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ou de voir périr fa maitrefle; telle eft celle de
JVIérope , réduite a l ’alternative , ou de donner fa
main au meurtrier de fon époux, ou de voir immoler
fon fils ; telle eft la fameufe •Situation de
Phocas dans Héraclius , lorfqu’entre fon fils & fon
ennemi, & ne pouvant difcerner l ’un de l ’autre , il
dit ces vers fi beaux & tant de fois cités :
O malheureux P hocas ! ô trop heureux Maurice I
T u retrouves deux fils pour mourir après t o i ,
E t je n'en puis trouver pour régner après moi.
Tantôt elle reffemble à la pofition d’unvaiffeau
battu par deux vents oppofés , ou au combat de
deux vents contraires ; c’eft le chocde deux pallions
ou de deux puifîants intérêts : telle eft , dans l ’âme
d’Agamemnon, le combat de l ’ambition & de la
nature, de la tendreffe & de l ’orgueil : telle e ft,
dans l’âmesd’Orofmane, le combat de l’amour &
de la vengeance : telle eft , entre Orefte & Pylade ,
le combat de l ’amitié; entre Agamemnon & A ch ille ,
celui de l ’orgueil irrité; entre Zamti &Idamé, celui
de Théroïfme & de l ’amour maternel.
Tantôt c’eft un fimple danger,’ mais prefTant ,
terrible , inconnu à celui qui en eft menacé ; l ’acteur
reffemble alors au voyageur qui va marcher
fur un ferpent, ou qui , la nuit, va tomber dans
un précipice : telle eft la Situation de Britannicus,
lorîqu’il fe confie à Narciffe; telle & plus effroyable
encore e f t la Situation d’OEdipe , cherchant le
meurtrier de Laïus ; telle eft la Situation de Mérope
& d’Iphigénie fur le point d’immoler, l ’une fon fils,
l ’autre fon frère.
Tantôt c’ eft comme un orage qui gronde fur
la tête du perfonnage intéreffant , ou un naufrage
au milieu duquel il eft au moment de périr ; l’horreur
du danger lui eft connue, mais fans efpoir
d’y échaper : telle eft la Situation d’Hécube,
d’Andromaque, de Clytemneftre , à qui on arrache
leurs enfants.
Les Situations comiques font les moments de
Taârion qui mettent plus en évidence l’adreffe des
fripons, la fottife des dupes, le fo ib le , le travers,
le ridicule enfin du perfonnage qu’on veut jouer.
Pour exemples de ces Situations comiques , fe pré-
fentent en foule les fcènes de Molière ; & ces exemples
font la preuve que le Comique de Situation
eft prefque indépendant des détails & du ftyle : pour
rire aux éclats , i l fuffit de fe rappeler, même con-
fufément, les Situations de l’Ecole des maris , du
'Tartuffe, de Y A va r e , des deux Sofies > de George
JDandin , &c.
L e premier foin du poète, dans l ’un ou l ’autre
genre , doit donc être de former fon intrigue de
Situations touchantes ouplaifantes par elles-mêmes,
fans fe flatter que les détails, l ’efprit, le fentiment,
& l ’Élo quence même puiffent jamais y fuppléer.
Son action ainfi difpofée , qu’il prenne foin d’y
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joindre les dèvelopements que la Situation demande*
& que la nature lui indique ; qu’il y employé le langage
propre aux caractères, aux moeurs , à la
qualité des perfonnes ; il aura prefque atteint le
but de l ’art : mais ce n’eft pas affez , s’il n’a de plus-
obfervé les paffages, les gradations d’une Situation
à l ’autre ; & c’eft la grande difficulté.
