Un Prétérit indéfini eft une forme du verbe
qui exprima 1 antériorité d’exiftence a l ’égard d’une
époque quelconque : un Prétérit défini eft une
forme du verbe qui exprime l ’antériorité d’exif-
tence a i égard d une époque précife & déterminée.
Un Futur indéfini eft une forme du verbe qui
exprime la poftériorité d’exiftencè à l ’égard d’une
époque quelconque: un Futur défini eft une forme
du verbe qui exprime la poftériorité d’exiftence
a 1 egard d’une époque précife & déterminée.
n §*,3* Tfoifième divijïon générale des Tem ps .
U “ Y , a qu’une manière de faire abftraftion de
toute époque j Sc c eft pour cela qu’iln e peut y avoir
i u un Préfent, un Prétérit, & un Futur indéfini. Mais
ai peut y avoir fondement à la foudivifion de
toutes les efpèces de Temps définis , dans les
diyerles pofîtions de l ’époque précife de comparai
fon , je veux dire , dans les diverfes relations de
cette époque a un point fixe de la durée.
Ce point fixe doit être le même pour celui qui
parle & pour ceux à qui le difeours eft tranfmis ,
loit de vive voix foit par écrit: autrement, une
langue ancienne feroit, J i je peux le dire, in-
traduifible pour les modernes j le langage d’un
peuple feroit incommunicable à un autre peuple j
celui meme d un homme feroit inintelligible pour
un autre homme , quelque affinité qu’ils euffent
d ailleurs.
Mais dans Joette fuite infinie d’inftants qui fe
fuccedent rapidement & qui nous échapent fans
cene , \ auquel doit-on s arrêter , 5s par quelle raifon
de préférence fe déterminera-t-on pour l ’un plus
tôt que pour 1 autre ? Il en eft du choix de ce
point fondamental , dans la Grammaire, comme
de celui d'un premier méridien , dans la Gépgra-
phie. Rien de plus naturel que de fe déterminer
pour le méridien du lieu même ou le géographe
opère; rien de plus raifonnable que,.de fé fixer à
1 inftant meme de la production delà parole. C e il
en effet celui qui , dans toutes les langues , fert
de dernier terme à toutes les relations du Temps que
1 on a befoin d’exprimer, fous quelque forme que 1 on
veuille les rendre fenfibles.
On peut donc dire que la pofîtion de l ’époque
de comparaifon eft fa relation à l ’inftant même
de l ’atle de la parole. Or cette relation peut être
auffi on de fimultanéité, ou d’antériorité , ou de
poftériorité; ce qui peut faire diftinguer trois fortes
d’époques déterminées : une époque aBuellt , qui
coïncide avec l ’aéte de la parole ; une époque
anterieure, qui précède l ’afte de la parole; & une
epoque poftérieure, qui fuit l ’afte de la parole.
, D e la la diftinélion des trois efpèces de Temps
définis en trois efpèces fubalternes, qui me fem-
blent’ ne pouvoir être mieux caraftérifées que par
les dénominations A’aéluel, d ’antérieur , &de pof-
terieur, tirées de la pofîtion même de l’époque déterminée
qui les différencie.
Un Préfent défini eft donc actuel, antérieur, ou
pojiérleur , félon qu’il exprime la fimultanéité
d exiftence à l ’égard d’une époque déterminément
aéluelle, antérieure , ou poftérieure.
Un Prétérit défini eft actuel, antérieur, ou pof-
térieur , félon qu’il exprime l ’antériorité d’exiftence
à l ’égard d’une époque déterminément a élue lie , antérieure
, pu poftérieure.
Enfin un Futur défini eft pareillement actuel,
antérieur, ou poftérieure félon qu’il exprime la
poftériorité cfexiftence à l ’égard d’une époque déterminément
aéluelie , intérieure , ou poftérieure.
