
le poète doit obferver, s’il veut que l’illufîon
le fout.enne. Des incidents détachés l ’un de l ’autre ,
ou ma) adroitement lié s , n ont plus aucune vrai-
femblance. 11 en eft du.moral comme du phyfique,
& du merveilleux comme du familier : pour que
la contexture de la fable foit parfaite , il faut
qu’elle ne tienne au dehors que par un feul bout,
a ous les incidents de l ’intrigue doivent naître fec-
cefïivement l ’un de l ’autre , & c’eft la continuité
de la chaîne qui produit l ’ordre & l’unité. Les
jeunes gens, dans la fougue d’une imagination pleine
de fe u , négligent trop cette règle importante:
pourvu qu’ils excitent du tumulte fur la Scène j &
q.l’ils forment des tableaux frapants, ils s’inqùiè-
t-nt peu des liaifons, des gradations, & des paffages.
G’eft par là cependant qu’un poète eft le rival de
la nature , & que la fiction eft l ’image de la vérité.
( ^ Le P la n d’une bonne comédie me femble au
moins aufli difficile à former que celui d’une tragédie
; & j’avoue que dans aucun genre il n’eft
aucun P la n qui m’étonne autant que celui du Tartufe.
- , : *
L e P la n du Poème épique eft plus vafte , mais
moins géné : le génie du poète , affranchi de la
règle des unités , s’y trouve infiniment plus libre.
Mais cette àifance elle-même eft la caufe des
écarts ou il s’abandonne , & du froid que des
épilodes trop inutiles & trop fréquents répandent
dans fon action. Enchaîner les évènements , les
faire naître les . uns des autres , les faire tous fervir
à nouer 1 aCtion & à . graduer l ’intérêt ; voilà les
lois que l’inventeur doit s’impofer , lorfqu’i l conçoit
& médité fon P la n y & à cet égardnous avons
des, romans mieux conçus que les plus beaux poèmes.
En Éloquence, la méthode eft la même pour la
génération des idées, pour la gradation du pathétique,
pour l’ordre, le raport, & l’enchaînement des parties,
enfin pour la tendance des moyens à un but commun;
mon refped pour Cicéron , que je confulte^ comme
un oracle toutes, les fois qu’il s’agit de fon ar t, ne
m’empêche pas de différer ici de fon opinion fur l ’ordonnance
du difcours. Il veut que l'orateur, en diftri-
buant fes moyens , en choififle de fermes pour le
commencement, garde les plus forts pour la fin,
& .qu’au milieu , comme dans la foule , i l faite
paner les plus foibles. I l me femble au contraire
que toute fucceffion du fort au foibie eft vicieufe ;
& que 1 attention fe ralentit, comme l ’intérêt
diminue, fi l ’an ne fe fent -pas mené graduellement
du plus foibie au plus fort.
• I l eft fans .doute important de donner , dès l ’entrée,
une haute idée de fon fujet, une opinion favorable &
impofente de fa caufe ; maison le peut en annonçant
jp£tte progrefïïon de moyens, & en prévenant l’Auditoire
fur l’accumulation des preuves & fur l ’ac-
croiffement desiorces qu’on s’engage à dèveloper.
J ’appliquerai donc , à l ’ordonnance du difcours &
^ ’économie de la preuve elle-même ce que dit
Cicéron en parlant de l ’exorde : Nihil eft in na-
turu rerurrf, quod fe univerfum profundat & quod
totum repente tvolet. Sic Omni a qiiae fixent qiice-
que aguntur acerrimè , lenioribus principiis na-
tura ipfa pertextuit.
Dans la nature tous les commencements font
foibles : on doit s’attendre que l ’art procédera comme
elle , & ménagera fes moyens. Mais des moyens
foibles ne font pas des moyens faux. Ceux - ci
jamais, Cicéron en convient, ne doivent entrer
dans la caufe. Il ne s’agit que du plus ou moins
de vraifembiance, ou du plus ou moins d’impul-
fion. Or foit qu’on agiffe fur l ’entendement ou fer
la volonté , fur l ’efprit ou fer l ’âme , je crois que
dans un P lan il faut diftribuer fes forces, de manière
que la perfeafion , l’émotion , l’intérêt , la
lumière, la chaleur, aillent en croiffant du commencement
à la fin..
