
droit-on pour des noms, puifque le langageufuel
des grammairiens les diftingue en deux clafles,
l ’une de noms, & l’autre de Pronoms ? Ce font
tous des mots déterminatifs, ainfi que je l’ai dit
ailleurs ( Voye^ M o t .) Mais comme ils déterminent
de différentes manières, ce font des mots
déterminatifs de différente efpèce : les uns déterminent
les êtres par l’idée de leur nature , & ce font
les noms j les autres déterminent les êtres par l’idée
précife d’une relation à l’aéte les de la parole, & ce font Pronoms.
C’eft pour cela que,fi un même être eft défio-né'
par un nom & par ùn Pronom tout à la fois, le
nom s’accorde en perfonne avec le Pronom, parce
que la perfonne n’eft qu’un accident dans le nom,
& qu’elle eft une propriété effencielle du Pronom ; le Pronom au contraire s’accorde en genre avec
le nom, parce que le genre n’eft qu’un accident
dans le Pronom, & que c’eft une propriété effencielle
du nom. La différence des genres vient, dans
les noms , de celle de la nature dont l’idée déterminative
caraétérife l’efpèce des noms ; & de même
la différence des perfonnes vient, dans les Pronoms, de celle de la relation à l’aéte de la parole, dont
l’idée déterminative cara&érife l’efpèce des Pronoms
: au contraire les nombres & les cas, dans
les langues qui les admettent , font également
propres aux deux efpèces ; parce que les deux
efpèces énoncent des êtres déterminés, & que tout
être déterminé dans le difcours l’eft néceffairement
fous l’une des qualités défignées par les nombres, &
fous l’un des raports marqués par les cas, de quelque
efpèce que foit l’idée déterminative. Voye^ Nom- j?rb , Cas, & Personne.
Les noms, je le répète ; expriment des fujets
déterminés par l’idée de leur nature j & les Pronoms,
des fujets déterminés par|l’idée précife d’une
relation perfonnelle à l’aéte de la parole. Cette
différence eft le jufte fondement de ce cri général
de toutes les Grammaires qui diftinguent les Pronoms
de la première, de la fécondé, & de la troisième
perfonne ; parce que rien n’eft plus raifonnable
que de différencier les efpèces de Pronoms par les
différences mêmes de leur nature commune.
Il eft donc, faux de dire que les Pronoms ne
font que de fimples vicegérents des noms , & que
le fujet qu’ils expriment n’eft déterminé que par
le reffouvenir de la chofe nommée : le fujet y
eft déterminé par l’idée précife d’une relation perfonnelle
à faite de la parole j &, cette détermination
rappelle le fouvenir de la nature du même
fujet, parce qu’elle eft inféparable du fujet. Ainfi,
quand, au fortir du fpeétacle , je dis qu’Androma-
què m’a vivement intéreffé , chacun fe rappelle
les grâces féduifantes de l’inimitable Clairon , quoique
je ne l’aye défîgnée par aucun trait qui lui
foit individuellement propre : le rôle dont elle
étoit chargée dans la repréfentation, rappelle né-
cefTairement le fouvenir de l’aélrice , parce qu’il
^’indique individuellement, quoiqu’accidenteliement.
C ’eft de la même manière que l ’idée du rôle
dont eft chargé un fujet dans la repréfentation de
la penfée , indique alors ce fujet individuellement ,
& rappelle le fouvenir de fa nature propre : mais
ce fouvenir n’eft rappelé qu’accidentellement, parce
que le rôle eft en lui-même accidentel au fujet.
I l eft pareillement faux que les mots j e , me,
moi, &c , foient les noms & non les Pronoms de
la première & de la fécondé perfonne , parce qu’ils
ne déterminent aucun fujet par l ’idée de la nature,
en quoi confifte le caractère fpécifique des noms j
ils ne déterminent que par l ’idée de la perfonne
ou du rôle $ & c’eft le caractère propre des Pro-
noms.
