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Jnterpretls munere, ne quis me p ütit fingifâ ;
réflexion qui fait fentir le Befoin de la fidélité dans
une Traduction, pour, infpirer au lefteur une
jufte confiance : il donne enfuite a fa manière le
paffage qu’i l annonce , puis il conclut : Hoec Epi-
euro confitenda fun t ; aut ea , quas modo E X P
R E S S A A D V E R B U M dixi , tollenda de libro.
( Ibid. xjx. 4 3 . ) On voit que fa fidélité confifle à
rendre exactement le fens de chaque mot 3 expreffa
ad verbum.
Horace fit évidemment du même avis, dans ce
paffagede fon Artpoétique ( 131— 134), fifouvent
allégué à contre-fens;
JPublica materies privati juris er'it ; f i
jNec circa vilem patulumque moraberis orbem ,
B e c V E R B U M V E R S O curabis R ED D E R E F ID U S
IN T E R P R E S :
on voit bien que le dernier vers expofe la manière
dont doit procéder un fidèle Traducteur : c’eft
ainfi que l’a interprété Jouvenci ; f i non exferibas
ad verbum fingulas feriptoris quem tibi dele-
geris imitandum fententias , perinde quafi F l-
D E L IS IN T E R P R E S , nonp o ë t a fores. Jean Bond,
dont le commentaire eft fi fort eltimé , l'entend
de la même manière; f i non ftudebis , ut F I D U S
IN T E R P R E S j auçîorem tuum, quem imitandum
tibipropofuifii , V E R B A T IM E X P R IM E R E .
Je ne dois pas . diflîmuler que le P. Sanadon
penfe , d'après M. Dacier, qu’Horace blâme ici
cette fidélité fuperllitieufe des Traducteurs qui fui-
vent trop la lettre : » En effet , dit l ’academicien,
» les mots & les fyllabes des plus excellents origi- '
» naux ne font de l ’elfence de la chofe que dans
» l ’efprit des pédants ».
Oui fans doute, Horace blâme ici l ’attachement
fcrupuleux à la lettre , dans un poète qui prétend
s'approprier une matière dé/a connue & traitée ,
parce qu'il ne doit être qu'imitateur : mais loin de
condanner cet attachement dans un Traducteur,
j l en tire un éloge , fidus Interpres ; félon lu i,
verbum verbo readere eft un devoir qu'exige d’un
Traducteur la fidélité qu'il doit à ion original.
M. Dacier cite pourtant en faveur de Ion opinion
un paffage de Cicéron ; & c'eft le même que j’ai
cité plus haut ( De opt. gen. O rat. V . 14 ) , pour
établir au contraire'la néceffité de s'en tenir autant
qu'il eft poflible au fens littéral : je prie le leCteur
de voir qui en a mieux faifi l'efprit, de M. Dacier
ou de . . . ce n’eft pas de moi que je veux dire,
mais de Cicéron , qui s'eft affujéti au littéral quand
i l s'eft p r o p o f é de traduire j faut - i l mettre ce
grand homme au nombre des pédants ? .& cette
qualification ne convient - elle pas plus tôt à un
littérateur qui cite les anciens à contre-fens ? Je
dis à contre-fens , & j’en ai pour garant M. Huet,
ce prélat aufli diftingué par fon goût qu.e par fon
érudition. Voici fon commentaire fur le texte de
Cicéron :
T R
XTnde îllud prorsàs efficitur, qulcilmque feti-
tentiis iifdem & earum formis , verbis ad ver-
naculam confue tiulinem aptis x vi verborum &
genere fervato, iifque appenfis non numeratis
auctorem convertat ; eum Oratorem , f i forte ,
aut aliud quidvis agere, non Interpreter« : quif.
quis vero non fententias modo fententiis exoe-
quet y fed verbum etiam pro verbo reddat,* nec
verba folum appendat Leétori, fed annumeret ;
eum demum Interpretis munere fungi. Interprets
autem neque officium ,neque nomen his oratio-
nibus affectare fe palàm déclarât Cicero ; ut ex
his etiam clariùs Liquet y quoe habentur in ejuf-
dem proefationis calce. Quæ fi à græcis omnia
converfa non erunt, tamen ut generis ejufdem fini
elaboravimus. ( De Interpret. I , pag. 47. )
EfiTay ons de faire l'application de cette règle,,
bien conftatée, à quelques Traductions eftiniées.
