
fens grammatical du verbe j ’ ai vu, puifqu’on ne peut
jamais voir que des {ieux , & que qui dit y ai vu , dit
affez que c’en par les ieux, & de plus que c’eft par
les liens ; ainfi , i l y a , grammaticalement parlant,
une double fuperfluïté : mais ce fuperflu grammatical
ajoute des idées accefloires qui augmentent
rénergie du fens , & qui font entendre qu'on ne
parle pas fur le raport douteux d’autrui, ou qu’on
n’ a pas vu la chofe par hafard 2c fans attention ,
mais qu’on- l ’a vue avec réflexion, & qu’on ne
F affilie que d’après fa propre expérience bien constatée
; c’eft donc un P léonafmë néceffaire à l’énergie
du fens. «Cela eft fondé en raifon , dit Vaugelas
( Remarq. 160) » , parce que, lorfque nous voulons
» bien affurer 2c affirmer une chofe, il nefuffit pas
» de dire Amplement je Vai vu , puifque bien iou-
» vent i l nous femble avoir vu des chofes , que fi
» l ’on nous preffoit de dire. la vérité, nous o’êfè-
» rions raffiner. I l faut donc dire Je Vai vu de
» mes ie u x , pour ne laiffer aucun fujet de douter
» que cela ne foit ainfi : tellement qu’à le bien
» prendre (cette conclufion eft remarquable ) ,
» il n’y a point là de mots fuperflus, puifqu’au con-
» traire ils font néceffaires pour donner une pleine
» affurance de ce que l ’on affirme. En un mot,
» i l fûffi t que l ’une ■. des phrafes dife. plus que
» l ’autre pour éviter lé vice du Pléonafmë ( ç eft
» à dire , la Périffologie), qui confîfte' à ne; dire
» qu’une mêrrfe' chofe" en paroles/, différentes &
» oifivés , fans qu’elles ayent une * fignification ni
» plus étendue ni plus forte que les premières'».
Le Pléonafmë'd’énergie èft très-commun dans la
langue hébraïque j 5c il femble en faire un caractère
particulier 2c propre, tant l ’ufage en eft fréquent &
néceffaire,!
i°. Un nom conftruit avec lui-même, comme
efclave des ejclaires , cantique- des cantiques ,
vanité des vanités, flamme de flamme , les
fiècles des fiè c le s, 6cc, eft un tour très-ordinaire
dans la langue fainte , & une fuperfluïté apparente
de mots : mais ce P léonafmë eft très- énergique.,
& il fert à ajouter au nom l ’idée' de fa propriété
cara&ér.iftique dans un grand degré d’intenfité ; c’eft
comme fi on difbit , très - v il efclave, cantique
excellent, vanitéexceffiye , flamme très-ardente,
la totalité des fiècles ou T éternité.
Rien de plus inutile en apparence à la plénitude
du fens grammatical que la répétition de
Tad jeâif ou dé l ’adverbe ; mais c’eft un Ple'onafme
adopté dans la langue hébraïque , pour remplacer
ce qu’on appelle dans les autres le Superlatif ab-
fo lu. V oîë\ Idiotisme , & Superlatif.
3°. Un autre Ple'onafme eft encore ufité dans
le même fens ampliatif ; c’eft l ’union de de^x mots
fynonymes parla conjonction copulative; comme
Ver b a oris ejus iniquitas & dolus | P f 3 5;,
vuig. 3 6 , hûebr. v. 4 }, e’eft à dire, verba orîs-ejus
iniquijfima.
4^. Mais fi la conjonction réunit le même mot
à lui-même, e’eft un Pleonafme qui marque diverfité
In corde & corde loquuti fu n t (" P f . Il*
vulg. i z , hcebr. v. 5 )/, c’ eft à dire , cum diverfis
fenfibus, quorum alter eft in ore, alter in mente.
Nous difons de même en François, au moins dans
le ftyle fimple, I l y a coutume & coutume, I l
y a donner & donner, pour marquer la diverfité
des coutumes 5c des manières de donner 5 c eft
dans notre langue un hébraifme.
