
Outre toutes les Acceptions dont on vient de
parler, les mots qui ont une Signification générale
, comme les noms appellatifs , les adjeCtifs ,
& les verbes , font encore fufceptibles d’une autre
efpèce S Acception que l ’on peut nommer déterminative.
Les Acceptions déterminatives des noms appel-
latifs dépendent de la manière dont ils font employés
, & qui fait qu’ils préfentent à l ’efprit, ou
l ’idée abftrai te de la nature commune qui conftitue
leur Signification primitive, ou la totalité des individus
en qui fe trouve cette nature , ou feulement
une partie indéfinie de ces individus, ou enfin
un ou plufieurs de ces individus précifément déterminés.
Selon ces différents afpeCts , 1*Acception
eft ou fpécifique , ou univerfelle, ou particulière ,
ou fingulière. Ainfî, quand on dit, agir en homme ,
on prend le nom homme dans une Acception fpécifique
, puifqu’on n’envifage que l ’idée de la nature
humaine. Si l ’on d it, tous les hommes font
avides de bonheur , le même nom homme a une
Acception univerfelle , parce qu’i l défigne tous les
individus de l ’efpèce humaine ; 'quelques hommes
pnt Vame élevée, ici le nom homme eft pris dans
une Acception particulière , parce qu’on n’indique
qu’une partie indéfinie de la totalité des individus
de l ’efpece ; cet HOMME (en parlant de Céfar )
avait un génie Supérieur, ces dou^e HOMMES
( en parlant des apôtres ) navoient par eux-mêmes
rien de ce qui peut ajfurer le fuccès—dhtn projet
aujjî vafie que Vêtablijfement du chrifiianifme,
le nom homme, dans ces deux exemples, a une Acception
fingulière, parce qu’il fert à déterminer précifément
, dans i ’üne des phrafes , un individu, &
dans l’autre, douze individus de l ’efpèce humaine.
On peut voir , au mot N om {art. i , §. i , n. 3 ),
les différents moyens de modifier ainfi l ’étendue des
noms, appellatifs.
Plufieurs ad/e<Sfcifs, des verbes, & des adverbes,1’font
également fufceptibles de différentes Acceptions déterminatives
, qui font toujours indiquées par les
compléments qui les accompagnent, & dont l ’effet
eft de reftreindre la Significationrpnrmiive & fondamentale
de ces mots: un homme SAVANT ,
un homme SAVANT en Grammaire, un homme
très-s A VAN T , un homme plus SAVANT qu’un
autre ; voilà l’adjeCtif /avant pris fous quatre A c ceptions
différentes, en confervant toujours la même
Signification. Il en feroit de même des adverbes
& des verbes, félon qu’ils auroient tel ou tel complément
ou qii’ils n’en auroient point. Voye\
C omplément.
I l paroît évidemment , par tout ce qui vient
d’être dit, que toutes les efpèces S Acceptions dont
les mots en général & les différentes fortes de mots
en particulier peuvent être fufceptibles, ne font que
différents, afpeCts delà Signification primitive &
fondamentale : qu’elle eft fup.pofée., mais qu’on en
fait abftcaCtion dansY Acception,matérielle: quelle
eft choifie entre plufieurs dans les Acceptions diftin&
ives : qu’elle eft déterminée à la fimple dé-
lignation de la nature commune dans Y Acception fpécifique j à celle de tous les individus de l’efpèce
dans Y Acception univerfelle ; à l’indication d’une
partie indéfinie des individus de l’efpèce dans Y A c ception
particulière ; & à celle d’un ou de plufieurs
de ces individus précifément déterminés dans Y Acception fingulière : en un mot, la Signification primitive eft toujours l’objet immédiat des diverfes
Acceptions. I. Sens propre , sens figuré. 11 n’en eft pas ainfi
à l’égard des différents Sens dont un mot eft fuf-
ceptible : la Signification primitive en eft plus tôt
le fondement que l’objet , fi ce n’eft lorfque le mot
eft employé pour fignifier ce pour quoi il a été
d’abord établi par l’ufage , fous quelqu’une des acceptions
qui viennent d’être détaillées ; on dit alors
que le mot eft employé dans le s e n s propre, comme
quand on dit, le feubrâle, la lumière nous éclaire ,
la clarté du jour ,* car tous ces mots confervenî ,
dans ces phrafes, lent Signification primitive, fans
aucune altération ; c’eft pourquoi ils font dans le
s e n s propre.
