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fiècle. Dans les fables* de La Fontaine ,..on voit
tou: ce que l sart avoit apiis à Taire ; fans fe déceler
un.moment,. & fans ceffer de reffembler au
pur inftinét de la nature. Madame de Sévigné a.
laiffe douter fi elle avoit le Goût des grandes
chofes : mais celui des .petites ne fut jamais plus
p ur, plus-délicat que dans festlettres } elles en
iont un modèle achevé, La Fontaine a perfuadé
quhl n’y avoit, dans fon talent, qu’une {implicite
rtàïvê ; & jamais la fagacité de /intelligence,
de 1 obforvation n’a été à un plus haut point. Le
G o û t , dans Sévigné étoit le fentiment exquis
des convenances fociales : le G ûü£, dans La Fontaine
, étoit le fentiment profond des convenances
naturelles & ce fentiment , i l i’avoit appliqué',:
non feulement aux moeurs , des hommes, mais à
celles des animaux. Phèdre eft. fimple, élégant ,
précis : c eft beaucoup ; ce n’efo rien au prix de
l<a Fontaine. Celui-ci elh riche , abondant, va-
né , brillant d’invention dans les idées-, de coloris
dans les images./ & d’un bonheur, h imprévu, fi'
nngulier dans tout ce qu’il, invente,. qu’on croit
toujours que c’eft une rencontre; tant ce qu’ il -à*
de plus ingénieux paroît fimple 8c peu réfléchi ü
L Ariofte a* mélé le plaifant avec le fublime
mais on voit que ce n’eft qb’un jeu :c-on dit:,:
Xi Ariofte s égaye j & l ’on veut'bien-; s’égayer avec-
lui. La Fontaine a mélé le fublime avec le naïf j
i l a change de ton. & de- couleur âufli. hardiment
•que 1 Ariofte, plus fouvent même plus rapi--
•dement;; non pas en poète-folâtre & qui fe joue
de fon art, mais (ans- y entendre finefie ,. & de-
1 air de la. bonne foi cependant telle eft fa?
magie >- que ce mélange- eft '< d’un Goût exquis
parce que l’apropbs en fait la vraifomblanèe; &
<{ùe , fur tous les tons, i l con’ferve fon naturel.
Examinez biem lés peintures ou il a mis le.plus
de Poéfîe , vous n’y trouverez pas un trait que
l ai t fe fait permis comme pur ornement dé luxe..
L ’efprit, le génie y étincelle n fons qu’une foule
9n le foùpçonnè. d’avoir voulu • briller. Ce
qu’il a d it, il falloit le. dire ÔC pour le- dire
k mieux poffible & lé plus naturellement j il
falloir le dire comme i l l ’a-dit, quoiqu’il foit
dans l ’expréffiôn-, le plus hardi, de tous nos poètes.
Aflurement cet art de dlffimuler l ’art n’étoit pai.
connu des anciens. ■
,Le étoit la"-, Ibrfque Boileau compoÊt
X A tt poétique : cet ouvrage', qui mit le comSIe
a fa célébrité^ 8c à l ’autorité qu’il avoit dans les
Lettres, fut donc un peu tardif ; il ne fo i f e .pas
detre utile. Il n’aprii rien aux maîtres de l ’art:-
mais il groftit le nombre de- leurs juftes appré-
ciateurs. Il acheva d’apprendre à la multitude à
neftimer que: des beautés réelles; il acheva dé
la guérir dé fes vieilles admirations pour des
jfoemes fons poéfîe & pour des romans fons--
vraisemblance; il acheva'dé. décrier ce faux bel- !
dont Molière avoit fait juftice en plein’ ’
théâtre, & qui ne laiftoit pas encore de fo pro-
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; duire -;dans le xçonde. Ainfi.,. Boileau , Critique-
peu fonfible „ mais judipipux fol.i,de ne fut
pas le reftaurateüD; du Goût ; ,il. enyfut le vendeur.
