
premiers chants d’imprimés. Quand ils parurent,
ils avoient pour eux les futtrages des gens de
Lettres , & entre autres de l'évêque d’Avranches.
« L e s bienfaits des Grands avoient déjà couronné
» ce Poème ; & le monde, prévenu par ces éloges,
»> l ’attendoit l ’encenfoir à la main. Cependant,
» fitôt que .le Public eut lu la Pucelle, i l revint de
»> Ton préjugé , & la méprifa même avant qu'aucun
» Critique lui eût enfeigné par quelle raiton elle
» étoit méprifable. L a réputation prématurée de
» l'ouvrage fut caufe feulement que le Public inf-
» truifit ce procès avec plus d’empreffement. Cha-
»- cun aprit, fur les premières informations qu'il
» fit, qu'on bâilloit comme lui en la lifant, & la
» Pu'cûle devant vieille aü berceau». (L e chevalier
DE J Aü COURT. )
P oème gf.nêthliàque , Poéjie. On nomme
ainfi les pièces de vers qu'on fait fur la naiffance
des rois & des princes, auxquels on promet, par
une efpèce de prédi&ion , toutes fortes de bonheur
& de profpérités ; prédiétion que le temps dément
prefque toujours. Sophocle , loin de s amufer à
des poéfies de ce genre, également baffes & frivoles
, finit fon OEdipe , ce chef-d'oeuvre de l'a rt,
par une réflexion tout oppofée à celles des Poèmes
génét/iliaques. Voici la Morale qu'il met dans la
bouche du dernier choeur; elle eft digne.des fiècles
les plus . éclairés & lés plus capables de goûter
la vérité. « O Thébains, vous voyez ce ro i, cet
» OEdipe, dont la pénétration dèvelopoit les énig-
» mes du fphynx ; cet OEdipe, dont la puiffance
» égaloit la lageffe; cet OEdipe, dont la grandeur
» n'étoît établie que fur les faveurs de la fortune !
» vous voyez en quel précipice de maux i l eft
» tombé. Aprenez, aveugles Mortels , à ne tourner
» les ieux que fur les derniers jours de la vie des
» humains, & à n’appeler heureux que ceux qui font
» arrivés à ce terme fatal ». ( Le Chevalier d e
J AU COURT. )
P oème historique. Poéjie didactique. Efpèce
de Poème didactique, qui n’expofe que des aétions
& des évènements réels, & tels qu’ils font arrivés .
fans en arranger les parties félon les règles méthodiques
, & fans s'élever plus haut que les caufes
naturelles ; telles font les cinquante livres de Non-
nus fur la vie & les exploits de Bacchus, la Pharfale
de Lucâin, la Guerre punique de Silius-Italicus, &
quelques autres.
Les Poèmes hijtoriques ont des actions , des
pallions, & des atteurs , aufli bien que les Poèmes
de fiction. Ils ont le droit de marquer vivement
les traits , de les rendre hardis 8c lumineux. Les
objets doivent être peints d’un coloris brillant :
c’eft une divinité qui eft cenfée peindre ; elle voit
tout fans obfçurité , fans confufion ; & fon pinçeau
le rend de même. Il lui eft aifé de remonter aux
càufes, d’ea dèvelop.er les refforrs ; * quelquefois
même elle s’élève jufqu aux çaufes furoatureÜes.
Tite -L iv e , racontant la guerre punique, en a;
montré les évènements dans le récit, & les caufes
politiques dans les difeours qu'il fait tenir à fes
aCteurs ; mais il a dû refter toujours dans les bornes
connoiffances naturelles, parce ..qu'il n'étoit
qu hiftorien y Silius-Italicus , qui eft poète , raconte
de même que le fait Tite - Live : mais il
peint partout ; il tâché toujours de montrer les
objets eux - mêmes , au lieu que l ’hiftorien fe
contente fouvent d’en parler & de les défigner.
L e Poème de la Guerre civile de Pétrone peint
les évènements de l ’Hiftoire avec le ftyle mâle $c
nerveux que l'amour de la liberté fait aimer. Le
prefident Bouhier a traduit ce Poème en vers françois,
& c'eft ainfi qu’il faut rendre les poètes. ( Le chevalier
de J AU co u RT.)
