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car quoique ces Termes foient déterminés par des
conditions individuelles, n’y ayant qu’un feul homme
qui foit le plus grand géomètre de Paris, néanmoins
ce mot peut être facilement attribué à plusieurs
; parce qu’i l eft fort aifé que les hommes
foient partagés de fentimentfur ce liijet, & qu’ainfî
plufieurs donnent ce nom à celui que chacun croit
avoir cet avantage par deffus les autres.
Les mots de Je ns d'un auteur y de doctrine
d'un auteur fu r un tel fu j e t , font encore de ce
nombre, furtout quand un auteur n’eft pas fi clair,
qu’on ne difpute quelle a été fon opinion : ainfi ,
dans ce conflit d’opinions , les fentiments d’un auteur
, quelque individuels qu’ils foient en eux-
mêmes, prennent mille former différentes , félon
les têtes par lelquelles ils paffent : ainfi, ce mot
de fens de l'Écriture , étant appliqué par un hérétique
à une erreur contraire à l ’Écriture , Signifiera,
dans £a bouche ,“ cette erreur qu’il aura cru
être le fens de l ’Écriture, & qu’il aura , dans cette
penfée, appelée le fens de l'Écriture : c eft pourquoi
les hérétiques n’en font pas plus catholiques,
pour protefter qu’ils ne fuivent que la parole de
D ieu ; car ces mots de parole de Dieu fignifient,,
dans leurbouche, toutes les erreurs qu’ils confondent
avec cette parole facrée.
Mais pour mieux comprendre en quoi confifte
l ’équivoque de ces Termes que nous avons appelés
équivoques par erreur, il faut remarquer que ces
mots font connotatifs ou adjeétifs ; ils font complexes
dans Texpreflion, quand leur fubftantif eft
exprimé , complexe dans le fens , quand i l eft
foufentendu. Or , comme nous avons déjà dit ,
on doit confîdérer„■ dans les mots adjeétifs ou connotatifs
, le fuj et qui eft directement mais con-
fufément exprimé, & la forme ou le mode qui eft
diftinârement quoiqu’indireéfement exprimé : ainfi,
le blanc fignifie confufément un corps, & la blancheur
diftinârement ; fentiment d'Ariflote , par j
exemple, fignifie confufément quelque opinion,
quelque penfée, quelque doctrine , & diftindement
la relation de cette opinion àAriftote, auquel on
l ’attribue.
Or quand il arrive de l’équivoque dans ces
mots, ce n’eft pas proprement à caui'e de cette
forme ou de ce mode , q u i, étant diftinéï, . eft
invariable. Ce n’eft pasauflî a caufe du fujet confus,
lorfqu’i l demeure dans cette confufion ; car , par
exemple , le mot de prince des philofopJies ne
peut jamais être équivoque, tant qu’il demeurera
dans cette confufion, c’eft à dire, qu’on ne l ’appliquera
à aucun individu diftinCtement connu :
mais l ’équivoque arrive feulement , parce que
l ’efprit , au lieu de ce fujet confus , y fubftitue
fouvent un fujet diftinét déterminé, auquel il attribue
la forme ■ & le mode.
Le mot de véritable religion n’étant point joint
avec l’idée diftinéfe d’aucune religion particulière',
demeurant dans fou idée eoufofe ? n’ eft point
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équivoque , paifqu’il ne- fignifie que ce qui eft en
eftet la véritable religion : mais lorfque l ’efprit a
joint cette idée de véritable religion à une idée
diftinCte d’un certain culte particulier diftin&ement
connu, ce mot devient très-équivoque , & fignifie ,
dans la bouche de chaque peuple, le culte qu’il
prend pour véritable. Voye\ la Logique de Fort-
Royal, d’où font extraites ces réflexions que nous
venons de faire fur les différents Termes-corn-
plexes.
3°. Les Termes fe divifent en univoques., équivoques
, & analogues.
Les univoques font ceux qui retiennent conftam-
ment la même lignification, à quelques fujets qu’on
les applique. Tels font ces mots, homme, ville>
cheval. ,
Les équivoques font ceux qui varient leur figni»
fication félon les fujets auxquels on les applique.
Ainfi, le mot de canon fignifit une machine de
guerre , un décret de concile, & une forte d a ju f
tement ; mais i l ne les fignifie que félon des idées
toutes différentes. Nous venons d’expliquer comment
ils occafionnent nos erreurs.
