la conformité de la Penfée avec l ’objet ; la JufîeJJe
marque plus cxpreffément l ’étendue. La .Penjee eft
donc vraie, quand elle repréfente l ’objet ; & elle eft
7ltf i e , quand elle n’a ni plus ni moins d’ étendue que
lui.
L a fécondé qualité eft la Clarté ; peut - être
même eft-ce la première, car une Penfée qui
n’eft pas claire n eft pas proprement une Penfée.
L a Clarté confifte dans la vue nette & diftinéte
de l ’objet qu’on fe repréfente, & qu’on voit fans
nuage , fans obfcurité ; c’eft ce qui rend la Penfée
nette. On le voit féparé de tous les autres objets qui
l ’environnent 5 c’eft ce qui la rend diftinéte.
• La première chofe qu’on doit faire quand il
s’agit de rendre une- P enfé e , eft donc de la bien
reconnoître, de la déméler d’avec tout ce qui n’eft
point elle , d’en fai(jr les contours & les parties.
C ’eft à quoi fe réduifent les qualités logiques des
Penfées.
Mais pour plaire, ce n’eft pas allez d’être fans
défaut; i l faut avoir des grâces, & c’eft le goût
qui les donne. Ainfi, tout ce que les Penfées peuvent
avoir d’agrément dans un difcours, vient de
leur choix & de leur arrangement : toutes les règles
de l ’Élocution fe réduifent â ces deux points,
choifir & arranger. Étendons'Ces idées d’après l ’auteur
des Principes de la Littérature ( T abbé
B a t t e u x ) ; on en trouvera les~détails inf-
trnôtifs.
Dès qu’un fiijet quelconque eft propofe àTefprit,
la face fous laquelle il s’annonce produit fur le
champ quelques idées. Si l ’on en confidère une
autre face , ce font, encore d’autres idées : on pénètre
dans l ’intérieur, ce font toujours de nouveaux
bi ens. Chaque mouvement de l ’efprit fait éclore
de nouveaux germes ; voilà la terre couverte d’une
riche moi lion : mais dans cette foule de productions,
tout n’eft pas lé bón grain.
I l y a de ces Penfées qui ne font que'des lueurs
fauffes , qui n’ont rien de réel fur quoi elles
s’apuient ; il y en a d’inutiles, qui n’ont nul trait
à l ’ob-jet qu’on fe propofe de rendre ; il y en a de
triviales, auffi claires que l ’eau & aufti infipid.es ;
i l y en a de baffes , qui font au deffous de la dignité
du fujet ; il y en a de gigantefqjies , qui font
au deffus : toutes productions qui doivent être mifes
au rebut.
Parmi celles qui doivent être employées, s’offrent
d’abord les Penfées communes , qui fe pré-
fentent à tout homme de fens droit, & qui paro i £
fent naître du fajet fans nul effort : c’eft la couleur
foncière , le tiffu de l ’étoffe. Enftiite viennent les
Penfées qui portent en foi quelque agrément,
comme la vivacité , lé force , la richeffe, la har-
dieffe , le gracieux , la finefle, la nobleffe, &c :
car nous ne prétendons pas faire ici l’énumération
complette de toutes les espèces de Penfées qui ont
de l ’agrément.
L a Penfée vive eft celle qui repréfente fon objet
clairement & en peu de traits : elle frape l ’efprît
par fa clarté, & le frape vite par fa brièveté :
c’eft un trait de lumière. Si les idées arrivent lentement
& par une longue fuite de lignes f ÜaTe-
couffe momentanée ne peut avoir lieu. Ainfi, quand
on dit à Médée, Que vous refie-t-il contre tant
dyennemis ? 8c qu’elle répond , Moi : voilà l ’éclair.
Il en eft de même du mot d’Horace , Qu il
mourut.
