
7 *2 2 S O N S I T
autre genre que la rime initiale, a pourtant été violée dans le célèbre Sonnet de Des Barrreaux :
Grand Dieu, tes jugements font remplis d'équité :
Toujours tu prends plaiiîr à nous être propice ;
Mais j'a i tant fait de m a l, que jamais ta bonté
N e me pardonnera fans bluffer tajuftice.
O u i , mon Dieu, la grandeur de mon impiété
N e laide à, ton pouvoir que le choix du fupplice:
T o n intérêt s'oppofe à ma fé lic ité ,
E t ta clémence même attend que je péc ide.
Contente ton défir puifqu’ il t’eft glorieux :
Offenfe-roi des pleurs qui coulent de mes ieux ;
T o n n e , frape j il eft temps; rends-moi guerre pour guevçe :
J ’adore en périffant la raifon qui t’aigrit j
Mais deffus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne foie tout couvert du fang de JÉSUS-CHRIST?
Les Sonnets graves & héroïques ne doivent
être qu’en vers alexandrins : mais dans des Tu jets
moins férieux on peut employer des vers de dix
ou de huit fyllabes ; on peut même faire ufage
de vers de différentes mefures , & prendre dans le
fécond Quatrain d’autres rimes que dans le premier.
Tel eft le Sonnet de l'Avorton , parHé-
naut, que j’ai cité à l’article A n t i t h è s e [ Tom. I,
pag. zo4. )
_ Le Sonnet peut devenir Épigramme : en voici
un exemple fourni par Sarrazin , qui femble
n’avoir, point f o n g é à faire un Sonnet, tant il y
a de douceur , de facilité, de naturel, comme
l’exige toutefois la ftrutture du Sonnet. Celui-ci
eft en vers de dix fyllabes.
Lorfqu’Adam vit cette jeune Beauté
Faite pour lui d’une main immortelle,
S’il l’aima fort ; elle de fon côté,
Donc bien nous prend, ne lui fut pas cruelle.
Cher Charleval, alors en vérité
Je crois qu’il fut une femme fidèle.
Mais comme quoi ne l’auroit-elle été?
Elle n’avoir qu’ un feul homme avec elle.
Or en cela nous nous trompons tous deux :
Car bien qu’Adam fût jeune & vigoureux ,
Bien fait de corps, 8c d’efpric agréable ;
Elle aima mieux, pour s’en faire conter,
Prêter l’oreille aux fleurettes du Diab le,
Que d’étre femme & ne pas coqueter.
Il eft bon d’obferver, i°. que ce Sonnet commence
& finit par une rime mafeuline ; z°. que
les rimes des deux premiers Quatrains font mêlées
dans l’un & dans l’autre , comme dans le Sonnet de Des Barreaux, quoique dans le Sonnet de
Boileau il y ait à chaque Quatrain deux rimes
plates. (M. JBe a u z é e . )
SITUATION, f. f. En Poéfîe , on appelle
Situation , un moment de l’aétion épique ou dramatique
, ou de la feule polition des perfonuages
réfulte pour le fpeétateur un faififfement de crainte
ou de pitié, fi la Situation eft tragique; de
curiofité , d’impatience , ou de maligne joie , fi
la Situation eft comique. C’eft dans l’un & dans
l’autre genre le plus infaillible moyen de l’art.
Pour bien juger d’une Situation, il faut fup-
pofer les aéteurs muets dans ce moment critique,
& fe demander à foi-même : Quel mouvement
excitera dans le fpeétacle la feule vue de la fcène ?
Si le fpeéfcateur, pour être ému , doit attendre
qu’on ait parlé, il n’y a plus de Situation.
Le père de Rodrigue outragé dit à fon .fils ,
« J’ai reçu un fouffiet ; mon bras, affoibli par les
» ans , n a pu me venger ; voilà mon épée, venge-
» moi. — De qui ? — Du père de Chimène ».