& le - conforvateur; 11 n’aprit pas aux poètes de-
fon. temps ,d- bien-: faire dès- vers- ; .car .les belles-
fcenes/de Cinna- 8c. des Horacqs ,.. ces grands modèles
de la verfification françôifo y étoient- écrites
lorfqup Boileau ne fefoit,encore que d’afféz mau-
t vaifos fatires;; le Mifanthrope , le Tartuffe,,
• % -Femmes iavaqtes.,. Britanniçus , Andromaque ,,
; Iphigénie,, & les Fables de La Fontaine avoient
: précédé l’Art poétique :; mais il fit la guerre aux
; apauvais écrivains,. & déshonora-leurs exemples:;
il, fitTentir aux jeunes gens-les bienféances de
; tous les);iryles;, il donna- de chacun des genres-
’ une”'.idée nette & pié^ile,: 8c s’il n’eut pas cette
• délicate fie de fentiment qui-démêle, comme dit
j Voltaire , une. beauté parmi, des défauts, un' i défaut-parmi des beautés- s’il mit Voiture à
! côté d Horace ;. s’il- confondit Lucain avec. Brébeuf
dans- fou. mépris pour la Pharfaie s’il ne fut
point aimer Quinanlt (i),;. s?il ne fut point iad-
: mirer Le Taffe ; fi / dan$ l’Art poétique , il ou-
I biia ou' dédaigna- de! nominer La- Fontaine/. il
: connut-du .moins çes'vérités premières qui font
. des règles; éternelles,; il- les grava dans les efprits
avecdes traits ineffaçables :■ & c’eft-peut -r être ,
grâce aux lumières, qu’il nous tranfmit dans fa-
vieilieffe, que la génération fuivante ; que lui; a été plus-jufte
Je vas; hafarder un1- paradoxe ,■• que-je fâcherai
; d’expliquer : c’eft. que notre 1 fiècle: a. été en même
; temps-, -l’époque; de la; perféélioii du..! Goût: &: de
fo décadencè. IL s’annonça' d’^bord^ fous de mauvais
aufpices,. par Ja- trop célèbre difpùte fur les Anciens
& les Modernes'. Je crois avoir fait , voir
ailleurs que ,, dans cette querelle tout le monde
; avoit tort- Mais ce-qu’-bn y/ aperçoit bien claire-
j ment / du côté »des Modernes- yc’efh que le Goût ' des Lettres avoit perdu de fon attrait y que , dans un:
grand nombre de. bons e’fprits, uire raifort analytique
avoit éteint l’imàginatioft ,* & que, dans-des-
arts où elle domine , le ‘ charme étoit prefque
détruit & l’illufion' diflipée. Alors ori donna.dans
l’excès-'oppofé':-à l’enthoufîafme. La Critique devint
fubtile & fut sèche & mjnutieufe. L’eforit 5>
pour - jugêt le génie, -fo. mit â la place dé râme.-
On votflut1 tÔüt‘ affujétii:/ aux lois de-nos ufages-
fugitifs / neJ-riefi céder â la nature,, ne rieirpaffer'
aux moeürs ;antiqlies-, rien â l’èffor de l’imagifia-
tibn- &. aa‘x • élans- de la ; péhfée ; réduire ‘la-- Poéfie
à là precffion- des idées métàphyfiques f & la contraindre
à- raifonner- ce qui-n’eft fait que pour être
(i-) 'Si on trdnvoit dans l ’àntiyiiîté' un poème- comme
Armide ou comme Aty-s , avec quelle idolârriè- if feroic
reç-iit1 A^isi'Qj4Ûiau}C -/|çoié naodernû .• . . .• Il manquoit à
Bouleau, dj^vpir. fagjriHé .aux. : Grâces. Il i chercha en vain
c°ure ta vie à ‘humilier un homme qui n’étoiç connu que
f«é«èUeSi î j[- V O IT À IK E Ü ,
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fontii C’en étoit fait du Goût y fi çe fyfième eût
prévalu.
C’en étoit fait encore fi la- doétri'ne du parti
des Anciens avoit été prife à la lettre: car pour
avoir la f o i que demandoient leurs. zélateurs il
-auroit fallu renoncer aux lumières du fons intime ,
tout admirer, j.ufqu’âu fonimeil 8c aux rêveries du
bón- Ho mère ; &c au nvoy-en des. .commentaires’'^'
des autorités ,des>:exemple$.,. il n’étoit rien qu’on
neût fait:, paffe r poutêtre béait & : dans le Goût antique. Le poème de Chapelain,. avec des noces
à* la- D acier ,■ eût été une oeuvre admirable.
- Heureufement il s’éleva un homme digne d’apprécier
&• les- Anciens.. & les Modernes , 'qui commença
par les étudier avec l’avidité d’une jeuneffe
ardente & qui, bientôt s’égalant lui - niême aux-
plus illuftfes y aqùit le droit de les juger. ■
' Jamais. liöimtse dé' Lettres ,• dans aucun fiècle,
n’a efTuyé autant dè‘codtradicrions & d’iniquités,,
que Voltaire en éclairant le fién; Mais tout fon*
nble qu’i-1 étoit à l’injure , il eut le ebufage de;
la fouffrir ; & après, avoir foixante ans lutté.contre
l’envieil a fini par Fetouffer. Cette gloire:, fi-
long temps difputée à- celui qui fefoit celle de
fon fiècle,' eft venue enfin ,, aux acclamations- de
tout un peuplé reconhoifiant & jufte, couronner la
vieilieffe de ce grand homme & environner- fon
tombeau. -
C’étoit fous lui que s’ëtoit formée cette école
db Goût, qui , fans diftinéfion ni de temps ni
de lieux, fans partialité, fons envie , & l’efprit
égalemènc libre de^fuperftition pour lès .Anciens,
de complaifance pour les Modernes, les pëfâ tods
dans la- mêmè/bâlance ,, en connut le fort & le
foible , &tenant un jufte milieu entre une admiration
folle & un; dénigrement encore plus in-
fonfé ,î reçut les impreflîons de l’art , c'omme celles
de la nature, avec cette bonne foi fîmplè que doit
t'óujöurs avoir la confoienee du Goût.
