
tyr2n l ’an après l ’autre ; que l ’un commence , i l
ti a épargné ni âge ni fex e ; qu’un autre ajoute ,
ni Je s parents ; qu’un troifième achève , ni fe s
amis ,* que tous fe réunirent à crier : Qu i l Joie
traîné ! voilà des entreprifes dignes d’un homme
de génie. Quel tableau! je mefens frapé de cris'
d un million d’hommes ivrès de fureur & de joie :
je frémis à l ’afpeâ: de l’image la plus effrayante
& la plus terrible de l ’enthouùafme populaire.
De la Danfe. L a Danfe èft devenue, dans
tous les pays, la compagne du fpetlacle en Mu-
fique.
En Italie , comme fur les autres théâtres de
1 Europe, on remplit les entr’aéï-es du Poème lyrique
par des ballets qui n’y ont aucun raport : -fi cet ufage eft barbare , il eft encore de ceux
qu on peut abolir, fans toucher au fonds du fpe&acle ;
<& cela arrivera , dès que le Poème lyrique fera délivre
de fes épifodes, & ferré comme fon efprit & là
conftitution l ’exigent.
En France, on a affocié le ballet immédiatement
avec le chant & avec, le fonds de l ’Opéra :
arrive-t-il quelque incident heureux ou malheureux
? aufluôt i l eft célébré par des danfcs , &
l ’aftion eft fufpendue par le ballet ; cette partie
poftiche eft même devenue , en ces derniers temps,
la principale du Poème lyrique : chaque aéte a
befoin d’un divertiffement , terme qui 'n’a jamais
été pris dans une acception plus propre 8c plus
ftricte ; & le fuccès d’un opéra dépend aujourdhui,
non pas précisément de la beauté des ballets , mais de
l ’habileté des danfeurs qui l ’exécutent.
Rien , ce Semble, ne dépofe plus fortement
contre le Poème & la Mufique de l ’Opéra fran-
çois , que le befoin continuel & urgent de ces
ballets : il faut que l ’aétion de ce Poème foit dénuée
d intérêt & de chaleur , puifque nous pouvons
fouffrir qu’elle foit interrompue & fufpendue à
tout inftant par des menuets & des rigaudons ; il
faut que la monotonie du chant foit d’un ennui
infupportable , puifque nous n’y tenons qu’autant
qu’il eft coupé, dans chaque aéfe, par un divertiffe-
ment.
Suivant cet ufage , l ’Opéra françois eft devenu
un fpeéracie où tout le bonheur & tout le malheur
des perfonnages fe réduit à voir danfer autour
d’eux.
Pour juger fi cet ufage mérite l’approbation des
gens de goû t, & fi c’eft un avantage ineftimable,
comme on l ’entend dire fans ceffe, que l ’Opéra
françois a fur tous les fpeélacles lyriques y de
réunir la Danfe à la Poéfie & à la Mufique ; il
fera néceflaire de réfléchir fur les obfervations fui-
vantes.
L a Danfe, ainfi que le C ouplet, peut quelquefois
être hiftoriqué dans le Poème lyrique.
Roland arrive au rendez-vous que la perfide Angélique
lui à donné ; après l ’avoir vainement attendue
pendant quelque temps, il voit venir une
troupe de jeunes gens qui , en chantant & en dan-
fant _, célèbrent le bonheur de M édor & d A n g é li-
liq u e qu’ils viennent de conduire au- p o rt. C eft
par ces expreflions de joie d’une Jeuneffe innocente
& vive ,'q u e R oland aprend fon m alheur & la tra-
hifion de fa maitreffe. C ette fituation eft très-belle.,
& c’eft avec raifon qu’on a regardé cet aôte com m e,
le c h e f - d ’oe uvre du T h éâtre lyrique en France,
v V oyons fi l’exécution & la- repréfentation th éâtrale
répondent à l ’idée fublim e du p o è te , & fi
Q uinaut n’a pas été- o b ligé lui-m êm e de la g atet
p o u r fe conform er à l ’ufage de l ’O p éra. R o la n d ,
après avoir attendu lo n g tem ps , après avoir exam
iné les chiffres & les infcriptions & réprim e les
foupçons que fon coeur jaloux en a conçus, entend
une mufique cham pêtre ; c’eft la Jeunelle qui revient
fur fes pas j après avoir conduit M édor &
A n g éliq u e : R o la n d , dans i ’efpérance de trouver
fa m aitreffe parm i cette tro u p e jo y eu fe, q u itte
la fcène & va au d e v a n t du bruit ; à 1 inftant
m êm e la Jeuneffe danfante & chantante p aro it :
R oland devroit reparoître avec e lle ; mais a p p a-
ram m ent qu’il s’elt déjà ' aperçu qu’A ngélique n y