Poème lyrique , Littérature. Les italiens
ont appelé le Poème lyrique ou le fpeCtacle en
mufique, Opéra., & ce mot a été adopté en fraa-
çois.
Tout art d’imitation eft fondé fur un menfonge:
ce menfouge eft une efpèce d'hypothèfe établie &
admife en vertu d'une convention tacite entre l ’ar-
tifte & fes juges. Paffez-moi ce premier menfonge,
a dit l'artifte ; & je vous mentirai avec tant de
vérité , que vous y ferez trompé , malgré que^vous
en ayez. L e poète dramatique , le peintre , le
ftatuaire , le danfeur ou pantomime , le comédien ,
tous ont une hypothèfe particulière fous laquelle
ils s’engagent de mentir , §ç qu'ils ne peuvent
perdre de vue un feul inftant, fans nous ôter de
cette illufion qui rend notre imagination complice
de leurs fupercheries : car ce n’eft point la vérité,
mais l'image de la vérité qu'ils nous promettent ;
& ce qui fait le charme de leurs productions,
n’eft point la nature , mais l ’imitation de la nature.
Plus un artifte en aproche dans l ’hypothèfe qu’il
a choifie, plus nous lui accordons de talent & de
génie»
L ’imitation de la nature par le chant a dû être
une des premières qui fe foient offertes à l'ima-* '
gination. Tout être vivant eft follicité par le fen-
timent de fon exiftence à pouffer en de certains
moments des accents plus ou moins mélodieux,
fuivant la nature de fes organes : comment, a»
milieu de tant de chanteurs, l ’homme feroit - il
refté dans le filence ? La joie a vraifemblablement
infpiré les premiers chants : on a chanté d’aborçi
fans paroles ; enfuite on a cherché à adapter au
chant quelques paroles conformes au fhntiment qu'îj,
devoit exprimer ; le couplet & la chanfon ont étç
ainfi la première mufique. *
Mais l ’homme de génie ne fe borna pas long
temps à ces chanfons, . enfants dç la fîmple na*
ture j il conçut un projet plus noble & plus hardi 9
celui de faire du chant un infiniment d’imitation.
I l s'aperçut bientôt que nous élevons notre voix ,
& que £qu$ mettons dans nos difeours plus d$
force & de mélodie, â mefure que notre âme foré
de Con afliette ordinaire. En etudiant les hommes
dans différentes fituations y il les entendit chanter
réellement dans toutes les occafions importantes de
la vie ; il vit encore que chaque paffion, chaque
affeétion de l ’âme avoit fon accent , fes inflexions ,
fa mélodie, & fon chant propre.
De cette découverte naquit la Mufique imitative
lr. l ’art du chant , qui devint une force de Poéfie ,
une langue , un art d’imitation, dont 1 hypothefe
.fut d’exprimer par la mélodie & a 1 aide de 1 harmonie
toute efpèce de difeours , d accent , de
paffion, & d’imiter quelquefois jufqu'à des effets
phyfiquesi. La réunion de cet art, aufli fublime
que voifin de la nature, avec l'art dramatique, a
donné naiffance au fpeCtacle de l'O p é ra , le plus
noble & le plus brillant d’entre 1 os fpeCtacles modernes..
Ce n’eft point ici le lieu d’examiner fi le caractère
du fpeCtacle en mufique a été connu de
l ’Antiquité : pour peu qu’on réfléchiffe fur l ’importance
des fpeCtacles chez les anciens, fur l ’im-
menfitè de leurs théâtres , fur les effets de leurs
repréfentations drolatiques fur un peuple entier ;
on aura de la peine à regarder ces effets , comme
l'ouvrage de la fimple déclamation & du difeours
ordinaire , dépouillés de tout preftige. I l il y a:
guère aujourdhui d’homme de goût, ni de Critique
judicieux , qui doute que la Mélopée ne fût une
efpèce de récitatif noté.
Mais fans nous embarraffer dans des recherches
qui ne font point de notre fujet, nous ne parlerons
ici que du fpeCtacle en mufique , tel qu’il
eft aujourdhui établi en Europe , & nous tâcherons
de favoir quelle forte de Poème a dû réfulter de la
réunion de la Poéfie avec la Mufique.
