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les lèvres fe rapprochent ou fe portent en avant d’une
manière fi fènuble , que l*on pourroit donner à ces
V à ix le nom de Labiales ,• & aux voyelles qui les
repréfenteroient , la dénomination analogue de
Voyelles labiales.
Les lèvres forment autour de la bouche une
efpèce de cercle pour produire EU j elles fe ferrent
davantage & fe portent en avant pour O ; encore
plus pour U , mais pour le fon O U , elles fe ferrent
& s’avancent plus que pour aucun autre.
II. Les deux premières V o ix de chacune de ces
deux dalles font fulceptibles de certaines variations
, que notre ufage n’a pas données aux autres
V o ix des mêmes clafies ; parce qu’apparemment
elles s’en accommoderoient moins aifément, ou
qu’elles n’en feroient point du tout fufceptibles.
On pourroit donc , fous ce nouvel alped, diftin-
guer les huit V o ix fondamentales en deux autres
clanesj lavoir, quatre variables & quatre confiantes
: 8c les voyelles qui les repréfenteroient,
feroient défignées par les mêmes épithètes.
i° . Les V o i x variables, que Duclos (Rem.
fu r la Gramm. génér. I , j ) appelle grandes
voyelles , font les deux premières P o ix retentif-
fantes, A , E ; 8c les deux premières labiales,
E U , O . Elles font variables ; parce que chacune
d’elles peut être orale ou nafale , & que chaque
orale peut être grave ou aiguë. Voye\ O r a l ,
N a s a l , G r a v e , A i g u .
A eft oral & grave dans pâte ; oral & aigu dans
pâte ( d’animal ) ; 8c nafal dans plante .
V O I
E eft oral & grave dans tête ; oral & aigu dans
il tète ; & nafal dans teinte. EU eft oral 8c grave dans jéûne ( de carême ) j
oral & aigu dans jeune homme ; oral & muet
ou prefque infenfible dans j e dis , car c’eft toujours
la même V o i x , malgré la différence d’orthographe
; j’en ai pour preuve l’oreille poétique & con-
féquemment délicate de Voltaire, qui f&t rimer ces
deux V o ix '( La Prude , III, 6) ;
Il fembleroif que l’on vous aflaflîne ,
Ou qu’on vous Vole, oh qu’on vous ba t, ou que
Dans le logis vous avez mis le feu :
enfin il eft nafal dans être à jeun.
O eft oral & grave dans côte (forte d’os ) ; oral
& aigu dans cote ( efpèce de jupe ) ; & nafal dans
conte (récit ).
i°. Les V o ix , confiantes , que Duclos ( lb. )
appelle petites voyelles, font les deux dernières
V o ix retentiffantes, É , I; & les deux dernières
labiales, U , OU. Elles font confiantes; parce
qu’en effet chacune d’elles eft conftamment orale
fans jamais devenir nafale , & qu’elles ont toujours
le même degré de plénitude & d’intenfîté , foit qu’on
en hâte la prononciation, foit quon la faffe durer
plus long temps.
Voici donc le fyftême complet des huit Vo ix fondamentales ufitées dans notre langue , & de celles
qui en font dérivées au moyen l’on vient d’afligner. des variations que
V O I X
R E T E N T I S S A N T E S .
S (É
5p5 ta-< \)
H U
L A B I A L E S .
— w A .......
fORALE JXrave • • • A . . . pâte,
i (aiguë . . . a . . . pzte,
(nasale. plante.
. /grave . . . ê . . . tète.
CoRALE. ^ iguë ,ète. fOR
( NA
g r a v e • . . . eu . . . jeûner.
a i g u e . . . . e u . . jeunejfe.
m u e t te . . . e. . . . j e dis.
. . . . . e u n . . . y e u n .
Ç grave. . . . ô . . . côte.
E* (aigue. • . o . • • cote.
É . . bâti. CIJ . . , . #
I . . bâti. (O U . . . , , .
. u . . . fujei.
. o u . . fournis.
V O I
Pour ce qui regarde les C o i x confiantes, l’abbé
Fromant (Suppiem. à la Gramm. gén. de P on-
Ployai, 1, j ) i penfe autrement^ que Duclos. 11 prétend que nous tefons ufage de Vi nafal, » L’abbé
» de Dangeau , dit-il , connoiffoit aflurément la
» prononciation de la Cour 8c de la Ville ; ce-
» pendant , félon cet excellent académicien, in
» ne fe prononce pas comme en dans bien des
» mots, Spécialement dans innombrable, immua- „ ble; ï.i nafal fe fait fentir dans le mot incor-
» poré, dit-il dans une note d’après Boindin ( Sons 0 de la langue , pag. 14 & 78 ) : par conféquent
0 le Théâtre fê conforme au bon ufage, dont il
» eft un exemple permanent, en dittinguant ce
» dernier fon nafal dans la prononciation».
Ne peut-on pas répondre d’abord a.labbé Fromant,
que Duclos ne connoiffoit pas moins la
prononciation a élu elle de la' Cour & de la Ville ,
que l’abbé de Dangeau ne connoiffoit celle de fon
temps; que l’un n'appartient pas moins que 1 autre
à l’Académie françoife ; que l’un ne s’y eft pas moins
diftino-ué que l’autre; &que tous deux ont fait des
preuves »également heureureufes de capacité & d intelligence
dans les matières grammaticales ? Ne
pourroit-on pas ajouter que tous deux peuvent avoir
raifon ; que l’abbé de Dangeau eft un garant fîdeie de la prononciation qui régnoit de fon temps a la
Cour & à la Ville ; que Duclos eft^ de même un
témoin fur de l’ufage moderne , différent de celui
qui avoit cours’fous l’ancien académicien; & que
Boindin , mort vieux dans la jedneffe de Duclos ,
parloit encore d’après la vieille Cour ? Peut - on
même expliquer d’une autre manière la diverfite
des opinions de deux académiciens, dont 1 un a
élevé l’autre dès l’enfance ? S’ils ont penfe ^diver-
fement fur l’ufage de leur temps, c’eft que l’ufage
a varié d’un temps à l’autre.