I. lnvefligemus hune Cherchons donc, mon cher
igitury Brute , f i p o f- Brutus, cet orateur qu'An-
fumus y quem nun- toine n'avoit jamais vu, ou
qtiam vidit Antônius, plus tôt qui n’a jamais
aut qui omnino nulltii exifté : & fi nous ne pou-
unquam fu i t : quem vons en donner une vive &
f i imitari atque expri- fidèle peinture , ( talent
mere non poffumus , qui, ,au raport de ce grand
( quod idem ille v ix homme, étoit à peine'ac-
Deo conceffum effe di- cordé à la Divinité); tâ-
cebat ) ; at qualis chons du moins d’en marché
debeat poterimus quer ici les çaraéfères &
fortaffe dicere. ( C z c. les attributs. ( Trad, de
l ’Orateur, par Vabbé Col
in . )
Orat. V . 19. )
On voit d’abord que le Traducteur n’a tenu
aucun compte des deux mots f i poffumus du premier
membre : première infidélité.
I l me femble en fécond lieu que ces mots, quem
f i imitari atque exprimere non poffumus , ne
défignent pas la peinture oratoire que Cicéron ou
tout autre pourroit faire de l ’Orateur parfait, &dont
toutefois le Traducteur ùonne l ’idée : car i°. l ’intention
de Cicéron eft de donner en effet dans fon
ouvrage une peinture fidèle de l ’Orateur ; z°. il
feroit d’autant plus ridicule d’accorder â peine à
la Divinité le talent de peindre l ’Orateur, qu’il
doit être bien plus difficile encore d’en avoir le
mérite original ; 30. quand Cicéron ajoute, qualis
effe debeat poterimus fortaffe dicere, il promet
effectivement cette peinture , & ne défefpère pas
de la rendre fidèle. Le mot exprimere me femble
avoir trompé l ’abbé Colin : mais le fens en étoit
bien clairement déterminé ; i°. par imitari , qui
y eft joint comme à peu près fynonyme ; z°. par
le principe que Cicéron a adopté de Platon , &
qu’il annonce comme la règle qu’il va fuivre :
Perfectoe eloquentioe fpeciem animo vide mus ,
effîgiem auribus qnoerimus. Imitari c’eft Imiter ;
& Exprimere c’eft Montrer au dehors , Rendre
fenfible , Réalifer fenfiblement l ’idée abftraite de
l ’Orateur,
T R A T R A '5*4 ïj
l’Orateur parfait. Je crois donc que Cicéron veut
airê : » Et quoique nous ne puiflîohs imiter cet
» Originâl ni le réalifer ( ce qu’Antoine croyoit
» à peine poflible â la Divinité ) ; peut-être vien-
» drons-nous à bout du moins d’en expo%r les qua-
» lités néceffaires ».
i°. Je rends le Si latin par Quoique on fait
bien qu’il a fouvent c e t t e l i g n i f i c a t i o n ; & c’eft
l ’oppofition apparente des deux m em b r e s ; réunis par
.ce tte c o n jo n c t io n , qui en détermine ici le fens
comme partout ailleurs. ,
z°. La manière dont je traduis la parenthèfe ,
me femble rendre le fens de Cicéron & celui d’Antoine
d’une manière plus _ raifonnable & plus digne
d’eux que celle de l ’abbé Colin : il n’étoit pas
poflible que de.ux hommes aufli éclairés ne cruffent
pas Dieu même affez parfait pour être excellent
orateur;, & encore moins pour eu donner une vive
& fidèle peinture; mais il eft poflible que l ’un
& l ’autre ayent voulu employer l ’Hyperbole ,
pouf mieux marquer l’impoflibilité ou font les
hommes de réalifer parfaitement l’idée complète
de l ’Orateur : c’eft tout ce que, le Traducteur devoi t -
remarquer dans fa-note , en obfervant que 1 e v i x
Deo ne te «doit qu’à affûrer plus énergiquement
cette impoflibilité. Au refte, idem ille n eft pas
rendu par ce grand homme ; & c’étoit mal choifîr
le moment de qualifier ainfi Antoine , que d’attendre
qu’on lui f ît dire une impiété ou au moins
une abfurdité.
