
Les Pofieffifs de la féconde efpèce font le mien ,
la mienne, Les miens , les miennes, pour la première
perfonne du fingulier; le nôtre, la nôtre,
les nôtres y pour la première du pluriel : le ciert.,
la tienne, les tiens , les tiennes , pour la fécondé
perfonne du fingulier; le vôtre , la vôtre, les
vôtres, pour la fécondé du pluriel : le fien, lafienne,
/ej fie n s , les fiennes ,pour la troifième perfonne du
fingulier; & le leur, /«i leur, les leurs, pour la troifième
du pluriel.
L ’exaéle différence qu’il y a entre les deux espèces,
c’eft que les P ofie (fifs de la première efpèce
me paroiflent renfermer dans leur fignification celle
des Pofieffifs de la fécondé & celle de l ’article ;
ten fo-rte. que m>n lignifie le mien , ton lignifie le
tien , fon lignifie le Jicn, nos lignifie les nôtres-,
&c. Mon livre, félon cette explication, veut donc
dire le mien livre ou le livre mien ; nos livres,
c’eft les livres nôtres, &c : 8c c’eft ainfi que parlent
les italiens, i l mio libro, i no f l ri libri ; ou
bien i l libro mio, i libri no f i ri. a On difolt autrefois,
» comme le difent & l’écrivent encore aujourdhui ceux
» qui n’ont pas foin de la pureté du langage , un
» mien frère 7 une tienne foe u r , un fien ami ».
( Vaugelas, Rem. 338. ) Cette obfervation eft fondamentale,
pour rendre raifon des différents ofages des
deux fortes d’adjeétifs.
i° . Ce principe explique à merveille ce que
Vaugelas a dit ( Rem. 5 13 } , qu’il faut répéter
le . . • p ofieffif de la première efpèce, comme
on répète l'article, & aux mêmes endroits où l ’on
répèieroit l ’article : par exemple,.on dit le père
& la mère , & non pas les père & mère ; & il
faut dire de même fon père & f a mère, & non
pas fe s père & mère ; ce qui eft , félon Chapelain,
du liyle de Pratique , & félon Vaugelas , une des
plus mauvaifes façons de parler qu’il y ait dans toute
notre langue. On dit auflî, les plus beaux &
les p lu s magnifiques habits , ou les plus beaux
& plus magnifiques habits, fans répéter l ’article
au fesond adjectif ; & l’on doit dire de même, fe s
plus beaux & fe s p lu s magnifiques habits , ou
f e s p lus beaux & p lus magnifiques habits , félon
la même règle. Cette identité de pratique n’a rien
de furprenant, puifque les adjectifs pofieffifs dont
i l eft ici queftiôn ne font autre chofe, que l'article-
même auquel on a ajouté l ’idée accêffôiré de dépendance
relativement à. l’une des trois perfonnes.
i° . C ’eft pour c'ëla auffï que cette forte d’adjeétif
pofieffif exclut abfolüment l ’article , quand i l fe
trouve lui .môme avant le nom ; ce feroit une véritable
Périffalogie , puiique ladjeétifpofieffif comprend
l’articlé dans fa fignification.
30. On explique encore par là pourquoi ces
Pojfefiifs opèrent le même effet que l ’article.pour
la formation du fuperlatif ; ainfi, ma p lu s grande
paffion , vos meilleurs amis , leur moindre foucï ,
font des expreffions où les adjeétifs font au même
degré que dans celles-ci,. la plus grande pafiion r
tes meilleurs amis , le moindre fouet : c’eft qw®
1 article qui fert à élever l ’adjeétif au degré fuperlai
if , eft réellement renfermé dans la fignification
des adjeôifs pofieffifs ÿ mon, ton , fon , &e.-
C’eft apparemment pour donner’à la phrafeplus*
de vivacité & conféquemment plus de’ vérité , que
'l’ufage a aatorifé la contraélion de l ’article avec
le P ofieffif, dans les cas où le nom eft exprimé ;.
