
fi Ton retranche du Succinct, on devient obfcur ;
fi l ’on ajoute au P r é c is , on devient prolixe r au
contraire , en ajoutant au Succinct, on ne fait que
l ’étendre; en retranchant du Précis, on le ramène
au Succinct. Mais on ne peut ni ajouter ni retrancher
au Concis : fi vous en retranchez, vous devenez
obfcur & vous fatiguez ; fi vous y ajoutez, vous
devenez diffus & vous ennuyez. ( M . B e a u z é e . )
(N.) PRÉCISION, f. f. Gramm. Dans le livre iv
de la Rhétorique adreffée a Hérennius, foit par Cor-
nifîcius foit par Cicéron même' , le nom de Pré-
cijion eft donné à la figure que les grecs nom-
rnoient Apofiopèfe ( voye-[ ce mot ) , & que nous
appelons Réticence. P ræ c i s i O e ft , quum, dicîis
quibujdam , reliquum quod coeptum eft dici relin-
quitur in audientium judicio. ( xxx, 41.) IFoye^
R é t ic e n c e . [ M . B e a u z é e . )
P récision , f. f. Littérature. L a Précifion
eft fans contredit' une des qualités les plus effen-
cielles du difeours ; elle dit beaucoup en peu de
mots , & elle atteint delà manière la plus parfaite
au but du difeours. L e peu qui produit un grand
effet a toujours quelque chçfe de brillant & d’éton-
nant : la Précifion eft pour les penfées ce que l ’or
eft dans les monnoies ; il eft plus facile à garder,
à compter, & à livrer. Horace exprime très-bien
cet avantage : Soye\ précis, afin que les efpritsfai-
fifient promptement & retiennent fidèlement ce que
vous dites.- > ^
Il faut diftingüer la Précifion des penfées de la
Précifion des expre fiions : l ’une vient de la richeffe
de l ’imagination; & l’autre, d’une fage économie
dans les termes & dans- la façon de • s’exprimer.
Lorfque Céfar s’écria, en s’adreffant à Brutus qu’il
vit au nombre de fes aflaflins , E t toi aufii, mon
■ F ils ! il dut faire l ’impreflîôn la plus vive fur
l ’elprit de Brutus. La Précifion eft ici dans la
penfée : car elle diroit beaucoup à l’elprit, quand
même elle feroit exprimée en beaucoup plus de
paroles , & même étendue autant qu’i l eft pofiïble.
Nous trouvons la même Précifion de penfées dans
ce que nous dit un perfonnage de Térence , au fujet
d’un jeune homme dont on vient de lui peindre
les égarements ; I l rougit, tout eft gagné. L ’ex-
preflion eft naturelle & fimple ; la penfée renferme
cependant la moitié de la Morale.
I l y a une" autre efpèce de Précifion qui ne vient
que de la tournure qu’on donne à une penfée :
en voici un exemple tiré du plaidoyer de Cicéron ,
••en faveur de Milon ; « Si, au lieu de vous en faire
» le récit, je vous en fefois la peinture ; vous ver-
» riez lequel des deux eft innocent ». L ’idée de
Cicéron , heureufement abrégée par la tournure de
fa phrafe, eft qu’un récit exaét & fimple de la
choie , fans être chargé de remarques & d’explications
, feroit connoitre l ’innocence de l’un & la
méchanceté de l ’autre ; & pour être plus précis,
il repréfente un fimple récit comme une peinture,
qui peut repréfenter la vérité d’un évènement fans
aucune fauffe interprétation.
Ce n’eft ni par le fonds d’une idée riche ni dans
la tournure avantageufe d’une penfée que confifte
la Précifion de l ’expreflion , mais dans le choix
heureux de termes expreffifs. Xénophon nous'/en
fournit un exemple, iorfqu’en parlant du fleuve
Thélaoba , il dit qu’à la vérité i l 11 étoit pas
grand, mais beau. Un hiftorien , moins • ami de
la Précifion que Xénophon , auroit peut-être dit :
A la vérité, ce fleuve n étoit pas remarquable
par f a grandeur, mais i l furpajfoit les. autres
fleuves en beauté. La Précifion , foit dans la
penfée foit dans l’expreflion , ne peut produire un
bon effet, qu’autant qu’elle eft unie d la plus grande
clarté ; c’eft d quoi l’on doit faire' la plus grande
attention. Horace dit beaucoup dans ce peu de
mots :
Paulum fepultce dijîat inerties
Celât a. virtus.