La feule exception que j’y trouve, eft le cas ou,
dans la réplique, on auroit à vaincre dans les efprits
une forte prévention, une perfeafion profonde que
1 ad ver faire y auroit laiflée : alors c’eft comme un
pofte , dans un champ de bataille , qu’ il v s’agit
d abord d’emporter , & à l ’attaque duquel on eft
obligé d’employer ce qu’on a dé plus vigoureux. Mais
lorfqu’une circonftance pareille n’oblige pas de
renverfer la progreflîon naturelle des idées,' des
fentiments, des procédés enfin de l ’Éloquence ;
je penferois qu’on devroit toujours aller du foibie
au fort, & graduer ainfi fens ceffe l ’attention,
la perfeafion , l ’émotion de l ’auditeur.
Du reite, il n’en èft pas du P la n d’un plaidoyer
comme de celui d’un fermon ou d’une harangue.
Dans celui-ci ( qu’on me permette la com-
paraifon ) , l ’orateur, comme le danfeur, eft le
maître de fe donner l’attitude, les mouvements ,
les dèvelopements qui lui font favorables ; & il
pafle de l ’un à l ’autre avec une pleine liberté.
Dans le plaidoyer au contraire l ’orateur reffemble
au lutteur : fon aCtion eft fouyent commandée &
contrainte par celle de fon adverfaire ; & par une
comparaifon plus noble , Quintilien nous fait voir
que fes difpofîtions , fon ordre de bataille, doivent
s accommoder au pofte Vaux mouvements, & aux
forces de l ’ennemi. Voye-z R h é t o r i q u e .)
( M . M A R M ON T E L . )
( N. ) PLATIASME , f. m. Ce mot vient du
.grec yAarus , latus , large ; dou rXotrué^to , os
dilcito y ou o ré in latum diducîo loquor ; & enfin
le nom waaniao-fo; , manière dé parler en ouvrant
beaucoup là bouche.
L e Platiafme eft donc un vice de prononciation
, qui confîfte à parler la bouche fort ouverte ,
en pouffant au dehors de grands fons, mais confus
& inarticulés ; de forte qu’on entend en effet le
bruit, mais fens pouvoir y rien diftinguer.,
Le Platiafme n’eft point un vice de nature :
c’eft un vice de négligence , ou peut-être d’affectation
; car il eft poffible que ceux qui parlent
ainfi, s’imaginent que ces fons - éclatants donnent
à leur parole de la force & dé la majefté y mais
céla n eft propre au contraire qu’à lui ôter fe perfection
la plus effencielle , l ’articulation de la voix ,
qui dès lors n’eft plus qu’une image confufe , infidèle,
& inutile de la penfée.
C ’eft donc un défaut que doivent éviter avec
foin ceux furtout qui parlent en public : car il ne
faut que quelques mots prononcés de la forte ,
pour faire perdre à l ’auditeur le fens de toute une
période ; 6c plufieurs périodes manquées par ce
défaut de prononciation, rompent la chaîne de
tout un difcours, empêchent qu’on n’en feive le
plan, qu’on n’en faifîffe le but, qu’on n’en retienne
quelque chofe de net & de précis.
Les muficiens mêmes , chez qui ce défaut eft
bien plus ordinaire, parce qu’ils font plus occupés
des tons que des articulations, gagueroient infiniment
à éviter le Platiafme : la Mufique eft d’autant
plus belle , qu’elle eft mieux adaptée aux
paroles j eh comment juger de cet accord fi pré^
deux, fi une mauvaife prononciation dérobe les
paroles à l ’oreille la plus attentive? Tout Paris
prodiguoit récemment fon. admiration à une cantatrice
aiftinguée , parce qu’à toutes les autres parties
requiles pour la perfection du chant elle
ajoutoit le mérite d’une articulation nette, franche,
6c bien prononcée. (M . B e a u z é e . )
P L E IN , REMPLI.Synonymes*
I l n’en peut plus tenir dans, ce qui eft plein. On
n’en peut pas mettre davantage dans ce qui eft
rempli. I.e premier a un raport particulier, à la
capacité; & le fécond, à ce qui doit être reçu dans
cette capacité.
