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ugements iniques & faux ; & altérera ou détruira
e n t iè r em e n t les principes du goût, & le goût même
des bonnes études, dans ceux -qui auront le malheur
de prendre confiance en lu i, & de juger de fes lu«'
mières par l ’affûrance de fon ton & par l ’audace de
fon entreprife. 4°. A s’en tenir à la nomenclature ordinaire ,
au catalogue reçu , & à l’ordre commun des Temps,
notre langue n’eft pas la feule à laquelle on puiffe
reprocher l ’anomalie ; elles , font toutes dans ce
.cas; & il e ft même difficile d’afligner les Temps
qui fe répondent e x a u c em e n t dans les divers idiomes ,
,ou de déterminer précifément le vrai fens de cha-
qtie Temps dans u n e feule langue. J’ouvre la
Méthode grèque de Port-Royal ( à la pag. 12,0
e du ion dé 17 54-) > & j’y (trouve, fous le nom de
FrUur premier , tio-w , & , fous le nom de Futur
fécond , r/w , tous;deux tràdi.its en latin par hono-
rahà : l e p r e m i e r Aorifte e f t fw a ; le fécond, «t<o»;
&'le Prétérit parfait, tÉiikci ; tous trois rendus par
le même mot latin honoravi. Eft-ii croyable que
des-mots , fi différents dans "leur formation & dif-
.tin'gués par des .dénominations différentes, foient
dèftinés à .fignifier absolument la même idée totale
^q,ue dèfigne le,' feu 1 mot latin honorabo , ou le
f^ul mo,t honoravï ? Il faut .d o n c reconnoître des
fynonymes parfaits , nonobftant les raifons les plus
iPreiTantes : de ne les’ regarder , dans les langues ,
que comme un fuperflu embarraffant & contraire
au génie de la parole ( Voye$ Synonymes ) ? Je
fais bien que l ’ o n dira que les latins n’ayant pas les
mêmes T e m p s " les grecs, il n’eft pas poffible
de . rendre; avec, toute la fidélitédéfirable les uns
par - les autres , du. moins dans le tableau des
c o n ju g a i f o n s : mais je répondrai qu’on ne doit point,
en ce cas , entreprendre une t r a d u c t io n qui ell
néceffairement infidèle , & que l’on doit faire con-
üoître la véritable valeur des Temps > par de bonnes
définitions qui contiennent exactement toutes les
idées é lém e n t a i r e s qui leur font communes &
celles qui les différencient, à peu près comme-je
l ’ai fait à l ’égard des Temps de notre langue.
Mais cette méthode, la feule qui puiffe conferver
sûrement la.lignification précife de chaque Temps
exige indifpenfablement un fyftême & une nomenclature
toute différente :. fi cette efpèce d’innovation
a quelques inconvénients -, ils ne feront que
momentanés , & ils font rachetés par des avantages
bien plus çonfidérables. °
Les grammairiens auront peine à fe faire un
n o u v e a u ^ langage ; mais elle n’eft que pour eux ,
cette peine, qui doit au fond être comptée pour
rien ,. dès -qu’il s’agit des intérêts de la vérité
leurs fucceffeurs 1 entendront fans peine , parce
qu ils n auront point de préjugés contraires • &
ils 1 entendront plus aifément que celui qui* eft
reçu- aujourdhui , parce qu-e le nouveau langage
fera plus vrai, plus expreffif, plus énergique f a
fidélité de la tranfmifüon des idées d’une langue
en une autre , la facilité du fyftême des conju-
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gaifons fondée fur une analogie admirable &
univerfelle , l ’introduCtion aux langues <débar-
raflee par là d’une foule d’embarras & d’obftacles,
font, fi je ne me trompe, autant de motifs favorables
aux vues que je préfente. Je paffe à quelques
objections particulières, qui me viennent de
bonne main.