La Penfée forte n’a pas le même effet que la
Penfée vive, mais,elle s’imprime plus profondément
dans l ’efprit ; elle y trace l ’objet avec des
couleurs foncées ; elle s’y grave en caractères
ineffaçables.' Boffuet admire les pyramides des
rois d’Égypte, ces édifices faits pour braver là
mort & le temps ; & par un retour de fentiment,
il obferve que ce font des tombeaux : cette Penfée
eft forte. La beauté s'envole avec la jeune f e ;
l ’idée du vol peint fortement la rapidité de la
fuite.'
La Penfée hardie a des traits & des couleurs
extraordinaires, qui paroiffent fortir de la règle£
Quand Defpréaux ôfa écrirè, Le Chagrin monte
en croupe & galope avec lu i , il eut befoin d’être
raffuré par-des exemples & par l ’approbation de
fes amis. Qu’on fe repréfente le Chagrin affîs derrière
le cavalier, la métaphore eft hardie : mais-
foutenir la Penfée en fefant galoper ce per-
fonnage allégorique , c’étôit s’expofer à la cen.-
îîire.
On fent affez ce que c’eft que la Penfée brillante
; fon éclat vient le plus Iouvent du choc des
idées r
Qu'à fon gré déformais la Fortune me joue,
On me verra dormir au branle de fa roue 5
les fecouffes de la Fortune renverfent les Empires
les plus affermis, & elles ne font que bercer le phi*
lofophe.
La Penfée riche eft celle qui préfente à la fois ,
non'feulement l ’objet , mais la manière d’être de
l ’objet, mais d’autres objets voifîns , pour faire r
par la réunion des idées , une plus grande impref-
fion. P rens ta foudre : le feul mot foudre nous
peint un dieu irrité , qui va attaquer fon ennemi 8c
le réduire en poudre.
Et la Scène frânçoife eft en proie à Pradon :
quel homme que ce Pradon , ou plus tôt quel
animal féroce, qui déchire impitoyablement la Scène
françoife! elle expire fous fes coups.
La Penfée fine nerepréfente l’objet qu’en partie,
pour laiffer le refte à deviner. On en voit l ’exemple
dans cette épigramme de M. de Maucroix :
A m i , je vois beaucoup de bien
Dans le parti qu'on me propofe s
Mais toutefois ne preffons rien :
Prendre femme eft étrange chofé ,
On doit y penfer mûrement.
Gens fages, en qui je me fie ,
M’ont dit que é'eft fait prudemment
Que d’y penfer toute fa vie.
Quelquefois elle repréfente un objet pour un
autre objet : celui qu’on veut préfenter le cache
derrière l ’autre, comme quand on/wFrc l ’idée d’un
livre chez l ’épicier.
L a Penfée poétique eft celle' qui n’eft d’ufage
que dans la Poéfie, parce qu’en Profe elle auroit trop
d’éclat & trop d’appareil.
L a Penfée naïve fort d’elle-même du fujet, 8c
vient fe préfenter à l ’efprit fans être demandée.
Un boucher moribond , voyant fa femme en pleurs,
Lui dit : « Ma Femme, fi je meurs,
» Comme en notre métier un homme eft néceffaire ,
» Jaques, notre garçon, feroit bien ton affaire j
»J Ç’eft un fort, bon enfant, fage, & que: tu cônnois :
» Époufe-le, crois-moi ; tu ne faurois mieux faire ». -,
Hélas ! dit-elle, j ’y fongeois.
I l y a des Penfées qui fe cara&érifent par la
nature même de l’objet : on les appelle Penfées
nobles , grandes, fublimes , gracieufes , trifies,
&c , félon que leur objet eft noble, grand, fublime,
gracieux, triftey
I l y a encore une autre efpèce de Penfées ,
qui en portent le nom par excellence, fans être défi-
gnées par aucune qualité qui leur foit propre.
Ce font ordinairement des réflexions de l ’auteur
même , enchâffées avec art dans le fujet qu’i l traite.
Quelquefois c’eft une maxime de Morale , de Politique
; Rien ne touche les peuples comme la
bonté: d’autres fois c’eft une image vive; Trois
guerriers ( les Horaces ) portoient en eux tout le
courage des romains.