Art. II. Conformité du fyftême métaphyfique
des Temps avec les ujâges des langues. On conviendra
peut-être que le fyftême que je préfente
ici eft raifonné ; que les dénominations que j’y
emploie en caraélérifent très-bien les parties, puif-
qu’elles défignent toutes les idées partielles qui y
font combinées , & l ’ordre même des combinaifons.-
Mais on a vu s’élever & périr tant de fyftêmes ingénieux
Sc réguliers , que l ’on eft aujourdhui bien
fondé à fe défier de tous ceux qui fe préfentent
avec les mêmes apparences de régularité : une belle
hypothèfe n’ eft fouvent qu’une belle fiélion ; Sc
celle-ci fe trouve fi éloignée du langage ordinaire
des grammairiens > foit dans le nombre des Temps
qu’elle femble admettre, foit dans les noms qu’elle
leur affigne, qu’on peut bien la foiipçonner d’être
purement idéale, & d’avoir affez peu d’analogie avec
les ufages des langues,
La raifon, j’en conviens , autorife ce foupçon ;
mais elle exige un examen avant de paffer
condamnation. L ’expérience eft la pierre de touche
des fyftêmes, & c’eft aux faits à proferire ou à juftifier
les hypothèfes.
§. I. Syftême des Préfents, juft ifié par Vufage
des langues. Prenons donc la voie de l ’analylè y
8c pour ne point nous charger de trop de matière
, ne nous occupons d’abord que de la première
des trois efpèces générales de Temps , des
Préfents.
L II en eft- un qui eft unanimement reconnu
pour Préfent par tous les grammairiens ; f u m , je
fuis, laudo, je loue, miror, j’àdniire, Sec. Il a,
dans les langues qui l’admettent, tous les çaraélères
d’un Préfent véritablement indéfini, dans le fens que
j’ai donné à ce terme.
i°. On l’emploie comme Préfent aéluel : ainfi,
quand fe dis , par exemple , a quelqu’un , Je vous
LOUE dé avoir fa it cette action-, mon aétion de louer
eft exprimée comme coexiftante avec l ’aétc de la
parole.
z°. On l ’emploie comme Préfent antérieur. Que
l ’on dife, -dans un récit, Je le RENCONTRE en che-'
min; je lui DEM AN DÉ où i l y a , je y o i s qu’ il
s ’EMBARRASSÉ » : en tout cela , ou il n’y a que
» des. Temps préfents j j e le rencontre, eft dit
» poùr je lè rencontrai ; j e demande, pour je
» demandai poil- i l va , pour oit i l alloit fjè.vois,
ï> pour je vis; ô qu’ i l s’embarrajfe, pour qidil
» s’embarraJJbit w. ( Regnier , Gramm. franç.
in - i i , page 3 43 ; in - 40. pag. 360. ) En effet,
dans cet exemple , les verbes je rencontre , je demande
, je v ois, défignent mon aétion de rencontrer,
de demander, de voir, comme coexiftante
dans le période antérieur indiqué par quelque
autre circonftance du récit ; & les verbes i l va ,
il s’embarrajfe, énopcent faction éé aller &de s ’em-
barrajfer, comme coexiftante avec l ’époque indiquée
par les verbes précédents j e demande Sc je
vois, puifque ce que je demandai , c’eft 011 il
alloit- dans i’inftant même de ma demande, & ce
que je vis , c’eft qu’il s’ embarrajfoit dans le moment
même que je le voyais. Tous les verbes de
cette phrafe font donc réellement employés comme
des Préfents antérieurs, c’eft à dire, comme exprimant
la fimultanéité d’exiftence à l’égard d’une époque antérieure
au moment de la parole.
30. Le même Temps s’ emploie encore comme
Préfent poftérieur. Je PARS demain, je FAIS tantôt
mes adieux ; c’eft à dire, je partirai. demain ,
Sc je ferai tantôt mes adieux: j e pars Sc je fa i s
énoncent mon action.de partir 8c de faire,, comme
fimultanée avec l ’époque nettement défignée par
les mots demain 8c tantôt, qui ne peut être qu’une
époque poftérieure au moment ou je parle.
40. Enfin l ’on trouve ce Temps employé avec
abftraétion de toute époque , ou , fi .l’on veut ,
avec une égale relation a toutes les époques pof-
fibles. C ’eft dans ce fens qu’il fert à i ’expreffion
des propofitions d’éternelle vérité : Dieu EST jufte,
les trois angles d’ un triangle s o n T égaux à deux
droits : c’eft que ces vérités font les mêmes dans
tous les Temps , qu’elles co'ëxiftent avec toutes
les époques , Sc le verbe , en conféquence , fe met
à un Temps qui exprime la fimultanéité d’exiftence
avec abftraélion de toute époque, afin de p'ouvoir
être raporté à toutes les époques.
