
même ; une vanité fi groffière auroit révolté tous
les efprits : il dit feulement qu’i l a travaillé toute
fa vie pour lesaquérir, & que, fi malgré un long
tiàvail il n’a pu en venir à bout, i l n’eft pas
étonnant que Cécilius, qui n’a jamais eu aucune
idée de cette noble profefiion , en foit abfolument
incapable. Fonafsè dices : Quid ? ergo hoec in
te fum oninia ? Utïnam quidem effent ! verum-
tamen ut ejfe poffent magno fludio mihi à pue-
ritiâ efl elaboratum. Quod f i ego hæc , propter
magnitudinem rerum d e dijficultatem, affequi
non potui , qui in om n i vitâ nihil aliud egi j
quant longe tute ab his abeffe arbitrare, quas
non modo antea nunquam cogitafli , fe d ne mine
quidem , quümin eas ingrederis_, quoe&quantoe
Jim fufpicari potes ? ( x i j , 40. ) _
» En plaidant pour Flaccus , il avoit à réfuter
le témoignage de plufieurs grecs qui avoient dépofé
contre fa partie. Pour le faire avec plus de fuccès ,
i l entreprend de décrier la nation même, comme
peu délicate fur ce qui regarde la bonne foi & la
lincérilé. I l ne commence pas brufquement par un
reproche fi dur: i l . mec d’abord comme à l ’écart
beaucoup d’honnêtes gens qui n’ont point pris de
part à 1 aveugle paffion de quelques - uns de leurs
compatriotes; il donne enfuite de grandes louanges
à la nation en général, dont il releve extrêmement
le génie, l’habileté , la politeffe , le goût pour
les arts, & le merveilleux talent pour rÉ Ï oquence;
mais il- ajoute que cette nation ne s’eft jamais
piquée d’exaélitude & de fincérité dans les témoignages.
Verumtamen hoc dico de toto généré
groecorum : tribuo illis Litterasj do multarum
artium difeiplinam ,* non adimo fermonis lepç-
rem , ingeniorum acumen, dicendi copiam ; deni-
que etiam , f i qua fîbi alla fum u n t, non repugno :
zefiim.o niorum religionem & fidem nunqimm ifia
natio coluit ; totiufque hujufce rei quoe f i t vis ,
quoe au&oritas , quod pondus , ignorant. ( P10
jFlacco , iv , 9. )
» On fait que Cicéron excelloit furtoiit à émouvoir
les paffions, & que , par les difeours tendres
£c touchants qu’il mettoic dans la bouche de fes
parties, en fini fiant fes plaidoyers, i l fefoit fou-
vent couler les larmes des ieux de tous ceux qui
l ’écoutoient. La grandeur d’âme & la noble fierté
ffont fe piquoit Milon , ôtoit à fon avocat cette
reffource fi puiffante : mais Cicéron fut tirer avantage
de fon courage même, pour lui gagner la
faveur des juges ; & il prit fur lui le cara&ère
& le perfonnage de fuppliant, qu’il ne peuvoit
donner à fa partie. Ergo & ille captavit ex illâ
proeflantiâ animi favorem , & in locum 'lacryma-
rum ejus ipfe fuccejjit. ( Quintilien. Inftit. orat.
p i »•)
» Le refpeâ inviolable que les enfants doivent
â leurs pères & mères, lors même qu’ils en font
traités avec dureté & avec injuftice, rend très-
difficiles certaines conjonâures où ils font obligés
de parler contre eux; & c’eft dans ces occafions
que la bonne Rhétorique fournit des tours & des
ménagements, q u i, fans rien faire perdre des avantages
de la caufé, favent rendre à l’autorité paternelle
tout ce qui lui eft du. Il faut alors qu’on
fente qu’il n’y a qu’une néceffité indifpenfable qui
arrache de la bouche des enfants des plaintes que
le coeur voudroit fupprimer ; & qu’au travers même
de ces plaintes on entrevoye un fonds , non feulement
de refpeét, mais d’amour & de tendreffe.
Hoc illis commune remedium e f l, f i .into tâ ac-
tione oequaliter apparent, non honor modo, fed
etiam caritas : proeterea caufa f i t nobis ju fla
fie dicendi ,• neque id moderatè tantum faciamus,
fe d etiam. necejfario. ( Quintil. Infl. orat. xj , 1.)