50. Si le même nom eft répété de fuite fans
conjonction 2c fans aucun changement de forme,
c’eft un Pleonafme qui remplace quelquefois en
hébreu l ’article diftributif chaque , ou l ’article
collectif t o u tnoa ( w ™ 1
a iff a ijf mebit , en iilàut comme Mafclef) ;
ce que les feptante ont traduit par av8p«7ros avôpwwoj twv
xfim lVpttnA , liomo homo filiorum Ifraél, 2c la vul-
gate, homo quilibet de domo Ifraél ( Ley. xvij. 3 ) ;
ce qui eft lé véritable fens de l ’hébraïTme. D’autres
fois cette répétition eft purement emphatique :
[a^h ali ), Deus meus , Deus meus ; ce Pléo-
nafine marque l ’ardeur de l ’invocation. Nous imitons
quelquefois ce tour hébraïque dans la même
vue : on ne faurdit lire fans la plus vive émotion
ce qu’a écrit l’auteur du Télémaque ( liv. X I ) ,
fur les acclamations des peuples de l’Hefpérie au
fujet de la paix ; 5c la jonCtion de ces deux mots
la p a ix , la p a ix , qui fe trouve juCqu’a trois fois
dans l ’efpace de quatre à cinq lignes, donne au récit
uiï feu qui porte l ’embrâfement dans l ’imagination
& dans l’âme du leCteur.
6°. C ’eft un ufage très-ordinaire de. la langue
hébraïque de mettre l ’infinitif du verbe avant le
| verbe même : ( achat tachai ), comedere
ou comedéndo •cbmedes ( G en. z , 16 ) ,*
n iD H lYfD ( moutk thamouth ) , mori ou mo-
riendo morieris ( Ib. 1 , 17 ). Quelques grammairiens
prétendent que c’eft dans ces'exemples
une pure Périffologie , & que l ’addition de l ’infinitif
au verbe n’ajoûte à fa fignification aucune
idée acceffoire. Pour moi, j’ai peine à croire qu’une
phrafe effenciellement vicieufe ait pu être dans la
langue faintê d’un ufage fi fréquent fhns aucune
néceffité. Je dis d*Un ufage fréquent ; car rien de
plus commun que ce tour dans les livres facrés :
2c j’ajoute que ce fer oit fans aucune néceffité, parce
que la conjugaifon fimple fourniffoit la même idée.
Qu’on y prenne garde ; l ’ufage des langues eft
beaucoup moins aveugle qu’on ne le penfe , &
jamais il n’autorife fans raifon une locution irrégulière
: il faut, pour mériter l ’approbation uni-
verfelle , qu’elle fupplée à quelque formaïfon que
l ’analogie de là langue né donne point, comme
font nos temps compofés par le moyen des auxiliaires
avoir, venir, deyoir, a lle r : ou qu’elle
renferme quelque idée acceffoire dont ne feroit
pas fufceptible la locution régulière, tels que
font les Pléonafmesdont il s’agit ici. Le Clerc cependant
( Art. cruic. part, i l , feéï. I , cap. 4 >
nn. 3 j 45 j ) fou tient que cette addition de Pinêriitif
au verbe n’a en hébreu aucune énergie propre :
Hcec addltio ejufdem verbi . . . nullam habet
in hebraicâ . . . linguâ .emphafin. Mais il faudrait
, avant d’adopter cette opinion, répondre
à ce que je viens d’obferver fur la circonfpedion
de l ’ufage qui n’autorife jamais une locution irrégulière
làns un befoin réel d’analogie ou d’énergie.
Si d’ailleurs on s’en raporte au moyen propofé
par Le Clerc, il me femble qu’i l ne lui fournira
pas une conclufion favorable : Res . . . . certa
e r it , dit-il, de hebraicâ, f i quis expendat loca
fcripturae in quibus occurrit ea phrafis. N’eft-il
pas évident que comedendo comedes ne fignifie pas
Amplement vous mangere\ , mais vous aure\
toute liberté de manger, vous mangere^ librement
, tant & f i fouvent que vous voudrez ? C ’eft
la même énergie dans moriendo, morieris ; cela
ne veut pas dire Amplement vous mourre\ ; mais
la répétition de l ’idée de mort donne à l’affirmation
énoncée par le verbe une emphafe particulière,
Vous mourrez certainement, infailliblement,
indubitablement : 2c de là vient que pour donner
plus de poids à l ’affirmation contraire ou à la
négation de cette fentence , le ferpent employa le
même P léonafmë : p n D j l ilID ■ {fa tnouth thamouthoun
) nequaqiiam moriendo moriemini ( Gen.
3 , 4 ) , il eft certain que vous ne mourrez point.
Voye\ au furplus la Grammaire hébraïque de
Mafclef, ckap. xxiv, §. ? , 8 , 9 3 chap. xxv ,
§. 8 j & cfiap. xxvj, §. 7 , 8.