La Mufique eft une langue. Imaginez un peuple
d’infpirés & d’enthoufiaftes , dont la tête feroit
toujours exaltée, dont l’âme feroit toujours dans
Tivreffe & dans l ’extafe, qui, avec nos partions &
nos principes , nous feroient cependant fupérieurs
par la fubtilité , la pureté , & la délicateffe des
lens, par la mobilité , la fineffe , & la perfection
des organes ; un tel peuple chanteroit, au lieu de
parler j fa langue naturelle feroit la Mufique. Le
JPoème lyrique ne repréfente pas des êtres d’une
«organifation différente de la nôtre , mais feulement
d’une organifation plus parfaite. Ils s'expriment
dans une langue qu’on ne fauroit parler fans
génie , mais qu’on ne fauroit non plus entendre
fans un goût délicat, fans des organes exquis &
exercés. Ainfi, ceux qui ont appelé le chant le
plus fabuleux de tous les langages & qui fe font
moqués d’un fpeCtacle ou le héros meurt enchantant
, n’ont pas eu autant de raifon qu’on le croi-
roit d’abord : mais comme ils n’aperçoivent dans
la Mufique tout au plus qu’un bruit harmonieux
'•&.agréable , une fuite d’accords & "de cadences;
W* doivent 1% regarder comme une langue qui
leur eft étrangère ; ce n’eft point à eux d'apprécier
le talent du compofiteur , il faut une oreille atti-
que pour juger de l ’éloquence de Démofthène.
La langue du muficien a fur celle du poète l ’avantage
qu’une langue univerfelle a fur un idiome
particulier : celui-ci ne parle que la laugue de
ion fiècle & de fon pays ; l ’autre parle la langue de
toutes les nations & de" tous les fiècles.
Toute langue univerfelle eft vague par fa nature
; ainfi, en voulant embellir par fon art la
repréfentation théâtrale , le muficien a été obligé
d’avoir recours au poète. Non feulement i l en a
befoin pour l ’invention & l ’ordonnance du drame
lyrique ,* mais i l ne peut fe paffer d’interprète,
dans toutes les occafions où la précifion du difeours
devient indifpenfable , où le vague de la langue
muficale entraîner,oit le fpeCtateur dans l ’incertitude.
Le muficien n’a befoin d’aucun fecours pour
exprimer la douleur, le délire d’une femme menacée
d’un grand malheur : mais fon poète nous
dit ; Cette femme éplorée que vous voyez , eft
une mère qui redouté quelque cataftrophe funefte
pour un fils unique . . . . Cette mère eft Sara,
qui , ne voyant pas revenir fon fils dtiTacrifice , fe
rappelle le "myitère avec lequel -ce fàcrifice a été
préparé , & le foin avec lequel elle en a été
écartée ; fe porte â queftionner les compagnons de
fon fils ; conçoit de l ’effrqi de leur embarras & de
leur filence ; & monte ainfi par degrés des foup-
çons à l ’inquiétude, â la terreur, jufqu’à en perdre
la raifon : alors , dans le trouble dont elle eft
agitée, ou elle fe croit entourée lorfqu'elle eft
feule, ou elle ne reconnoît plus ceux qui font avec
elle . . . tantôt elle les preffe de parler, tantôt elle
les conjure de fe taire :
Deh > parlate :• che forçe tacendo,
Par pitié parlez » peut-être qu’en vous vous taifant, ,
JVLen pietoji , più barbari Jiete.
Vous êtes moins compatiflànrs que barbares.
A h ! v’intendo. Tacete} tacete} ■
■ A h ! je vous entends. Taifez-vous, t^fez-vous,
PJon mi dite che’ l fig lio moti.
Ne me dites point que mon fils eft mort.
Après avoir ainfi nommé le fujet & créé la fitua-
tion, après l ’avoir préparée & fondée par fes difeours,
le poète n’en fournit plus que les martes
qu’il abandonne au génie du compofiteur ; c’eft
à celui-ci à leur donner toute l ’expreffion & à dè-
veloper toute la fineffe des détails dont elles font fuf-
çeptibles.
Une langue univerfelle , frapant immédiatement
nos organes & notre imagination, eft auffi par fa
nature la langue du fentiment & des partions. Ses
exprefiions, allant droit au coeur fans paffer pour
ainfi dire par l ’efprit, doivent produire des effets
inconnus à tout autre idiome; & ce vague même
qui Tempêehe de donner à fes accents la précifion