« Mais, dit du Marfais ( Trop.part. J, art. v j ),
» quand un mot eft pris dans un autre Sens ,
» il paroît alors, pour ainfi dire , fous une forme
» empruntée, fous une figure qui n’ eft pas fa figure
» naturelle , c’eft à dire , celle qu’il a eue d’abord;
» alors on dit que ce mot eft dans un s e n s figuré,
» quel que puiffe être le nom que l ’on donne en-
» fuite à cette figure particulière. Par exemple , le
: » FEU de vos y e u x , le FEU de l’imagination,
» la LUMIÈRE de l’efprit, la CLARTÉ d’un dif-
» cours : ... .L a liaifon , continue ce grammai-
» rien [ibid. art. vij , §. 1 ) , qu’il y a entre les
» idées acceffoires , je - veux dire, entre les idées
» qui ont raport les unes aux autres, eft la fource
» & le principe des divers Sens figurés que l ’on
» donne aux mots. Les objets qui font fur nous des
» impreflions , font tou jours accompagnés de /diffé-
» rentes circonftances qui nous frapent, ôc par lef-
» quelles nous défîgnons fouvent , ou les objets
» „mêmes qu’elles n ont fait qu’accompagner, où
» ceux dont elles nous rappellent le fouvenir. . . .
» Souvent les idées accefloires , défignant les ob-
» jets avec plus de circonftances que ne feroient
» les noms propres de ces objets, les peignent
» avec plus d’énergie ou avec plus d’agrément.
» De là le ligne pour la chofe lignifiée la caufe
» pour l’effet, la partie pour le T o u t, l’antécédent
» pour le conféquent & les autres tropes. ( V oye%
» T rope.) Comme l ’une de ces idées ne fauroit
» être réveillée fans exciter l ’autre , il arrive que
» l ’expreflion figurée eft aufli facilement entendue
» que fi l ’on fe fervoit du mot propre ; elle eft
» même ordinairement plus vive & plus agréable
» quand elle eft employée à propos , parce qu’élle
» réveille plus d’une image ; elle attache ou amufe
» l'imagination, & donne aifément à deviner à
» Tefprit?
* i l n’y a peut-être point de m o t, dit-il ail—
» leurs (§. 4) , qui ne fe prenne en quelque Sens
» figuré , c’eft à dire , éloigné'de fa Signification
» propre & primitive. Les mots les plus communs
» & qui reviennent fouvent dans le difcours, font
» ceux qui font pris le plus fréquemment dans un
» Sens nguré » & qui ont un plus grand nombre de
» ces fortes de Sejis : tels font corps , âme , tête,
» couleur, avoir, faire , &c.
» Un mot ne conferve pas dans la traduction
» tous les Sens figurés qu’il a dans la langue ori-
» ginale : chaque langue a des expreffions figurées
» qui lui font particulières, foit parce que ces
»> expreffions font tirées de certains ufages établis
» dans un pays & inconnus dans un autre, foit
» par quelque autre raifon purement arbitraire . . . .
» Nous difons porter envie , ce qui ne feroit pas
» entendu en latin par ferre invidiam : au con-
» traire , morem gerere aliàui eft une façon de par-
» 1er latine qui ne feroit pas entendue en fran-
» çois , fi on le contentoit de la rendre mot à mot,
» & que l ’on'traduisît porter la coutume à quel-
h qu’un , au lieu de dire, faire voir à quelqu’un
» qu’on fe conforme à fon goû t, à fa manière de
» vivre , être complaifant , lui obéir.........Ainfi ,
» quand i l s’agit de traduire en une autre langue
» quelque expreftion figurée , le traducteur trouve
» ‘fouvent que fa langue n’adopte point la figure
» de la langue originale ; alors i l doit avoir re-
» cours à quelque autre expreftion figurée de fa
» propre langue, qui réponde, s’il eft poffible,
». à celle de ion auteur. Le but de ces fortes de tra-
» duCtions n’eft que ^de faire entendre la penfée
» d’un auteur ; ainfi, on doit alors- s’attacher à la
» penfée , & non à la lettre, & parler comme
» l’auteur lui-même auroit parlé , fi la langue dans
» laquelle on le traduit avoit été fa langue natu-
» relie. Mais quand il s’agit de faire entendre une
» langue étrangère , on doit alors traduire littéra-
» lement, afin de faire comprendre le tour origi-
» nal de cette langue.