La Société littéraire d’Arras m’ayant fait Lhan-
neur de m’infcrire fur fes regiftres comme aifocié
honoraire , le 4 février^ 175:8 ; je crus devoir lui
payer mon tribut académique , en lui communiquant
les principales idées du fyftême que je viens
d expofer, & que jepréfentai fous le titre è’Effai
d analyfe fu r le Verbe. M. Harduin, alors fecrétaire
perpétuel de cette Compagnie, & connu dans la
république des Lettres comme un grammairien du
premier ordre, écrivit, le 2.7 oCtobre fuivant, ce
qu il en penfoit, à M. Bauvin, notre confrère &
notre ami commun. Après quelques éloges dont
je fuis plus redevable à fa politeffe qu'à toute
autre caufe, &, quelques obfervations pleines de
fageffe & de^ vérité , il termine ainfi ce qui me
. regarde : » J’ai peine à croire que ce fyftême puiffe
' » s’accorder en tout avec le méehanifme des lan-
» gués connues. I l m’eft venu à ce fujet beaucoup
» de réflexions, dont j’ai jeté plufîeurs furie pa-
» pier ; mais j’ignore quand je pourrai avoir le
» Ioifir de les mettre en ordre. En attendant, voici
» quelques Remarques fur les Prétérits , que j’avois
» depuis long temps dans la tête , mais qui n’ont
» été rédigées qu’à l’occafion de l ’écrit de M. Beau-
»? zée. Je ferois bien aife de favoir ce qu’il en
» penfe. S’il les trouve juftes , je ne conçois pas
» qu’il puiffe perfifter à regarder notre Aorifie
» françois comme un Préfent ( je l ’appelle Pre-
•a fen t antérieur périodique ) ; à moins qu’i l ne
» dife auffi que notre Prétérit ahfolu (celui que
» je nomme Prétérit indéfini p o f i t if ) exprime
» plus fouvent une chofe préfeüte qu’une chofe
» paffée >?. -
Trop flatté du défir que montre M. Harduin,
de favoir ce que je penfe de fes Remarques, fur nos
Prétérits, je fuis bien aife moi même de déclarer
publiquement que je les regarde comme les obfervations
d’un homme qui fait bien voir : talent
très-rare, parce qu’il exige dans l ’efprit une
attention forte , une fagacité exquife, un jugement
droit ; qualités rarement portées au degré convenable
, & plus rarement encore réunies dans un même
fujet.
Au refte, que M. Harduin ait peine à croire
que mon fyftême puiffe s’accorder en tout, .avec
le . méehanifme des langues connues; je n’en fuis
point furpiis , puifque. je n’ôferois moi - même
l ’affurer : ilfaudroit, pour cela, les connoître toutes,
& il s’en faut beaucoup que j’aye cet avantage.
Mais je l ’ai vu s’accorder parfaitement avec les ufages
du la tin, du françois, de l ’efpagnol, de l ’italien,
de^Lallemand; on m’aflûre qu’il peut s’accorder de
même avec ceux de l ’anglois : il fait découvrir,
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Jans toutes ces langues, une analogie bien plus
étendue & plus; régulière que ne fefoit 1 ancien
fyftême ; & cela même me fait efpérer que les
Savants & les étrangers , qui voudront fe donner
la peine d’en faire l ’application aux verbes des
idiomes qui leur, font naturels ou qui font l’objet
de leurs études, y trouveront la même concordance
, le même efprit d’analogie, la même facilité
à rendre la valeur des Temps ufuels. Je les
prie même, avec la plus grande inftance', d’en
faire l ’effai; parce que plus on trouvera de^ reffem-
blance dans les principes des langues qui paroif
fent divifer les hommes , plu« on facilitera les
moyens de la communication univerfellè~des idées ,
& conféquemment des fecours mutuels qu’ils fe doivent,
comme membres d’une même fociété formée
pat l’auteur même de la nature.
Les réflexions de M. Harduin fur celte matière,
quoique toürnées peut-être contre"mes vues, ne
manqueront pas du moins de répandre beaucoup
dé lumière fur le fonds de la chofe ; ce n’eft que
de cette forte qu’il réflécfoffoit. Il étoit bien à délirer
qu’il eût pu trouver avant là mort cet utile Ioifir , qui
devoit nous valoir le précis de fes penfées à cet égard.
Au furplus, je vas tâcher de concilier ici mon fyftême
avec fes obfervations fur nos Prétérits.
»? Il eft de principe, dit-il , qu’on doit fe fervir
» du Prétérit abfolu, c’eft à dire , de celui dans
»? la compofition duquel entre'un verbe,auxiliaire ,
» lorfque le fait dont on parle fe raporte à un
» période èz Temps où l ’on eft encore. A in u ,'il
»? faut néceffairement dire , Telle bataillp s ’efi
» donnée dans ce fiècle-ci ; f a i vu mon frere
» cette année ,* je lui ai parlé àujourdhui ; Sc
» l’on s’exprimeroit mal en difant avec 1 Aorifte,
» Telle bataille fe donna dans ce fiècle-ci ; je
1? vis mo/j. frère cette année ; j e lui parlai au-
» jourdhui »?.
