe prqpofoit pour règle & pour objet la décence &
la vérité.'
En premier lieu , on ne loueroit que des morts
dignes de mémoire. En fécond lieu , comme tous
les hommes, même les plus recommandables,
pqt été m mélange de force & de foibleffe , de
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vertus & de vices, ce feroit le côté vraiment
louable que l ’Éloquence expoferoit à la lumière 5
& au lieu de donner du luftre aux vices qui font
luiceptiblcs du fard de la louange , elle les laif-
feroit dans J. ombre , & fon filehce exprimeroit ce
que fa voix ne diroit pas. En troifième lieu, elle
s attacheroit aux traits de caractère , aux vertus,
aux talents dont la peinture aurait, non pas le
plus d éclat, mais le plus d’influence ; & la vé-
ritablé;: deftination de la gloire feroit remplie ,
pmtqu elle feroit réfervée aux qualités. & aux aç-
tions qui auroient le plus contribué - au bien public
& au bonheur des hommes. En quatrième lieu,
les vertus privées & domeftiques obüendroient auffi
le tribut de louanges dont elles feroient dignes :
mais ces peintures de fantaèfie, ces lieux communs
d’adulation , ou l ’adrèffe & l ’efprit de l ’oiar-
leur s épuifent pour tout défigurer & pour tout
embellir , feroient exclus de YOraifon funèbre h
& s’il étoit permis à l ’orateur de ne peindre foi*
modèle que de profil, du côté le plus favorable ,
avec des couleurs plus vives que celles de «la
vérité, au moins feroit-il obligé d’en bien faifir
la reffèmblance. Enfin l ’utilité publique , qui eft
le fruit de l ’exemple, étant le feU objet moral
de ces trift'es foleiinités, l’Éloquehee s’attacheroit
aux refultats que lui préfenteroient les détails
a une vie habituellement occupée des intérêts de
la foeiete;^ & de ces particularités de moeurs, dé
fortune, d emplois', de fon.étions, de devoirs', de
conduite , qu il auroit à dèveloper, i l auroit
foin de s'élever à des principes lumineux & féconds,
quj doaneroient plus d’étendue à l ’inftruc-
tion publique. Par ce moyen , YOraifon funèbre,
au lieu d’être une'éçole de flatterie, feroit une leçon
ou de Politique ou de moeurs.
On voit dès lors combien lui feraient étrangers
& fuperflus tous ces ornements d’un langage fleuri,
maniéré, futile. Dès* que la vérité porte avec elle
fon cara&ère ^ de candeur > de dignité, d’utilité
folide , mi Vain luxe d’expreflipns lui devient inutile
, & l ’Éloquence, peut fe montrer avec une
majefté fimple, comme une vierge pure & mo-
defte, belle de fa feule beauté. Grandis & , ut
ita dicam, pudica Oratio • non eft maculofa ?
nec turgida , fed naturali pulchritudifie exurgic*
( Pétrone. )
Mais fi l ’objet de YOraifon funèbre n’eft peint
que reffemblant. & d’après la vérité même , fi
l ’homme qu’elle doit louer fut .véritablement louable*
& fi fà renommée autorife d’avance l ’éloge
qu’on va prononcer; quel combat l ’Éloquence
aura-1-elle à livrer ? quel obftaçle ,aura - 1 - elle 4
valncte du côté de l ’opinion ? quelle affèéliôn ,
uelle inclination, quelle réfolution à changer
u côté de l ’âme ? de quoi veut-elle perfuader ou
diffuader un auditoire , qui fait déjà, qui croit d’avance
ce qu’elle vient lui rappeler ?
