«le montagne en montagne, annoncer la chute du
monde. 11 lui fera voir le feu bleuâtre des éclairs
fe brifer en lames étincelantes , & fendre à filions
redoublés cette maffe oblcure de nuages qui femb-le
affaifler Thorîzon. Tandis que l’un tâche d’expliquer
l ’émanation- des odeurs, l ’autre rend ce phénomène
vHible à l ’efprit, en feignant que les Z é phyrs
agitent dans l ’air leurs ailes hume&ées des
larmes.tfe l ’Aurore & des doux parfums du matin.
Que le confident de la nature dèvelope le prodige
de la greffe des arbres; c’eft affez pour Virgile de
l ’exprimer en deux- beaux vers :
E x iit ad coelum, ramis felisïbus, arBos,
J&ïraturqiie noyas frondes & non fua porno*.
On voit, par ces exemples , que les études du
Poète ne font pas celles du philofophe. Celui-ci
étudie la nature pour la connoître ; & celui - là ,
pour l ’imiter : l’un veut expliquer, & l’autre veut
peindre. I l faut avouer cependant que, fi les profondes
recherches du philofophe ne font pas effencielles
au Poète,. au moins lui fer oient-elles d’une grande
utilité ; & celui que la nature a initié dans fes
myftères, aura toujours, fur des hommes luperfi-
eiellement inftruits»,. un avantage prodigieux. La
Phyfique eft à. la Poéfie ce que l'Anatomie eft à
la Peinture : elle ne doit pas s’y faire trop fentir;
mais revêtue des grâces dé la fiétion, elle y joint
le charme dé la vérités
L a fimple nature eft donc pour la Poéfie une
mine abondante ; la nature modifiée par l’induf-
trie n’a pas moins de quoi l ’enrichir.
La théorie de l ’Agriculture, des méchaniques ,
de la Na vigationtous - les arts de décoration ,
d’agrément,. & tous ceux des arts utiles- dont les
détails ont quelque nobleffe , peuvent contribuer
à la collection dés lumières du Poète. 11 doit en
être affez inftruit pour en tirer à propos des images,
des coraparaifons, des deferiptions- même,. s’i l y eft
amené r
P a lla f it ingenio quam non liBaverit artsnr.
Vida.-
G’eft pas la qu’en évite la sèchereffe & la fté-
rilité dans les chofes les plus communes, .& qu’on
peut être neuf enun. fu.j.et qui paroît ufé
Tantum, de. medio fumptis. accedit honoris
Hor.
Dans l ’étude de la naturq*modifiée eft comprife
celle des productions, de l ’efprit, de fesdèvelope-
ments, & de fes progrès en Eloquence , en Morale
, en Poéfie, &c.
Que l ’étude des Poètes foit effencielle à un
Poète,. c’eft ce qui n’a pas befoin de preuve :
Hinc peiïore numen-.
Concipiunt y aies*
M ais on 'n’eft pas affez perfuadé .que les p h ilo -
fophes , les orateurs , les hiftoriens profonds ; que
T acite , P lato n , M o n taig n e, D ém ofthène , M af-
fillo n , Boffuet % & ce P afcal qui ne fàvoit pas
com bien il éto it Poète lorfqu’ll inéprifoit la
Poéfie , en font eux-m êm es des. fources inépuifa-
bles. I l eft cependant bien aifé de reconnoître , à
la plénitude & à l’abondance des. fentiments & des
idées , un Poète nourri, de ces études* I l en eft
une fu rto u t, que j’appellerai la com pagne du
travail & la nourrice du génie c’eft la. leCture
habituelle de quelque auteur ex cellen t, dont le
ffyle & la couleur foient analogues- au fujet que
l ’on traite* D ’une féance à l’autre , l ’âme fe dérange
par le m ouvem ent & la difiipation. : i l faut
la rem onter au ton de la nature & l’auteur duquel
je confeille de faire ufage ", eft com m e un
inftrum ent fur leq u e l on prélude avant de chanter.
Il y a des mom ents de langueur où le génie femble
épuifé.;
Cxedas penïtüs migrajfè C amenas'r
Vida»
on fé perfuadé qu’il eft prudent d’attendre alors; *
dans le repos , que le fèu ' de l ’im agination fe rat*
lum e ;
Adventumque d'd & fiicrum exfpectare calorem r-
Ibid.-
on fe tro m p e ; cet abandon dé foi-m êm e fe change
en habitude , & l ’âme infenfiblement s’accoutum e
à une lâche oifiveté. I l faut avoir recours à des
études qui ranim ent la vigueur du génie ; & lorï-~
que , par ce-ttï?nourriture , il aura réparé fes forces ,,
le défir dé produire v a bientôt, l ’exciter avec de. nouveaux
aiguillons-.
