
y v o it com m ent l'o rateu r p eu t tir e r , du' fonds de
Fon fujet ou de la caufe qu’il agite , ces argum ents ,
ces formes d e . p en fée, d’affertion , & de réfutatio
n , qui doivent com pofèr la Preuve j on y voit
com m en t, au befoin, il peut les tirer du dehors : out
ex fuâ fumi re atque naturâ, aut afiitmi f bris.
( De Orat. ) O n y v o it com m ent fe décident ces
tro is grandes queftions qu i embraffent to u t $ an fit,
quid fit, quale fit : com m ent la nature des chofes
ie dèvelope & fe fait connoître p a r la définition ,
p ar la divifîon du genre en fes efp èces, du T o u t
en fes parties p a r les fim ilitudes & par les différences,
p ar les causes & les effets , par l ’o p p o -
fition des contraires : com m ent l ’exiftenee des faits
fe prouve ou fe débat p ar les in d ices, les té m
oignages , les circonftances qui o nt précédé , accom
pagné , fuivi le fait dont il s’agic $ p ar la natu
re du fait m em e , ou par lé cara& ère de la per-
fonne à la q u e lle il efi im puté v.- com m ent l’efpèce
& la q u alité du fait fe détermine ou par lui-m êm e
ou par les circonftances q ui le cara& érifent, & qui
fo n t voir q u e lle en efi la m a lic e , l’iniquité F in-
d ig n ité , ou la b o n té, l ’éq u ité, l ’innocence* L o is ,
e x em p le s, au to rités, ufages, opinion com m u n e,
m oe urs p u b liq u e s, m oe urs perfonnelles, caractère
& genie n a tio n a l, to u t p eu t contribuer à la Preuve
& y trouver place. Voye^ Moyens.
Mais o n fe n t hien qu elle diffère d’e lle-m êm e ,
felon le genre du difcours & la .nature du. fu jet :
q u e , par! exem ple , dans ces trois queftionsan fit \
quid, f i t , cfunie f it , qu i conviennent égalem ent
a la thefe philosophique & à l’hypothèfe orato
ir e , la Preuve a g it différemment ; par conjecture
dans la p rem ie re , par définition dans la fécondé,
& par difcuffion du droit dans la troifièm e : horum
primum conjectura ,. fecundtim definitione , ter-
tium juris & injurias dijlhictione expVtcatur.
O n font de mem e que , dans ' les caufes conjedu-
ra le s , félon le p o in t dont il s’a g it & felon l ’état de
la eau le ,/it ne illiquid, unde ortum f i t , qiuE id
eau fa effeeerit, la Preuve doit changer de procédés
•& de m oyens : que, s’il s’agit feulem ent de lavoir
q u e lle efi la q u alité m orale d’une chofe , ou s’il
s a g it de la com parer avec une a u tre , & de dé-
term iner la q u e lle des deux , p ar e x em p le , efi la
p lu s honnete , la p lu s u tile , ou la plus jufte j la
I reuvetmbraffe p lus ou m oins d’étendue : que, dans
les queftions de d ro it, c*eft de l ’équité q u i! s’agit ,
' Ÿ naturel & infihuto ; q u e . dans les caufes per-
io n n e lle s , c e ft de la volonté , de l ’intention , de
1 im prudence , du h a fà rd , de la néceffité ou de la
liberté , de la nature & des circonftances de l’actio
n des m oe urs, des habitudes-, des qualités de la
perlonne , que 1 accufation & la défenfe tirent lés
rorces de la Preuve.
P n ^eiît ep-fin > & ceci regarde tous les genres
d E lo q u e n c e , que c’eft toujours au p oint de la d JP
ficulté , au p o in t où ladverfaire ou l ’incrédule
efi en defenfe , in quo primum infifiit, qua fi ad re-
pugnandum, congrejfa defenfio, & qu’o n a ap p elé
pour cela fia tus , .la fiation ou Y état de la caufe*
que c’eft là , dis-je, que la Preuve doit fe». diriger
tout entière : car c’eft une déclamation oifeulè,
une Rhétorique perdue, que de prouver ce dont l ’au.-
ditoire ne doute pas ou dont l’adverfàire convient:
& c efi non feulement un vice allez commun de
1 Eloquence de la Chaire, mais du langage du
Barreau j d’où il arrive que dans un long difcours
tout efi prouvé , hormis ce qui a befoin de l’être.