eft point ; ainfi', il va la chercher dans les lieux
d’alèn to u r, & abandonne la place aux danfeurs St
aux choriftes. C e n’eft qu’après que ceux-ci nous
Ont divertis pendant une dem i - heur,e p ar leu rs
couplets & leurs rigaudons , que le héros revient
& s’éclaircit fur fon m alheur. I l eft évidènt qu’enr
ne confùltant fur ce b a lle t que le bon g o ût l a
Jeuneffe ne fera au tte chofe que traverfer le théâtre
en danfant; que dans le prem ier inftant ils nom m
eront M édor & A n g éliq u e; que dès cet inftant
R oland s’éclaircira fur fotî m alheur en frémiffant J
& qu’il n ’aura pas p lus que nous la patience d’attendre
que les entrées & les contredanfes foient
finies, pour aprendre un fort qui nous intérefîe
uniquem ent. J’avoue qu’il n’eft pas contre la vrai-
femblance qu’une Jeuneffe pleine ’de tendreffe &
de- j'oie s’arrête dans un lie u délicieux pour danfer
& chanter : mais c’eft feulem ent fufpendre l ’aftion
du Poème au m om ent le p lus intéreffant ; car cë
ne font ni les amours d’A n g éliq u e & de M é d o r,
ni leu r élo g e , qui font le fujet de la fcène. Eh t
que nous font tous les froids couplets’qu’on chante
à cètte 'occafion ? c’eft le m alheur de R o lan d & la
m anière naturelle & naïve dont il en eft in ftru it,
qui font le charm e & l ’in térêt de cette fituation vraim
ent adm irable.
Je me fuis étendu exprès fur le ballet le plus
heureufement placé qu’il y ait fur le Théâtre lyrique
en France , & l ’on voit à quoi le goût St
le bon fens réduifent ce ballet. Que feront - ils
donc de ceux que le poète amène à tout propos î
& fi leur voix eft jamais écoutée fur ce Théâtre ?
fera-t-il permis à un héros de l ’Opéra de prouver
à fa maitreffe l’excès de fes feux par une troupe de
gens qui danferont autour d’elle ?
Mais l ’idée d’âffocier dans le même fpeéfcàçlff
deux manières d’imiter la nature, né fer oit-elle
pas effenciellem ent oppofée au bon fens & au
vrai goût? ne feroit-ce pas là une barbarie digne
de ces tem ps gothiques , où le devant d’uft tableau
é îo it exécuté en re lie f, où l ’on b arbouilloit une
belle ftatue p our lu i faire des ieux noirs ou des
cheveux châtains? S ero it-il poifible de confondre
deux hypothèfes différentes dans le même Poème,
& de le faire exécuter m oitié par des gens qui
difent qu’ils ne' favent p arler qu’en chantant ,
m oitié p ar d’autres qui prétendent n’avoir d autre
langage que celui du gefte & des m ouvem ents ? *
P o ur exécuter ce fpeélacle avec fu ccès, ne fau-
droit-il pas du moins avoir des aéteurs égalem ent
habiles dans les deux a rts , aufti bons danfeurs
qu excellents chanteurs? C om m ent fe ro it-il pof-
fible de fupporter que les uns ne danfaffent jam ais
& que les autres ne chantaffent jamais ? feroit - il
bien agréable pour un dieu de ne. favoir pas
danfer le p lus m échant c o u p le t. d’une chaconne,
& d’être o bligé de céder fa place à M . V eftris ,
qui n’eft qualifié dans le program m e que du titre
de fu iv an t, mais qui écrafe fon dieu en un inftant
p ar la grâce & la noblèffe de fes a ttitu d e s, tandis
que celui-ci eft re lé g u é , avec fon rang {ùprêm e, fur
une banquette dans un coin du théâtre.
U n e exécution ou p u érile ou im p o flib le, voilà
un des moindres inconvénients de cette confufion
de deux talents , de deux manières, d’im iter ,
qu’on a ôfé regarder com m e un avantage , & qui
a certainem ent em péché les progrès de la D anfe
en France.
A en juger p ar l ’em p lo i continuel des b a lle ts ,
on feroit autorifé à croire que l ’art dè la D anfe
.eft p orté au p lu s haut d egré de perfection fur le
théâtre de l ’O p éra françois : mais lorfqu’on confi-
dère que le b a llet n’eft em p lo y é à l ’O p é ra françois
qu’à d anfer, & non à im iter p ar là D anfe ;
on n’eft plus furpris de la m édiocrité où l ’art de
T a Danfe eft refté en F rance | & l’on conçoit qu’un
françois p lein de talents & de vues ( M . N o v erre)
a pu être dans le cas d’a ller créer le b a lle t lo in de fa
p atrie.
