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du difeours, en Confiant à notre imagination le
foin de l ’interprétation, lui fait éprouver un empire
qu’aucune langue ne fauroit exercer fur elle.
C ’ eft un pouvoir que la Mufique a de commun
avec le G elle , cette autre langue univerfelle. L ’ex-
périence nous aprend , que rien ne commande plus
impérieufement à l ’âme ni ne l ’émeut plus fortement
, que ces deux manières de lui parler*
L e drame en mufique doit donc faire une im-
preflion bien autrement profonde que la Tragédie
Si la Comédie ordinaires. I l feroit inutile d’emr
ployer i ’inftrument le plus puiffant, pour ne produire
que des effets médiocres. Si la tragédie de
Méropc m'attendrit, me touche , me fart verfer
des larmes ; il faut que dans l ’Opéra les angoifles,
les mortelles alarmes de cette mère infortunée
paffent toutes dans mon âme ; il faut que je fois
effrayé de tous les fantômes dont elle eft obfédée,
que la douleur & fon délire me déchirent Si m’arrachent
le coeur : le' müficien qui m’en tiendroit
quitte pour quelques larmes, pour un attendriffe-
ment paffager, feroit bien au deffous de fon art.
I l en efl de même de la Comédie. Si la Comédie
de Térence & de Molière enchante, i l faut que
la Comédie en mufique ravifîe. L ’ufte repréfente
les hommes tels qu'ils font, l ’autre leur donne un
grain de verve Si de génie de plus ; ils font tout
près de la folie : pour fentir le mérite de la première
, il ne faut que des oreilles & du bonfensj
mais la Comédie chantée paroît être faite pour
l ’élite des gens d’efprit ■ & de goût: la Mufique
donne aux ridicules & aux moeurs un caradtère
d’originalité, une fineffe d’expreflïon, qui, pour être
faifis, exigent un tadt prompt & délicat & des organes
très-exercés.
Mais la paflion* a fes repos & fes intervalles,
& l’art du Théâtre veut qu’on fuive en cela la
marche de la nature. On ne peut pas au fpedacle
toujours rire aux éclats , ni toujours fondre en
larmes. Orefte n’eft.pas toujours tourmenté par
les euménides : Andromaque , au milieu de fes
alarmes , aperçoit quelques rayons d’efpérance qui
la calment : il n’y a qu’un pas de cette fécurité
au moment affreux où elle verra périr Ion fils j
mais ces deux moments font différents, St le dernier
ne devient que plus tragique par la tranquilité
du précédent. Les perfonnages fubalternes, quelque
intérêt qu’ils prennent à l ’adion , ne peuvent
avoir les accents patlîonnés de leurs héros : enfin
la fituation la plus pathétique ne devient touchante
& terrible que par degrés ; il faut qu’elle foit préparée
, & fon effet dépend en grande partie de ce
qui l’a précédée & amenée.
Voilà donc deux moments bien diftindls du drame
lyrique, le moment tranquiie & le moment paf-
fionné : & le premier foin du corapofiteur a dû
çonfifter â trouver deux genres de déclamation
efTenciellement différents, & propres , l ’un à rendre
le difeours tranquiie , l'autre à exprime* le
langage des paillons dans toute fa force , dans
toute fa variété , dans . tout fon défordre. Cette
dernière déclamation porte le nom de l’air, aria;
la première a été. appelée« le Récitatif1 %
C e lu i- c i eft.une déclamation notée , foutenoe
& conduite par une fimple baffe , qui , fe fefant
entendre à chaque changement de modulation ,
empêche l’adeur de détonner. Lorfque les perfonnages
raifonnent, délibèrent, s’entretiennent , 8c
dialoguent enfemble , ils ne peuvent que réciter:
rien ne feroit plus faux que de les voir difeuter
en chantant, ou dialoguer par couplets , en forte
qu’un couplet devînt la réponfe de l’autre. Le
Récitatif eft le feul infirment propre à la {cène
St au dialogue ; il ne doit pas être chantant ; i l
doit exprimer les véritables inflexions du difeours
par des intervalles un peu plus marqués & plus
fenfibles que la déclamation ordinaire : du refte,,
il doit conferver & la gravité, & la rapidité , &
tous les autres caractères. Il ne doit pas être exécuté
en mefure exadle j i l faut qu’il foit abandonné
à l’intelligence & à la chaleur de l ’adteur ,
qui doit le hâter ou le 'ralentir fuivant l ’ejfprit
. ae fon rôle & de fon jeu. UnRqgitatif qui n’auroit
pas tous ces caractères, ne pourroit jamais être
employé fur la fcène avec fuccès. Le Récitatif eft
beau pour le peuple, lorfque le poète a fait une
belle {cène, & que TaCteur l ’a bien jouée j il effe
beau pour l ’homme de goût, lorfque le muficiea
a bien faifi , non feulement le principal cafaCtèrc?
de la déclamation, mais encore toutes les fineffes
qu'elle reçoit de l ’âge , du fexe , des moeurs , de la
condition , des intérêts de ceux qui parlent & agiflent
dans le drame.
L'air & le chant commencent avec la paflion^
dès qu’elle fe montre , le muficien doit s’en em-1
parer avec toutes lés reflources de fon art. Arbacè
explique à Mandane les motifs qui l ’obligent de
quitter la capitale avant le retour de l ’aurore , de*
s’ éloigner de ce qu’il a de plus cher au monde :
cette tendre princeffe combat les raifons de fon
amant j mais lorfqu’elle en a reconnu lafolidité,
elle confent à fon éloignement , non fans un extrême
regret : voilà le fujet de la fcène 8c du
Récitatif. Mais elle ne quittera pas fon amant fans
lui parler de toutes les peines de l ’abfence, fans
lui recommander les interets de l ’amour le plus
tendre ; & c’ell là le moment de la paillon & dut
chant*
Confervati fedele :
Conferve-toi fidèle:
Penfa ck’io rejlo e peno ;
S o n g e que je refte & que je p ein e *
£ qualche volta almeno
E t quelquefois du moins
Ricordati di me.