Aux noces de Cana, les pots furent remplis
d’eau ; & par miracle, ils fe trouvèrent pleins
de vin. ( JJ abbé G lR A R D . )
P LÉO N A SM E , f. m. Grammaire. C ’eft une
figure de ConftruCtion , difent tous les grammairiens
, qui eft oppofée à ÏE llip fe ,* elle fe fait
lorfque dans le difcours oa met quelque mot qui
eft inutile ^our le fens , & qui 'étant ôté laiffe le
fens dans fon intégrité. C ’eft ainfi que s’en.explique
l ’auteur du Manuel des grammairiens , part. i ,
jchap* xiv , n°. 6. « I l y a Pléonafme, dit du » Marfais ( article Fig u re) , lorfqu’il y a dans
» la phrafe quelque mot fuperflu , en forte que le
» fens n’en feroit pas moins entendu, quand ce
» mot ne feroit pas exprimé; comme quand on
» dit , Je l’ai vu de mes ieux , Je l ’ai entendu
» de mes oreilles y J ’irai moi-même : mes ieux y
» mes oreilles y moi-même y font autant de Pléo-
» nafmes». Sur le vers z i i du liv. i d e l’Énéide,
Talla voce refert t &e »
Servius s’explique ainfi : »Atoieur/Aos efi , qui f i t
quoties adduntur fuperflua , ut alibi , vocem-
que bis aijribus haufî : Terentiys; His ocjilis egomet
yidi.
C ’eft d’après cette notion généralement reconnue
que l ’on a donné à cette figure le nom de P lév -
nafime y q où eft grec iv Monter fd s y d e s , re-
dundare ou abundare ; R. vaIos ; plenus > en
forte que le mot de Pléonafme fignifie on Plénitude
ou Superfluité.
Si on veut, comme on le doit, entendre le mot
de Pléonafme dans le premier fens ; c’eft une figure
de Syntaxe , par laquelle on ajoute, à une phrafe,
des niots qui paroiffent feperflus par raport à
l ’intégrité grammaticale, mais qui fervent pourtant
à y ajouter des idées, acceffoires ferabondantes ,
foitpour y jeter de la clarté , foit pour en augmentet
l ’énergie.
Si on prend le terme de Pléonafme dans le
fécond fens, dans le fens de Superflui-té/ c eft un
véritable défaut , qui tend à la Battologie ( P'oyerL
Battologie). C’eft au fonds ce qu’on nomme généralement
Périffolôgie. Voyi\ P érissologie.
I l me femble i°. que c’eft un défaut dans le
langage grammatical , de défigner par un feul 6c
même mot deux idées aufii oppofées , que le font
celle d’une figure de Conftru&ion & celle d’ua
vice d’Éiocution. A la bonne heure, qu’on eût laiffé
à la figure le nom de PÎéonafme, qui marque
Amplement Abondance & Riche fie : mais il failoit
défigner la feperftuïté des mots dans chaque phrafe
par un autre terme ; par exemple , celui de P é -
rifiôlôgie y qui eft connu , devroit être employé
feul dans ce fens. Ce terme vient de TTêpWo?, fu -
perfluus y & de Koyoe , diclio ; & i ’adjeâfif
a pour racine l ’adverbe Wpa , outre mefure. Je
ferai ufage de cette remarque dans le refte de l ’article.
i ° . Si c’ eft un défaut de n’avoir employé qu’un
même nom pour deux idées fi ditparates, celui
de vouloir les comprendre fous une même définition
eft bien plus grand encore ; & c’eft cependant
en quoi ont péché les grammairiens même les
plus exa&s , comme on peut le voir par le début
de cet article. I l faut donc tâcher de faifir & d’afe
ligner les caractères diftin&ifs de la figure appelée
Pléonafmç , & du vice de feperfluïté que j’appelle
Périfiologie.
I. Il y a Pléonafme, lorfque des mots , qui paroiffent
> feperflus par raport â l ’intégrité du lêns
grammatical, fervent pourtant à y ajouter des idées
acceffoires ferabondantes , qui y jettent de la
clarté ou qui en augmentent l ’energie. Quand on lit
dans Plaute ( Milït. ) , Sïmile f omnium fomnia-
vit y le mot fbmnium y dont la force eft renfermée
dahs fomniavit , femble ferabondant par raport à
ce verbe : mais il y eft ajouté comme fujet de
l ’adjeCtif fimile, afin que l ’idée de cette fimilitude
foit raportée fans équivoque à celle du fonge ,
fimile fomnium; c’eft un Pléonafme accordé a la
clarté de l’expreffion.
Quand on dit, Je l ’ai vu de mes ieiiXy ces mots
mes.ieusç font effectivement fepefffus par raport ai\
1 2.