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croyoit pas pré&ger la gloire de l ’Italie moderne.
C ’eft cependant ce peuple, amolli par la paix & par
la fervitude , qui a pris la place des grecs, 8c
q u i, après eux , femble avoir été le confident de la
belle nature. Dans les deux arts dont je viens de
parler, il n’a fait que les imiter j mais, dans les
arts dont les modèles ne lui avoient pas été tranf-
mis , comme la Peinture & la Mufique, ton
génie, frapé de l ’idée eJTencielle & univerfelle du
beau , a fait douter fi les grecs eux-mêmes avoient
été aufli loin que lui. L a Sculpture, il eft vrai,
du côté du deflln, a été le modèle de la Peinture
: mais le coloris, le clair-obfcur , la perf-
pective. ont été créés de nouveau ; & du côté de
la Mufique , quelques lueurs confufes fur les raports
des fons, que les anciens nous ont tranfmifes, ne
dérobent pas au génie italien la gloire de 1 invention
& de la perfection de ce bel art. Ainfi, en
Sculpture, en Architecture, en Peinture , en Mufique
, le goût fait où prendre fes Règles • les
modèles en font les types, l’expérience en eft la
preuve , & le fuffrage univerfel de tous les peuples
y a mis le fceau.
En É i oquence & en Poéfîe, nous n’avons pas
d’autorité aufli formellement décifîve , aufli unanimement
reconnue : par la raifon que les objets ,
les moyens, les procédés de ces deux arts, font
plus divers ; que les modèles en font moins accomplis
j &que dans les goûts qui intéreflent l ’ef-
prit, l ’imagination, & le fentiment , & fur lefquels
l ’opinion , les moeurs, le génie , & le'caractère
des peuples ont beaucoup d’influence, il y a plus
d’inconftance & de variété. Cependant comme ces
deux arts ont de tout temps fixé l ’attention des
hommes les plus éclairés •& fait l ’objet de leurs
études, foit qu’ils les ayent exercés eux - mêmes ,
foit qu’ils n’ayent fait qu’en jouir, & qu’étonnés
de leur puiiTance, ils ayent voulu en obferver ,
en dèveloper les refforts j i l eft certain que les
fecrets en ont été aprofondis , & les moyens réduits
en Règles. Mais il en eft de ces Règles
comme des lo is , dont la lettre tue & Vefprit vivifie
: elles font devenues, dans les mains des
commentateurs , de lourdes chaînes dont ils ont
chargé le génie. C ’eft peu même d’avoir mai entendu
& mal expliqué les préceptes diCtés par les
maîtres de l ?àrt ; ils ont voulu faire des lois eux-
mêmes : fiers de leur érudition , & fanatiques de
1 antiquité, qu’ils fe glorifioient de connoître , ils
nous ont donné pour modèle tout ce qu’elle nous
a laiffé, & ont mis fans difeerneraent l ’exemple &
l'autorité à la place du fentiment & de la raifon.
Tout n’eft pas beau chez les anciens : les poètes ,
les orateurs les plus célèbres ont leurs défauts ou
leur côté foible ; les ouvrages même les plus admirés
Tont encore loin d’être parfaits ; les plus
grands hommes , dans leur art , n’en ont pas
atteint les limites : les procédés & les moyens ne
laur en- étoient pas tous connus , & la route qu’ils- ?
çfit fuivie ifeft biçu fouyent ni la feule ni la meilr
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leure qu on ait à fuivre. Mille beautés ont fait ■
pafter mille défauts, mais les défauts qu’elles ont
rachetés ne font pas des beautés eux-mêmes : c’eft'
la ce que les Scaliger , les Dacier n’ont jamais
bien compris. Si Corneille en avoit cru Ariftote ,
il fe feroit interdit le dénoûment de Rodogune :
8c fi nous en croyons Dacier, ce dénoûment eft‘
des plus mauvais j car i l eft d’une efpèce inconnue
aux anciens & rejetée par Ariftote; D’après la
même théorie, toutes les pièces où le perfonnage
intéreffant fait fon malheur lui-même avec con-
noiffance de caufe , feroient bannies du Théâtre ;
& l ’on n’auroit jamais penfé à y faire voir l ’homme
viftime de fes paffions. Voilà comme une théorie
exclufîvement attachée à la pratique des anciens
donne les faits pour la limite des poflîbles, & veut
réduire le génie à l ’éternelle fervitude d’une étroite
imitation.
