
le Poème- didactique en général peut fe défînjr,
I.«a vérité mile en vers; & par oppoficion, l'autre
éfpece de Poéfîe , L a fiction raife en vers. Voilà les
deux extrémités : le didactique pur , & le poétique
pur.
Entre ces deux extrémités, i l y a une infinité
, de milieux, dans lefquels la fiction & la vérité fe
mêlent & s’entr’aident mutuellement ; & lés ouvrages
qui s’y trouvent renfermés, font poétiques ou didactiques
, plus ou moins , ~k proportion qu’il y a plus
<5u moins de fiction ou de vérité. I l n’y a prefque
point de fiction pure , même dans les Poèmes
proprement dits ; & réciproquement i l n’y a prêt-
que point de vérité fans quelque mélange de fiction
dans les Poèmes didactiques : il y en a même
quelquefois dans la profe. Les interlocuteurs des
Dialogues de Platon, ceux des livres philofophi-
ques de Cicéron font faits ; & leur caractère fou-
tenu eft poétique. I l en eft de même des difcours
dont Tite-Live a embelli fon Hiftoire;ils ne font
guère plus vrais que ceux de Junon ou d’Énée dans
fe P oème de Virgile. Il n’y a entre eux de différence
qu’ en ce que Tite-Live a tiré les fiens des faits
hiftoriques ; au lieu que Virgile les a tirés d’une
hiftoire fabuleufe. Ils font les uns & les autres également
de la façon de l ’écrivain; -
L e Poème didactique peut traiter autant d’efpèces
de fujets que la vérité a de genres. I l peut êtrenïfto-
rique ; telle eft la pharfale de Lucain ; voye\ Poème
historique , Poème philosophique. I l peut
donner des préceptes pour régler les opérations
dans un a r t , comme dans l’Agriculture , dans la
Poéfîe , Oc j telles font les Géorgiques de V irg ile ,
& l ’Art poétique d’Horace , qu’on nomme Poème
didactique.
Mais toutes ces efpèçes de Poèmes ne font’ pas
tellement féparées , qu’elles ne fe prêtent quelquefois
un feeours mutuel. Les fciences & les arts font
frères & foeurs ; c’ eft un principe qu’on ne lauroit
trop fe ‘répéter dans cette matière : leurs biens font
communs entre eux ; & ils prennent partout ce qui
peut leur convenir. Ainfi , dans la poéfîe philosophique
il entre quelquefois des faits hiftoriques ,
& des obfervations tirées des arts : pareillement dans
les Poèmes hiftoriques & didactiques , il entre fou-
yent des raifonnements & des principes. Mais ces
emprunts ne çonftituent pas le fonds du genre : ils n’y
viennent que comme auxiliaires ; ou quelquefois
comme déiaflements, parce que la variété eft le
repos de l ’efprit. QuandTefprit eft las d’un genre,
d’une couleur , on lui en offre une autre qui exerce
une autre facùlté, & qui donne à celle qui étoit
fatiguée le temps de réparer fes forces.
I l y a plus ; car quelles libertés ne fe donnent
pas les poètes ? Quelquefois ils fe laiffent emporter
au gré de leur imagination ; & las de la vérité, qui
femble leur faire porter le joug, ils prennent l ’effor,
s’abandonnent à la fiction , & jouïffent de tous les
droits du génie* Alors jls çeffent d’être hiftoriens,
philofophes, artiftes; ils ne font plus que poètès.
Ainfi, Virgile celle d’être agriculteur quand il raconte
les fables d’Ariftée & d Orphée ; i l quitte la
vérité pour la yraifemblance ; il eft maître & créateur
de fa matière : ce qui pourtant n’empêche pas
que la totalité de fon Poème ne foit dans le genre
didactique. Son épifode eft dans fon Poème , ce
qu’une ftatue eft dans une maifon, c’eft à dire, un
morceau de pur orneipent dans un édifice fait pour
l ’ufage.
Les Poèmes didactiques ont-, comme tous les
ouvrages , dès qu’ils font achevés & finis, un commencement
, un milieu, & une fin : on propofe
le fujet, on le traite , on l ’achève. Voilà qui peut
fuffire fur la matière du Poème didactique ,• venons
à la forme.
