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P o é s i e p r o v e n ç a l e , Poéjie. La
provençale eft le langage roman , & mérite un
article à part.
Lorfque la langue latine fut négligée , les
troubadours -, les chanterres les conteurs , les
jongleurs de Provence, & enfin ceux de ce pays
qui exerçoient ce qu’on y appeloit la Science gaie,
commencèrent dès le temps de Hugues Capet à
romanifer & à courir la France , débitant leurs
romans & leurs fabliaux , compofés en langage
roman : car alors les provençaux avoient plus
d’ufage des Lettres & de la P o é jie , que tout le
refie des françois.
Ce langage roman étoit celui que les romains
introduifirent dans les' Gaules après les avoir con-
quifes , & qui, s’étant corrompu avec le temps par
le mélange du langage gaulois qui l ’avoit précédé
, & du franc ou tudefque qui l’avoit fuivi ,
n’étoit ni la tin, ni gaulois, ni franc , mais quelque
chofe de mixte, où le romain pourtant tenoit
le deffus , & qui pour cela s’appeloit toujours
Roman , pour le- diftinguer du langage particulier
& naturel de chaque pays , foit le franc,
foit l e . gaulois ou celtique , foit l ’aquitanique ,
foit le belgique ; car Céfar écrit que ces trois
langues étoient différentes entre elles , ce que
Strabon explique d’une différence qui n’étoit
que comme entre divers dialeétes d’une même
langue.
Les efpagnols fe fervent du mot de Roman
au même fens que nous ; & ils appellent leur langue
ordinaire romance. Le roman étant donc plus uni-
verfellement entendu , les conteurs de Provence
s’en fervirent pour écrire leurs contes * qui der là
furent appelés Romans. LesTrouverres, allant ainfi
par le monde , étoient biens payés de leurs peines,
& bien traités des feigneurs qu’ ils vifitoient, dont
quelques-uns étoient fi ravis du plaifir de les
entendre, qu’ils fe dépouilloient quelquefois de
leurs robes pour les en revêtir.
Les provençaux ne furent pas les feuls qui Ce
plurent à cet agréable exercice ; prefque toutes les
provinces dé France eurent leurs romanciers ; jufi-
qu’à la Picardie, où l ’on compofoit des Servantois,
pièces amoureufes , & quelquefois fatiriques. M.
Huet obferve qu’i l eft aflez croyable que les
italiens furent portés à la compofiîion des romans
par l ’exemple des provençaux , lorfque les papes
tinrent leur fiège à Avignon ; & même par l ’exemple
des autres françois, lorfque les normands , &
enfui te Charles , comte d’Anjou, frère de Saint
Louis, prince vertueux & poète lui-même , firent
la guerre en Italie : car les normands fe méloient
aufii de la fcience gaie.
Les poètes provençaux s’appeloient Troubadours:
ou Trouverres, & furent en France les princes de
la Romancerie dès la fin du dixième fiècle. Leur
métier plut à tant de gens, que toutes, les provinces
de France eurent leurs trouvejrres* Elles prop
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duifirent, dans l ’onzième fiècle & dans les fuivants,
une grande multitude de romans en proie & en
vers ; & le préfident Fauchet parle de cent vingt
fept poètes qui’ ont vécu avant l ’an 1300.
M. R y mer , dans fa Short view oftragedy, dit
ue les auteurs italiens, comme Bembo , Speron
péroné , & autres, avouent que la meilleure
artie de leur langue & de leur Poéjie vient de
rovence ; & il en eft de même de ï ’elpagnol
& de la plupart des autres langues modernes. I l
eft certain que Pétrarque , un des principaux &
des grands auteurs italiens , feroit moins riche ,
fi les poètes provençaux revendiquoient tout ce
qu’il a emprunté d’eux. En un m o t, toute notre
Poéjie moderne vient des provençaux; jamais on
ne.' vit un goût fi général parmi les Grands & le
peuple pour la Poéjie , que dans ce temps - là
pour la Poéjie provençale ; ce qui fait dire à
Philippe Mouskes, un de leurs romanciers , que
Charlemagne avoit fait une donation de la Provence
aux poètes , pour leur fervir de patrimoine.
