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On appelle suffi. Enthoujiafme le délire
ou la paffion véritable qui fe communique
d un homme à l ’autre , 8c quelquefois à tout- un
peuple , lorsqu’une imagination exaltée fe rend
mai trefle des.'éfprits, & qu ils font violemment émus
des tableaux qu’elle leur préfente : & on le dit également
des effets de l ’erreur & de ceux de la vérité.;
plus fourrent même de l ’erreur, parce que le
menfonge a plus '{payent recours à l’Éloquence
paffionnée. Mahomet a fait des enthoufîajles.y § o-
crate n’en fit point. De grands qxemples ou de
grandes leçons infpirent pourtant quelquefois T.E/z-
thoujiafme de la vertu & de la gloire. L ’elprit de
la ieéte ftoïque fut l ’Enthoujiafme. de la vertu. Le*'
génie de l ’ancienne Rome fut l’Enthoufîafme- de la
patrie.. ( AL Ma rm o >n t e l
É PITHÈTE , f. f. En Éloquence 8c en Poéfie
on appelle Epithète um ad je ftif{an s lequel l ’idée
principale feroit fuffilamment exprimée, mais qui-
lui donne ou plus de force, ou plus de nobleffe
ou plus d^elévation -, ou quelque çhofe de plus
fin,, de plus délicat, de plus touchant,- ou quelque
fingularitépiquante ,o.u une couleur plus riante
& plus vive, ou quelque trait de.caradère plus fen-
fible aux ieux de l ’efprit.-
Un adjedif, fans- lequel l’idee feroit confufe , incomplète,
ou vague, &- qui ne fait que l ’éclaircir, la
décider , la circonscrire , n’ eft . donc pas ce qu’on^
entend par une Épithètes Ainff, lorfqu’on die ;
par exemple, L'homme ju fîe ejl en p aix' avec
lui-même & avec Les autres- ; L ’Homme f,âge éjl
libre dans': les fe r s : jufte 8c f âge font des adf
jedifs , mais ne font pas- des É'pitkè~tes\ (Zeilts~cï
font dans le langage oratoire & poétique, comme
font, dans l’ufage de la. v ie ,,ces-biens furabondants -,
& dont Voltaire' a dit
Le fupejfluchofe- très-néceflaire?-
Mais ce luxe d*èxpreffion a fes ^ornes tout comme,
l ’autre ; 8c une Epithète q u i,, dans . fe ftyle, ne
contribue à donner à la penfée ,, ni; plus -de beauté -,
ni plus-dë force, ni plus de grâce, eft- un mot
parafite : abjlat- quidquid non-adjuvar; c’efi; un-
principe univerfel qu’il ne faut jamais. perdre de
vue dans l ’ufage des Épithètes. Lorfqu’eiles font
froides ou furabondantes, elles reffemblent à ces
braflelets & à ces colliers qu’un mauvais peintre avoit
mis aux Grâces. ■ ,
Quelques exemples vont faire diftinguerles Épi-
zkètes bitn on mal employées
Deforipiion du lit du tréforier de la-Sainte-Chapelle,
dan» le Lutrirv.
Dans- le réduit obfcur d’une alcôve enfoncée
S’élève un: lit de plume 4 grands-frais amajfée.
Quatre rideaux:pompeux, par un doublecontour
Ea défendent l’entrée.à la ejarje du jour.
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Là ,• parmi' lesvdbuceurs-'dfiin tranquile filencfi-V
Règne fu r le duvet une hetireufe indolence.
G’eft là que le prélat, muni d’un dé jeûner ,
Dormant d’un léger foin me, attendoitle dîner.-
La' jeitnefle en fa fleur Brillé fur Ton vifiige '5
Son menton fur fon féiii defeend à double étage ;-
Et- fon corps ramaffé dans üa courte grofleur',
Fait gémir- les couffins- fous fa- molle épaiffeiir.-
Dans;ce modèle de la veffification-fiançôife, o»;
voit qu’aucune des Epithètes que'j’indique . n’étoit-
ab fo lumen t nécefîaire au fens mais qu’il- n’y. en a
pas une qui n’ajoute à l ’image^.