Il en eft de même des vérités morales qui contiennent
en quelque forte l ’hiftoire de ce qui eft
arrivé , & la prédiélion de ce qui doit arriver. Ainfi,
dans cette maxime de M. de la Rochefoucault
{Penfée l v ) : La haine pour les favoris nEST
autre chofe que V amour-de la faveur, le verbe eft exprime une fimultanéité relative à une époque
quelconque , & aétuelle , Sc antérieure, & poftérieure.
Le Temps auquel on donne communément le
nom de Préfent, eft donc un Préfent indéfini, un
Temps qui , n’étant nullement aftreint à aucune
époque,, peut demeurer dans cette généralité, ou
être raporté indifféremment à toute époque déterminée
, pourvu qu’on lui conferve toujours fa figni-
ncation elfencielle & inamiffible , je veux dire, la
fimultanéifé d’exiftence.
Les différents ufages que nous venons de remarquer
dans le Préfent indéfini, peuvent nous conduire
à reconnoître les Préfents définis j & il ne doit
point y én avoir d’autres que ceux pour lefquels
le Prélent indéfini lui-même eft employé j parce
qu’exprimant effencieilement la fimultanéité d’exiftence
avec abûraélion de toute époque , s’i l fort
de cette généralité:, ce n’eft point pour ne plus
.fignifier la fimultanéité, mais c’eft pour l’exprimer
avec raport à une époque déterminée. Or
II. Nous avons vu le Préfent indéfini employé
pour le Préfent aêluel, comme quand on dit, Je
.v ous LOUE dé avoir fa it cette action : mais dans
ce cas là même , il n’y a aucun autre Temps que
l ’on puiffe fubftituei à je loue : Sc cette obfervation
eft commune à toutes les langues dont les verbes fe
conjuguent par Temps.
La conféquence eft facile à tirer : c’eft qu’aucune
langue ne reconnoît dans les verbes.de Préfent
aéluel proprement d it , Sc que partout c’eft le
Préfent' indéfini qui en fait la fonélion. La raifon
en eft fimple : le Préfent indéfini ne fe raporté lui-
même à aucune époque déterminée , ce font les
circonftances du difeours qui déterminent celle à
laquelle on doit le raporter en chaque oççafion 5
ic i, c’eft à une époque antérieure; 5 là ? à une
époque poftérieure j ailleurs , à toutes les_ époques
poffibies. Si donc les circonftances du difeours ne
défignent aucune époque précife, le Préfent indéfini
ne peut plus fe raporter alors qu’à l ’inftant qui
fert effencieilement de dernier terme de comparaifon
à toutes les relations de Temps , c’eft à
dire, à l ’inftant même de la parole : cet inftant ,
dans toutes les autres occurrences , n’eft que le
terme éloigné de la relation ; dans c e l le - c i , i l
en eft le terme prochain & immédiat, puifqu’il eft
le feul.
III. Nous avons vu le Préfent indéfini employé
comme préfent antérieur \ comme dans cette phrafe ,
Je le RENCONTRE en chemin, j e lui DEMANDE oit
i l y A , j e v Ois qu’ i l s’ embarrasse ; Sc dans ce
cas,nous trouvons d’autres Temps que l’on peut fubf-
tituer au Préfent indéfini ; j e rencontrai pour j e
rencontre, je demandai pour j e demande, 8c j e
vis pour j e vois , font donc des Préfents antérieurs j
i l alloit. pour i l va , tSc i l s ’émbarrajfoit pour
i l s ’embarrajfe, font encore d’autres Préfents antérieurs.
Ainfi, nous voilà forcés à admettre deux
fortes de Préfents antérieurs : l ’un , dont on trouve
des exemples- dans prefque toutes les langues ,
- eram , j’étois, laudabam , je louois, mirabar ,
j’admirois ; l ’autre, qui n’eft connu que dans quelques.
langues modernes de l ’Europe , l ’italien ,
l’efpagnoi, Sc lefrançois, j e fu s , j e louai, j ’admirai.
i°. Voici fur la première efpèce comment s’explique
le plus célèbre des grammairiens philofo-
phes, en parlant des Temps que j’appelle définis
, Sc qu’il nomme compofés dans le fen s .
» Le premier, dit-il ( Gramm. gén. P a r t. I l ,
Chàp. xiv , édit, de 1660 ; chap. x v , édit, de
17 5 6 ) , » eft celui qui marque le paffé avec ra