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& avec la plus légère attention ciel’oreillé , on en
diftinguera le rhythme.
I l en fera de même des odes en diftiques;&fi,
parmi les formes qu’Horace leur a données , il
en eft quelques-unes dont rharmoriie n’eft pas
fenfible à notre oreille, le plus grand nombre a
pour nous encore une cadence a fiez marquée : celles,
par exemple , qui font mêlées d’un vers gliconique
& d’un afclépiade :
Vtrtutem incolumem odimus ;
Sublatam ex oculis qucerimus invidi.
Celles aufli qui font compofées d’un hexamètre &
d’un fragment d’hexamètre.
■ Mijïa fenum ac juvenum denfantur fanera : nullum
Seeva cap ut Proferpina fa g it.
Ou d’un hexamètre & de fon premier hémiftidiè en
daétyle :
Immort alla ne fperermonet annus , & almum
Quoi rapit hora diem.
Ou d’un vers ïambique de fix mefures, & d’un vers
ïambique de quatre :
Videre fijfos vomerem inverfum boves
s C o llo trahentes languide/.
Ou d’un hexamètre & d’un ïambique de quatre
pieds :
N o x erat, & ccelo falgebat luna fereno ,
Inter minora Jidera.
Ou d’un hexamètre & d’un ïambique pur :
Sarbarus heu cineres infijlet viclor, & urbem
Eques fanante yerberabit unguia.
Mais ce qui ne laide pas d’être une énigme pour
nous , & ce qui nous femble une négligence inexplicable
dans un poète aufli attentif qu’Horace , &
aufli habile à donner à fes vers lyriques ‘tous les
charmes de l’harmoniej c’eft de voir, même dans
les odes qu’i l a divifées en quatrains, le fens enjamber'
à tout moment d’une Strophe à l ’autre ,
fans qu’il ait cru devoir fe donner aucun foin de les
couper par- des repos.
Tantpt la phrafe commence à la fin ou $u
milieu d’une Strophe , & va fe terminer au milieu
pu à la fin de l ’autre. Tantôt le vers, & quelquefo
i s le mot, qui devroit clorre en même temps la
penfée & le rhythme, & qui manque à la Strophe
pour en fixer le fens, fe trouve jeté & jfolé au
commencement dé la. Strophçfx\ïv?tztiz
, . . . , V a le t ima fammis—
M u ta r eÇ f injîgnem atténuai D eu s ,
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Obfaura promens : hinc apicem rapax
Fortuna, cum firidore acuto ,
Sufiulit ; hic pofuijfe gaudet. L. r , Od. J J.
..................Quid nos dura refugimus
Ætas ? quid intaclum nêfajli
Liquimus l Unde maman juventus —«
IHetu deorum. continuât} quitus —
Pepercit ans J . . . . . L. i , Od. 35.
Aufa ejl jacentem vifere regiam
Vultu fereno r fortis & afperas
Tractàre ferpentes, ut.atrum
Corpore combïberet venenum, —
Deliberatâ morte ferocior. L. 1 , Od, 38.
Olim juventas & patrius labor
Nido laborum propulit infaium
Vernique jam nimbis remotis ,
Infalitos docucre nifus —-
Venti paventes. L. 4 Od. 4,
.Dans les odes même où la Strophe eft corn-
pofée de trois vers afelépiades & d’un gliconique ,
& dont par conféquent la coupe éft fi marquée
par le rhythme, le fens ne laiffe pas d’enjamber
d’une Strophe à l ’autre fans aucune fufpenfîon.
Nos , Agrippa , neque heee dicer.e nec gravem
Pelidce Jlomachum çedere nefaii , —
Tenues grandia. L, 1 , Od. fi,
Qiiam virgâ femel horridâ—
Non lenis precïbus fa ta reçludère ,
-Nigrà compulerit Mercurius gregi, L, 1 , Od. 2 y.
Enfin , jufques dans l ’Ode faphique, où Iz Strophe
eft encore plus détachée par la clôture de
l ’adonique, vous trouverez le même enjambement.
. . . . Quorum Jîmul alba nautis
Stella refuljit, —-
Defluit faxis agitatus humor . . . . 1 , Od. 13,
. . . . Ego apis maiinoe
More modoque —
Grata çarpentis thyma per laborem
, Plurimum, &c, L. 4, Od. 2.
^ CeJJit immanis tibi blandienti
Janitor aulce —
Ççrberus. L 3 , Od. xx.
Neve te nojlris viftis iniquum
Qeior aura —>
T o lla t, - L . i , Od. '2.
J’ai cru expliquer ailleurs cette négligence, en
difant qu’Horace ne chantoit pas fes odes, & que
l ’enjambement ne blefloit pas l’oreille dans la
fimple récitation. Mais i l eft bien sur que Pindare
& Sapho chantoient leurs odes fur la lyre ; & ils
s’y font permis ce même-enjambement. Il eft a
croire que , dans les retours périodiques de l ’air,
la liaifon étoit fi facile & le paflage fi rapide , qu’il
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n’y falloit aucun repos. Quoiqu’il en foit, l ’Ode
françoife ne s’eft point donné cette licence; & à
la fin dés' Strophes y le fens eft terminé. Voye\
S t a n c e .
Une autre énigme pour notre oreille, c’eft l ’étrange
diverfué des nombres dont les vers lyriques
anciens éloient compofés; & le mélange non
moins finguiier qu’on iëfoit de ces vers, fi différents
dé mefure & dé rhythme:
On vient de voir, dans les mêmes vers , le
fpondée, l ’ïambe, le daéty-le, le choriambc ,
pêle-mêle employés. Comment des mefures de
trois , de quatre , de fix temps , pouvoient - elles
aller, énfemble & former un chant régulier ? On
vient de voir des Strophes compofées de vers dac-
ôe. de vers jambiques ; comment le mouvement
de l ’un n’étoit-ii pas rompu , contrarié par
l ’autre ? Les Anciens n’avoient - ils donc pas le
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fentimeut de la mefure & du mouvement comme
nous ? Ils l ’avoient fi bien, que leur vers héroïque
en eft un modèle accompli. Ne nous fatiguons pas
à vouloir , de fi loin & à travers tant de nuages ,
expliquer comment s’allioient leur Poéfie & leur
Mufique. Celle-ci nous eft inconnue. ; & l ’autre ,
par le vice d’une prononciation exceflivement altérée
, 11e peut être fentie quë très-confufémeot du
côté du nombre & du mètre. Ce qu’il nous importe
de connqître d’Horace, & d’imiter, s’il eft poflibîe,
c’ eft la précifîon , la rapidité, la plénitude de fon
ftyle; cette ciirieufe fa c ilité , comme dit Quinti-
lien , dans le choix des mots qu’il emploie; le
précieux de fa couleur, toujours vraie & toujours
brillante ; & furtout cette merveilleufe affluence
de penfées , de fentiments, d’images , de tableaux
variés, qui font de fes poëfies lyriques l ’un des
plus-beaux & des plus riches monuments de l ’anti-
quité, {M . M a r m o n t e l .)