Les Mufes lavent tout, non feulement ce qui eft-,
mais encore ce qui peut être , fur la terre, dans
les enfers , au ciel , dans tous les efpaces, foit réels
foit poffibles : par conféquent fi les poètes , quand
ils ont voulu feindre des chofes qui n’écoient pas,
ont pu les mettre dans la bouche des Mufes, pour
leur donner par là plus de crédit ; ils ont pu , à plus
forte raifon , y mettre les chofes vraies & réelles ,
& leur faire diCter del vers, foit fur les fciençes,
foit for l ’Hiftoire, foit fur la manière d’èlever &
de perfectionner les arts. C ’eft là- deflus qi/eft fondée
la forme poétique qui conftitue le Poème didactique
ou de doCtrine.
I l a toujours été permis à tout auteur de choifir
la forme de fon ouvrage ; & loin de lui faire un
crime d’employer quelque' tour adroit pour rendre
le fujet qu’il traite plus agréable , on lui en fait
gré , quand i l foutient le ton qu’i l a pris & qu’i l
eft fidèle à fon plan.
Les poètes didactiques n’ont pas jugé à propos de
faire parler de fimples mortels, ils ont invoqué les
divinités : & comme ils fe font fuppofés exaucés »
ils'ont parlé en hommes infpirés , & à peu près
comme ils s’imaginoient que 1« dieux l ’auroient
fait. C ’eft fur cette fuppontion que font fondées
toutes les règles générales du Poème didactique
quant à la forme. Voici fes règles générales.
i° . Les poètes didactiques cachent l ’ordre jufqu’à
un certain point; ils femblent fe laiffer aller à
leurgéhie & fuivre la matière telle qu’elle fe préfente
, {ans s’embarrafler de la conduire pat une
forte de méthode qui avoueroit l’art : ils évitent
tout ce qui auroit l ’air compaffé & meforé. Ils ne
mettront cependant point la mort d’un héros avant
fo naiffance , ni la vendange avant l’été : le dé-
fordre qu’ils fe permettent n’eft que dans les petites
parties, où il paroît un effet de la négligence &
de l ’oubli plus tôt que d?ignorance ; dans les grandes
, ils foivent ordinairement l ’ordre naturel.
i ° . L a feconde règle eft une fuite de la première.
En vertu du droit que fe donnent les poètes
de traiter les matières en écrivains libres & fupé-
rieurs, ils mêlent dans leurs ouvrages des chofes
/
étrangères à leur fujet, qui n’y tiennent que par
occafion ; & cela pour avoir le moyen de montrer
leur érudition, , leur fupériorilé , leur commerce
avec les Mufes : tels font les épifodes d’Ariftée &
d’Orphée ; la métamorphofe de quelque nymphe
en fouci , en rivière, en rocher.
30. L a troifième regarde l ’exprefiîon. Ils s’arrogent
tous les privilèges du ftyle poétique ; ils chargent
les idées en prenant des termes métaphoriques
au lieu des termes propres, en y ajoutant
des idées accefloires par les épithètes qui fortifient,
augmentent, modifient les idées principales ; ils emploient
des tours hardis, des conftruCtions licen-
cieufos , des figures de mots & de penfées qu’ils
placent d’une façon fingulière ; ils fèment des
traits d’une érudition détournée & peu commune ;
enfin , ils prennent tous les moyens de perfuader à
leurs leCteurs que c’eft un génie qui leur parle ,
afin d’étonner par là leur eforit & de maitrifer leur
attention.
40. La quatrième règle & la plus importante à foi-
vre , eft de rendre le Poème diâaàique le plus
intéreffant qu’il eft poflible. Tous les auteurs de
goût qui ont compofé de tels Poèmes , & qui ont
employé les vers à nous donner-des leçons, fe font
conduits fur ce principe. Afin de foutenir l’attention
du leCteur, ils ont femé leurs vers d’images qui peignent
des objets touchants ; car les objets qui ne
font propres qu’à fàtisfaire notre curiofité , ne nous
attachent pas autant que les objets qui font capables
de nous attendrir. S’il m’eft permis de parler
ainfi , l ’efprit eft d’un commerce plus difficile que
le coeur.