& c’eft pour les intérêts de la clarté , que,, quand
on ne veut pas répéter inutilement un nom déjà
exprimé, on exprime chacun a part l ’article & le
P o f f i f f i f pur, afin que l’énonciation, di-ftinéle de
l ’article réveille plus sûrement l ’idée du nom dont
il y a ellipfe, & qui eft annoncé par l’article^
Prefque tous les grammairiens regardent comme-
dès pronoms les adjeâùfs pofieffifs de l ’une & de
l ’autre efpèce ; & voici l’origine de cette erreur-
Ils regardent les noms comme un genre qui comprend
les fubftantifs & les adjeétifs-;, & ils obfer—
vent qu’ils fe fait des adjeélifs de certains n’oms;
qui fignifient dès fubftances, comme de terre, ter-
•refireg,|iwnfi, meus eft formé de mei, qui eft Té1
génitif du pronom ego ; tous de tui , génitif de*
tu , 8cc. Or, dans le fyftême de ces grammairiens ,
le fubftantif primitif & l ’adjeétif qui en eft dérivé ,*
font également des noms : & ils en concluent que
ego 8c meus , tu & tuu s, &c , font 8c doivent
être également des pronoms. D’ailleurs ces adjectifs
pofieffifs doivent être mis au rang des pro-
! noms, félon Reftaut ( chap. v y art. 3 ) , parce’
qu’ils tiennent la place des pronoms perfonnels ou
des noms au génitif: ainfi , mon ouvrage, notre
devoir, ton habit., votre maître, fon cheval, eii '
parlant de Pierre, leur roi, en parlant de .françois
, fignifient Vouvrage de moi, le devoir de-
nous, rhabit de toi , le maître de vous , le cheval
de lui ou de Pierre, le roi d'eux„ pu des français.
Par raport au premier raîfonnement, le principe’
en eft abfolüment faux ; & l ’on peut voir, au mot
Substantif, que dé que l ’on' appelle communément
le Subflantif 8c Y A d je c tif font des parties-
d’oraifon effenciellement différentes. J’ajoute qu’il
eft évident que bonus , tuu s, feribendus , & an-
terior ,. ont une même, manière de lignifier * de fe
décliner, de s’accorder en genre , : en nombre, &
en cas avec un fujet déterminé ; & que la nature-,
des mots devant dépendre de la nature & de l’analogie
de leur fervice, on doit regarder ceux - c i
comme étant à.’ cet égard de la même elpèce*..
Si on veut regarder ticus comme pronom parce
qu’i l eft dérive d’un pronom, c’eft une abfurdité’
raanifefte , & rejetée ailleurs par ceux même qui
la propofent i c i , puifqulils n ofent dire quante-
rior foit une prépofition , quoiqu’i l foit dérivé de
la prépofition ante. Les racines génératrices des
mots fervent a en fixer l ’idée individuelle ; mais-
l ’idée Ipécifique , qui les place dans uné clalfe ou;
dans une autre ^ dépendabfolument Scuniquemeni dç ,
fa maniéré de lignifier qui eft commune a lous les
mot? de la même claf e« P " Mot.
Quant au principe prétendu raifonné dé Reftaut,
j’y trouve deux vices confidérabies. Premièrement,
il fuppofe que la nature du pronom confifte à tenir
la place du nom ; & c’eft une erreur que je
crois folidement détruite ailleurs. Voye\ Pronom.
En fécond lieu, l ’application qu’en fait ici
ce grammairien doit être trés-fulpeéle d’abus, puisqu'il
en peut fortir des conféquençes que cet auteur
fans doute ne voudroit pas admettre. R eg iu s ,
humanus, evandrius , &c, fignifient certainement
regis, hominis, Evandri ; Reftaut concluroit-il que
ces adjectifs font des pronoms?
Tous les grammairiens françois & allemands re-
connoiffent dans leurs langues les deux dalles de
Pofieffifs que j’ai diftinguées-dès le commençe-r
ment ; mais c’eft fous des dénominations différentes.
Nos grammairiens appellent nio’n , ton, fo n , &
leurs femblables, Pojfefiifs abfolus; •& ils regardent
le mien, le tien, le. fien , &c , comme dès Pof-
fe fiifs relatifs. Ceux-ci font nommés relatifs, parce
que, n’étant pas joints avec leur fubftantif, dit Reftaut
, ils le fuppofent énoncé auparavant, & y ont
relation: mais perfonne ne dit pourquoi on appelle^
abfolus les Pofieffifs de la première efpèce; &
l ’abbé Regnier paroît avoir voulu éviter cette dénomination
, en les nommant Amplement non-relatifs
. Le mot de R e la t if eft un terme dont il femble
qu’ on ne connoiffe pas affez la valeur , puifqu’on
en abufe fi fouvent. Tout adjedlif eft elfençielle-
ment relatif au fujet déterminé auquel on l ’applique,
foit que ce fujet foit politive.ment exprimé par _
un nom ou par un pronom, foit que 1 ellipfe l ’ait fait
ùilparoître & qu’il faille le retrouver dans ce qui
précède : ainfi, les deux efpètes de pofieffifs font
également relatives, & la diftindtion dé nos grammairiens
eft mal cara&érifée.