Quant à ce qu’ajoùte Fréron, que tout mot,
excepté ceux-ci, apartient à latroifième perfonne ,
& qu’il eft certain que la troifième^ perfonne s’empare
de tout: quoique cette remarque ne puiffe
plus entrer en objection contre le fyftême commun
qui diftingue les noms & les Pronoms, puifque
j’ai fapé le fondement del’objeftion & établi celui
de la diftinétion reçue j je crois cependant qu’il peut
être de quelque utilité d’aprofondir le véritable fens
’de l ’obfervatibn alléguée par l ’auteur de Y Année
littéraire.
On n’a introduit dans le langage les noms, qui
expriment des êtres déterminés par l ’idée de leur
nature, que pour en faire des objets du difcours,
& pour les charger conféquemment du troifième
rôle ou de la troifième perfonne : il feroit inutile
de nommer les êtres, fi ce n’étoit pour en parler.
I l eft donc naturel que tous les noms , fous leur
forme primitive , foient du reffort de la troifième
perfonne , & que cette troifième perfonne s’en empare
, puifqu’on veut le dire ainfi : mais ce n’eft:
point par l ’idée de cette relation perfonnelle que
les fujets nommés font déterminés dans les noms ;
c’eft par l ’idée de leur nature. Aufli cette difpo-
fition primitive des noms à être de la troifième
perfonne n’y a pas l ’effet d’une propriété effencielle
, je veux dire l ’immutabilité. Les noms peuvent
, dans le befoin, fe revêtir d’un autre rôle ;
le vocatif des grecs & des latins eft un cas qui
ajoute, à l ’idée primitive du nom , l ’idée acpeffoire
de la féconde perfonne ; & jamais la troifième ne
pourra s’emparer , par exemple, du nom Domine» f^oyes Personnel & Vocatif.
S’il n’y a de véritables Pronoms que les mots
qui préfentent à l’efprit des êtres déterminés par
l’ idée précife d’une relation perfonnelle à fa ite
de la parole , il n’en faut plus reconnoître d’autres
que ceux que l’on nomme communément perfon-
nels.
I l y a quelque différence entre le françois & le
latin fur le nombre des Pronoms perfonnels ; ou ,
pour conformer mon langage à la conclufion que
je viens d’établir, il y a quelque différence entre les
deux langues fur le nombre des Pronoms. 1, Sur cet objet-là même notre langue ne fuit
pas les mêmes errements qu’ à l ’égard des noms,
& elle reconnoît des cas dans les Pronoms.
Celui de la première perfonne eft au fingulier,
je , me, & moi, & au pluriel nous pour les deux
genres j celui de la fécondé perfonne eft au fingulier
tu , te, & to i, & au pluriel vous pour les deux
genres.
Pour la troifième perfonne, il y a deux fortes
•de Pronoms , l ’un direit & l ’autre réfléchi. Le
Pronom dire# eft i l , & lui pour le mafculln,
elle , & lui , pour le féminin f au fingulier \ ils
eux , & leur pour le mafculin , elles , & leur
pour le féminin au pluriel. Le Pronom réfléchi
eftyè & fo i pour les deux genres & pour les deux
nombres.
Je dis que Ces différentes manières d’exprimer
le même fujet perfonnel font dés cas du même
Pronom ,* & c’eft par analogie avec la Grammaire
des langues qui admettent des déclinaifons, que
je m’exprime ainfi , quoique me & moi , par exemple
, ne paroiffent pas trop venir de la même racine
que je : mais il n’y a pas plus d’anomalie- dans
ce Pronom françois que dans le latin correfpon-
dant ego, mei, mihi, me au fingulier, nos, noftri
ou nofirûm & nobis au pluriel.,* & l’on regarde
toutefois ces mots comme les cas du même Pronom
latin ego.
Voici comme je voudrpis nommer ces cas, afin
d’en bien indiquer le fervice.
Per- Ie. IIe. m e.
SONNES.
Direct. Réfléchi.
Nomb. S. S. S. PI. S. P.
Genr. m. f. m.f. m. f. m, f. m. f.