A toutes ces efpèces de Penfées répondent autant
de fortes d’Expreflîons. De même qu’i l y a
des Penfées communes, & de$ Penfées accompagnées
d’agrément ; il y a auffî des termes propres
& lans agrément marqué , & des termes empruntés
qui ont la plupart un caractère de vivacité , .de
richeffe, &c, pour repréfenterlesPenfées qui font
dans le même genre : car l’Expreffion, pour être
jufte, doit être ordinairement dans le même goût
que la Penfée. .
Je dis ordinairement ; parce qu’il fe- peut faire
qu’il y ait dans l ’Expreffion un caractère qui ne
fe trouve point dans la Penfée. Par exemple,
l ’Expreffion peut -être fine , dans que la Penfée le
foit : quand Hyppolite dit , en parlant d’Aricie ,
S i je la hai(fois ,- j e ne la fu i rois pas y la
Penfée n’eft pas fine , mais l’Expreflîon l ’eft, parce
qu elle n’exprime la Penfée qu’à demi. De même
l’Ëxpreffion peut être hardie fans que la Penfée
le foit, & la Penfée peut l ’être fans l ’Expreflion.
I l en eft de même de la nobleffe, &de prefque toutes
les autres qualités.
Ce qui produit entre elles cette différence , eft
la diverfité des règles de la nature & de celles de
l ’art en ce point. Il feroit naturel que l ’Expreffion
eût le même caractère que la Penfée , mais l ’art
a fes raifons, pour en ufer autrement. Quelquefois
par la force de l’Expreffîon, on donne du
corps à une idée foible; quelquefois par la douceur
de l ’une on tempère la dureté de l ’autre :
un récit eft lo n g , on l ’abrège par la richeffe des
Expreflîons ; un objet eft v i l , on le couvre, oh
l ’habille de manière à le rendre décent : i l en eft
ainfi des autres cas.
Enfin fi quelqu’un me demandoit quel eft le
choix qu’on doit faire des Penfées dans l ’Elocution,
je lui répondrois que c’eft tout enfemble le
génie & le goût qui peuvent l ’en inftruire : l ’un
lui fuggèrera les plus belles Penfées , l ’autre les
placera dans leur ordre ; parce que le goût & lé
jugement n’adoptent que ce qui peut prendre la
teinte du fujet & .faire un même corps avec le
refte. Principes de la Littérature. Il 1. Partie ,
fe cî. ] , art. 3. [L e chevalier DE J AU COURT.}
( Le rédacteur de cet article auroit pu puifer
encore avec < avantage dans deux autres fources ;
La manière de 'bien penfer dans les ouvrages
d’efprit, & L a manière d'enfeigner & d’étudier
les Belles-Lettres par raport à Vefprit 8c ait
coeur.
Le,premier de ces deux ouvrages eft du P. Bou-
hours : le titre feul annonce qu’il a pour objet
les Penfées dont il s’agit ici ; & il étoit poffible
d’en tirer de bonnes obfervations & des exemples
utiles. C ’eft ce qu’a très-bien vu Rollin , auteur dir
fécond ouvrage , qui en a tiré une partie de ce
qu’il dit furies Penfées. ( Liv. n i, Chap. ii j ,
Art. z , §, z; )
11 m’a femblé utile de faire ici cette remarque ,
& de confeiller la leélure de ces deux ouvrages. )
{ M. B e a u z é e . ) ■
PENSÉE , O PÉ R A T IO N DE L ’ESPRIT
PERCEPTION, SENSAT ION , CONSCIENCE^
IDÉE , N O T IO N . Synonymes.
Tous ces ternies femblent être lynonymes, du
moins à des efprits fuperficiels & ..pareffeux, qui les
emploient indifféremment dans leur façon de s’expliquer
: mais comme il n’y a point de mots
abfolument fynonymes,, & qu’ils ne le font tout
au plus que par la reffemblance que produit en
eux l ’idée générale qui leur eft commune à tous ",
je vas marquer leur différence délicate-, c’eft £
dire, la manière dont chacun diverfifie une idée
principale par l ’idée acceffoire qui lui conffitue
un caractère propre & fingulier. Cette idée principale