On réuffit plus communément à inventer des-
Situtations, qu’à les bien amener & à les bien lier
enfemble. La crainte d’être froid & languiffant fait
quelquefois qu’on les brufque & qu’on les entaffe *
alors le naturel, la vraifemblance , l ’intérêt même
n’y eft plus. Ce n’eft point par fecouffes que l ’âme
des fpeftateurs veut être émue : un coup de foudre
imprévu les étonne, mais ne fait que les étourdir ;
pour que l ’orage imprime fa terreur , il faut qu’elle
foit graduée , qu’on l’ait vu fe former de loin &
qu’on l ’ait entendu gronder.
C ’eft peu même de favoir amener les Situations
avec vraifemblance & les graduer avec art ; quand
le perfonnage y eft engage, il faut favoir l ’en faire
fortir, foit pour le tirer de péril ou de peine au
moment que l’aétion l’exige, foit pour l ’engager
dans une Situation ou plus tragique ou plus rifibie
encore.
Lorfque, dans le Philocïête de Sophocle , Ncop-
tolème a rendu à Philo diète fes armes , on fe demande
: Comment, par la feule perfuafion, ce coeur
ulcéré fera - 1 - il adouci ? & on attend ce prodige
ou de la vertu de Néoptolème ou de l’Éloquence
d’Ulyffe. Mais dans la pièce de Sophocle ni l ’une
ni l ’autre ne l’opère : voilà une Situation manquée.
Dans Cinna, Rodogune, Al\ ir e, lorfqu’Émi-
lie & Cinna font convaincus de trahifon, lorfque?
Zamore à tué Gufman & qu’il eft pris , lorfqu’An.-
tiochus a le poifon fur les lèvres , on fe demande
Par quels prodiges échaperoientrils à la mort ? &
la clémence d’Augufte, la religion de Gufman,
l ’idée qui, fe préfente à Rodogune de faire faire
l ’effai de la coupe, viennent dénouer tout naturellement
ce qui paroiffoit infoluble.
Quant aux Situations paffagères , la réponfè
d’Émilie ,
. . . . . . Q u ’il dégage fa f o i ,
E t qu’ il choififfe après entre la mo rt & m o i:
la réponfe de Curiace ,
D is -ln i que l ’am it ié , l'a llian c e , & l’ amour
N e pourront empêcher que les trois Cùriaces
N e fervent leur pays contre les tro is Horaces ;
la réponfe de Chimène ,
Malgré des feux fi beaux qui troublent ma c o lè r e ,
J e fera i mon poffible à bien ven ge r m o n père y
Mais ma lgré la rigueur d’ un fi cruel d e v o i r ,
Mon unique fouhait eft de ne rien pouvoir *
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la réponfe d’A lz ire ,
T a probité te p ar le , il faut n’ ecoucer qu e lle :
font des modèles accomplis des plus heureufes folu-
tions.
Dans le Comique, un excellent moyen de fortir
d’une Situation qui paroît fans reffource, c’eft la
rufe qu’emploie la femme de George Dandin, lorf-
qu’elle fait femblant de fe tuer , & qu’elle réuffit ,
par la frayeur qu’elle lui caufe, a le mettre dehors &
à rentrer chez elle.
Le moyen qu’emploie Ifabelle dans l ’École des
Maris , pour empêcher Sganarelle d’ouvrir fa
lettre ,
L u i v o u le z -v o u s d onn er à croire que c’ eft mo i ?
n’eft ni moins naturel ni moins ingénieux , & i l eft
d’un plus fin Comique.
Mais le prodige de l ’ar t, pour fe tirer d’une S ituation
difficile, c’eft ce trait du caractère du Tar-
tuffe :
O u i , mon f r è r e , je fuis un m é ch an t , un coupable ,
U n malheureux pécheur, tou t plein d’ iniquité ,
L e plus g rand fcélérat qui jamais ait été.