II. -J’avoue néanmoins qu’il fe rencontre, 2c
même affez fouvent, de ces répétitions identiques
où nous ne voyons ni emphafe ni énergie. Dans
ce cas, il faut diftinguer entre les langues mortes
& les langues vivantes, & foudiftinguer encore
entre les langues mortes dont i l nous refte peu
demonuments, comme l ’hébreu, 2cles langues mortes
dont nous avons confervé affez d’écrits pour en
juger avec plus de certitude , comme le grec & le
latin.
Par raport à l ’hébreu , quand nous n’appercevons
pas lès idées accefloires que la répétition identique
peut ajouter au fens, i l me femble qu’il eft
raifonnable de penfer que cela vient de ce que
»ous n’àvoîis plus affez de fecours pour entendre
parfaitement la locution qui fe préfente j 8c c’eft
d’ailleurs un hommage que nous devons à la majefté
de l ’Écriture fainte & à l ’infaillibilité du S. Efprit
qui en eft le principal auteur.
Pour les autres langues mortes il eft encore
bien des cas où nous devons avoir par équité la
mê/me réferveÿ & c’eft principalement quand il
s’agit de phrafes dont les exemples font très-rares.
Mais en général nous ne devons, faire aucune difficulté
de reconnoître la Périffologie, même dans
les meilleurs écrivains de l ’antiquité , comme nous
la trouvons fouvent dans les modernes.
i° . Nous entendons affez le grec & le latin
pour endifcnler le grammatical avec certitude. 3. 2c
peut-être Démofthène & Cicéron feraient-ils
furpris, s’ils revenoient parmi nous 2c que nous
puflions communiquer avec eux , des progrès que
nous avons faits dans l’intelligence de leurs écrits ,
quoique nous ne puifljons pas parler comme eux.
z°. L e refpeét que nous devons à l’Antiquité
n’exige pas de nous une adoration aveugle. Les
anciens étoient hommes comme les modernes ÿ
fujets aux mêmes méprifes, aux mêmes préjugés,
aux mêmes erreurs , aux mêmes fautes : ôfons croire
une fois que Virgile n’enlendoit pas mieux fa
langue 2c n’étoit pas plus châtié dans fon ftyle que
ne l ’étoit notre Racine 3 & Racine n’a point été
entièrement difculpé par l ’abbé des Fontaines , qui
s’étoit chargé de le venger contre les Remarques
de l ’abbé dVOlivet. Difons donc que le fie ore
loquutus de V irg ile , 2c mille autres phrafes. pareilles
de ce poète 2c des autres écrivains du bon
fiècle, ne font que des exemples de Périffologie,
& des défauts réels plus tôt que des tours figurés.
(M . B e a u z é e . ) -
( N. ) P L O Q U E , f. f. ilAoüoi , nexus. Ce
ffiot, ufité chez quelques rhéteurs 2c abandonné par
le plus grand nombre , peut être regardé comme
le nom d’une figure de diâion par „confonnance
phyfique , qui réunit des mots matériellement fem-
blables mais différents quant au fens. Ce feroit en
ce cas une dénomination générique, qui comprendrait
deux efpèces, l ’Antanaclafe 2c la Syliepfe. Vôye% A ntanaclase , Syllepse. (M. B e a u zé
e . )
P LU R IE L , LE , adj. C ’eft un terme particulièrement
propre à la Grammaire , pour caraëtérifer
un des nombres deftincs à marquer L a quotité.
( Voye\ N ombre). On dit aujourdhui, Le nombre
p lu r ie l, Uneterminaifon plurièle. « Il eft certain ,
dit Thomas Corneille fur la Remarque 44 z de
Vaugelas , » que c’eft feulement depuis la remar-
» que de Vaugelas qu’on a commencé à dire P lu -
» riel': le grand ufage a toujours été auparavant
» d’écrire Plurier ». Vaugelas lui-même i^connoît
l ’unanimité de cet ufage contraire au fien : auffi
trouva-t-il des contradicteurs dans Ménage 2c dans
le P, Bouhours. ( Voye^ la note de Thomas Corneille,
2c les Remarques nouvelles du P. Bouhours,
tome I , page $97 ) 5 2c les Grammaires de Port-
Royal font pour Plurier. Aujourdhui l ’ufage n’eft
plus douteux , 2c les meilleurs grammairiens écrivent
P lu r ie l, comme dérivé du latin Pluralis ,
ou , fi l ’on veut, du mot de la baffe latinité P lu -
riatis. C ’eft ainfi qu’en ufent l ’abbé Regnier, le
P. Buffier, l ’abbé d’Olive.t, Duclos,. labbé G irard
, 2c la plupart de ceux dont l ’autorité peut
être de quelque poids dans le langage grammatical.
On peut réduire à quatre règles principales ce
qui concerne le P lurie l des noms 2c des adjeCtife
français.