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qu'elle fa it boniée , non pas en ' général dans
L'enceinte d’une ville , d’un camp , d’ un palais$
waw mÿz endroit limité d’un palais , d’ une
ville, OH camp. Voilà une belle théorie !
Et de fa place le Ipe&atèur voit-il cet endroit
du camp ou de la ville ? Non : car fa place eft
toujours l ’amphlilieâtie d'Athènes; & l'endroit de
la fcène eft en Aulide, à'Delphes , à Mycène -, en.
Tauride , &c II s'y tranfporte donc en efpiit dès
le premier acte. Or ce premier pas fa it , pourquoi
le fécond, le troifième, lui couteroient - ils
davantage ? Et f i , dans les a êtes fuivants, il eft
beioin qu'il fe tranfporte en efprit dans un' autre
lie u , pourquoi s'y refuferoit-il ? La même vivacité
d'imagination qui le rend préfent à ce qui fe
pafle dans la ville , lui manquera - 1 - elle pour
voir ce qui fe pafle dans le camp & pour y être
préfent de même ?. Sans cette illufion, tout fpec-
tacle eft abfurde $ mais on fe la fait fans effort ,
& la vraifemblance n’y manque que. lorfque , la
fcène étant continue & fans intervalle, le changement
de lieu s'opère maladroitement & fans qu’aucune
diftraétion du ipeétateur le favorife. •
C'étoit là réellement le grand obftacle que trou-
voient les grecs au changement de lieu : aufll fé
le permettoient - ils rarement dans la Tragédie^
Que fefoient-ils donc ? II fefoient d’autres fautes
contre la vraifemblance ; ils ne changeoient pas
de lieu , mais ils réuniuoient dans un même lieu
ce qui devoit fe pafler en des lieux différents^ L a
fcène étoit un endroit p u b licu n efpâce vague , un
temple , un veftibule , une place , un camp , quelquefois
même un grand chemin. L'aire du théâtre
-répondoit en même temps à plufieurs édifices , d’où
les aéteurs fortoient pour dire au peuple, qui eompo-
foit le choeur , ce qu’ils auroient du rougir- de
s'avouer à eux-mêmes.
Si donc nous avons perdu quelque chofe à la
'fuppreffion du choeur, qui ., chez les grecs , rem-
plifloit les vides'de l'action ; du moins y avons-nous
gagné la liberté du changement de lieu que l'en-
i r ’aéte nous facilite.
I l eft aile de fentir à préfent combien porte à
Itàux ce que dit Dacier, que » les actions de nos
•> tragédies ne font prefqne plus des aétions vifi-
» b-les ; qu'elles fe paflent la plupart dans des
» chambres & des cabinets; que les ipeéfateurs n’ y
» doivent pas plus entrer que le choeur ; & qu’il
» n'eft pas naturel que les bourgeois de Paris voyent
» ce qui fe pafle dans les cabinets des princes »,
I l trouvoit fans doute plus naturel que les bourgeois
d'Athènes viflent du théâtre de Bacchus ce
qui fe pafloit fous les murs de Troie ? Comment
!Dacier n'a-t-il pas compris que , quel que foit
le lieu de la fcène, un palais, un temple, une
place publique , fi le fpeétateur étoit cenfé
y être & voir les a&eurs, les auteurs feroient
cernés le voir? Nous ne fommes , je le répète,
pféfents à l ’aétion qu'en idée ; & comme il n'eh
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coûte rien de fe tranfpûrter de Paris au Capitole-
dès le premier a été, i l en coûte encore moins,
dans l ’intervalle du premier au fécond ,. de pafler du
Capitole dans la roaifon de Brutus.
Le plus grand avantage du changement de lieu
eft de rendre vifiblçs des tableaux , des fituations
pathétiques, qui fans cela n'auroient pu fe retracer
qu’én récit. Mais- i l faut bien fe fouvenir que
ces‘ tableaux ne font faits que pour donner lieu1
au dèvélopement des paflîons ; que ,- s’ils font trop-
accumulés en fe fuccédant, ils s’effacent l'un l'autre
; que l'émotion qu’ils nous caufent ne fe nourrit
que des fentimems qu’ils font naître dans lame'
même des aétèurs; &; qu’interrompre cette émotion
avant qu'elle ait pu fe répandre & qu’on ait eu le
temps de s'y livrer- & d'en jouir, c'èft faire au coeur
la même violence qu’on fait à l’oreille , lorfqu on
éteint mal à propos le fon d'un- corps harmonieux..
Une tragédie compofée de ces mouveménts bruf-
ques ,.- fans.fuite & fans- gradations , eft un affem-
blage de germes^ dont aucun n’a le temps d’éclore.-
L'inventiotr des-tableâtix eft'dèric une partie feflen-
cielle du géniè du.poète ; mais ce n’eft ni là féale
ni là- plus importante.'La Tragédie eft la peinture
du jeu des pallions, & non pas dii jeu des ha-
fards.
