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agréable, & touchante , fans chercher à le paroître,
elle dédaigne la friture , les perles , les diamants,
le blanc, le rouge , & tout ce qui sjappelle fard
& ornement étranger ; la propreté feule, jointe
aux grâces naturelles, lui fuftit pour fe rendre
agréable.
L e Style épiflolaire admet toutes les figures de
mots ou de penfées ; mais i l les admet à ta manière.
I l y a des métaphores pour tous les états ; les
futpenfions, les interrogations font ici permifes,
parce que ces tours font les expretfions mêmes de la
nature.
Mais foit que vous écriviez une lettre , une hif-
toire, une oraifon , ou tout autre ouvrage , doubliez
jamais d’être clair : la clarté de l ’arrangement
des paroles & des penfées. eft la première qualicé
du Style. On marche avec plailir dans un beau
jour j tous les objets fe préfentent agréablement
mais lorfque le ciel s’obfcurcit, il communique fa
noirceur à tout ce qu’on trouve fur la route , & n’a
lien qui dédommage dé la fatigue du voyage.
A la clarté de votre Style joignez , s’il fe peut,
la noblefle & l ’éclat ; c’eft par'là que l ’admiration
commence à naître dans notre efprit ; çe fut par là
^ue Cicéron, plaidant pour Cornélius, excita ces
emportements de joie & ces battements de mains
dont le Barreau retentit pour lors.-Mais l’état dont
je parle doit fe foutenir ; un éclair qui nous éblouît
paffe légèrement devant les ieux, & nous laiffe
dans la tranquilité ou nous étions auparavant : un
faux brillant nous furprend d’abord & nous agite ;
mais bientôt après nous rentrons dans le calme, &
nous avons honte d’avoir pris du clinquant pour de
l ’or. .
Quoique la beauté du Style dépende des ornements
dont - on fe .fert pour l ’embellir, i l faut lès
ménager avec adreffe ; car un Style trop orné devient
infipide : il faut placer la parure de même
qu’on place les perles & les diamants fur une robe que
l ’on veut enrichir avec goût.
Tâchez furtout d’avoir un Style qui revête la
couleur du fentiment : cette couleur confifte dans
certains tours de phrafe , dans certaines, figures qui
rendent vos expreflîons touchantes. Si l ’extérieur eft
trifte , le Style doit y répondre : il doit toujours
être conforme àlafituation de celui qui parle.
Enfin il eft une autré qualité de Style qui enchante
tout le monde ; c’eft la naïveté. Le Style
n a ï f ne prend; que ce qui eft né du fujet & des
circonftaiïces%.ie_ travail n’y paroît pas plus que
s’i l n’y en avoit point ; c’eft le dicendi genus fim-r
p l e x , fincerum, nativum des latins. La naïveté
du Style confifte dans le choix de certaines expref-
üons fimples, qui paroiffent nées d’elles - mêmes
plus tôt que choifies , dans des conftruCtions faites
comme par hafari, dans certains tours rajeunis &
qui confervent encore un air'de vieille mode. Il
eft donné à peu de gens d’avoir en partage la
naiveté du Style ,• elle demande un goût na|urel,
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perfectionné par la leCture de nos vieux auteurs fran-
$ois, d’un Amyot, par exemple, dont la naïve te' du
Style eft charmante.
i l paroît par tous ces details , que les plus grands
défauts de Style font d’être obfcur, affeCté, bas, an>-
poulé , froid , ou toujours uniforme.
Un Style qui eft obfcur & qui n’a point de
clarté, eft le plus grand vice de l ’Élocution, foit
que l ’obfcurité vienne d’un mauvais arrangement de
paroles , d’une conftruCtion louche ou équivoque ,
ou d’une trop grande brièveté. Il faut, dit Quinti-
lien , non feulefnent qu’on puiffe nous entendre ,
mais qu’on ne puiffe pas ne pas nous entendre :
la lumière-, dans un écrit, doit être comme celle
du foleil dans l ’univers , laquelle ne demande point
d’attention pour être vue , il ne faut qu’ouvrir les
ieux. {L e chevalier D E J A U C O U R T . )
L*affectation de Style , dans le langage & dans
la converfation, eft un vice affez ordinaire aux
gens qu’on appelle beaux parleurs : il confifte à
dire, en termes bien recherchés & quelquefois ridiculement
choifis, des chofes triviales ou communes.