I l eft vrai qu’en lifant les program m es des d ifférents
o p é ra , on y trouve une variété m erveil-
leufe de fêtes & de divertiffements ; mais cette
variété fait p lace', dans l ’exécution , à la plus trifte
uniform ité. T o u tes les fêtes fe réduifent à danfer
p o ur danfer;. tous les b allets font com pofés de
deux files de danfeurs & de danfeufes, qui fe rang
en t de chaque côté du théâtre , & qui , fe m êlant
enfuite ., form ent des figures & des groupes fans
aucune idée. L es m eilleu is danfeurs cependant font
téfervés pour danfer tan tô t feuls , tantôt deux ;
dans les grandes occafions , ils form ent des pas He
trois , de q u a tre , & mêm e de cinq ou de fix ;
après quoi le corps du b a lle t q u i s’eft arrête pour
laiffer la place à fes m aîtres , reprend fes danfes
jnfqu’à la tin du b allet. P o ur tons ces .différents
divertiffem ents, le muficien fournit des chaconnes,
des to u te s , des farabandes , des m enuets , des p affe-
pieds , des rigaudons, des gavottes , des contredanfes»
S’il y a quelquefois dans un b allet une idée, un inftant
d’aCtion , c’eft un pas de deux ou de tro is qu i
l ’exécute , après q u oi le corps du b a lle t reprend
incontinent îà danfe infipide. L a feule différence
réelle qu’il y a d’une fête à une autre , fe réduit
à celle que le ta ille u r de l ’O p é ra y m e t, en
habillant le b a llet tan tô t en b la n c , tantôt en v e rt,
ta n tô t en jau n e, tan tô t en ro u g e , fuivant les principes
& l ’étiqu ette du magafin.
L e b a llet n’eft donc p ro p rem e n t, dans l ’O p é ra
françois , qu’une A cadém ie de D a n fe , où , fous le s
ieux du P u b lic , les fujets médiocres s’exercent à
figurer , à fe rom pre , à fe reform er ; & les grands
danfeurs , à nous m ontrer des études p lus difficiles
dans différentes attitudes n o bles, gracieufes , 8c
favantes. L e p o ète donne à ces exercices académ
iques cinq ou fix noms différents dans le cours
de fon Poème ; il fait donner à fes danfeurs tantôt-
dès bas blancs,, ta n tô t des bas ro u g e s , tantôt des
perruques b lo n d es, ta n tô t des perruques noires t
m ais l ’hom m e de g o û t n’aperçoit d’ailleurs aucune
diverfitç dans fes b allets , & ne p e u t que reg retter
que tan t d’habiles danfeurs ne foient em ployés
qu’à faire fur un théâtre des pas & des tours de
fallé.
C ’eft en effet avoir méconnu tro p lo n g tem ps
l’ufage de l ’art qui a g it -fur nos fens avec le p lu s
d’em p ire , & q ui produit les im preffions les p lu s
profondes & les p lus terribles. Q u e dirions - nous
d’une A cadém ie de peintres & de ftatuaires q ui ,
dans une expofition publique de leu rs ouvrages ,
, ne nous montreroient que des études, des têtes ,
des bras , des jambes , des attitudes, fans idée,
fans aplication , fans imitation précife ? Toutes
Ces chôfes ont fans doute du prix aux ieux d’un con-
noiffeur éclairé : mais un falon d’expofition eft autre
chofe qu’un atelier.
I l en eft de la D anfe com m e du C hant : la
jo ie d o it avoir créé les prem ières danfes com m e
e lle a infpiré 'les prem iers chants ; m ais un m e -
nuejt, une contredanfe, & to u te la danfe recréative
d’un b a l , font précifém ent auffi déplacés fur
le th é â tre , que la chanfon & le couplet. C e n’eft
que lorfque l ’hom m e de génie s’eft aperçu q u ’on
p o uvoit faire de la D anfe un art d’im itatio n p ro pre
à ex p rim er, fans autre langue que ce lle du
gefte . & des m ouvem ents, tous les fentim ents &
toutes les pallions ; ce n’eft qu’alors que la D anfe
eft devenue digne de fe m ontrer fur la Scène. I l
eft vrai que ce fpe& acle eft celui de tous qu i a
fait le moins de progrès parm i les m odernes : 8c
fi nous en avons vu quelques effais en Ita lie , en
A n g leterre , en A llem agne ; il faut convenir qu’il
eft encore lo in de ces effets prodigieux des pantom
im es dont l ’H iftoire ancienne nous a confervé
la m ém oire.
L e fpeétacle en danfe a befoin d’un p o ète ,