L a T h éo lo g ie dès philofopKes eft encore utv
cham p vafte & fe rtile ,, ou le génie peut moif-
fonner. O n diftingue les fiétions qui ont pris naif-
fànce au fein de la P h ilofophie'; on les diftingue
des fables vulgaires , à la jufteffe des raports , &
à certain air de vérité que celles-ci n’ont jamais:
L a raifon mêm e applaudit ,. dans les poèm es de
V irg ile ,. toutes les fables qu’il a empruntées;
d’E picure , de P y th a g o re , & de P laton. L ’im agination
fe repofe avec délices fur un m erveilleux plein»
d’idées.; elle gliffe avec dédain fur un, menfonge vide
de fens*
Q u e l ’on com p are, dans H o m è re , la chaîne
d’or attachée au trône de Ju p ite r, la ceinture de
V én u s, l ’allég o rie des P riè re s, l ’ordre que le dieu
Mars donne a la T erreur & à la F u ite d’a tte le r
fon c h a r; que l’on com pare , dis - je , le plaifir
pur & p lein que nous caufent ces belles idées ,,
ces idées philofophiques , avec l ’impreffion foible
& vague que fait fur nous la parole accordée aux
chevaux d’A c h ille ,.le préfent qu’É o le fait à U lvffô
des vents enfermés dans une outre , le foin que
prend Minerve de prolonger la première nuit que
ce héros , à fon retour paffe avec Pénélope fa
femme, &c ; on fendra combien la vérité donne
de valeur au raenfonge , & combien la feinte eft
puérile, infipide , loi (qu’elle n’eft pas fondée en
raifon. Je l’ai déjà dit , & je le répéterai fouvent ,
plus un Poète , à génie égal, fera philofophe , plus
i l fera- Poète,
Le plan d’études que je viens de tracer , propofé
à un feul hornrne , feroit fans doute effrayant ,
quoique notre fiècle ait l ’exemple d’un génie qui
l a rempli. Mais on a dia voir que, pour éviter
là diftribution 'des études , j’ai tuppôfé le Poète
univerfel* Il eft évident que celui qui fe renferme
dans iê genre de l ’Églogue , n’a pas befoin des
études relatives à l ’Épopée. Je parle donc en général
; & je laiffe à chacun le foin de choifir 1 ef-
pèce d’aliment qui convient i la nature de fo-n
génie :
sltque tuis prudens genus elige viribus aptum*
Vida *
J’obférverai feulement qu’i l en eft des connoifo
fances du Poète comme des couleurs du peintre ,
qui doivent être fur la palette avant qu’il prenne
le pinceau. G’eft par un recueil beaucoup plus
ample que le fujet ne l ’exige , qu’il fe met en
état de le maitrifer & de l ’agrandir. L e plus beau
fujet, réduit à fa fubftarîce, eft peu de chofe ; il
ne s’étend , ne s’embellit que par les lumières du
Poète ; & dans une tête vide , ii périra comme
le grain jeté fur le fable : au lieu que, dans une
imagination pleine & féconde, un fujet qui fem-
bloit ftériLe ne devient que trop abondant ; & cet
excès, dans un homme de goût , ne fu t - i l pas
-* tout à fait fans danger , il feroit encore vrai' qu’à
l ’égard dé l ’efprit, rien n-’eft pire que l’indigence.
* flli qui tutnent & abundantiâ laborant, plus
kabent furoris , fed etiam p lus corporis. Semper
; autem ad fanitatem proclivius eft quod potejt
detractione curari. ILlï fuccurri non pote fi qui:
Jimul & infanit & déficit. Sente, f M. Ma r m ON-■
TELe )
S O N
S o n n e t , r; m.L e sonnet e<i un petit
poème qui femble avoir la fupériorité fur toutes
les autres petites pièces, de Poéfie , à; caufe de
1 exactitude qu’on exige dans les quatorze vers'
dont il eft compofé la' moindre négligence y
paffe pour un crime; & on exigé, avec une élé-
§ànce Continue, que le Sonnet foit vif & naturel-.
pileau ( A rtpoé t. G L I I , vv. 83— 514) dit qu’un-
jour Apollon,
Voulant pouffer à bout t;ou,S les rimeufs françois ^
Inventa du' Sonnet les rigoureufes lois;
Voulut cju’en deux Quatrains de rnefûre pareille,
La Rime avec deux fon s frappât huit fois l’br'eille'ÿ
Et qu’ ecfufte'fix vers, artifietaent ranges
Fuflenr en deux Tercets par le fens partages;
Surtout de ce Poème il bannit la licence :
Lui-même en mefura le nombre & la cadence-;:
Défendit qu’un vers foible y pût jamais entrer
N i qu’un mot déjà, mis osât s-’y remontrer.
Du refie;, il l’enrichit d’une beauté fuprême
Un Sonnet fans défaut vaut feul un long Poème.
Les quatorze vers du Sonnet doivent donc renfermer
deux Quatrains & deux Tercets , ayant
chacun un fens parfait & féparé, quoique le fens
total du Sonnet doive être un ; d’où réfulte un
xçpos marqué après le quatrième ,, le huitième , &
l ’onzième vers. •
D a n s u n Sonnet r é g u lie r , le s d e u x Q u a tra in s
S O N
doivent n’avoir que deux rime's , & placées ferrf-'
blablement dans chacun. Le premier Tercet coin-’
mence par deux rimes fèmbiables, & les rigide»
exigent que le ttoifième vers de ce Tercet rime
avec le fécond du fuivant : ils veulent encore ,
fi le Sonnet commence par une rime féminine ,
qu’i l finiffe par une mafeuline ; & au contraire y
s’ il commence par une rime mafeuline, qu’il finiffe
par une féminine. Voici donc un exemple d’urt
Sonnet régulier, de la façon du légiflateur même',
de Boileau-.
Nourri- des le berceau prés de la jeune Orante,-
Et non moins par le eoe-ur que par le fang lié ,
A fes jeuxs innocents enfant afiocié , .
Je goûcois le? douceurs d’ une amicié charmante ;■
Quand un faux Efculàpe, à cervelle ignorante t
A la fin: d’un long, mal vainement pallié.
Rompant de fes- beaux jours le fil trop- délié r
Pour jamais me ravit' mün aimable" parente*
O qu’ un fi rude coup me fit verfer de pleurs!
Bientôt la plume en main Ggnalant mes douleurs,
Je demandai raifon d’ un acte fi perfide :
O u i, j ’en fis dès quinze ans ma plainte à l’ univer^ÿ
Et l’ardeur de venger ce barbare homicide
Fut le premier démon qui m’infpirâ des vers«-
L a loi qui exige que la rime finale foit d’t»