30. Fortaffe, poterimus n’eft point rendu par
Tâchons du moins ÿ il l ’eft plus fidèlement par
Peut-être viendrons - nous à bout : mais cela ne
pourroit plus aller après Si nous ne pouvons en
.donner une vive &. fidèle peinture ; il y auroit
eu contradiction. Cela même bien confidéré devoit
ramener le Traducteur fur fes pas, & lui faire
corriger le premier membre, plus tôt que de dénaturer
le fécond. Cette rectification d’une partie par
la comparaifon d’une autre ne p eu t-e lle pas être
regardée comme un principe dans l ’art de traduire
? f
II. Les cas équivoques & les ponctuations mal
entendues des éditeurs peuvent quelquefois tromper
un Traducteur : alors il n’ a point d'autre reffource
qu’une faine Logique, & l ’équité de croire que
1 auteur original n'a pas déraifonné.
. Nefcire autem quid Que faurions-nous en
anted- qiiam natus fis effet-dans la courte durée
accident, id efi femper de la vie., fi, à la con-
efje puerum. Quid enim noiflance de ce qui eft
efi aetas hominis, nifi arrivé du temps de nos
memoria rerum veterum pères, nous ne joignions
cum fupèriorum oetate encore celle des fiècles
contéxitur ? ( C ic. Ibid* plus reculés ? ( Traduit.
xxxjvj 12, o. ) J ' " - de l ’abbé COLIN.) ''
C’eft ainfi qu’eft ponCtué & orthographié le texte
de Verburgé , fuivi par l ’abbé C olin , qui a traduit
Gramm. e t L it t é r a t . Tome I l f *
en conféquence. Il fuppofe que memoria eft au
nominatif comme fin j e t du verbe contéxitur : que
par conféquent Cicéron a voulu dire memoria con-
texitur cum oetate ; ce qui eft allier des chofies
inaliiables , comme Humano capiti cervicem
piclor equinam jungere : i l prétend en outre lier
l ’ancien avec l ’ancien, memoria rerum veterum cum
fupèriorum oetate ; ce qui eft une vraie batto-
logie.
Mettez memoria à l ’ablatif, & changez la ponctuation
; i°. en mettant deux points après puerumï
parce que ce qui fuit eft le dèvelopement de ce
qui précède ; a0, en mettant memoria rerum veterum
entre deux virgules , parce que ces mots
n’expriment plus qu’un moyen' : rien de plus fimple
alors ni de plus raifonnable que la Traduction de ce
morceau.
Nefcire autem quid
antea quam natus fis
accident, id eft femper
effe puerum: quidenini
eft cetas ho-miniSy nifi,
memoria rerum veterum
y cum fuperiorum
aerate contexitur l
Or ignorer ce qui s’eft
paffé avant votre naiflance,
c’eft être dans une enfance
perpétuelle : car qu’eft-ce
que la vie de l ’homme,
fi , par la connoiffance de
l ’hiftoire ancienne , elle ne
fie joint à l’âge des premiers
hommes ?
On ne trouve plus ici les difparates de la première
leçon : i° . oetas hominis cum fupèriorum
oetate contéxitur y & c’eft allier des chofes alliables;
i ° . la battologie difparoît abfolument.
III. I l faut refpeéter & conferver l ’ordre des idées
de l ’original ; cet ordre a tou jours fes raifons.
E ft quod Coefar
non fuum vide at ,
tandemque Imperium
priucipum quam p a trimonium
majus eft
( P l i n . Panegyr. cap.
?o* 1 ,
Il y a dans le monde
quelque chofe qui ne vous
apartient pas, -& le patri-
; moine des Céfars eft moins
étendu que leur Empire.
( B o UH O U RS,, Man. de ■
bien penfer. Dial. II. )
I l y a d’abord deux fautes contre.la fidélité : la
première, en ce que le Traducteur adrefle la parole
au prince , ce que ne fait pas l ’auteur latin ;
la fécondé, en ce qu’il renverfe l ’image du dernier
membre,.
1. Pline dit Amplement , E f i quod Coefar non
fuum videat ,• & il me femble qu’il y a bien
plus de délicateffe dans cette louange indirecte ,
-que dans le compliment direct du jefuite : ce que
ait celui-ci a l ’air d’une pure flatterie; au lieu
que le conful, en parlant de Céfar , femble prendre
le monde à témoin , & fauve ainfi les apparences
de la flatterie. Ajoutons qu’i l y a dans le texte un
videat qui n eft pas rendu en françois, & qui eft
pourtant effenciel : ce n’eft point à l ’infu de Céfar
qu’il y a quelque chofe qui ne lui apartient pas,
ce n’eft pas qu’il ne connoifle les biens de fes
fujets ; i l voit tout , mais il règle fes défirs &
l ’exercice de fon pouvoir fur les principes de