Mais cette Précifion eft inutile a celui qui a
befoin qu’on lui expliqué ce que l ’auteur a voulu
dire.
Pour atteindre à la Précifion des penfées il
faut pouvoir renfermer plufieurs vérités dans une
maxime générale, & préfenter d l ’efprit, dans une
feule idée , les plus riches images ; comme Haller,
qui, comparant l’état aéhiel de l ’homme avec fon
état futur , l ’appelle un état de chenille. Dans les
deux cas , les figures, & quelquefois la Métonymie
rendent de grands fervices. On peut aulfi renfermer
plufieurs idées dans une feule , en choififfant une
image q u i, d’une manière naturelle , les faffe toutes
apercevoir ; coinme quand Horace , parlant des
funeftes fuites de la guerre civile , dit :
Ferifque rurfus occupabitur Çolitm.
Cette feule idée, que l ’Italie redeviendra le féjour
des bêtes féroces , en doit néceffairement renfermer
mille autres..
£ f* l ’on veut, par une heureufe tournure, dire
beaucoup en peu de mots ; il faut préfenter. fon
fujet du côté où il peut être le plus promptement
confidéré. On peut dire beaucoup de chofes pour
donner à quelqu’un l ’idée vive de l ’entière deftruc-
tion d’un pays : mais de quelque côté qu’on fafle
envifager la chofe , on ne la faifira pas toute plus
promptement que lorfqu’on nous la montre en ces
mots ;
Et campos übi Troja fuit. ‘
11 paroît que la Précifion , qui ne confifte que
dans l ’expreflion , eft celle que l’on obtient le plus
difficilement ; car celle qui fuit de la richeffe ou
de la tournure heureufe des penfées, eft un effet
du génie & n’exige aucun art. Cette richeffe eft
un don de la nature; mais le talent defre précis
dans l ’expreflion s’aquiert par 1 exercice* I l ne faut
pas peu d’art pour exprimer un nombre donné de
penfées , par le plus petit nombre de mots , fans
autre expédient que celui de rejeter tout ce qui
eft fuperflu. Ici , tout eft art. Si l’on veut dire
qu’il eft impoflibie de connoître le caractère d’un
jeune homme qui eft encore fous la férule , parce
que la timidité de fon âge l ’empêche de le livrer
a fon penchant, & qifil s’abftient de bien des
chofes’ qui lui font défendues, en forte que fon
caractère n’ eft point dèvelopé ; il femble piefque
impoflibie de réduire toutes ces penfées en moins
de mots : cependant Térence les exprime beaucoup
plus précifément.{Andr. l . j . z 6. ) Quel moyen de
connoître fa façon de penfer , tandis que la jeuneffe,
la crainte , & un gouverneur la tenoient en bride ?
Oui fcïre'pojfes aut ingenium nofeere,
Dum estas , me tus, magijier, prohibebant?
On ne peut parvenir à cette Précifion ,. qu’en
examinant a loilir un plan d’idées fort étendu. Lorfque
l’on a raffemblé tout ce qui apartient au fujet,
i l faut , pour être auffi précis qu’il eft poffible ,
travailler fur chaque idée en particulier , & la renfermer
dans le moins de mots qu’elle le permet. J
Cicéron , dans fes repréfentations contre les partages
des terres, prouve clairement que les décemvirs
s’empareroient par là de tout l ’État, & qu’ils pour-
roient agir au gré de leur. caprice. Il fait dire à
Rullus, qui avoit propofé la loi agraire, quils
etoient fort éloignés d’abufer ainfi de leur crédit.