» Nos Dictionnaires (§. ç ) n’ont point allez re-
» marqué ces différences, je veux dire , les divers
» Sens, que l ’on donne par figure à un même mot
»> dans une même langue , & les différentes Signi-
a> fications que celui qui traduit eft obligé de
» donner à une même expreftion, pour faire en-
» tendre la penfée de fon auteur. Ce font deux
» idées fort différentes que nos Dictionnaires con-
» fondent ; ce qui les rend moins utiles & fouvent
» ûuifibles iaux commençants. Je vais faire entendre
» ma penfée par cet exemple.
» Porter fe rend en l^tin dans le Sens propre
» par ferre : mais quand nous difons, porter envie.,
» porter la parole , fe porter bien, ou m a l, & c .,
»> on ne fe fert plus de ferre pour rendre ces façons
» de parler en latin ; la langue latine a fes exprcf-
» fions particulières pour les exprimer ; porter ou
» ferre ne font plus alors dans l ’imagination de
» celui qui parle latin : ainfi , quand on confidère
G r a m m . e t L i t t é r a t . Tome I I I ,
» porter tout feul & féparé des autres mots qui
» lui donnent un Sens figuré, on manqueroit d exac-
» titude dans les Dictionnaires françois-latins , fi
» l ’on difoit d’abord Amplement, que porter fe
» rend en latin par ferre , invidere, alloqui, va-
» lere, &c.
» Pourquoi donc tombe-t-on dans la meme faute
» dans les Dictionnaires latins -françois, quand il
» s’agit de traduire un mot latin ? Pourquoi joint-
» on , à la Signification propre d’un mot, quelque
» autre Signification figurée , qu’i l n’a jamais tout
» feul en latin ? La figure n’eft que dans notre fran-
» çois , parce que-no us nous-fervons d’une autre
» image, & par conféquent de mots tout différents.
» Poye\. le Dictionnaire latin-françois , imprime
» fous le nom du R. P. Tachart en 1717 , & quel-
» ques autres Dictionnaires nouveaux. JYLittere,
r> par exemple, fignifie, y dit-on, envoyer, rete-
» nir, arrêter, écrire. N’eft-ce pas comme fi l ’on
» difoit, dans le Dictionnaire françois-latin, que
» porter Ye rend en latin par ferre, invidere , allo-
n 'q u i, valere ? Jamais miltere n’a eu la Signifiai
cation de retenir, d’arrêter, décrire , dans l ’ima-
» gination d’un homme qui parloit latin. Quand
» Térence a dit ( Adelph. I I I . ij. 37.) lacrymas
» mitte, & ( Hec. V . i j . 14.) mijfam iramfacitey
» mittere avoit toujours dans fon efprit la figni-
» fication Renvoyer : envoye\ loin de vous vos
» larmes, votre colère, comme on renvoie tout ce
» dont on veut fe défaire,- Que fi en ces occafions
» nous difons plus tôt, retenez vos larmes, retenez
» votre colère, c’eft que, pour exprimer ce Sens,
» nous avons recours à une métaphore prife de
» l ’aCtion que l ’on fait quand ori'retient un cheval
» avec le frein, ou quand on empêche qu?une choie
» ne |ombe ou ne s’échape. Ainfi, i l faut toujours
» diftinguer deux fortes de traductions. ( V . T ra-
» duction , Version ,Jyn.) Quand on ne traduit
n que pour faire entendre la penfée d’un auteur,
» on doit rendre , s’il eft poftîble, figure par
» figure , fans s’attacher à traduire littéralement :
» mais quand il s’agit de donner l ’intelligence d’une
» langue , ce qui eft le but dès Dictionnaires, on
» doit traduire littéralement, afin de faire entendre
» le Sens figuré qui eft en ufage dans cette langue
» à l ’égard d’un certain mot ; autrement, c’eft tout
» confondre.
» Je voudrois donc que nos Dictionnaires don-
» naffent d’abord à un mot latin la Signification
» propre que ce mot avoit dans l ’imagination des
» auteurs latins; qu’enfuite ils ajoutaflent les divers
» Sens figurés que les latins donnoient à ce mot.
» Mais quand i l arrive qu’un mot joint à un autre
» forme une expreftion figurée, un S en s , une penfée
» que nous rendons en notre langue par une image
» différente de celle qui étoit en ulage en latin ;
» alors je voudrois diftinguer : i° . fi l ’explication
» littérale qu’on a déjà donnée du mot latin, fuffic
» pour faire entendre à la lettre l’expreffion figu-
» rée ou la penfée littérale du latin ; en ce cas,
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