Rodrigue , dès ce moment, n’a qu’à refter immobile
& muet d’étonnement 8c de douleur : nous
fentirons , avant qu’il le dife, le coup terrible qui
l’accable.
Ce même Rodrigue fe préfente aux ieux de Chimène
, l’épée nue & fanglante à la main : l’impref-
fion de cet objet n’a pas befoin, pour être fentie , des
paroles qui vont la fuivre.
Chimène, à fon tour, va fe jeter aux pieds du
roi & demander vengeance contre ‘ un coupable
qu’elle adore: ces mots, Sire, Sire, jujtice 1
nous en difent affez ; 8c tous les coeurs , comme
le fien , font déchirés dans ce moment.
La Situation tragique eft tantôt ce que les
latins appeloient rerum anguflioe , un détroit dans
lequel l’aéteur fe voit comme entre deux écueils
ou fur le bord de deux abîmes : telle eft la Situation
du Cid ; telle eft celle de Zamore , lorf-
qu’on lui propofe le choix, ou de renoncer à fes
dieux, ou de voir périr fa maitreffe ; telle eft
celle de Mérope, réduite à l’alternative , ou de
donner fa main au meurtrier de fon époux, ou de
voir immoler fon fils; telle eft la fameufe Situa-\
don de Phocas dans Héraclius , lorfqu’entre fon
fils & fon ennemi, & ne pouvant difeerner l’un de
l’autre, il dit ces vers fi beaux 8c tant de fois
cités :
O malheureux Phocas! ô trop Tu retrouves deux fils pour mouhreiur raepurxès Mtoaui,rice! Et je n’en puis trouver pour régner après moi,
Tantôt elle reffeijible à la pofition d’unvaiffeau
battu par deux vents oppofés, ou au combat de
deux vents contraires ; c’eft le choc de deux paf-
S I T 7 2 3
fions ou de deux puiffants intérêts : tel eftj dans
l ’âme d’Agamemnon , le combat de l ’ambition &
de la nature , de la tendreffe & de l ’orgueil : tel
eft, dans l ’âme. d’Orofmane , le combat de l’amour
& de la vengeance : tel e ft, entre Orefte & Py-
lade , le combat de 1 amitié ; entre Agamemnon &
A ch ille , celui de l ’orgueil irrité; entre Zamti &
ldamé , celui de i ’héroïfme & de l ’amour maternel.
Tantôt, c’eft: un fimple danger, maisprefiant,
terrible , inconnu à celui qui en eft menacé ; l ’acteur
reflemble alors au voyageur qui va marcher
fitr un ferpent, ou qui, la nuit, va tomber dans
un précipice : telle eft la Situation de Britan-
nicus , lorfqu’il fe confie à Narciffe ; telle , 8c plus
effroyable encore , eft la Situation d’OEdipe., cherchant
le meurtrier de Laïus ; telle eft la Situation
de Mérope & d’Iphigénie , fut le point d’immoler ,
1 une fon fils , l ’autre Ion frère.
A Tantôt c eft comme un orage qui gronde fur la
tete du perfonnage intéreffant, ou comme un naufrage
milieu duquel il eft au moment de pé-
rif | . °Jrr®Llr du danger lui eft connue, mais fans
elpoir d y échaper : telle eft la Situation d’Hécube ,
d Andromaque, de Clytemneftre , à qui "on arrache
leurs enfants.
Les Situations comiques font les moments de
1 aéïtion qui mettent le plus en évidence l ’adreffe
des fripons,, la fottife des dupes, le foible , le
travers, le ridicule enfin, du perfonnage qu’on veut
jouen Pour exemples de ces Situations comiques,
fe préfentent en foule lés fcènes de Molière; &
ces exemples font la preuve que lé comique des
Situations eft prefque indépendant des détails &
du ftylê : pour rire aux éclats, i l fuffit de fe rappeler,.
même confufément, les S itua tion s^ Y Ê -
cote^ des maris, du Tartuffe , de Y Avare , des deux
Sojies , de George Dandin , &c.