On n’a pas toujours, ni partout, reconnu comme
indifpenfable la règle des Unités ; on fait que ,,
furie Théâtre angiois & furie Théâtre espagnol,
elle^eft violée en tous points &. contre;toiite vrai-
fomblance. Il en étoit de même fur notre Theatre
avant Corneille ; & non feulement 1 Unité dt
lieu n’y étoit pas obfervée > mais elle y étoit interdite.
Le Public fe plaifoic au changement^ de
fcène ; il vouloit qu’on le divertît par la variété
des décorations , comme par la diverfite des incidents
& des aventures ; & lorfque Mairet donna la
Sopkonïjbe , il eut bien- de la peine a: obtenir des
comédiens qu’il lui fût permis d’ÿ ; obferVer 1 Unité:
de lieu. ,
On s'ëft enfin généralement accordé fctYZTnite
d’aétio'n pour la Tragédie ; mais à l’égard de 1 Epopée
, la queftion a. été problématique & indecife
jufqua nos jourL "A l ’autorité dAriftote & a
l*exemplex d'Homère & de Virgile , on .a oppofé
le fuccès de l ’Ariofte , qui, ayant négligé cette réglé
, n'en eft pas moins lu & relu , dit Le Taffe,,
» par les perfonnes de tout âge & de tout {exe :
» qui plaît a coût le .monde, que tout le monde
» loue ; qui revit & rajeunit fans- ceffe dans fa^
d renommée , & vole glorieufément , de bouche en
v bouche, chez toutes les nations du monde
l e Taffe, après avoir rendu ce beau témoignage-
à l'Ariefte, ne laiffe pourtant pas de fe décider
pour l’ Unité d’aétion. » La fabie , dit- i l , eft la
» forme du .poème; s’il y a plufieurs. fables , il
» y aura plufieurs poèmes ; fi chacun d’èux eft
».parfait, leur âflemblàge fera immenfe ; &
» fi chacun d’eux eft imparfait, il valoit mieux
q n'en faire qu'un qui fût complet & régulier »*
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(5ravina eft du nombre de ceux qui penfoient que ;
Je Poème épique étoit difpenfe de VUnité d action.; !
& la raifon qu’il en donne fufSroit feule pour faire 1
! fentir fon erreur. . . :
J’avouerai, avec lu i , qu'un poeme qui embralïe
plufieurs aétions ne laiffe pas d’ être un poème ;
mais la queftion eft de favoir fi ce poème eft! bien j
eoinpof&-:- or quelques beautés qu'il puiffe avoir
d’ailleurs , quelques fuccès qu’elles obtiennent',
il eit certain que la duplicité .ou la multiplicité
d’aétion divife l ’intérêt ik par conüeqnent l ’aftoiblit.^
La Motte prétend que , dans l ’Épopee , 1 Unité
I des perfonnages fupplée à l’Unité d action, &
I qu’elle fuflit à l ’Épopéé. Diftingubns, pour plus^
I de clarté , dans l'intérêt même dé l’ aétion , l ’ Unité I colleétive & l’Unité progreflîve. h ’Unité col- I leétive confifte "à réunir tous les voeux en un point,.
| & à décider -dans l'âme du leéteur ou du fpeéta- I teur ce qu’i l 'doit délirer ou craindre. Toutes les I fois qu’on nous préfente des hommes oppofés d'in-
1' térêts, dont les fuccès font incompatibles , & dont
I l'un ne peut être heureux que par la perte ou le I malheur de l ’autte : notre coeur choifit, de lui- I même & fans le feedurs de la réflexion , celui I dont la bonté bu la vertu eft le plus digne denous
K attacher; & nous nous mettons à fa place. Des
K lors to-ut ce qui le touche nous eit perfonnel; I notre âme pafle dans la fienne : voilà l'intérêt dé-
I. cidé. Si les deux partis oppofés nous prefentent des
I perfonnages inléreflants & qui balancent notre I affeélion, ou le bonheur de i'un eft incompatible
I avec celui de l'autre , ou ils peuvent fe concilier.
I Dans le premier cas , l'iritérêt fe partage & s af- I foibiit dans fes alternatives ; dans le fécond, notre I inclination prend une direétion moyenne , & fe.