M. Rymer ajoûte, qu’il infifte particulièmcnt
fur cet article, pour prévenir l’impreflion que
les moines de ce têmps - là pourroient faire fur
les leéteurs , & fur tout Roger Hoveden , qui
nous aprend que le roi Richard I , qui avoit avec
Geoffroy fou frère demeuré dans plufieurs Cours
de Provence & aux environs , & avoit goûté la
langue & la Poéjie provençale, achetait des vers
flatteurs à fà louange pour fe faire un nom ,
& faifoit venir, à force d’argent, des chanteurs &
des jongleurs de France , pour le chanter dans
les -rues ; & l ’on difoit partout qu’i l n’avoit pas
fon pareil.
I l eft faux que ces chanteurs & ces jongleurs
vinflent de France : les provinces dont ils ve-
noient , étoient fiefs de l ’Empire. Frédéric I avoit .
donné à Raimond Bérenger les comtés de Provence
, de Forcalquier , & autres lieux voifîns ,
à titre de fief. Raimond , comte dé Touloufe ,
étoit le grand patron de ces poètes , & en même
temps le protecteur des albigeois, qui alarmèrent
fi fort Rome , & qui coûtèrent tant de croifades
pour les extirper. Guillaume d’Agoult , Albert
de Sifteron , jlambaud d’Orange' ( nom que le
duc de Savoie a fait revivre ) , étoient des poètes
diftingués. Tous les princes ligués en faveur des
albigeois contre la France & le pape , encoura-
geoient & protégeoient • ces poètes. Or il eft
aifé,par cet expofé , de juger de la raifoa qui
irritoit fi fort les moines contre les chanteu fs &
les jongleurs , & qui leur faifoit voir avec chagrin
qu’ils euflent une fi grande familiarité avec
le roi.
Le même Critique obferve enfuite que, de-toutes
les langues modernes , la provençale eft la première
qui ait été propre pour la Mufique &
pour la douceur de la rime ; & qu’ayant pafle par
la
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la Savoie au Montferrat, elle donna occafîon- aux
italiens de polir leur langue & d’imiter la Poéjie
provençale. Les conquêtes des anglois dé ce côte-
là & leurs alliances avec ceux de ces pays ,
leur procurèrent plus tôt encore la connoifiance
de la langue & de la Poéjie dés provençaux ; &
ceux des anglois- qui s’appliquèrent à la Poéjie ,
comme le roi Richard , Savary de Mauleon , &
Robert Grofletête , trouvant leur propre langue
trop rude, fe portèrent arfément à ,fe fervir de
celle de Provence , comme étant plus douce
& plus -flexible. Chaucer a pris tous les termes
provençaux , f r a n ç o is& latins qu’il a pu trouver
, & les a mêlés avec l ’anglois après les avoir
habillés à l ’angloife.
On appeloit les poètes provençaux, Troubadours,
Jongleurs', & Chanterres : ce dernier nom n’eft pas
étranger dans nos cathédrales. Roger Oveden rend
le fécond par Joculatores ou Joueurs , comme
on pourroit traduire le premier par Trompettes.
Mais les Troubadours s’appeloient aufli Trouv erres,
comme qui diroit Trouve -tréjor. Les italiens les
nomment Trovatori; le nom de Jongleurs leur
venoit apparemment'.de quelque inftrument de
mufique. (vraifemblablement la harpe) alors en
ufage., comme les latins & les grecs fe nora-
moient Poètes lyriques. Du Verdier , Van Privas,
& la Croix du Maine vous feront connoître les
principaux poètes provençaux ; je n’en indiquefai
que dçux ou trois, d’entre les plus anciens.
Belve\er (Aymeric de ) florifioit vers l ’an 1103,
& fit quantité de vers à la louange de fa maître
fie , qui vivoit à la Cour de Rémond comte’
de Provence. .Enfuite il devint amoureux d’une
princeffe de Provence qui s’appeloit Barbojfe :
cettë damé ayant été nommée abbefle d’un mo-
naftère , Belvezer en mourut de douleur en 1164 ,
parce qu’il ne lui étoit plus permis de la voir. Il
lui envoya, peu de temps avant fa mort , un. petit
ouvrage intitulé, Las amours de fon ingrata.