Les grammairiens allemands ont aparemment
voulu éviter ce défaut : Gottfched appelle conjo
n c t if s\es Pofieffifs de la première elpèce , mon,
ton , fo n , &c'; & il nomme abfolus ceux de la
foçonde , le mien, le tien, le fie n , &c. Les premiers
font nommés conjonctifs , parce qu’ils font
toujours unis avec le nom auquel ils fe raportent;
les autres font appelés abfolus, parce qu’ils font
employés feuls & fans le nom auquel ils ont raport.
Voilà comment les différentes manières de
voir une même chofe amènent des dénominations
différentes & même oppofées. La Touche, qui
a compofé Y A rt de bien parler françois, a adopté
cette fécondé manière de diftinguer les Pofieffifs.
Avec un peu plus de jufteffe que la première ,
je ne crois pourtant pas qu’elle doive faire plus
de fortune. Les termes techniques de Grammaire
ne doivent pas être- fondés fur des fervîces accidentels
, qui peuvent changer au gré de l ’ufage ;
la nomenclature des fciences 8c des arts doit être
immuable comme les natures dont elle eft chargée
de réveiller les idées , parce qu’elle doit en effet
exprimer la nature intrinsèque,- & non les accidents
des chofes. Or il eft évident que mien , tien tfien f
&c , ne font abfolus, au fens des grammairiens allemands
, que dans Tufage préfent de leur langue
8c de la nôtre ; & que ces mêmes mots étoient
conjonétifs, lorfqu’il étoit permis de dire un mien
frè re , un fien livre, comme les italiens difent encore*
i l mio fra te llo , i l fu o libro.
Diiclôs, qui apparemment a fenti le vice des
deux nomenclatures dont je viens de parler , a pris
un autre parti. « M on , ton, fo n , ne font point
» des pronoms , dit - il ( Rem. fur le chap. viij
de la II.p a r t, de la Grammaire générale'), » puif-
» qu’ils ne fo mettent pas a la place des noms ÿ
» mais avec les noms mêmes : ce font des adj.. 6tifs-
» pofieffifs. Le mien , le tien , le fien , font de
» vrais pronoms ». Ce faVant académicien juge
que ces mots fe mettent au lieu du nom qui n’efo
point exprimé : mais, comme je l’ai'dit , ce n’eft
point là le caractère diftinétif des pronoms : &
d’ailleurs les adjeélifs mien, tien, fien , & c , ne
fe mettent pas au lieu du nom. On les emploie
fans nom à la vérité : mais ils, ont à un nom une
relation marquée qui les affujettit aux lois de la-
concordance , comme tous les autres adje&ifs : &
l ’article qui les accompagne néeeffairement , eft la
marque la plus affurée qu’il y a alors ellipfe d’un
nom appellatif , la feule efpèce de mot qui puiffe
recevoir la détermination qui eft indiquée par l ’article.
C’efF donc la différence que j’ai obfervée entre
les deux efpèces de Pofieffifs, qui doit fonder celle
des dénominations diftin&ives de ces efpèces. Mon -
ton , f o n , & c , font des articles pofieffifs, puisqu'ils
renferment en effet dans leur fignification-
celle de l ’article & celle d’une dépendance relative
à quelqu’une des trois perfonnes du fingulrer 011
du pluriel; que d’ailleurs ils font, avec les noms
qu’ ils accompagnent, l ’office de l ’article, qu’on
ne peut plus énoncer fans tomber-dans- le vice de
la Périffologie. Mien , tien , fien , &c , font de
purs ad je ftiis p ofieffifs, puifqu’ils ne fervent qu’à
ualifier le fujet auquel ils ont raport,. par l ’idée
’une dépendance relative à quelqu’une des trois perfonnes
du fingulier ou du pluriel.
Content d’avoir examiné la nature des adje&ifo
pofieffifs ■> ce qui eft véritablement de l ’objet de
l’Encyclopédie, je se m’arrêterai point ici à détailler
les différents ufages de ces adje&ifs par raport
à notre langue ; ç’eft à nos Grammaires françoifes
à difeuter ces lois accidentelles de l ’ùfage. Mais-
je m’arrêterai à deux points particuliers, dont i’un-
concerne notre langue ; & l-’autre , la langue allemande.
L ’examen du premier point peut fèrvir à foire
voir combien il eft aifé de fe méprendre^ dans les.
dédiions grammaticales 8c combien jT faut être