On peut voir un bel exemple de ce précepte dans
le plaidoyer pour Cluentius , que fa mère avoit
traité avec une cruauté inouïe. ( Pro Cluent. v. 12 ,
w . 17. )
» La règle que je viens de toucher regarde tout
Inférieur qui a des prétentions légitimes à faire
valoir contre un Supérieur, qu’il doit refpeéter 8c
honorerw
» Il y a des occafions, où des raifons d’intérêt
ou de bienféance ne nous permettent pas de nous
expliquer en termes clairs & précis , & où cependant
nous voulons faire entendre au juge ce que
nous n’ôfons lui dire ouvertement ; in quo per
quahdam fifpicionem quod non dicimus accipi
volumus. ( Quintil. Infl. orat. ix , 1. ) Un fils ,
par exemple, ne peut gagner fon procès fans découvrir
un crime dont -fon père eft coupable. Il faut r
dit Quintilien ( ib. ) , que les chofes mêmes con-
duifent infenfiblement le juge à deviner ce qu’on
ne veut pas lui dire; que, tout ^utre-motif étant
écarté, il foit Comme forcé à voir l ’unique qui
refte, mais que le refpeét pour un père empêche
de .découvrir : & pour lors il faut que le difeours
du fils, fufpendu , entrecoupé , & interrompu de
temps en temps comme par un filence forcé 8c
par de vifs fentiments de tendreffe , faflV connoître
la violence qu’il fe fait pour ne pas laiffer échaper
des paroles que la force de la vérité femble vouloir
arracher de fa bouche. Par là l e . juge eft
porté à chercher ce je ne fais quoi , qu’il ne croi-
roit peut - être pas fi on le lui avoit découvert ,
mais dont il eft pleinement convaincu , parce qu’i l
croit l ’avoir trouvé de lui-même. Res ipfoe per-
ducant judicem ad fufpicionèm , & amoliamur
coetera, ut hoc unum fuperfit ,* in quo multum
etiam •affeclus ju v a n t, & interrupta filentio die-
tio , & cunttationes. Sic enim fie t ut judeoa
quoe rat illud nefeio quid , quod ipfe fortajfe non
crederet f i audiret, & ei , quod à fe inventunu
exiftimat, credat.
» Il y a auffi des perfonnes d’un caraétère fi ref-
peélable & d’une réputation fi univerfelle, que
leur nom feul cft un poids qui accable leurs ad-
mfaires. T e l éloit Caton à 1 egard de Muréna : 8c
l ’on
fon ne peut trop faire remarquer aux jeunes gens l’art
merveilleux avec lequel Cicéron , fans toucher à la
peirfonne même de Caton, qui devoit être pour lui
comme faerée , 8c qui certainement étoit inaccef-
fible & invulnérable à la Cenfure la plus maligne ,
fut pourtant lui ôter une partie de Ion autorité 8c
de fon crédit, par le portrait qu’il fit de la feéle
des ftoïciens, qu'il tourna en ridicule avec tant d’elprit
& d’agrément, que Caton lui-même ne put s’empêcher
d’en rire.
» Y eut-il jamais une affaire plus délicate & plus
difficile à manier, que celle dont Cicéron fe chargea
en ôfànt fe déclarer contre la loi agraire ?
on appeloit ainfi la loi qui ordonnoit des diftri-
butions de terre pour ceux d’entre le peuple qui
étoient les plus pauvres. Cette lo i avoit, dans tous
les temps, fervi d’appât 8c d’amorce aux tribuns,
pour gagner la populace & pour fe l ’ attacher :
elle paroiffoif en effet lui être très-favorable, en
lui procurant un repos tranquile 8c une retraite
affiliée. Cependant Cicéron entreprend de la faire
rejeter par le peuple même , qui venoit de le
nommer conful avec une diftinétion fans exemple.