Récit de la mort d’Eippoly te , dans- la tragédie
de- Phèdre.- \
Ses fupèrbes courtiers qu’on voyoîtautrefo-iSv
Pleine d’une ardelir fi noble-,, obéir a fa-voix1,- *
L’ail morne maintenant & la têté'baïffée, •
Seinbloient fe conformer.’ à fà c-pêhfce. •
TJn-efp-oyable-cri,,forti du fein des flots.
Des airs en ce.moment a^troublé le reposi
Et- du fein de la terre une-voix formidable
Répond , en gémiflant-, à ce,-cri redoutablei-
Jufqu’au-fond, de nos-coeurs notre fà-ng s’efl: glacé ; ■
Des-courfieus attentifs -le cria s’efl: hériflé.-- ;
, Cependant fur le-dos de la plaine-/iÿoi4e-
S^élève à- gros bouillons une montagne humide:' ;
, L ’onde approche, fe -brife, & vomit à- nos .ieux-.
Pamir des-flots d’écume1 un mo&ftve furieux-.
Son front large eft armé de cofnes ntenaçantés, ■
• Tout foii ccfps eft couvert d-’écàilles juunijfantes;-
Indomptable taùréàd d'ragon'impéfueux,
Sa crôtipe fe recoqrbe-en replis' tortueux*-
Parmi les Épithètes donfcëS'vêi’s font remplis
les unes font nécèfiaires-, comme liquidé & humide
, fans lesquels plàine.Sc montagne nediroient'1
rien ' ce ' ne font là ’ que dës‘adjêérifs.: les' autres,
moin£ indifpenfabies, nê laiflent pas de tenir en-*
core au caractère At l ’imâ’g ë 'St de la fitùation ,
comme ùijle',peUfif\ Vieil morne , là tête baîjfée
dès" Comrfiêrs attentifs', - un môn'ftrë f u r i e u x les’
autres font' fûfaboridântes’ ,' comme larges’, me--
rtaçantes, jaunijfantes impétueux, & tortueux*-
Mais celles-ci donnent encore’ plus dé couleur &
de force au tableau ;■ & dans une defcri'ptiô’n épique,.
il eft i nconte fiable ' qu’ elles ferdient b eau-té. ■
C’eft- ainfî que Virgile a peint les deux fèrpents'
qui"' voni etouffe^- LaocôcJn & 'fes.enfànes
, • . Immenfis ■ orbîbus• angues -
Incumbunt pelago , pariterqüe ad littora tendunt : ■
Jèeâora quorum inter fluctus àrrefta , jubeeque - . .
Sanguines exuperant undas-ypârs catera pontum:-.
JP ont legit y jinudtque-imiirenfa. voluminé’ terga:- -•
Fit fonitus fp\im4.nte falo rîjamque- arva tenebant»
Ardentes^ue oculos , fuftéifli fanguine 6c igni- ,-/
Sibila ■ Idmbebant linguis^ibrantibus ora* ■
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T t puifqu’il s’agit Épithètes , oq peut voir que,
dans ces vers inimitables., il n’y.en a pas une qui
me (bit un coup de pinceau. Mais dans la bouche
..de Théramène „ dans le langage de la douleur,
.& furtout dans la fitùation de Théfée., on peut
douter que des détails fi poétiques foient à leur
.place. En général, l ’emploi, dès Épithètes- ,,dé-
,pend des convenances & celles qui feroient placées
dans là bouche du poète , ou de tel perforir
mage dans telle .fitùation.,. ne le feroient pas
dans la bouche de tel autre., ou dans, telle
.autre circonftance. L’apropos en fait la beauté ;
.& leur jufteffe eft relative aux, personnes., aux
.temps , à l ’idée , à Fi mage , au fenliment que
l ’on exprime-, au degré d’intérêt dont on eft animé ,
à l ’état de tranqbilité ou d’agitation où fe trouvent
l ’efpr-it .& l ’âme , ou de celui quwparle, ou
de ceux qui l ’écoutent.
Dans les écrits où l ’imagination ddmine , tout
■ ce qui donne à fes peintures- -plus d’éclat, \ de ri-
eheüe, de magnificence eft naturellement
■ placé. Mais quand la paffion vient fe faifîr dé toutes
les facultés de , l ’âme & l’occuper de fon objet
unique , tout ce qui n’ajoiite pas a l ’intérêt de
l’expreffion lui eft étranger. Elle rébute les mots
de pure oftentation , elle dédaigne le foin de plaire.