C’eft pour cette raifon que les beaux parleurs
font ordinairement fi infuportables aux gens d’ef-
p r it, qui cherchent beaucoup plus à bien penfer
qu’à bien dire , ou plus tôt qui croient que pour
bien dire il fuffit de bien penfer ; qu’une penfée
neuve , forte, jufte, lumineufe , porte avec elle fon
expreflion ;& qu’une penfée commune ne doit jamais
être préfentée que pour ce qu’elle eft, c’eft à dire ,
avec une expremon'fimple.
L ’affectation dans le Style , c’eft à peu près la
itîême diofe que l ’affectation dans le langage ;
avec cette différence que ce qui- eft écrit doit être
naturellement un peu plus foigné que ce que l ’on
dit, parce qu’on eft fuppofé y penfer mûrement en
l ’écrivant ; d’où i l fuit que ce qui eft affectation
dans le langage, ne l’eft pas quelquefois dans le
Style. affectation dans le Style eft a i’affectation
dans le langage ce qu’eft Y affectation d’un grand
feigneur à celle d’un homme ordinaire. J’ai entendu
quelquefois faire l ’éloge de certaines perfonnes,
en difant qu’elles parlent comme un livre : fi ce
que ces perfonnes difent étoit écrit, cela pourroit
être fupporfable ; mais il me femble que c’eû un
grand défaut que de parler ainfi , c’eft une marque
prefque certaine que l ’on eft dépourvu de chaleur
& d’imagination. Tant pis pour qui ne fait jamais
de foléçifme en parlant ; on pourroit dire que ces
perfonnes-là lifent toujours & ne parlent jamais.
Ce qu’il y a de fingulier, c’eft qu’ordinaiiement
ces beaux parleurs font de très - mauvais écrivains
; la raifon en eft toute fimple : ou ils écrivent
comme ils parleroient, perfuadés qu’ils parlent
comme on doit écrire} & ils fe permettent, en ce
cas , une infinité de négligences & d’exprélfions imÏiropres
, qui échâpent, malgré qu’on en a it, dans
e difeours : ou ils mettent, proportion gardée, le
même foin à écrire qu’ils mettent à parler; & en ce
cas, VaffeCtation dans leur Style eft, fi on peut parler
ainfi, proportionnelle à celle de leur langage , &
par conféqUent ridicule. ( XI A L EM B E R T ■ j
La baffeffe du Style confifte principalement dans
une diflion;vulgaire, grortière, sèche , qui rebute &
dégoûte le leCteur.
Le Style ampoulé n’eft qu’une élévation vicieufe}
il, refl’emble à la bouffiffure des malades. Pour en
connoître le ridicule , on peut lire le fécond chapitre
de Longin , qui' compare Clitarque , qui
n’avoit que du vent dans .fies écrits , à un %pmme
qui ouvre une grande bouche pour fouffler dans une
petite flûte. Ceux qui ont l ’imagination vive tombent
aifément dans l ’enflure du Style ; en forte qu’au lieu
de tonner, comme ils le croient, ils ne font que
niaifer comme les enfants.
Le Style fro id vient tantôt de la ftérilité , tantôt
de l’intempérance des idées. Celui-là parle froidement
, qui' n’échauffe point notre âme , & qui ne
fait point l ’èlever par la vigueur de fies idées & de
fes expreflîons.
Le Style trop uniforme nous affoupit' & nous
endort.
Voulez-vous du Public mériter les amours?
Sans celle en é crivant V a rie z vos difeours 5
Un. Style t ro p .é g a l & toujours uniforme
En vain brille à n o s i e u x , il faut qu’il nous endorme.
On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,
Q u i toujours fur .un ton femblerit pfalmodier.
L a variété,, néceffaire en tou t, l ’eft dans le dificours
plus qu’ailleurs. I l faut fe défier de la monotonie du
Style, & fayoir paffer du grave au doux, du plaifant
au févère.
Enfin , fi quelqu’un me demandoit la manière
de fe former le Style , je lui répondrois en^ deux
mots , avec l’auteur des Principes de Littérature,
qu’il faut premièrement lire beaucoup & les meilleurs
écrivains,; fecondement , écrire foi-même &
prendre un cenfeur judicieux ; troifîèmement , imiter
d’excellents modèles & tâcher de leur reffem-
bl’er.