I l eft certain qu’elle n’a pas les mêmes révolutions
à produire que l ’Éloquence de la Tribune,
la même réfiftance à vaincre , les mêmes affauts
à livrer ou à foutenir que l ’Eloquence du Barreau
; & que foùvent , plus comparable à l ’Éloquence
poétique , elle ne femble faire confifter
fes fuccès qu’à émouvoir pour émouvoir. Mais au
delà de l ’émotion, nous venons de voir qu’il eft
pour elle un but d’utilité publique, qui confacre fes
fonctions & la rènd digne de la Chaire. ‘
Dans YOraifon funèbre, comme dans les fer-
311011s, l’auditoire eft perfuadé avant que l ’orateur
commence; mais cette perfuafion froide & vague
n’eft pas celle que l ’Éloquence doit ^opérer , &
qu’elle opère : celle-ci doit être profonde , animée,
aélive , entraînante ; elle doit reffdmbler. à
celle qui , dans le genre délibératif , produit des
révolutions , foulève tout‘ un peuple, lui fait
brifér fa chaîne , lui fait prendre les armes pour
la défenfe de fes.foyers, de fes femmes;, de fes
enfants. Ici l’effet n’en, eft pas'fi fenfible , parce
qu’elle n’a point d’objet préfent & décidé. Mais
qu’à l’ouverture d’une campagne & à la tête d’une
armée un homme éloquent f î t , comme Périclcs.,
l ’éloge dès guerriers qui feroient morts pour leur
pays , & qu’i l parlât de la valeur avec un digne
.enthoufîafme ; que cet éloge , par exemple , eut
•été prononcé à la tête de la Nobleffe françoife ,
aii moment que Louis X IV l ’auroit affemblée ,
Comme i l y écoit réfolu avant la viéloire de
-Denain ; & que chacun fe demandé à foi - même'
fi cette Éloquence eut été fans effet. Or cet effet
foudain , rapide, éclatant, que l ’occafion lui eût
fait produire, elle l’opère avec moins.d’énergie ,
mais trèsrfenfiblement encore par les impreflions
q.u’elle laiffe dans les.efprits & dans les coeurs ,•
& fi vous en doutez, voyez ce qui fe paffe ,
lorfque ces femmes refpeétables qui parmi nous
font les tutrices des pauvres orphelins, veulent
en leur faveur ranimer la piété publique. Quel
eft l ’innocent artifice qu’elles y emploient le
plus communément ? Élles convoquent les fidèles
■ dans un temple; elles y font prononcer l ’éloge
de celui des hommes qui, après l ’homme-Dieu ,
a été fur la terre le plus parfait modèle de la
miféricorde & de la charité , l ’éloge de Vincent
de Paule ; & l’orateur , en defeendant de Chaire ,
voit répandre dans le tréfor des pauvres l ’argent &
l ’or à pleines.‘mains.
L ’effet confiant & infaillible du digne éloge
'des vertus héroïques , fera toujours d’elever nos
efprits par la fublimité des penfées & des images ;
d’agrandir, d’ennoblir nos âmes par les émotions
qu’elles reçoivent des grands e x em p le s& par cet
atteridriffemenfc fi doux qu’excite en nous la magna-'
nimité<
L ’Éloquence de YOraifon funèbre a donc aufti
fes effets à produire ; & ce n’eft pas fans difficulté
qu’elle obtient les fuccès d’où dépend fa
gloire. Elle n’a pas à vaincre la prévention
l ’aliénation de$ efprits; mais leur froideur, leur
nonchalance , leur molle irrefolütipn : elle n’a
pas à vaincre , dans les âmes, des averfîons , des
reffentiments ; mais tfrie langueur plus funefte à
la vertu que les pallions mêmes, & tous les
vices qui dégradent en nous ce naturel qu’elle
veut ennoblir. L a volonté ne lui oppofe ni les
tranfports de la colère , ni les mouvements du
dépit, de la haîne, & d e là vengeante; mais
une forte d’inertie qui réfifte à fes mouvements y
mais une lâcheté qui fe refufe à fes impulfions r
■ mais des inclinations que l ’habitude a eu tout le
temps de former & de rendre comme invincibles-*
Captiver , fixer, attacher "fur l ’image de la vertu,,
des ieux diftraits , des efprits légers, des ima--.
ginations mobiles , des caractères indécis; -les
forcer d’en prendre l’empreinte 3 les renvoyer ,
avec une plus haute idée de leur dignité naturelle.
& dè -celle de leur devoir ; leur en inlpirer'
le courage, & du moins pour quelques moments
l’enthoufiafme la paffion : tel eft le genre de
perfuafion de rÉloquence des éloges ; & fi on
i demande encore quels font les ennemis qu’elle
fe propofe de vaincre , je répondrai, tout ce que"
la nature & l’habitude ont de vicieux & d’incompatible
avec cette vertu qu’elle vient nous recommander.
Le procédé le plus raifonnable, & , je crois,
lé plus infaillible de ce genre d’Eloquence , feroit
de montrer l ’homme dans le héros, en
même temps que le héros dans l ’homme : car fi
je ne vois pas en lui mon fomblable duf côté
f o ib le fo n exemple ne m’infpirera ni1 l ’èfpérance ?
ni le courage de lui reffembler du côté' fort ; SC
; ce feroit pour YOraifon funèbre unë^ raifon de fe
détendrë & ‘de s’abaiiTer quelquefois jufqu’à- nous
■ laiffer voir, dans le modèle de vertu & de gran-
deur qu’elle nous préfente , quelques traits" de
; fragilité. Un feul exemple va nie faire entendre»
Dans le plus accompli & le plus intéreffant de
nos héros modernes, Fiéchier avoit deux fautes à
. confeffer , ou à difîîmuler : en avouant l ’une des'
•deux ', il a- mis toute l’adreffe de l ’Élocution
& tout le preftige des figures à le couvrir comme
d’un nuage; & celle qu’il iTauroit pu attribuer à la
fatalité des circonftances , il n’a pas même ôfé la
laiffer entrevoir»
A regard de l ’une & de l’autre , j’ôferar dire
que la crainte qu’il eut d’affoiblir l ’admiration
que l’on devoit à fon héros, nétoit pas fondée»
Son filence n’a fait oublier à perfonne ce moment
I de fqibleffe, où Turenne crut dépofer dans le feiw
d’un- autt» lui-même le fecrefc important qui lus