Le premier foin du poète , dans l ’un ou l ’autre
genre , doit donc être de former fon intrigue de
Situations touchantes ou plaifantes par elles-
mêmes, fans fe flatter que les détails , l ’efprit,
le fentiment, & l ’Éloquence même puiffent jamais
y fuppleer. Son aétion ainfi difpofée, qu’il prenne
foin d’y joindre les dèvelopements que la Situation
demande , & que la nature lui indique ; qu’il
y employé le langage propre aux caractères , aux
moeurs, a la qualité des perfonnes ; il aura pref-
<|ue atteint le but de l ’art: mais ce n’eft pas affez,
s il n a de plus obfervé les paffages , les gradations
d’une Situation à l ’autre ; & c’eft la grande difficulté.
On réuffit plus communément à inventer des
Situations, qu’à les bien amener & à les bien lier
enfemble. La crainte d’être froid & languiffant
fait quelquefois qu’on les brufque & qu on les
entaffe alors le naturel, la vraifemblânee , l’intérêt
même n’y eft plüs. Ce n’ eft: point par fe-
couffes que 1 ame des fpeétateurs veut être émue :
S I T
un ‘coup de foudre imprévu les étonne , mais ne
fait que les étourdir ; pour que l’orage imprime
fa terreur, il faut qu’il vienne lentement, qu’on
l’ait vu fe former de loin qu’on l’ait entendu
gronder.
C’eft peu même de favoir amener les Situations
avec vraifemblance , & les graduer avec
art ; quand le perfonnage y eft engagé, il faut
favoir l’en faire fortir , foit pour le tirer de péril
ou de peine au moment que l’aétion l’exige, foit
pour l’engager dans une Situation ou plus tragique
ou plus rifible encorë.
Lorfque , dans le Philoctète de Sophocle ,
Néoptolème a rendu à Philoctète fes armes ;
on fe demande : Comment, par la feule perfua-
fion , ce coeur ulcéré fera-t-il adouci ? & on attend
ce prodige, ou de la vertu de Néoptolème, ou
de l’eloquence d’Ulyffe. Mais dans la pièce de
Sophocle , ni l’un ni l’autre ne l’opère : voilà
une Situation avortée. Dans Cinna, Rodogune ,
Attire, lorfqu’Émilie & Cinna font convaincus
de trahifon , lorfque Zamore a tué Gufman 8c qu’il eft pris , lorfqu’Antiochus a le poifon fur
les lèvres, on fe demande : Par quels prodiges
échaperont ils à la mort ? & la clémence d’Au-
gufte, la religion de Gufman, l’idée qui fe pré-
fente à Rodogune de faire faire l’effai de la coupe,
viennent dénouer tout naturellement ce qui paroif-
foit infoluble.
Quant aux Situations paffagères, la réponfe
d’Émilië ;
. . . . . . . . Qu’ il dégage fa fo i ,
Ee qü'il choififfe après entre la mort & moi;
la réponfe de Curiace ;
Dis-lui que l’amitié, Falliasnce, & l’amour
j Ne pourront empêcher que les trois Curiaces
Ne fervent leur pays contre les trois Horaces:
la réponfe de Chimène;
Malgré des feux fi beaux qui troublènt ma colère,
" Je ferai mon poifible à bien venger mon père;
Mais malgré la rigueur d’un fi cruel devoir,
Mon unique fouhaic eft de ue rien pouvoir
la réponfe d’Alzire ;
T a probité te-parle , il faut n’écouter qu’elle:
font des modèles accomplis des plus heureufes folu-
tions. *
Dans le Comique, un excellent moyen de fortir
d’une Situation qui paroît fans reffource, c’eft la
rufe qu’emploie la femme de George Dandin,
lorfqu’elle fait femblant de fe tuer', & qu’elle
réuffit, par la frayeur qu’elle lui caufe , à le mettre
dehors ôc à rentrer chez elle.