Les analogues font ceux qui n’expriment pas,
dans tous les fujets , précifément la même idée ,
mais du moins quelque idée qui a un raport de
caufe, ou d’effet, ou de ligne , ou de reflemblance
à la première qui eft principalement attachée au
moi analogue ; comme quand le mot de-fain s’attribue
à l ’animal, à l ’air, & aux viandes : car l'idée
jointe â ce mot eft principalement la fanté , qui
ne convient qu’à l ’animal ; mais on y joint une
autre idée aprochante de celle-là, qui eft d’être
caufe dé la fanté, laquelle fait qu’on dit qu-’un air
"eft fa in , qu’une viande eft faine , parce qu’ils
contribuent à conferver la fanté. Ce que nous voyons
dans les objets qui frapent nos fens étant une
image de ce qui fe paffe dans l ’intérieur- de l ’âme ,
nous avons donné les mêmes noms aux propriétés
des corps & desefprits. Ainfi , ayant toujours aperçu
du mouvement & du repos dans la matière; ayant
remarqué le penchant ou l ’inclination des corps;
ayant vu que l ’air s’agite , fe trouble , & s’éclaircit ;
que les plantes fe dèvelopént, fe fortifient , &
s’affoiblifient : nous avons dit le mouvement, le
repos, l ’inclination, & le penchant de l’âme ; nous
avons dit que l ’efprit s’agite, fe trouble , s’éclaircit,
fe dèvelope , fe fortifie, s’affoiblit. Tous ces mots
font analogues ,-par le raport qui fe trouve entre
une aârion de l ’âme & une aftion du corps : il n’en
a pas fallu davantage à FUfage pour les autorifer
& pour les confacrer. Mais ce feroit une grande
erreur d’aller confondre deux objets , fous prétexte
qu’il y a entre eux un raport quelconque , fondé
fouvent fur une analogie fort imparfaite, telle qu’elle
fe"trouve entre l’âme & le corps. Voye\ les mots on
l ’on explique l ’abus du langage.
4°. Les Termes fe divifent en abfolus & en relatifs,
Les abfolus expriment les êtres en tant qu’on
•s’arrête
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s’arrête â Ces êtres & qu’on en fait l ’objet de fa
réflexion, sans les raporter â d’autres: au lieu que
les relatifs expriment les raports , les liaifons, &
les dépendances des unes ôc des autres. Voye\ les
relations.
y0,.'Le s Termes te divifent en pofitifs & en
négatifs. Les Termes pofitifs font ceux qui fignifiènt
dire&ement des idées politives : & les négatifs font
ceux qui ne fignifiènt directement que l ’abfence de
; ces idées ; tel> font ‘ces mots ; inppide , filence ,
rien , ténèbres , &c -, lefquels défignent des7 idées
pofitives, comme celles du g o û t, du fo n , de. i être,
de la lumière, avec lignification de l ’abfénce de
ces chofes.
Une chofé qu’il fâut encore obferver touchant
les- Termes , c’eft qu’ils excitent, outre la lignification
qui leur eft propre , plufie'urs autres idées
qu’on peut appeler àccejfôirès , auxquelles on ne
prend pas garde, quoique l ’efprit en reçoive l ’im-
preflion. Par exemple , li l’on dit à une perfonne,
Vous en ave\ menti , & que l ’on né regarde que
la fignification principale de cette expreflion, c eft
la même chofe que fi on lui difoit, Vous fave\
le contraire de ce que vous dijtes y mais outre cette
fignification principale, ces paroles emportent dans
l ’ufage une idée de mépris & d’outrage, & elles
font croire que celui qui nous les dit ne fe foucie pas
de nous faire injure , ce qui les rend injurieufes &
offenfantes.