Son unique • foulage ment eft de fe répandre au
dehors. U Épithète qui l ’aide à s’exprimer lui eft
précieufeq celle qui ne feroit que ladiftraire , la
ralentir., la refroidir, la géneroit j & , comme
Phèdre, la nature diroit alors :
-Que ces vains o r n em e n t s j que ces voiles m’epèfent ! „ .
I l ne faut donc pas être furpris fi la Poéfie
dramatique , 8c fingulièrement la Poéfie pathétique
, admet moins d’Épithètes que la Pôéfie
epique & que la Poéfie lyrique. Le génie de
celle-ci eft une imagination exaltée ; le génie de
l ’autre eft une âme profondément-émue & abforbée
dans fon objet. L ’une admet donc tout ce qui peint 5
l ’autre n’admet que ce qui touche.
Mais lors même que le poète livré à fon imagination
ri’a d’autre .intérêt que de peindre, chaque
Épithète qu’i l emploie doit être comme un
trait qui ajoute à fa peinture une nuance, une
beauté nouvelle. Si la touche en eft inutile ou
mal-adroite, elle y fait tache, au lieu de l ’embellir..
E t des fleuves françoîs-Ies eaux enfanglantées
Ne portoient que des morts aux mers épouvantées.
Rien de plus jufte & de plus frapant que ces
deux Épithètes : 8c quoique l ’image fut déjà terrible
, Amplement exprimée ainfi, Les eaux des
fleuves français ne portoient aux deux mers que
des morts ; ces eaux enfanglantées, ces mers
épouvantées font une image plus colorée, plus
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animée., Sc plus touchante. Mais dans cette cbmpa-
raifon , d’ailleurs fi heureufe 8c fi rare ,
Belle Arécliufe., ainfi ton onde fortunée
Roule au fein furieux d’Amphitrite étonnée,
Un cri liai toujours par & dès flots toujours clairs ,
Que jamais ne corrompt l’ amertume des mers,
quoique YÉpithète 8’étonnée préfente une idée â
FeCprit, on peut croire que-le poète l’auroit fa-
cri fiée à la précifion , s’il n’eût fallu l’accorder â
la rime; & la même néceffité lui a fait répéter
l’image tfiin criftal toujours pur dans celle des
flo ts toujours clairs.
Roufleau, dans fes odes, -a fait de l’Épithète l’un
des plus riches ornements' de fon ftyle , - comme
dans cette àpoftrophe à l’Avarice, qui, du refte,
feroit plus jufte , fi elle s’adfeftoit à la Cupidité*
O u i , c’eû to i, Monftre acte fia b le ,
^ Superbe tyran des humains,
Qui feul du bonheur véritable
A l’homme as fermé les chemins-.
Pour appaifer fa fo if ardente ,
La terre, en tréfors abondante,
Feroit germer l’or fous fes pas-;
Il brûle d'un, feu fans remède ,
Moins riche de ce qu’il pofsède
Que pauvre de ce qu’il n’ a pas.
Mais la rime lui a fou vent fait employer des É pithètes
furabondantes.
Comme un tigre impitoyable
Le mal a brifé mes o s ,
Et fa, rage infattable
N e me laifle aucun repos.
Vi&ime foible 6c tremblante ,
A cette image fanglante
Je foupire nuit 6c jour; '
_ Et dans ma crainte mortelle,
Je fuis comme l’hirondelle
Sous les griffes du vautour. *’
L’on fent bien que la rage infatiable du tigre
impitoyable fait une redondance de ftyle ; que
Vimage fanglante n’eft que pour la rime ; & que
le crainte de l’hirondelle fous les griffes du vautour
rend fuperflue YÉp'uhète de mortelle que la rime
■ feule exigeoit.
Souvent, dans les vers de Roufleau , VÉpithète n’eft pas feulement oifive, elle eft importune, &
quelquefois à contre-fens. Dans l’ode à ia For-*
tune :
Jufques à quand, trompeufe Idole ,
D ’un culte ; honteux & frivole
Honorerons-no us- tes autels ?
.Qi <h »