
réduit au point qu’il juge à propos, fans lui ôter
rien de fa dignité. Il dit les plus belles chofes ,
comme les autres difent les plus, communes, &n’a
de négligence que ce qu’il en faut pour avoir plus
de grâces.
rerfe ( Aulus-Perjius-Flaccus) vint après Horace
; il naquit à Volaterre, ville d’Étrurie, d’une
maifon noble & alliée aux plus Grands de Rome.
I l étoit d’un cara&ère affez doux, & d’unëtendreffe
pour les^ parents qu’on citoit pour exemple. Il
mourut a lâ g e de 30 ans, la huitième année du
règne de Néron. Il y a , dans les Satires qu’il
nous a laiffées , des fentiments nobles ; Ton ftyle
eft chaud, mais obfcurci par des allégories fouvent
recherchées, par des ellipfes fréquentes, par des
métaphores trop hardies.
P e r f e , en f e s vers o b fcu r s , mais ferrés & prenants,
A f fe& a d ’enfermer mo ins de mo ts que de fens.
Quoiqu’il ait tâché d’être l’imitateur d’Horace ,
cependant il a une sève toute différente : il eft plus
fort , plus, vif ; mais il a moins de grâces , il eft
même un peu trifte : 6c foit la vigueur de fon caractère',
fort le zèle qu’il a pour la vertu, ilfemble
qu’il entre dans fa philofophie un- peu d’aioxeur &
d’animofité contre ceux qu’il attaque.
3- Juvénal ( Decimus - Junius - Tuvenalis ), natif
d’Aquino , au royaume de Naples, vivoit à Rome
fur la fin du règne deDomitien, & même fousNerva
& fousTrajan. Ce poète >
. . . . É le v é dans le s cris de l'École ,
P o u fla Jufqu’à l ’ excès fa mo rdante hyperb ole :
Se s o u v r a g e s , tou t pleins d ’affreufes v é r ité s , '
Étincèlenc pourtant de fublimes beautés :
S o it q u e , f u r un écrit a r r iv é de Caprée ,
I l brife de Séjan la f t a tu e adorée ;
S o it qu’ il faire au C o n fe il courir les fenateurs ,
D 'u n tyran fou p çon neu x pâles adulateurs. . .
Ses écrits pleins d e feu partout b rillen t aux ie .u x ,
Perfe a peut-être plus de vigueur qu’Horace;
mais en comparaifon de Juvénal, il eft prefque
froid. Celui-ci eft brûlant : l ’hyperbole eft fa figure
favorite. I l avoit une force de génie extraordinaire
& une bile qui feule auroit prefque fuffi
pour- le rendre poète. Il paffa la prémière partie'
de fa vie à écrire des déclamations. Flatté par le
fuccès de quelques vers qu’i l àvoit faits contre un
certain Paris, pantomime , i l crut reconnoître qu’il
étoit appelé au genre lyrique. Il s’y livra tout
entier, & en remplit les fondions avec tant de
z è le , qu’il obtint à la fin un emploi militaire ,
qui , fous apparence de grâce, l’exila au fonds de
l ’Egypte. Ce fut là qu’i l eut le temps de s’ennuyer
& de déclamer contre les torts de la fortune &
contre l ’abus que les Grands fefoient de leur puif-
fance. Selon Jules Scaliger, i l eft le prince des
poètes fatiriques ; fes vers valent beaucoup mieux
que ceux d’Horace , apparemment parce qu’ils foiît
plus forts j ardet t in f ia t , jugulât.
Ce qui a déterminé Juvénal à embraffer le genre
fatirique , n’eft pas feulement le nombre dés mauvais
poètes -y raifon pourtant qui pouvoit fuifire.
» I l a pris les armes à caufe de l ’excès où font
» portés tous les vices : le défordre eft affreux dans
» toutes les conditions ; on joue tout fon bien;
» on vole; on p ille ; on fe ruine en habits, en
» bâtiments , en repas ; on fie tue de débauche ; on
» affaflîne, on empoifonne : le crime eft la feule
» chofe qui foit récompenfée ; il triomphe partout,
» & la vertu gémit ».
La-quatrième Satire de ce poète préfente les
traits les plus mordants & l ’invedive la plus animée.