Une autre efpèce de fefeurs de R èg le s, ce font
ces artiftes médiocres qui commencent par com-
pofer, & qui, fe donnant pour modèles, font de
leur pratique, bonne ou mauvaife , la théorie de leur "
art. -
Les vrais légiflateurs des arts font ceux qui ,
remontant au principe des chofes, après avoir étudié,
& dans les hommes, & .dans la nature, &dans les
arts même , les raports des objets avec l ’âme-. & les
fens, & les impreflions de plaifîr & de peine qui
réfultent de ces raports ; après avoir tiré de l ’expérience
de tous les fiècles , furtoqt des fiççles éclairés
,. des inductions qui déterminent, & les procédés
les plus sûrs , & les moyens les plus puiffants, &
les effets les plus conftamment infaillibes, donnent
ces réfultats pour Règles , fans prétendre que le
génie s’y foumette fervilement , & n’ait pas le
droit de s’en dégager toutes les fois qu’il fent qu’elles
l ’apefantiffent ou le mettent trop à la gêne. Ce
font des moyens de bien faire quon lui propofe ,
en lui laiffant la liberté de faire mieux ; celui - là
feul a tort, qui fait plus mal en s’écartant des
Réglés ,* & comme il n’y a rien de plus commun
qu’un ouvrage régulier & mauvais, il eft poflible ,
quoique plus rare, 'd’en produire un qui plaife
univerfellement, contre les Règles 8c en dépit des
Règles ; le poème de l ’Ariofte en eft un exemple :
mais la licence alors eft obligée de mériter, à force
d’agréments 8c dç beautés qui lui foient dues, qu’on
la préfère à plus de régularité.
On a dit que quelques lignes tracées par un
homme de génie, font plus utiles au talent que
des; méthodes péniblement écrites par de froids
fpéculateurs. Rien n’eft plus vrai , quand il s’agit
d’échauffer l ’âme & de lelever : mais les modèle?
les plus frapants ne jettent leur lumière que fur-
un point ; celle des Règles eft plus étendue, elle
éclaire toute la route : il ne faut donc avoir ,. pour
les Règles tracées, ni un préfomptueux mépris, ni
un refpeét fuperftitieux 8c fervile. Ariftote, Cicéron
s & Quiqtilien , pour les orateurs j Ariftote ,•
Horace 8
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Horace , Longin ,'Boileau , pour les poètes , font
des guides que le génie lui - même ne doit pas
dédaigner de fuivre : mais pour marcher d’un pas
plus sûr, il ne doit" pas ceffer de marcher d’un pas
libre. ( M. M a r m o n t e l .)
( N. ) RÈGLE , MODÈLE. Synonymes.
L ’effet de l ’un 8c de l’autre eft de diriger , mais
en diverfes manières. La Règle preferit ce qu’il
faut faire ; le Modèle le montre tout fait : on doit
fuivre l ’une , & imiter l ’autre.
La Règle parle à i’efpric, elle"-l ’éclaire , elle
lui fait connoître ce qui dort fe faire 8c comment
il doit fe faire j mais elle eft froide 8c (ans force.
L e Modèle échauffe l’âme ,• la met en mouvement,
fait difparoître toutes les difficultés , anéantit tous
les prétextes.'
Les lois font des Règles déterminées par l ’Autorité.
Les Modèles montrent des exemples, qui
juftifîent les Règles 8c qui condannent les réfractaires.
On peut donc appliquera la Règle 8c au
Modèle ce que Rouffeau a dit de la Loi 8c de l’Exemple
( Ode à l ’impératrice Amélie )
Contre une Loi qui nous gêne
La natute fe déchaîne
Et cherche à fe révolter ;
Mais l’Exemple nous entraîne
Et nous force à l'imiter.
On trouve dans les écrits d’Ariftote , de Lon^
g in , de Denys d’Halicarnaffe, de Cicéron., de
Quintiüen , 8c de plufieurs modernes, d’excellentes
Règles d’Éloquence : mais elles feront infru&ueufes
ou bien peu utiles pour former des orateurs , fi
l ’on ne s’attache à l’étude des grands Modèles ,
Démofthène 8c Cicéron, Boffuet 8c Fléchier, Bour-
daloue êcMaffillon , d’Agueffeau & Cochin.