. Ce fot.alors que les beaux-fièdes de Périclès-,.
d’Alexandre , ’ & d’Augufte ,= de Léon X- & de
Lquis XIV eurent de vrais eftimateurs. Ce fut
alors q,ue cet Homère, qui fait fon. époque à
lui foui, fut admiré, non pas comme un dieu-
infaillible, niais- Comme un . .génie étonnant ; &
qu’en faveur de fos grandes beautés , on lui paffa'
fes contes puérils k les. cpmparaifons exubérantes
fos harangues hors da fai fon, fos combats trop
accumulés , fes foiblefTes , & fos- longueurs. Virgile
fon rival , fût apprécié, de même & avec
la. même équité; Jamais admiration plus pure que
celle dont jouit encore Cette belle moitié : de
l’Enéide qu’il avoit perfectionnée ; & dans celle
qu’il a laiffée imparfaite en niouranr , s’il n’y a
pas un défaut que l’on n’ait aperçu & modeftement
obferve , y a -1 - il une feule beauté qu’on n’ait pas
vivement fentie.?- i.
' Quelques faux brillants dans Le TafTe ont - ils
détruit pour nous l'effet de fes peintures?’ Tan-
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ciède , Herminie & Clorinde, Renaud & Armide,
ne font-ils pas auffi préfents à nos efprits qu’Hec-
tor ,. Achille ,. Andromaque , & Didori ? 8c dans
les combats qu’il décrit, dans les fcênes atlendrif-
fontes qu’i l y mêle avec tant de charme, dans ces
tableaux fi variés , dans, cette Poéfîe aimable &
belle . encore auprès de celle de V irg ile , e force
par du- clinquant que- nous nous laiftons-
éblouir ?
Il en eft de la Tragédie comme-de l ’Épopée»*
Dans les Anciens, la fimplicité , la vérité , le
pathétique , le naturel dans le dialogue; chez-
les Modernes , la belle ordonnance de l ’adion
le tiflu de l ’intrigue ., l ’art ,- plus favant qu’il ne
le fut jamais , d’amener les fitualions & dea*
préparer les effets, le jeu des paillons actives ,
leurs dèvelopements & leurs gradations la grande:
manière de fondre FHiftoire dans la Poéfîe, tout a-
été fenti & jufte nient apprécié.*
Quels monuments de Goût que les éloges de-’
Fénelon , dé Molière , de La Fontaine , que nôqs;
avons vus couronnes i Quels--monuments de Goiéz
que les éloges de Bofluet,* de Maflillon , de
Deftouches-, par d>Alembert ! Quel monument de'
Goût que cet ouvrage que Thomas a ,eu la mo-*
deftie d intitulerV EJJdis fur les Éibg’es , & auquel
nul ouvrage de Critique, foit ancien foit moderne
, à la réforve du livre de Cicéron fur les-
illuftres orateurs , n’eft digne d’être comparé l
Enfin quel monument de Goût que les notes>
de Voltaire fur le théâtre de Corneille !■ -
Mais , ce qui efo plus rare encore que cè Goûtât
Critique & de fpéculation , -quel modèle de
Goût dans les écrits de ce grand homme ! Depuis-
le ton lé plus familier jufqu’au ton le plus hé-
xoï_;ue , qui jamais a eu, .comme lui , ce fentiment
délicat & fin des propriétés, du ftyle & de;
fes. différences/ & qui jamais,, -avec'plus-de jufo-
teffe , nous en a . marqué les degrés ? Quelle élégance
& quelle a fiance noble dans- . fes poéfies'-
fugitives Quelle belle fîrijplicité dans lé ftyle:
attrayant dont .11 écrit l’Hjftoijé-f Quellè "grâce 8c
quel enjouement il prête a nTojfbfbphiè ! Quelle;
majefté | quel é c lat,. queile dïverfité dé tons & de:
couleurs i l donne, au langage tragique .T mqins:
fini que Racine , ni.oins châtié, moips'pur,;moins-
attentif, ou, fi l ’on, veut , moins . .adroit à lier
enfemble tous les refforts de l ’avion ,* niais ; plus-
véhément , plus fécond, plus varié, plus profondément
pathétique., & plus fidèle aux moeurs lo r
paies,, auxquelles Racine quelquefois avoit trop
mélé de nos moeurs.-
Je ne dis pas qpe , dans le Poème épique , dus
côté de l’invention, il ait égalé fos rivaux. L e
deflîn de la Henriade avoit été i conçu, dans up
âge où la penfée n’a pas- encore; aquis; touti ' fon
àccroifTément, ni le géni.e toutes . fos/ for.ces c
l ’ouvrage s’en eft refoenti. Mais, du côté du Goût »
y a-t-il rien de plus achevé ? Récits deferiptions y