Il en veut à l ’empereur Domitien ; & pour
aller jufqu’â lui comme par degrés , il préfeVte
d’abord ce favori nommé Crifpîn , qui d’efclave
étoit devenu chevalier romain. Cette Satire a pour
date ; '
Qiium jam femianimum laceraret Flavius orbem
Ultimus, & calyo ferviret Roma Neroni. -
» Lorfque le dernier des -Flavius achevoit de
» déchirer l’univers expirant , & que Rome gémif-
» foit fous "la tyrannie du chauve Néron » ; vous
voyez qu’il ne dit pas fous l ’empire de Domitien ,
comme un autre auroit pu dire. Il le furnomme
Ne'ron , pour peindre d’un feul mot fa cruauté'; il
l ’appelle chauve , qui étoit un reproche injurieux
dans çe temps-là. Enfin on voit dans ce morceau
toute la force, tout le fiel, toute l ’aigreur de la
Satire. Ce ton fe foutient partout dans l’auteur : ce
n’eft pas affez pour lui de peindre ; il grave à traits
profonds , il brûle avec le fér.
Sa Satire X eft encore très-belle , fur tout l ’endroit
ou i l brife la ftatue de Séjan , * après avoir
raillé amèrement l ’ambition de ce miniftre , & la
fottifè du peuple de Rome , qui ne.jugeoit que fur
les apparences.
Turba Remi fequitur fortunam , ut femper, & od.it
Damnatos.
C ’en eft affez fur le s anciens fatiriqit.es romains;
parlons à préfent de ceux de notre nation qui ont
marché fur leurs traces.
Caractères des poètes fatiriques françois.
Regnier ( Mathiirin ) , .natif de Chartres, . &
neveu de l ’abbé Deiportes , fut le premier en
France qui donna des Satires. Il y a de la fineffe &
un tour aifé dans celles qu’il a travaillées avec-foin ;
fon caractère eft aifé, coulant, vigoureux. Delpréaux
dit, en parlant de ce poète ;
• Regnier, fe u l parmi nous formé fu r leurs modèles,
Pans fon vieux ftyle encore a des grâces nouvelles.
U
U eft quelquefois long & diffus : quand il trouve
à imiter , il va trop lo in , & fon imitation eft
prefque toujours une traduction inferieure à fon
modèle ; mais fes vers font pleins de fens 6c de
naïveté : heureux,
S i du fo n hardi de fes rimes cyniques
I l n'a larmoic fouvent les ore illes pudiques! '
Ce qu’on peut dire pour diminuer fa faute, c’eft
que ne travaillant que d’apres les Satiriques latins ,
il croyoit pouvoir les fuivre en tout, & s’imaginoit
que la licence des expretfions étoit un affaifon-
nement dont leur genre ne pouvoit fe paffer.
Regnier eft mort à Rouen en \6 \3 , âgé de 40
ans. On connoît l ’Épitaphe pleine de naïveté qu’il
a faite pour lui , 6c dans laquelle il s’eft fi bien
peint :
J ’a i vécu fans nul p en fem en t.
M e laiffant aller doucement
A la b onne lo i naturelle j
E t fi m’ étonne fo r t pou rqu o i
L a mo rt daigna fong e r à m o i,
Q u i n e fong e a i jamais en elle.
Jean de la Frenaye Vauquelin publia quelques
Satires peu de temps avant la mort de Regnier
: mais comme il n’avoit ni la force, ni le feu ,
ni le plaifant néçeffaire à ce genre de Poème; il ne
mérite pas de nous arrêter. -
Defpreaux ( Nicolas Boileau fieur) fleurit environ
6o ans après Regnier, & fut plqs retenu que
lui. II favoit que l’honnêteté eft une vertu dans
les écrits comme dans les moeurs. Son talent l’emporta
fur fon éducation : quoiqu’il fût fils, frère,
oncle , coufin, beau-frère de greffier , & que fes
parents^le deftinaffent à fuivre le Palais; il lui
fallut être poète , 6c , qui plus e ft, poète fa tir ique.
pleins de choies ; tout y eft fait avec un foin
extreme. Il n’a point la naïveté de Regnier ; mais
il s eft tenu en garde contre fes défauts. Il eft
. lre 3 ^ c en t, foigné partout, ne fouffrant
lien d inutile ni d’obfcur. Son plan de Satire étoit
dattaquer les vices en général, & les mauvais
auteurs en particulier. Il ne nomme guère un fcé-
lérat ; mais il ne fait point de difficulté de nommer
un mauvais auteur qui lui déplaît , pour fervir
d exemple aux autres & maintenir le droit du bon
fens & du bon goût.