Quant aux formes d’argumentation dont la preuve
oratoire efi fufceptible, elle n’en refufe aucune ;
mais elle les déguife toutes , en les envelopanÇ,
qu’on me paffe le terme, des draperies de l’ÉIô*-
quence. Ce n’eft pas que l ’orateur n’infifte quelquefois,
dans une difcuffion véhémente, à la manière
du dialecticien ; & alors plus le raifonne-
ment efi ferré , plus il efi preflanc : mais un dif*
cours où la crudité de l ’argumentation ne feroit
jamais adoucie , rebuteroit fon auditoire avant de
i avoir convaincu.; I l efi donc néceffaire de polir
les formes logiques , mais il faut les laiffer fen-
tir & ne jamais les énerver y ce font elles qui
donnent à l ’Éloquence une fiature ferme, folide ,
& régulière : un corps défoffé n’eft qu’un mole de
chair. Il en' feroit ainfi de l’Éloquence à laquelle
une Logique auftère ne prêteroit pas fes appuis, fes
mobiles , & fes refforts.
Mais quoique toutes les formes logiques, animées
par les peintures & les mouvements oratoi—
res developées par l ’amplification, revêtues des
ornements d’un ftyle figuré , harmonieux , fenfible r
appartiennent à l’Éloquence ; il en efi cependant
qui fomblent lui être plus favorables. J’en indiquerai
quelques-unes.
L ’énumération exçlufive, & que les mathématiciens
appellent la Preuve par épuifement : Vous
voulez être heureux , & vous ne le ferez ni par
1 ambition ni par l’avarice , ni parla volupté , ni
par urie molle indolence, & e , &c ; effayez donc au
moins de l’être par le travail & la vertu*
L ’énumération collective : Demandez à tous les
peuples du monde, au gaulois, au germain, au carthaginois,
quel eft celui que chacun d’eux e£-
time le plus âpres lui-même , tous vo-us répondront,,
Les romains.
L ’oppofîtion : Si l ’homme foible & malheureux
eft un être facré pour l ’homme j celui qui Tinfulte
ou qui l ’accable n’eft pas feulement inhumain, i l
eft impie & facrilège.
L ’alternative coritradiCtoire, & à laquelle il n’y
a ■ point de milieu ( ce que les anciens appeloient
dilemme, & figurément te bélier,. comme l ’argument
le plus fort). Ainfi,, Craffus, en plaidant la-
caufe d’Opimius , qui, en exécution d’un fénatus-
confulje, avoi-t fait tuer Taîné' des Gracches : A u t
fenatui parendum de falute reipublica f u i t , aut
aliud confilium inflituendum , aut fu â fponte f a -
ciendum : aliud confilium fuperbum, fuum arro'-
gans ; utendum igitur fu i t confiliofenatûs. (D e
ratore. )
L a comparaifon fini,pie , comme Achille dans
l ’Iliade: » Pourquoi les grecs font-ils la guerre aux
» troyens ? n’eft-ce pas pour faire rendre Hélène
» a Menelas ? Eh n’y a-t-il donc que les Atrides
» qui aiment leurs- femmes » ?
La comparaifon du plus foible au plus fort : Si
tout homme , pour fa propre défenfe , a droit d’ôter
la vie à fon agreffeur ; combien plus à un fcélérat,
a ün facrilège , à l ’ennemi des hommes &de$ dieux,
tel que l ’a été Clodiùs ? Cui nilul n e f as unqitam
f i i i t , nec in facinore nec in libidine ?
La fuppofition , que Cicéron regarde comme une
des fources les plus fécondes de la Preuve oratoire ,
& dont fe fervit Démofthène avec tant^de force pour
juftifier fes confeils : » S i , par une lumière pro-
w phétique, tous les athéniens avoient démêlé les
» évènements futurs , & que tous les euffent prévus,
» & que vous, Efchine, vous les eufliez prédits & cer-
» tifiés avec votre voix de tonnère;. Athènes, même
» dans ce cas, auroit dû faire ce qu’elle a fait,,
» pour peu qu’elle eut refpeélé fa gloire , & fes
>» ancêtres, & les jugements de la poftérité».
C ’eft par cette même forme de raifonnement que ’
Cicéron preffe les juges de Milon, en plaidant-fa caufe.
( x x v iij. 77 )• S i cruentumgladium tenens clama-
ret Titus Annius ( Milo ) : A défi e , quaefo , atque
audite, Cives. P.Clodium interfeci ,• ej us fu r ores,
quos nullis'jam le gibus , nullis jud iciis frenare
poteramus, hoc ferro & hâc dexterâ àcervicïbus
vejlris repuli ; per meunum, ut ju s , ce quitus, leges,
libertas, pudor , pudicitia in civitate manerent :
effet ne mendum quonam modo idfer ret civitas ?
Et plus bas ( x x jx 79 ) •' Fingite ... cogitatiohe imaginent
hujüs conditionis mece , fi poffim efjtcere ut
Æilonem abfolvatis, fed i ta , f i P . Çlodiu's revi-
ixerit i .i.quonam modo ïlle vos vivus aM cerét ? ...