Les philofbphes nous prefcrivent des Règles de
conduite, admirables, fi l ’on veut, & pleines de
fagefle ; mais parmi ces vains di.fcoureurs , combien
en trouve-t-on qui puiffent fervir de Modèles ?
L ’Hiftoire , en nous propofant de grands & 11-
luftres Modèles, nous fou met aux Règles par l ’imitation.
» Il y a des endroits, dit Bouhours ( Rem.
nouv. tom. i j , » où l ’on peut employer égale-
» ment les deux mots de Règle ou de Modèle ;
» par exemple , on peut dire, La vie de Notre
» Seigneur èfi la Règle des chrétiens ou le Modèle
» des chrétiens ».
Gela peut fe dire fans doute, mais ce ne font
pas moins deux expreflîons différentes par la-forme
8c par le fens : la première fignifie , que de la vie
de Notre Seigneur nous pouvons conclure quelles
font les véritables Règles de la vie chrétienne ;
la fécondé , que dans la vie de Notre Seigneur
nous trouvons un Modèle qui nous porte à nous
conformer aux Règles de la vie chrétienne 8c qui
Gr a m m . ET LITTÊRAT. Tome III.
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nous en montre la manière. La première expreflioa
eft, pour ainfi dire, de pure théorie j- la fécondé
eft de pratique : ainfi , il y. a un choix , qui dépend
des circonftanc.es, & qui n’échapera pas au bon goût.
( M. B e a u z é e . ) '
R È G L E ,'R È G L EM E N T . Synonymes.
La Règle regarde proprement les chofes qu on
doit faire ; & le Règlement, la manière dont on
les doit faire. Il entre , dans l ’idée de l’une, quelque
chofe qui tient plus du droit naturel; & dans
l’idée de l ’autre , quelque chofe qui tient plus du
droit pofitif.
L ’Équité 8c la Charité doivent être les grandes
Règles de la conduite des hommes ; elles font
même en droit de déroger à tous les Règlements
particuliers.
On fe foumet à la Règle. On fe conforme au
Règlement. Quoique ceile-là foit plus indifpen-
fabie, elle eft néanmoins plus tranfgreflee ; parce
qu’on eft plus frapé du détail du Règlement, que
de l’avantage de la Règle. ( .L’abbe G iR A R D . )
( N . ) R É G L É , RANGÉ. Synonymes.
On eft réglé par fes moeurs & par fa conduite*
On éft rangé dans fes affaires & dans fes occupations.
L ’homme réglé ménagé fa réputation & fa per-
fonne ; il a de la modération , & il ne fait point
d’excès. L ’homme rangé ménage fon temps & fon
bien ; i l a de l ’ordre, & i l ne fait point de difli-
pation.
A l ’égard de la dépenfo , à laquelle on applique
fouvent ces deux épithètes1, elle eft réglée.
par les bornes qu’on y met , & rangée, par la
manière dont on la fait. I l faut la régler fur fes
moyens , & la ranger félon le goût de la fociété
où l ’on vit ; de façon néanmoins que les commodités
domeftiques ne fouffrent point de l ’envie de briller.
( L ’abbé GiRARD. )
( N. ) RÉG LÉ , RÉGULIER. Synonymes.
Ces deux adjectifs marquent un raport aux- rè-?
cries j mais ce font des raports différents , & le s
règles n’y font pas envifagées fous les mêmes points
de vue.
Ce qui eft' réglé eft affujéti à une règle quelconque
, uniforme ou variable , bonne ou mauvaife.
Ce qui eft régulier eft conforme à une règle uniforme
& louable.
Le mouvement de la Lune eft réglé, puifqu’i i
eft fournis à des retours périodiques égaux : mais
il n’ eft pas régulier , parce qu’il n’eft pas uniforme
dans la même période.
Toutes les aurions des chrétiens font réglées par
l ’Évangile ; mais elles ne font pas toutes régulières,
j parce qu’elles ne font pas Joutes conformes à ces
règles lacrées.
t l me femble qu’en parlant de la vie , de la
P ?