R e iïou v iens-to i d e mo i.
i l eût itc faux de chanter durant l ’entrMlen de:
la
ïa fcène ; il n’y a point da.r propre a pefer
les raifons de la néceffité d un depart ; mais Quelque
fimple & touchant que foit 1 adieu de Mandane
quelque tendreffe qu une. habile attrice mit
dans la manière de déclamer ces quatre vers, ils ne
fi.rni.-nt one froids & infipides , fi l ’on fe bornoit a
'C ’efl: qu’il eft évident qu’une amante pénétrée
qui fe trouve dans la fituation de Mandane . répétera
à fon amant, au moment de la feparation,
de vingt manières paflïonnees & differentes . les
mots : Confervati fedele > Ricordati di me. f i l e
les dira tantôt avec un attend ri fie ment extreme,
tantôt avec réfignation &. courage, tantôt avec
Tefpérance d’un meilleur- fo r t, tantôt fans la confiance
d’un heureux retour. Elle ne pourra recommander
à fon amant de fonger quelquefois a fa
folitude & à fes peines , fans’ être frapée elle-
même de la fituation où elle va fe trouver dans
ua moment. Ainfi , les mots penfa ch io rejlo e
‘peno , prendront le caradtere de la plainte la plus
touchante , à laquelle Mandane fera peut-etie lue—
céder un effort fubit de fermeté , de peur de rendre
•à Arbàce ce ' moment auffi douloureux qu’il l’éft
poür elle : cet effort ne fera peut-être fûivi que
de plus de foibleffe j Si une plainte , d abord peu
violente, finira par des' fanglots & des larmes. En
un mot, tout ce que la paflion la plus douce &
la plus tendre pourra infpirer dans cette pofition
a une âme fenfible , 'compofera les éléments de
l ’air de Mandane ; mais quelle plume feroit affez
^éloquente pour donner une idée de tout ce que
-contient un air ? quel Critique feroit affez hardi pour
affigner les bornes du génie î
J'ai choifi pour exemple une paflion douce ,
une fituation intéreffante , mais tranquiie. I l eft
aifé de juger , d’après ce modèle , ce que fera l’air
dans des ntuations plus pathétiques, dans des moments
tragiques St terribles. :
Suppofons maintenant deux amants dans une
fituation plus cruelle ; qu’ils foient menaces d’une
réparation éternelle, au moment où ils s’atten-
doient à un fort bien différent : cette circonftance
donneroit à l’air un caradtère plus pathétique. Il
ne feroit pas naturel non plus qu’également touchés
l ’un & l’autre , il n’y en eut qu’un qui chantât.
-Ainfi , l ’amant s’adreffant à fa maitreffe défolée,
lui diroit :
X fl dejira ti chiedo,
J e te demande la ma in:,
M io dolce fostegno,
O m o n d o u x fô u t ie n ,
Per ultimo pegno
P o u r le dernier gage
D ’amour & de fidélité !
XJn tel adieu , prononcé avec une forte de fermeté
Gramm. e t L it t é r a t , Tome III.
par un amant vivement touché, feroit 1 écueil du
courage de fon amante éplorée : elle fondroit fans
doute en larmes , ou frapéc d’un témoignage d amour
autrefois fi doux, aujourdhui fi cruel, elle s ecne-
ro it ,
A h ! quefto fu i l fegno
A h ! ce fut jadis le figue
D e l noft.ro contenta .*
De notre bonheur :
Ma. fehto che a'dejfo
Mais je fens trop qu’à préferrt
n j le j fo non l.
Ce n’eft pas la même chofe.
Je n’ai pas befoin de remarquer quelle expreflîan
forte & touchante ces quatre vers affez foibles
prendroient en mufique. Le refte de l air ne ferait
plus que dés exclamations de douleur & de tendrefte :
l’un s’écrier o i t ,
M i a vita ! ben mio !
O ma vié! ô mon bien I
l ’autre,
A d d io , fpofo amato !
Adieu , . époux adoré !
A la fin, leur douleur & leurs accents fe confondaient
fans doute dans cette exclamation fi fimple & .fi touchante ;
‘ Che bdrba.ro addio !
Quel fatal adieu !
' Che fato crudel t
Quel fort cruel !
Le duo on d u e t to eft donc un air dialogué ,
chanté par deux perlbnpes animées de la meme
paffion ou de payions oppotées.; Au moment le plus
pathétique; de l ’a ir , leurs: accents'peuvent fe confondre
.c e la eft dans la nature; une exclamation,
une plaints peut les réunir : mais le refte de l ’air
Soit être en dialogue. 11 ne peut jamais etre naturel
qu'Arrnide. & Hidraot, pour s animer à la vengeance,
chantent en couplet;
Itourfuivons juïqu’aa trépas
L ’ennicmi qui nous oflfenfe }
Qu’ il n’échape pas
A notre vengeance !
Ils recommenceroient ce couplet dix fois de fuit®
avec un bruit & des mouvements de forcénés , qu un
homme de goût n’y trouveroit que la même déclamation
fauffe, faftidieufement répétée.
On voit par cet exemple de quelle manière les
airs à deux , à trois , Si même à plufieurs adieurs ,
peuvent être placés dans le drame ly r iq u e .
Qn voit aufli ; par tout ce que nous venons de
N.