I termine au point où les deux partis peuvent enfin
I fe réunir. Le poète doit avoir grand foin de
I rendre ce point de réunion fenfible : c eft de la que
I dépend la décifion de nos voeux , & ce quon ap-
|i pelle Unité d’ intérêt. Enfin fi les partis oppofes
I nous font odieux ou indifférents 1 un & 1 autre -,
nous les livrons là eu x-mêmes ,. fans nous attacher
r à leur fort ; c eft la guerre des vautours alors il
[; 'l'n’y a d’autre intérêt que celui de lacuriofité, qui
I fe réduit à .peu de choie. Il s’enfuit que, dans toute
I eompofition intérefîante , i l doit y avoir au moins-
I un partirait pour gagner notre bienveillance : mais
[ qu'il n’y ait dans ce parti qu'une feule perfonne ou
S qu’il y en ait mille , cela eft é g a l; l’Unité de
l voeu fera l ’ Unité d’intérêt, & c'eft XUnité col-
1 leétive.
L ’Unité progreflîve eft autre ehofe : elle confifte
f à fixer le défit, la crainte , T'efpérance , en un mot
l'attente inquiète du fpeétateur ou du leéteur fur
un fe itï point, fut un évènement unique , qui foie
L la folution du problème & le dénoûment de l'aci
lion. Dans la Tragédie des Horace s , quel aura
été le foccès du combat ? voilà l ’objet de notre
i attente ; dès qu'on le fait, tout eft fini. Après cela ,
^ue le meurtre de Camille foit pmù ou foit par-
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donné, c'eft un nouveau problème , une nouvelle
aftion, un nouvel objet d'efpérance ou de crainte ;
cet évènement naît de l ’autre , il en eft dépendant,
mais il n’y a point d Unité. .
Il-eft vrai que V Unité de perfonne fupplee en
quelque chol'e à Y Unité progreflîve de l aétron :
mais Tr les accidents réunis fur le meme per onnage
né fe terminent pas à u n feu l dénoûment, intérêt
dé chaque fituation-celle au moment qu il en -ort -
nouvel incident nouvelle inquiétude; nouveau
rtérîl nouvelle p é r il, ccrraaiinnilf’ee;; nnoouuvveeaauu mmaallhheeuuri ,, nnoouu
velle pitié. D’un poème tiifu d’incidents détachés,
l ’intérêt peut donc renaître d’mftants en mltants ,
mais alors la crainte , la pitié, l ’inquiétude s eva-
nouïffent à la folution do chacun de ces. noeuds î
& s’il y a une aftion principale , elle devient indifférente.
Pour réunir les intérêts épifodiques , l i
faut donc quelle .en foit le centre , c.eft a dire
que l'évènement qui doit la terminer dépende des
incidents, 8c que chacun d’eux faile parue ou de»
moyens ou des ôbftacies>
Le Taffe a peint l ’Unité d’aftion par une grande
& belle image. » Le monde , qui renterme dans fou
» fein tant de chofes fi différentes, n’a cependant
» qu’une forme , qu’une "eflence : c'eft par un JeuL
» & même noeud que toutes fes parties font liées avec
» une harmonie qui a l’apparence de la difeorde ; &
» quoique dans Caftiuftare i l ne manque rien,il n’ y a
,, pourtant rien qui ne'concourre à ion utilité 8c a
» ion ornement ».
Mais dans- cette image cm ne voit que ce qui
contribue au,fuccès de. flaftion., l ’on n'y voit pas
ce qui le retarde & le rend douteux ou pénible :
or l’ Unite'Àégeni du concours des obftacles, comme
de.celui des moyens. Du refte ,. l ’alternative pro-
poKe par le Taffe , que toutes les parties du Poème
foient, comme dans le méchanifme du monde ,. ou
de néceffilé ou de finiple agrément ; cette alternative
donne aux poètes une liberté dont ils ont abufd
(bavent. Je fais qu’on ne doit pas exiger, dans le
tiffu de l ’Épopée, des iiaifons aufll étroites,, auifi
intimes, que dans celui de la Tragédie : mais encore’
faut-il que les parties faflènt un Tout , & que le»
détails forment un enfemble. L ’épifode d'Armide
eft l ’exemple de la liberté légitime dont les poètes,
peuvent ufer. La délivrance des lieux faints eft
l ’a&ion de ce poème ; & les charmes d’une en-
chantereffe , qui prive l’armée de Godefroi de fesj
héros les plus vaillants.; concourent à nouer l ’action
en même temps qu’ils Tembelliffent ; au
lieu que l’épifode d’Olinde & de Sophronie, quoique
touchant en lui-même , eft hors d’oeuvre & ne tient ài
rien.
, Pope compare le Poème épique à un jardi'rr.
» - La principale allée eft grande & lbngue , & IL
» y a de petites allées ou l’on va quelquefois fe
n délaffer ,' qui tendent toutes à la grande ». St
l’on confidère ainfi l’Épopée , il eft évident ' qu’i ï
n’y a plus cette Unité d!où dépend l ’intérêt: ca£