Quand V irgile compofales Géofgiques, qui font
un Poème didactique y dont le titre nous promet
des inftruCtions for l ’Agriculture & for les occupations
de la vie ^champêtre ; il eut attention à le
remplir dimitations faites d’après des objets qui
nous auroient attachés dans la nature. Virgile ne
s eft pas meme contenté de ces images répandues
avec un art infini dans tout l ’ouvrage ; il place dans
un de fes livres une diflertation faite à l ’occafion
des preiages du foleil ; il y traite , avec toute l ’invention
dont la Poéfie eft capable , le meurtre de
Jules - Cefar & le commencement du règne d’Au-
gufte. On ne pouvoit pas entretenir les ro--
mains d un lu jet qui les intéreffat davantage.
Virgile met dans un autre livre la fable raira-
culeufe d’Ariftée & la peinture des effets de
1 amour; dans un autre, c’eft un tableau de la vie
champêtre , qui forme un payfage riant & rempli
des figures les plus aimables ; enfin , il infère dans
cet ouvrage l ’aventure tragique d’Orphée & d’Eu-
tydiçe , capable de faire fondre en larmes ceux qui
la vérroient véritablement.
I l eft fi vrai que ce font ces images qui font
caufe qu on fo plaît tant à lire les Géorgiques , que
1 attention fe relâche fur les vers qui donnent les
préceptes que le titre a promis. Suppofé. même
que l ’objet qu’un Poème didactique nous prélente
fût fi curieux qu’on le lût une foi$ avec
plaifir, on ne le reliroit pas avec la même attention
qu’on relit une églogue. L ’efprit ne fauroit
jouir deux fois du plaifir de fentir la même émotion
: le plaifir d’aprendre eft confommé par le
plaifir de favoir.
Les Poèmes didactiques que leurs auteurs ont
dédaigné d’embellir par des tableaux pathétiques
affez fréquents, ne font guère entre les mains du
commun des hommes. Quel que foit le mérite, de
ces Poèmes , on en regarde la ledure comme une
occupation férieufe, & non pas comme un plaifir t
on les aime moins , & le Public n’en retient guère
que les vers- qui contiennent des tableaux pareils
a ceux dont on loue Virgile d’avoir enrichi les
Géorgiques.
11 n’eft perfonne qui n’admire le génie & la
verve de Lucrèce, l ’énergie de fes expreflïons, la
manière hardie dont il peint des objets pour lefquels
le pinceau de la Poéfîe ne paroiffoit point
fait , enfin fa dextérité pour mettre en vers des
chofes que Virgile lui-merfce auroit peut-être défef-
péré de pouvoir dire en langage des dieux ; mais
Lucrèce eft bien plus admiré qu’il n’eft lu ; i l y a
plus à profiter dans fon Poème De naturârerumy que
dans l ’Enéide de Virgile ; cependant tout le monde
lit & relit Virgile , & peu de perfonnes font de Lucrèce
leur livrefavori : on ne lit fon ouvrage que de
propos délibéré ; i l n’eft point, comme l ’Énéide \
un de ces livres fur lefquels un attrait invincible
fait d’abord porter la main quand oh veut lire une
heure ou deux : qu’on compare le nombre des traductions
de Lucrèce, avec le nombre des traductions
de Virgile dans toutes les langues polies ; & l’on
trouvera quatre traductions de l ’Énéide de Virgile ,
contre une traduction du Poème D e naturârerum.
Les hommes aimeront toujours mieux les livres qui
les toucheront, que les livres qui les inftruiront i
comme l ’ennui leur eft plus à charge que l’igno-
r^Pce, ils préfèrent le plaifir d’être émus au plaifir
d’être inftruits. ( Le Chevalier d e J AU c o u r t . )
^Poème d r am a t iq u e , Poéjie. Repréfentation
d aCtions merveilleufes , héroïques , ou bourgeoifeSd
Le Poème dramatique eft,ainfi nommé du mot
grec «Tpa^a , qui vient de l’éolique <fpa«/» ou
J'fai, lequel fignifie agir y parce que dans cette'
efpèce de Poème on ne raconte point TaCtion
comme dans l ’Epopée , mais qu’on la montre elle-
même dans ceux qui la repréfentent. L ’aCtion dramatique
elt foumife aux ieux, & doit fe peindre
comme la vérité : or le jugement des ieux , en fait
de fpeCtacle , eft infiniment plus redoutable qu-e
celui des oreilles. Cela eft fi vrai, que , dans les
Drames mêmes , on met en récit ce qui foroit peu
vraifemblable en fpeCtacle : on dit qu’Hjppolyte
a été attaqué par un monftre & déchiré par les
chevaux ; parce que, fi on-eût voulu repréfenter c#