Je voudrois encore que l ’imitateur étudiât les
hommes ; qu’il prît, d’après nature , des expreflîons
qui foient non feulement vraies , mais vivantes &
animées comme le modèle même du portrait. Les
grecs avoient l ’un & l ’autre en partage, le génie
pour les chofes, & le talent de l’èxpreflïon.
i l n’y a jamais eu de peuple qui ait travaillé
avec plus de goût & de Style 1 ils burinoient plus
tôt qu’ils né peignoient, dit Qenis d’Halycarnaffe.
On fait les efforts prodigieux que fit Démofthène,
pour forger ces foudres que Philippe redoutait plus
que toutes les flottes de la République d’Athènes.
Platon, à quatre-vingts ans, poliffoit encore fes
dialogues; on trouva , après fa mort, des corrections
qu’il avoit faites à cet âge fur fes tablettes. ( Le chevalier
DE J AU COURT.)
Style , Belles - Lettres. C’eft , dans la langue
écrite,,, le caractère de la diction ; & ce caraCtère
eft modifié par le génie de la langue , par les
qualités de l’cfprit & de l’âme de l’écrivain , pat
le genre dans lequel il s’exerce, par le fujet qu’il
traite, ,par les moeurs on la fituation du perfonuage
qu’il fait parler ou de celui qu’il revêt lui-même,
enfin par la nature des chofes qu’il exprime. ,
On a dit que le Stylé d’un écrivain portoit toujours
l’empreinte du génie national. Cela doit être;
& cela vient de ce que le génie national imprime
lui-même fon caraCtèrç à la langue.
11 n’eft point de nation chez laquelle ne fe
rencontrent plus ou moins fréquemment tous les
caractères, individuels qui font donnés par la nature.
Mais' dans chacune d’elles , tel ou tel caractère eft
plus commun, tel ou tel eft plus rare ; & c’eft
le caraCtère dominant q u i, communiqué à la langue
, en Conftitue le génie^ La langue italienne
eft molle & délicate ; la langue efpagnole eft noble
& grave ; la langue angloife eft énergique, & fa
force a de l ’âpreté.
Ainfi, lorfqu’il fe trouve , parmi la multitude ,
un efprit d’une trempe fingulière &, pour ainfi
dire , hétérogène ; il eft contrarié fans ceffie , en
écrivant, par le génie de là langue. Il faut donc
qü’il le dompte , ou qu’il en foit dompté ; ou,
ce qui arrive le plus fouvent, que chacun des deux
cède du fien , & s’accommode à l’autre : & de cette
efpèce dé conciliation fe formé un Style mitoyen,
qui participe plus ou moins & du génie de la langue
ic du génie dé l’auteur.
I l arrive de là que moins le caraCtère d’une nation
eft prononcé, plus celui de fa langue eft fufceptible
des différents modes du Style. Une langue
qui de fa nature feroit molle comme l ’or pur, ne
Xeroit pas fufceptible de la trempe de l ’acier ; tous
fes inftruments fer oient foibles : il faut donc qu’elle
réunifie la foupleffe avec l’énergie ; & ce mélange
paroît tenir au caraCtère national. Auflî voit - on
que celles des nations qui font connues pour avoir
eu en même temps le plus de foupleffe & de reffort
dans le caraCtère , font auflî celles dont la langue
a été le plus fufceptible de toutes les qualités du
Style. La plus belle des langues, la plus habile
à tout exprimer , fut celle du peuple du monde
qui eut dans le caraCtère le plus éminemment ce
mélange de force , de mobilité, de foupleffe : je
n’ai pas befoin de nommer les grecs.
La langue des romains, pour devenir prefque auflî
fufceptible des métamorphofes du Style, fut obligée
d’attendre que le génie de Rome fe fût lui-même
détendu & comme affoupli. Tant qu’il eut fa rudefle
& fon auftérité, elle fut inflexible & indomptable
comme lui. L ’un & l ’autre fe polirent en même
temps ; mais ils gardèrent tous les deux affez de
leur première force pour être mâles & vigoureux,
dans le temps même qu’ils connurent les délicateffes
du luxe : & de là réfulte l ’étonnante beauté de