Quid? Si ipfe Cn. Pompeius . . . . potuijfet aut
quæfiionem de morte Pub. Clodii ferre, aut ipfum
ab inferis excitare ; utrum putatis potiiis fa c -
turum fuijfe ? etiamfi, profiter amicitiam , vellet
ilium ab inferis evocare, propter rempüblicam
non fecijfet. F ju s igitur mortis fedetis ultorés ,
cujus vitam, fî putetis per vos refiitui pojfe, nol-
letis ; & de ejus nece lata quæfiio efi , qui f i ,
eâdem lege , revivifeere p o jfe t, lata lex nunquam
effet. Hujus ergo inierfecîor qui effet, in confi-
.tendo ab iifne poenam timeret, quos liberaviffet ?
Mais toutes ces formes fe réduifent à l ’induclion
& au fyllogifme.
L ’indu&ion eft une manière détournée & artifi-
cieufe d’amener fon adverfaire pu fon auditeur , de
la conviction d’une vérité reconnue ou dont on le
fait convenir, à la conviction d’une vérité dont il
ne convient pas ericote ; & cela par l ’analogie &
la reffemblance de l’une à l ’autre : en forte qu’après
avoir cédé à celle-là, il ne lui fait plus polftble
de réfifier raifonnablemént à celle-ci.
ÏI faut, pour donner à IHnduCtion toute fa force ,
s’affùrer d’abord de pouvoir rendre ineonteftable le
premier point de la comparaifon, ou , ce qu i eft
mieux encore , le choifir tel que , par l ’op in io
déjà établie, il n’ait pas befoin de Preuve: i l fan
de plus obferver avec foin que la fimiiitude foit parfaite
j car fans cela « nous aurions inutilement ob-
» tenu , dit Cicéron , que l ’un des points nous fût
» accordé, s’il n’avoit pas a fiez de reffemblance
» avec celui qui nous intéreffe , pour nous le faireft
» accorder de même ». Et comme il n’arrive prefqu^
jamais qu’une première vérité foit d’une evidence
irréfiftible , il veut que l ’orateur, en propofant cell _
qui n’eft pas de,la caufe , mais qui doit lui ferviq.
de Preuve , n’en laiffe pas apercevoir le raporc
& la conféquence , & qu’il araene ainfi l’adverfair
à fon but par un chemin qui lui foit inconnu. « Ca
» s’il eft averti qu’en accordant ce qu’on lui pro.-*
» pofe d’abord, il s engage inévitablement à con"
» venir enfuite de ce qui nuiroit à fa caufe • il
»> commencera par éluder la première queftion-,
» ou par y mai répondre ».
On font combien cet art de cacher fon defTein
à un adverfaire attentif & clairvoyant, eft difficile ;
combien d’ailleurs une fimiiitude, fans quelque
différence , eft rare, & combien par conféqueut la
méthode deTinduélion eft périlleufe dans un genre
d’Élo quence fujet à la difcuffion. Mais autant elle
eft peu favorable au Barreau, autant elle eft propre
à la Chaire , om, pour me fervir de la métaphore
de Zénon , l ’Éloquence a la main ouverte , au lieu
que , dans la plaidoirie, elle eft fouvent obligée
d’avoir le poing fermé comme la Dialectique. Ainfi,
autant l ’indudtion, par fa latitude Sc fa fécondité „
eft favorable à l ’Éloquence raflez forte, lorfqu’il ne
s’agit que de rendre fenfîblement une vérité morale
déjà vaguement aperçue., autant elle me femble
trop foible pour démontrer une vérité, foit de fa it,
foit de droit, ou, inconnue , ou méconnue , ou formellement
conteftée. La méthode du fyllogifme
eft plus preflante ; & l ’on en va juger par l ’exemple
même que Cicéron nous ,donne de l’une &
-de l’autre. Cet exemple eft tiré d’une caufe fort
célèbre parmi lés grecs. Il s’agit de condanner ou
d’abfoudre Épaminoridas d’avoir défobéi à la loi ,
qui, chez les thébains , ordonnoit à un Général de
céder le commandement à celui que la République
envoyoit pour le remplacer ; d’avoir retenu quelques
jours fon armée, & d’avoir défait celle des lacé-
démoniens.
L ’accufateur , dit Cicéron, pourra défendre ainfi
la lettre de la loi contre l’efprit de la loi même.
« Magiftrats, fi ce qu’Épaminondas prétend que le
» légiflateur a foufeijtendu dans la lo i , il prenoit
» fur lui de l ’y ajouter Sc d’écrire lui-même au
» bas, à moins que, pour le bien de la République,
» le Général defiitué ne juge àpropos de retenir
» le commandement de Varmée ; ‘fouffririez - vous
» qu’il l’écrivît ? Je ne lepenfê point. Quefivous-
» mêmes, par égard pour lui , vous ordonniez (ce
» qui eft bien éloigné de votre religion & de votre
» juftice ) , vous ordonniez que, fans l ’ordre du