Ce feroit là le dernier degré de perfection du Comique
, fi , dans la-même pièce & après cette Situation
, on n’en trouvoit une encore plus étonnante :
je parle de celle de la table, au delà de laquelle
on ne peut rien imaginer. ( M. M a r m o r t e i .. )
SIXAIN , f. m. Poijie. On appelle S ix a in ,
Une ftance compofée de fix vers. Nous avons deux
fortes de Sixains qui ont des différences affez remarquables
: les premiers ne font autre chofe qu’un
Quatrain , auquel on ajoute deux vers de rime
différente de celle qui a terminé le Quatrain. Les
Sixains de cette efpece admettent deux vers de
rime différente , foit devant foit après, comme dans
l ’exemple fuivant :
S e ig n e u r , dans ton temple ad o rab le ,
Q u e l mo rtel eft d igne d ’ entrer î
Q u i pourra , g rand D i e u , pénétrer
D an s ce féjour impénétrable ,
O ù tes fa in ts , inclinés d’ un oeil refpe&ueux ,
Con tem plent de ton f ront l’ éclat ma jeftueux î
Rougeau*
La fécondé elpèce de S ix a in s , affez commune
& fort belle , comprend deux tercets , qui ne doivent
jamais enjamber le fens de l ’un à l ’autre : il
doit donc y avoit un repos après le troifième vers ;
les deux premiers y riment toujours enfemble, &
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le troifième avec le dernier ou avec le cinquième
mais ordinairement avec celui-ci :
I. Exemple.
R en o n ç o n s au ftérile appui
D e s G rand s qu ’ o n im p lo re aujourdhui ;
N e fond on s point fur e u x une e fpéranc e fo lle :
L e u r p om p e , in d ign e de no s voe u x ,
N 'e f t qu ’ un fimulacre f r iv o le ,
E t les folides b ien s ne dépendent pas d'eux.
Rougeau,
II. Exemple.'
J e difo is à la N u it fom b r e ,
O N u i t 1 tu vas dans to n ombre
M ’enfevelir pour toujours.
J e redifo is à l’A u r o r e ,
L e jo u r que tu fais éclore
E ft le dernier d e mes jou rs.
Roujfeau,
( Le chevalier DE J A U c o u r t . )
S O B R I Q U E T , f. m. Littérature. Sorte de
furnom ou d’épithète burlefque , qu’on donne le
plus fouvent à quelqu’un pour le tourner en ridicule.
^ Ce ridicule ne naît pas feulement d’un choix
"affedté d’expreffions triviales propres à rendre ces
épithètes plus fignifîcatives ou plus piquantes ; mais
de l ’application qui s’en fait fouvent à des noms
de perfonnes confîdérables d,’aiileurs , & qui produit
un contrafte fingulier d’idées férieufes & piaffantes ,
nobles & viles, bifarrement oppofées : telles que
peuvent l ’être, dans un même fujet, celles d’une haute
nâiffance , avec des inclinations baffes ; de la ma-
jefté royale, avec des difformités de corps réputées
honteufes par le vulgaire ; d’une dignité refpeétable ,
avec des moeurs corrompues ; ou d’un titre faftueux,
avec la pareffe & la punllanimité.
Ainfi, lorfqu’avec les,noms propres d’un fouve-
rain pontife , d’un empereur illuftre , d’un grand
ro i, d’un prince magnifique, d’un Général fameux ,
on trouvera joints les furnoms de Groin- de-porc ,
de Barberoujfe , de Pied-tortu , d’Éveille-chien ,
de Pain - en - bouche ; cette union excitera prefque
toujours des idées d’un ridicule plus ou moins
grand.
Quant à l ’origine , de ces furnoms , i l eft inutile
de la rechercher ailleurs que dans la malignité de
ceux qui les donnent, & dans les défauts réels ou
apparents de ceux à qui on les impofe : elle éclate
furtout à l’égard des perfonnes , dont la prolpérité
ou les richeffes excitent l ’envie, ou dont l ’autorité,
quelque légitime qu’elle foit, paroît infùpporta -
table ; elle ne refpedte ni la tiare ni la pourpre :
c’eft une reffource qui ne manque jamais à un peuple
opprimé ; & ces marques de fa vengeance font