Arnaud de Meyrveilh , poète provençal du
treizième fiècle, entra au fervice du vicomte de
Béziers , & devint épris de la comtefié de Burlas
fon époufe. Comme il étoit très-bien fait de fa
perfonne, chantoit bien , & lifoit les romans en
perfection , la comtefle le traitoit avec beaucoup
de bonté : enfin il s’enhardit à lui déclarer fon
amour , par un fonnet intitulé Les chajles prières
d’Arnaud ; la comteflei les écouta gracieufement,
& fit au poète des préfents confidérables. Il mourut
l’an iz zo ; Pétrarque a fait mention de lui dans
fon Triomphe de 1 Amour.
Arnaud de Courtignac , poète provençal du
quatorzième fiècle , devint amoureux d’une dame
nommée Yfnarde , à la louange de laquelle il
fit plufieurs vers ; mais n’ayant rien pu gagner
fur fon efprit, il alla voyager dans le Levant, afin
de fe guérir de ia paflïon par l ’abfence,& d’oii-
blier Une perfonne qui paroiffoit prendre plaifir
G r a m m . jst L i t t ê r â t . Tome III,
P O È *37
à fes peines. I l lui adrefla un • ouvrage.intitulé ,
Las Jujfrenfas d’amour,. & mourut à la guerre
en 13ï4. ( Le Chevalier d e JAUCOUR-T. )
Poésie satirique , voye\ Satire. -
Poésie du style , voye\ Style , ( P oésie
du. ) '
Poésie du vers. Voye\ V ers (P oésie du ) ,
au la lettre P eft fi chargée , qu’il faut per-
-îilettre ces fortes de renvois , pourvu qu’on 11’ait
pas oublié de les remplir. ( Le chevalier DE
Ja u c o u r t . ) '
{N .) P O È T E , f. m. B elles-Lettres. D’après
l ’idée qu’Homère nous donne de fon art , & de
l ’eftime qu’on y attachait dans les temps qu’il a
rèndus célèbres , on voit que les Poètes étoient
des philofophes ou deS théologiens , qui fe dori-
noient pour infpirés , & auxquels on croyoit que
les dieux-avoient révélé des fècrets inconnus au
refte des- hommes. Ainfi., lorfqu’ils faifoient aux
-peuples des récits merveilleux , ou qu’ils expli-
quoient par des fables les phénomènes de la Nature,
on ne deinandoit pas où ils avoient pris cette
fcience myftérieufe : le chantre ou le, devin- fe
difoit prêtre d’A p ollon, favori des Müfes , confident
de leur mère j la déefle Mémoire : que ne
devôit-il pas favoir ?
Ce- ne fut que long temps après , & lorfque
les peuples plus éclairés s’aperçurent que dans
lè génie des Poètes il n’y avoit rien de furna-
turel , qu’à l ’idée d’infpiration fuccéda celle d’invention
& de fiétion poétique. Mais alors même,
en perdant le crédit de la prophétie , les Poètes
furent eonferver le pouvoir de i ’illufion; & quoique
reconnus pour des menteurs ingénieux, ilç
loutinrent leur perfonnage. De là ces formules
d’invocation, d’infpiration,& d’enthoufiafme , qu’ils
ne cefsèrent-d’affeéter ; de -là ce ftyle figuré , ce
langage myftérieux, qu’ils retinrent de leur ancienne
divination; de là- cette élévation d’idées ,
cette majefté de langage, qui leur fut néceflarrc
pour imiter le dieu dont ils fe difoient les
organes.
Du temps même d’Horace , on ne inéritoit 1©
nom de P o è te , qu’autant qu’on avoit les moyens;
de remplir ce grand cara&ère :
Ingenium cui fit , cui mens divinior, atque 0s
Magria fonaturum , des nominis hujus hanorem.
A raefure que l’amour du menfonge eft devenu
moins v if , & que le goût des arts & l ’efprit qui
les juge a pris quelque teinte de Philofophie ,
le rôle de Poète s’eft modéré' : l’Ode a perdu fa
vraifemblance ; l ’Épopée , fon merveilleux : au don
de feindre des chimères a fuccédé le talent de
peindre , d’embellir des . réalités ; l’enthoufiaftne
s’eft réduit à la chaleur d’une imagination fage