No min. je . tu. i l , elle ils, elles.
Dat. me. te lui. leur. f -
Compl. moi. toi. lui, elle. eux , elles. fo i.
J’appelle le premier cas nominatif, parce qu’il
exprime, comme en latin, le fujet du verbe mis
à un'inode perfonnel. Exemples : Je fa is, tu fais, IL fa it , ELLE f a it, ils fo n t, elles font. •
J’appelle le fécond cas d a tif, parce qu’il fert
au même ufage que le datif latin , & qu'on peut
le traduire aufli par la prépofition à avant fon
complément. Exemples : On m e donne, on TE donne , on iu i donne , on LEUR donne, onsE donne la liberté ; c’eft à dire , on donne la liberté
fào im. oi , à toi , à lui ou à elle, à eux ou à elles, à
Remarquez que ce datif ne fert que. quand le
verbe a un complément objectif immédiat, tel
que la liberté dans les exemples précédents ; mais
avec les verbes qui n’ont point de pareil complément
ni exprimé ni foufentendu, on fe fert du tour
équivalent par la prépofition à avec le complélif :
ainfi, il faut dire, on peut s’en prendre a m oi , A
A TOI , A LUI, A ELLE, A EUX, A ELLES, A
SOI.
J’appelle le troifième cas complétif, parce
qu’i l exprime toujours le complément d’une prépofition
exprimée ou foufentendue. Exemples : Pour MOI, pour TOI, pour LUI, pour ELLE, pour EUX,
pour elle s, pour so i.
Lorfque ce cas eft employé fans prépofition ,
elle eft foufentendue. Premier exemple : jDonnez- MOI ce livre, c’eft à dire, donnes a moi ce livre ;
& c’eft la même chofe après tous les impératifs
des verbes aitifs relatifs, qui ont en outre un complément
objeitif, lorfque la propofilion eft affirmative.
Deuxième exemple : Vout prétendes que le foleil tourne j & MOI jefoutiens que c'ejl La terre ;
c’eft à dire, & par des raifons connues de m oi , je foutiens , &c. Troifième exemple ( Volt. Mahom.
ait. I , >fc. i ) :
Qui ? Moi? baifferles ieux devant ces faux prodiges!
M o i ! de ce fanatique encenfer les preftiges !
c’eft à dire, baijfer les ieüx devant ces fau x prodiges , encenfer les preftiges de ce fanatique,
feroit un joug impofé, A qui , a MOI ? Le tour
elliptique marque bien plus énergiquement les
fentiments d’indignation & d’horreur dont eft rempli
Zopire : le coeur abforbe i ’efprit, & l ’efprit eft
forcé d’abandonner fa marche pefante & com-
paffée.
Il y a un cas où moi s’emploie comme complément
objectif fans prépofition après l ’impératif des verbes
actifs relatifs, comme quand on dit , écoute-MOi r Juives-Moi. Mais c’eft un abus, introduit par une fauffe
imitation* de dis-MOl, ou donnes-m o i , où moi
eft évidemment employé comme complément de
la prépofition foufentendue à. Je dis que c’eft un
abus , parce qu’il y a plus d’une raifon de croire
que l’on a commencé par dire écoute - m e , fu i-
ves - ME ; la première, c’eft que cette manière
eft véritablement conforme à la règle originelle ,
& qu’il étoit naturel de la fuivre partout, puisqu’on
la connoifloit : la fécondé raifon, c’èft que
la Syntaxe régulière eft ufitée encore aujourdhui dans
bien des patois , & fpécialement dans ceux des
Trois-Evéchés & de la Lorraine , où l ’on dit effeéli-
vement écoute - ME , fuive\-m e ; or il eft certain
que les ufages modernes des patois font les ufa^es
anciens de la langue nationale , comme les différences
des patois viennent de celles des caufes qui
ont amené les différentes métamorphofes du langage
national.
On pourroit objecter que j’ai mis un peu d’ar-*
bitraire dans la manière dont j’ai fiippléé le$