C ’eft que dans les premières phrafes 011 exprime
ce qu’on a effectivement deffein d’exprimer' ,
l ’antériorité d’exiftence à l ’égard d’une époque actuelle
; ce qui exige les Prétérits dont on y fait
ulàge : dans les dernières on exprimeroit toute autre
chofe , la fimultanéité d’exiftence à 'l’égard d’un
période de Temps antérieur à celui dans lequel on
parle ; ce qui exige en effet un Préfent antérieur
périodique , mais qui n’eft pas ce qu’on fe propofe
ici.
M. Harduin demande fi ce n’eft pas abufivement
que nous avons fixé les périodes antérieurs qui précèdent
le jour 011 l’on parle , puifque , dans ce
même jour, l;es diverfes heures qui le compofçnt,
là matinée , l’après-midi, la foirée', font autant de
périodes qui fe fuccèdent ; d’où il conclut que, comme
on dit, je le vis hier, on pourroit dire auffi , ye le
vis ce matin , quand la matinée eft finie à l’inftant
où l’on parle.
C’eft arbitrairement fans doute que nous n’avons
■ jaueiîn égard aux périodes compris'dans le jour même
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où l ’on parle ; & la preuve en eft , que ce que
l ’on appelle ici Aorifie ou Prétérit indéfini,
s’emploie quelquefois ’, dans la langue i talienne, en.
pariant du jour même où nous fommes ; io lo
viddi jlo mane ( je le vis ce matin ). L ’auteur de
la Méthode italienne , qui fait • cette remarque
[part. I f chap. iij ,• §. 4 , pag, 86) ,. obferve
en même temps que cela eft rare , jmême dans,
l ’italien, Mais quelque arbitraire que foit la pratique
des italiens & la nôtre , on ne peut jamais la
regarder comme abufive , parce que7 ce qui eft fixé
par l ’Üfage,n’eft jamais contraire à l’Ufage , ni par
conféquent abufit.
»? Piufieurs grammairiens , continue M. Harduin,
& c’eft proprement ici que commence l e ,fort de
fon ob.jeétion contre mon fyftême àes Temps ;
»? Plufièurs grammairiens font entendre , par la
» manière dont ils .s’énoncent'fur cette matière,
»? que le Prétérit abfolu & LAorifte ont chacun une
» deiunation tellement propre, qu’il n’eft jamais
?? permis de mettre Lun à la place de l ’autre,
» Cette opinion me paroît contredite par l’Ufage ,
?? fuivant lequel on peut toujours fubftituer le
»? Prétérit abfolu ,à LAorifte, quoiqu’on ne puiffe
» pas toujours fubftituer l ’Aorift.e au Prétérit ab-
» folu ». Ici! l ’auteur indique avec beaucoup de
jufteffe & de précifion les. cas où l ’on ne doit fe
fervir que du Prétérit abfolu , fans pouvoir lui fubl-
tituer LAorifte ; puis il continue ainfi : » Mais hors
»? les "cas que je viens d’indiquer, on a la liberté
» du choix entre LAorifte & le. Prétérit abfolu. Ainfi,
» on peut dire, j e le vis hier , ou bien, j e l ’ai vu,
» hier au moment de fondépart ».
C’eft que:, hors les cas indiqués | il eft prefque
toujours indifférent dê prefehter la chofe dont i l
s’a g i t , ou co'mme antérieure au moment où l ’ on
parle, ou comme fimultanée avec.un période antérieur
à ce moment de la parole; parce que quee
fu n t eadem uni tertio fu n t eadem inter f e ,
comme on. le dit dans l e langage dê l ’École. S’il
eft donc quelquefois permis de choifir entre le
Prétérit indéfini pofitif & le Préfent antérieur périodique
, c’eft que l ’idée d’antériorité, qui eft
alors la principale , eft également marquée par l ’un
& par l’autre de ces Temps, quoiqu’elle foit di-
verfement combinée dans chacun d’eux ; & c’eit
pour la même raifon que, Fuivant une dernière
remarque de M. Harduin, » i l y a des occafions
» où l ’Imparfait même ( c’eft à dire, le Préfent
antérieur fimple ) -o? entre en concurrence avec
» l ’Aorifte & le Prétérit abfolu, & qu’il eft à peu
» près égal de dire, Céfar fu t un grand homme ,
» où Céfar a été un grand homme, ou enfin
» Céfar étoit un grand homme » : l’antériorité
eft également marquée par ces trois Temps, &
c’eft la feule chofe que l ’on veut exprimer dans ces
phrafes.
Mais cette efpèce de fynonymie ne prouve point,
comme M. -Harduin femble le prétendre, que ces
Temps ayent une même deftination, ni qu’ils foient