L ’Orateur avoit trois objeétions à faire contre cette
aflùrance : i°. qù’il étoit fort incertain qu’ils n’abu-
faffent pas de leur pouvoir ; 20. qu’il étoit probable
qu’ils en abuferoient ; & 3 °. que, quand cela
n’arriveroit pas, il ne conviendroit point d’obtenir
le falut & îe repos de l ’État comme un bienfait
de leur part, tandis qu’on pouvoit lui procurer
l ’un & l’autre par un fage gouvernement. A coup
sûr, ce ne fut qu’après une mure réflexion , que
Cicéron parvint à préfenter ces trois objections
d’une manière fi concife. D’abord cela eft certain ;
je crains , en fécond lieu , que cela n’arrive ; &
pourquoi confentirois- je enfin à devoir plus tôt
notre falut à leurs bienfaits, qu’à la lageffe de notre
gouvernement ? Le latin eft encore beaucoup plus
précis. Primum nefeio ; de'tnde timeo ;poftremo non
committamy ut vefiro beneficio potiüs quam noftro '
confilio fa lv i efie poffimus.
Cette efpèce de Précifion eft furtout néceflaire
dans les endroits où l ’on multiplie les images qui
doivent promptement produire l ’effet qu’on fe pro-
pofe : car plus elles font ferrées , plus elles opèrent.
Cette Précifion vient de la langue même ou
du génie de l ’orateur. Une langue en eft plus fuf-
ceptible que l ’autre ; le latin & le grec , par le
moyen d’un grand nombre de participes , le prêtent
2 jplus à la çoncifion que la plupart des langues modernes.
Puifqu’on fait tous les jours quelques changements
aux langues vivantes , on devroit remarquer
avec foin, dans les meilleurs écrivains , les
innovations heureufes & favorables à la Précifion,
pour les mettre en ufage dans la langue. Ce font
lurtout les poètes qu’il faut confulter, parce qu’ils
font obligés d’employer de nouvelles tournures. La
Poéfîe n’eût-elle que celte utilité, c’en feroit affeZ
pour qu’on dût faire les plus grands efforts pour
la perfectionner. Il eft sûr que , par les changements
qu’y ont faits les poètes , la langue alle-
j mande le prête aujourdhui beaucoup plus àia.jPré?-
1 cijion , qu’elle ne fefoit auparavant : ce n’eft pas
cependant qu’on puiffe adopter d’abord dans le discours
ordinaire toutes les expreffions abrégées de la
Poéfie.
Mais la Précifion , même dans les langues
qui-en font les plus fufceptibles , dépend beaucoup
du génie de l’orateur. Celui qui n’eft pas accoutumé
à chercher la plus grande perfection , que le
génie feul aperçoit, ne parvient pas toujours à la
plus grande Précifion ; c’eft un avantage particulièrement
propre aux grands génies qui s’attachent
par goût aux fciences les plus élevées. ( f/I. DE
S ulzer. )
(N .) PR É C ISIO N , A B STR A C T IO N . Syno-
nymes-.
Seroit-il néceflaire d’avertir que le mot A’Abf-
traclion n’eft pris ici que dans le fens phyfique ,
félon lequel on dit communément, Faire Abftrac-
tion d’une chofe ; & non dans le fens qui a raport
à celui de DiftraCtion ? Je crois l ’obfervation inutile ;
néanmoins la voilà faite en faveur d’un leCteur à
qui la concurrence du mot de Précifion ne feroit pas
d’abord faifir mon jufte point de vûe.
J’ajoûte que ces deux mots ont une idée commune
qui lés rend fynonymes : que cette idée eft
peinte aux ieux mêmes dans leur étymologie ; qu’elle
eft celle d’une réparation faite par la force de
l ’elprit dans la confidération des objets ; & que ,
bien loin qu’il faille s’écarter de cette fignifica-
tion effencielle à l’un & à l ’autre de ces mots,
pour chercher leur propre différence , je penfe qu’il
feroit très-difficile de la trouver ailleurs que dans
les diverfités de cette idée principale & fynonyme,
& de former fans elle leurs caraftères particuliers.
Les voici donc fur çe plan, tels que je fuis capable
de les repréfenter,
La Précifion fépare les choies véritablement di£>
timftes , pour empêcher la confufion qui naît du
mélange des idées. L ’Abftracîion fépaieles chofes
réellement inféparables , pour les confidérer à parc
indépendamment les unes des autres. La première
eft un effet de la jufteffe & de la netteté de l ’entendement,
qui fait qu’on n’ajoûie rien d’inutile &
hors d’oeuvre au fujet qu’on traite , en le prenant
néanmoins dans fa jufte totaliié; par confi quent
elle convient partout, dans les affaires comme dans
les fciences.^ L a fécondé eft l ’effort d’uo elprit