Ses expreflions font juftes , claires , fouvent riches
& hardies : il n’y a ni vide ni fuperflu. On dit
quelquefois •malignement le laborieux Delpréaux ;
mais il travailloit plus pour cacher fon travail,
que d autres, pour montrer le? leur. Ses ouvrages
fe font, admirer par la jufteffe de la Critique
p a r la pureté du fty le , & par la rich'effe de l ’ex-
Gramm. et Lit t é r a t . Tome JIL
preffion. L a plupart de fes vers font fi beaux,
qu’ils font devenus proverbes. Il femble créer les
penfées d’autrui , & paroît original lorfqu’i l n eft
qu’imitateur.
On lui reproche de manquer d’imagination ;
mais où la voit-on plus brillante , plus riche , 6c
plus féconde ' que dans fon poème du L u tr in ,
ouvrage bâti fur la pointe d’une aiguille ,* comme
le difoit M. de Lamoignon ? c’eft un château en
l ’air , qui ne fe foutient que par l ’art & la force
de l’architeffce.- On y trouve le génie qui crée,
le jugement qui difpofe, l ’imagination qui enrichit,
la verve qui anime tout, & l’harmonie qui répand les
grâces.
Son A r t poétique eft un chef-d’oeuvre de raifon,
dé g o û t, de verfifîcation. Enfin Defp~réaux a une
réputation au deffus de toutes les apologies , & fa
gloire fera toujours intimement liée avec celle des
Belles-Lettres françoifes.
I l naquit au village de Crône, auprès de Paris,
en 1636. I l effaya du Barreau, & enfuite de la
Sorbonne. Dégoûté de ces deux chicanes , dit V o ltaire
, il ne fe livra qu’à fon talent, & devant
l ’honneur de la France. I l fut reçu à l ’Académie
en 1684 , & mourut en 17 1 1 . Tous fes ouvrages
ont été traduits en anglois : fon A r t poétique a
été mis en vers portugais ; & plufieurs autres
morceaux de fes pqéfies ont été traduits en vers
latins & en vers italiens. L a meilleure édition qu’on
ait donnée de fes oeuvres en françois, avec d’amples
commentaires, a vu le jour à Paris en 1747, cinq vol.
in- 8°. ;
Parallèle des Satiriques romains & françois»
Si préfentement on veut raprocher les caractères
des poètes fatiriques dont nous venons de parler,
pour voir en quoi ils fe reffemblent & .en quoi
ils diffèrent :, » Il paroît , .dit Batteux, qu’Ho-
» race & Boileau ont entre eux plus de reffem-
» blance , qu’ils n’en ont ni l ’un ni l ’autre avec
» Juvénal. Ils vivoient tous deux dans un fiècle
» poli , où le goût' étoit pur & l ’idée du beau
» fans mélange. Juvénal , au contraire, vivoit dans
» le temps même de la décadence des Lettrés
» latines , lorfqu’on jugeoit dé la bonté d’un ou-
» vrage par fa richeffe plus tôt que par l ’éco-
» nomie des ornements. Horace & Boileau plai-
» fantoient doucement , légèrement; ils n’ôtoient
» le mafque qu’à demi & en riant : Juvénal l ’ar-
» rache avec colère ; fes portraits ont des couleurs
» tranchantes , des .traits hardis , mais gros ; i l
» ri’eft pas néçeffaire d’être délicat pour en fen:ir
» la beauté ; i l étoit né exceflïf ;. & peut - être
» même que, quand i l feroit venu avant les Pline ,
» le s Sénèque , les Lucain , i l n’auroit pu fe
» tenir dans les bornes légitimes du vrai & du
» beau.
» Perfe a un caractère unique qui ne ïyrapa-
» thife avec perfonne : il n’eft pas affez aifé pour
» être mis avec Horace : il eft trop fage pour
A a a