Quelquefois ces idées accefloires ne font pas
attachées aux mots par un ufage comfiiun; mais
elles y font feulement jointes par celui qui s’én
feirt : &ce font proprement celles qui (ont excitées
par le fon de la voix, par l ’air du vifage,, par
les geftes, & par les autres.fignes naturels .qui attachent
à nos paroles une infinité d’idées qui en
•diverfifîent, changent*, diminuent,, augmentent la
fignification , en y joignant "l’image des mouvements
, des, jugements ,r & des opinions - de celui
qui parle. Le ton fignifie. fouvent autant que les
paroles naêmqs. I l y, a voix pour iriftruire, voix
pour flatter, voix pdür ,reprendre ; fojivèpt on ne
veut pas fçulpmeçl,.qu’e lle arrive jufqu’aux oreilles
de celui à qui on parle , mais on veut qu’elle le
frape & qu’elle le perce; & perfonne ne trouve-
roit. bon qu’un laquais , que l ’on reprend , un peu
fortement, répondît, Monjieur, parle\ plus bas,
jeivoiL?, entends bien \ parce que le ton fait partie
de la réprirpande , & eft néceflaire pour former dans
refprit.l’jdée qu’on y veut imprimer.
Mais quelquefois çes idées accefloires font attachées
aux mots mêmes, parce qu’elles s’excitent
ordinairement par tous ceux qui les prononcent :
& c’eft ce qui fait qu’entre des expreflions qui fem-
blent figniner la même chofe, les unes font injurieufes
y . les autres douces ; les unes modeftes, &
les. autres' impudentes ; quelques-unes honnêtes , &
d autres déshonnêtes ; parce que, outre cette idée
principale en quoi elles conviennent , les hommes
Gr am m . e t Li t t é ra t . Tome 11L
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y ont attaché d’autres idées qui font caufe de cette
aiverfité.
C ’eft encore par là qu’on peut reconaoître la
différence du ftyie fimple & du ftyle figuré ; &
pourquoi les mêmes penfées nous paroiffenl beaucoup
plus vives quand elles font exprimées par
une figure , que n elles étoient renfermées dans
des expreflions toutes fimples. Car cela vient de ce
que les expreflions figurées fignifiènt , outre la
chofe principale, le mouvement & la paflïon de
celui qui parle , & impriment ainfi l ’une & l’autre
idée dans i’efprit; au lieu que l ’expreffion fimple
ne marque que la vérité toute nue. Par exemple,
fi ce demi-vers de Virgile , Ufque adeo ne mori
miferum .e ft, étoit exprimé fimplement & fans
figure de cette forte , Non eft ufqûeadeo mori
miferuiriy certes il auroit beaucoup moins de force :
& la raifon en eft, que là première expreflîon
fignifie beaucoup plus que la féconde ; car e lle
n’exprime pas feulement cette penfée, que la mort
n’eft pas un fi grand mal qu cm le croit, mais
elle rçpréfente de plus l’idée d’un homme qui fe
roidit contre la mort1 & qui l’envifagé fans effroi;
image7 beaucoup plus vive que n’eft la penfée même
à laquelle elle eft jointe. Ainfi, il'n’eit pas étrange
qu’elle frapé davantage, parce que l ’âme s’inftruit
par les images des vérités , mais elle ne s’émeut guère
que pair l’image des mouvements.
S i vis me flere , dolendum efi
Trimum ipji tibi.
Mais comme le ftyle figuré fignifie ordinairement
, avec les chofes, les mouvements que nous
reffentons en les concevant 8c en pariant ; on peut
juger par là de l ’ufage que l ’on en. doit faire, &
quels font les fujets auxquels il eft propre. Il eft:
vifible qu’il efi ridicule de s’en fervir dans les matières
purement fpéculatives , que l ’on regarde d’un
oeil tranquile , & qui ne produifent aucun mouvement
dans l ’efprit ; car puifque les figures expriment
les mouvements de notre âme, celles que l ’on
mêle en des fujets où l ’âme ne s’émeut point, font
des mouvements contre nature & des efpèces de
convulfiofts : c’eft pourquoi il n’y a rien de moins
agréable que certains prédicateurs qui s’écrient indifféremment
fur tout, & qui ne s’agitent pas moins
fur des raifonnements philofophiques , que fur les
vérités les plus étonnantes &les plus nécefTaires pour
le falut. ;
Mais lorfque la matière que l ’on traite eft telle
quelle nous doit raifonnablement toucher, c’eft un
défaut d’en parler d’une jjia,uière sèche , froide , &
fans mouvement; parce que c eft un défaut de n’être
pas touché de ce que l ’o n a it . Ainfi, les vérités
divines n’ étant pas propofées fimplement pour être
connues., mais beaucoup plus pour être aimées,
révérées , .& adorées par les hommes ; i l eft certain
que la manière noble , elevee , & figurée, dont
les faints Pères les ont traitées., leur eft bien plus