S’il eût commencé par fe déclarer ouvertement
contre cette lo i , il auroit trouvé toutes les oreilles
8c tous les coeurs fermés , 8c le peuple fe feroit
généralement révolté contre lui : i l étoit trop
habile & connoiffoit trop les hommes, pour en
ufer ainfi. C ’eft une chofe admirable de voir pendant
combien de temps il tient en fufpens l ’efprit
de fes auditeurs, fans leur laiffer entrevoir en aucune
manière le parti qu’il avoit pris ni le fen-
timent qu’il vouloit leur infpirer. Il emploie d’abord
tous les traits de fon éloquence, pour témoigner
au peuple la vive reconnoiffance dont il étoit
pénétré pour le bienfait fignalé qu’i l venoit d’en
recevoir ; il en relève avec foin toutes les circonf-
tances qui lui étoient fi honorables : il marque en-
fuite les devoirs & les obligations que lui impofe
mi confentement fi unanime du peuple à lui donner
le confulat; il déclare que , lu i étant redevable
de tout ce qu’il eft , il prétend bien , & dans l ’exercice
de fa charge pendant toute fa vie , être
populaire. Mais il avertit que ce mot a befoin
d’explication : & après en avoir démélé les différents
fens; après avoir découvert les fecrètes intrigues
des tribuns, qui couvroient de fpécieux
noms leurs deffeins ambitieux ; après avoir loué
hautement les Gracques, zélés défenfeurs de la
lo i agraire, & dont la mémoire, par cette raifon,
étoit fi chère au peuple romain ; après s’être ainfi
infinué peu à peu & par degrés dans l ’efprit de
fes auditeurs & s’en être enfin rendu maître abfolu;
ü n’ôfe pas encore cependant attaquer ouvertement
la lo i dont il s’agiffoit ; mtfis il fe contente
de protefter qu’en cas que le peuple , après l ’avoir
entendu , ne reconnoiffe pas que cette loi , fous
un dehors flatteur , .donne en effet atteinte a fon
repos & à fa liberté , il fe joindra à lui & fe
rendra à fon fentiment. Ç’eft ici un1 modèle parfait
G r am m . e t L i t t é r a t . Tome I I I .
de ce qu’on appelle dans l ’École Exorde par
infinuaeïon ; 8c il me femble qu’un feul endroit
comme celui-ci eft bien capable de former l ’cfprit
des jeunes gens, & de leur aprendre la manière
adroite 8c refpeélueufe avec laquelle ils doivent
combattre le fentiment de ceux à qui la reconnoiffance
& la foumiifion ne leur permettent pas
de réfifter direélement. Il eut à Rome tout l ’effet
qu’on en devoit attendre; & le peuple, détrompé
par l ’éloquent difeours de fon conful, rejeta lui-
même la loi.
» L ’endroit de la harangue de Cicéron pour
Ligarius, où l’on, examine ce qu’il falloit penfer
du parti de Pompée, demaivdoit d’ être traité avec
Une extrême, délicateffe. Tuberon avoit taxé de crime
la conduite dé ceux qui avoient porté les armes
contre Céfar. Cicéron relève &' condànne la dureté
de cette expfeflion ; 8c après avoir raporté les
différents noms qu’on donnoit à la démarche de
ceux qui s’étoient déclarés pour Pompée , erreur ,
crainte , cupidité , paffion , prévention , entêtement,
témérité : « Pour moi , d it- il, fi l’on me demande
» quel eft le propre & véritable nom que l ’on doit
» donner à notre malheur , i l me femble que c’eft
» une fatale influence, qui a aveuglé les hommes
» & les à entraînés comme maigre eux; en forte
» qu’on ne doit pas s’étonner que la volonté in-
» furmontable des dieux l’ait emporté fur les con-
» feils des hommes ». A c mihi quidem , f i pro-
» prium & verum nomen noflri mali quoeratur,
» fa ta lis quoedam calamitas incidiffe videtur &
» improvidas hominum mentes occupavijfe ; ut
» nemo mirari debeat humana conjilia divinS
» neceffitate ejfe fuperata. ( Pro Lig . vj. 17. ) I l
n’y avoit rien dans cette définition d’injurieux pour
le parti de Pompée; & loin de devoir choquer,
Céfar , elle étoit très-flatteufe pour lui.
» Nos écrivains, quand ils ont eu à parler des
dernières guerres civiles qui troublèrent la France *
feniblent avoir eu en vue l ’endroit de Cicéron que
je viens de raporter : mais ils ont bien enchéri fur leur
modèle.
» Hélas I malheureufe France ƒ s’écrie Maf-
caron , dans l’oraifon funèbre de Turenne ,* pour
être défaite de cet ennemi, ne t ’en refloit - i l
pas ajfe\ d’autres fa n s tourner tes mains contre
toi - même ? Quelle fa ta le influence te porta à
répandre tant de fa n g l . . . . Que ne peut-on
effacer ces trifles années de la Juite de l ’H if f
toire, & les dérober à la connoiffance de nos
neveux i Mais p u ifq u il efl impojfible depaffer
fu r des chofes que tant de fang répandu a trop
vivement marquées , montrons-les du moins avec
l ’artifice de ce peintre , q u i, pour cacher la d ifformité
d’ un v i f âge , , inventa l ’art du profil.
Dérobons à notre vûe ce défaut de lumière &
cette nuit fun e fie , q u i, formée dans la confufion
des affaires publiques par tant de divers intérêts ,
f i t égarer czux même qui cherchoient Le bon vhs