Il eft confiant d’ailleurs qu’aujourdhui, dans les
premières fyllabes des mots innombrable, immua-
ble , on fait entendre , après Vi initial, les articulations
n 8c~ m comme s’il y avoit ine - nom-
brable , ime-muable ,* Vi dans ces mots eft donc à
peu près au fil franc que dans inaction , image. Quant à la pratique du Théâtre, on peut dire
que , quoique Vi natal s’y foit introduit, » il n’en
» eft pas moins vicieux, puifqu’il n’eft pas auto-
» rifé par le bon ufage, auquel, dit Duclos (Rem.
fu r la Gramm, gén. I. j. ) , le Théâtre eft obligé
» de fe conformer, comme la Chaire. & le Bar-
» reau ». Perfonne en effet jufqu’ici ne s’eft avifé
de faire entrer l’autorité du Théâtre dans ce qui
conftitue le bon ufage d’une langue ; \ & l’on a eu
raifon. » On prononce affez généralement bien au
» Théâtre , continue Duclos ; mais - il ne laiffe
» pas de s’y trouver quelques prononciations vi-
» ciedfes, que certains auteurs tiennent de leur
» province ou d’une mauvaife tradition ». Et de
fait, le grand Corneille étant en quelque forte le
père 8C l’inftituteur du Théâtre françois , il ne
îeroit pas furprenant qu’il s’y fut confervé «tradi-
G r a m m : e t L i t t é r a t . Tome I I I .
v o 1
tionnellement une teinte de la prononciation normande
, que ce grand homme pourroit y avoir introDdauniste
.l'e Rapport analyfé des Remarques de
Duclos fur la Grammaire générale de Port-Royal
8c du Supplément de l’abbé Fromant , que fit à
l’Académie royale des fciences, belles-Lettres, &
arts de Rouen, M. Maillet de Boullay., alors
fecrétaire de cette compagnie pour les Belles-
Lettres ; il compare & difcute les penfées des trois
auteurs fur la nature des V o ix & des voyelles,
qu’il défigne indiftinétemënt par le nom de Voy elles. » Cette multiplication de Voyelles, dit-il, eft-
» elle bien néceflaire ? ,8c ne feroit - il pas plus
» fimple de regarder ces prétendues Voyelles
»■ ( nafale s ) comme de vraies fyllabes , dans lef-
» quelles les Voyelles font modifiées par les let—
» très m ou n qui les fuivent ? »
L’abbé de Dangeau avoit déjà répondu à cette
queftion d’une manière très-détaillée & très - fatis-
' fefante ( Opufc. fu r la langue fr . par divers académiciens
, pp. 19 — 31 ‘ )• 11 démontre que les
Voix nafales font de véritables fons fimples &
inarticulés en eux -- mêmes : fes preuves portent
i°. fur ce que, dans le chant, fi l’on veut fredonner
fur les dernieres fyllabes de tyrans, biens y
profonds fera fur y communs an y y y , tout y le port de fe
8c non pas fur V o ix u pour ne/en prononcer on un 1 n finale qu apres a , e le
9
fredon o y ; z°. fur l’hiatus que produit le choc de ces
V o ix nafales, quand elles terminent un mot &
que le mot fuivant commence par une autre Cesf preuves, détaillées comme elles le, font V o dans
ix . le premier difcours de l’abbé de Dangeau, m ont
toujours paru démonftratives ; comment ne ^1 ont-
elles pas paru de même à M. du Boullay ? N en au-
roit-il pas eu connoiffance ? Notre orthographe
lui auroit-elle fait illufion ? Son erreur viendroit-
elle du climat qu’il habitoit ? & y feroit-il tombé
par la même raifon qui fit que làbbé de Dangeau
trouva , • dans le Cinna de Corneille , vingt ^fix
hiatus occafionnés par des V o ix nafales, qu il rien
rencontra que onze dans le de Racine ,
huit dans le Mithridate Mifanthrope de Molière , 8c beaucoup
moins dans les opéra de Quinault?
» Sans doute les Voix , I, , 11e
» font jamais' nafales dans 1 É ufage actuel U O de U la , la.11—
» o-ue françoife : mais s’enfuit - il dé la que ces
» mêmes Voix ne puiffent jamais le devenir, ou
» même quelles ne le foient pas déjà dans quel-
» que autre langue?.. . . . Ces .auteurs^ fe font
» trompés : mais c’eft en ce qu’ils ont pris, pour
» lé bon ufage, celui de quelques provinces ou
>: l’an prononce effe&ivement de la forte. Le fait
» dépofe donc ici contre M. Beauzée , & prouve
1» au moins que l’I n eft pas par fa nature une » confiante ». ( Voix Mem. de l Acad. Prujfe.
Ann. 1771. Second M.de M. Thiébault,R . de la Gramm. gén. de M.ém. Beauzée , fur
pag. 440. )
Je n’ai jamais prétendu que la V o ix I fut conf-N n n n