
s
* 5 , Grammaire. C ’eft la dix-neuvieme lettre &
la quinzième confonne de notre alphabet. On la
nomme communément Efie, f. f. D’après les viles
de la Grammaire générale de Port - R o y a l, le
fyftême du Bureau typographique , beaucoup plus
raifonnable qu’un ufage aveugle, la nomme Se ,
1. m. Le ligne de la même articulation étoit chez
les grecs . <r ou s , & ils l ’appeloient Sigma :
c’étoit P chez les hébreux, qui lui donnoient le nom
de Samech.
Cette lettre repréfente primitivement une arti-
culatiou linguale , lifflante, & forte, dont la foible
eft Z e ( Voye\ Linguale ). Ce dont elle eft le
ligne eft un lîfHement , Hoc efi, dit Wachter
( Proleg. feét. z , §. zp ) , halitus fo r t i s , à tu-
more Linguce palato allifus & à dentibiis ip
tranfitu oris laceratus. Ce favant étymologifte
regarde cette articulation comme feule de fon efpèce,
Nam unie a fu i or.gani littera efi ( Ibid. fech 3'|
§. in S ) ; & il juge incroyable la commutabilité,-
fi je peux le dire , des deux lettres r & f , dont
on ne peut,d it-il, alfigner aucune autre caufe que
l ’amour du changement, fuite naturelle d e l’infta-
bilité de la multitude. Mais il eft aifé de voir que
cet auteur s’eft trompé, même en fuppofant qu’il
n’a confidéré les cho fes que d’après le fyftême vocal
de fa langue. Il convient lui-même que la langue
e ft néceffaire à cette articulation, halitus fo n t s , à
TUMORE LlNGUÆ, palato allifus. Or il regarde
ailleurs (feft. z, §. z 2) comme articulations ou lettres
linguales , toutes celles quee motu linguce figu-
rantur ; & il ajoute que l ’expérience démontre
que , pour cette opération, la langue fe meut en
cinq manières différentes , qu’i l appelle Tactus,
PulfuSy Flexus, Tremor, & T u M O R . Voilà donc,
par les aveux mêmes de cet écrivain, la lettre S
attachée à la claffe des linguales, & cara&érifée
dans cette claffe par tumor, l ’un des cinq mouvements
qu’i l attribue à la langue : i l avoit donc
pofé, fans y prendre garde, les principes nécef-
îaires pour expliquer les changements de r en S
Sc de S e n r ? qui ne dévoient , pas lui paroitre incroyables,
mais qu’il- devoit juger très-naturels ,ainfi
que bien d’autres cjui portent tous fur l ’affinité des
lettres commuables.
L a plus grande affinité de la lettres S eft avec
la lettre 3:, telle que nous la prononçons en fran-
çois : elles font produites l ’une & l ’autre par le
même mouvement organique , avec la feule différence
du plus ou du moins de force 5 S eft le ligne
de l ’articulation ou explofion forte , 3: eft celui de
l ’articulation ou explofion foible. De là vient que
H
s
nous fubftituons fi communément la prononciation
du 3; à celle de S dans les mots qui nous font
communs avec les latins, chez qui S avoit toujours
la prononciation forte : ils difoient' manfio;
nous difons maison , quoique nous écrivions mai—
fon : ils écrivoient miferia , & prononçoient
comme nous ferions dans miceria ; nous écrivons
d’après eux misère , & nous prononçons misère.
Le fécond degré, d’affinité de l ’articulation f eft
avec les autres articulations linguales fifflantes j
mais furtout avec l ’articulation cne , parce qu’elle
eft forte. C’eft l ’affinité naturelle de f avec c h ,
qui fait que nos graffayeufes difent de méfiant»
fo u x pour de méchants choux, des feveux pour
des cheveux , M. le fevalitr pour M. le cheva^
lier y &c. C ’eft encore cette affinité qui a conduit
naturellement les anglois à faire de la lettre S
une lettre auxiliaire , qui avec h repréfente l ’articulation
qui commence chez nous les mots ch a t,
cher y chirurgien, chocolat, chute , chou : nous
avons choifî pour cela la lettre c , que nous prononçons
fouveiit comme f ; mais puifque c’eft la
vraie raifon de notre choix , ayons donc le courage
de prendre le ç cédîllé , qui eft le figne confiant
du fifflement , & qui empêchera de prononcer
çhprijle comme chômer : les allemands ont pris
ces deux lettres avec h pour la même fin , & ils
écrivent fehild (bouclier), que nous devons prononcée
Çhildy comme nous difonsdans çhilderic. C ’eft encore
par la même raifon d’affinité que l ’ufage de la
prononciation allemande exige que-, quand la lettre
S eft fuivie immédiatement d’une confonne au
Commencement d’une fyllabe, elle fe prononce
comme leur feh ou le çh françois.; & que les picards
difent çhelui,: çhellé, çheux, ’ çfient, &c_ ,
pour celui, celle, ceux, cent, que nous prononçons
Comme s’i l y avoit fe lui ,fe lle , feu x yfent.
Le troifième degré d’affinité de rarticulation
eft avec l ’articulation gutturale ou l ’afpiration h ,
parce qlie l ’afpiration eft de même une efpèce de
fifflement , qui ne diffère de ceux qui font repré^
fentés par f , \ , & même v & / , que par la
càufé qui lë produit. Ainfi , c’eft avec raifon que
Prifcien [Lib. I ) a remarqué, que dans les mots
latins venus du grec on met fouvent une S au lieu
de l ’afpirafion ; comme dans femis , f e x , feptem ,
m f i j f a l , qui viennent de ifiii, , l «rla, l, ‘M «A s : il
ajoute qu’au contraire , dans certains mots , les
béotiens mettoiçnt h pour f y ôc difoient, par exemple*,
rnuha pour mufa , propter cognationem lit-
terce S cum H.
L e quatrième degré d’affinité eft avec les autres
articulations linguales j Sç c’eft ç é , degré qui
explique
explique les changements refpeélifs des lettres r
& ƒ , qui paroiffent incroyables a Wachter
( Vovex R.) De là vient le changement de J enc
dans corme venu de forbum, fruit qui fe nomme
encore plus analogiquement forbey comme l’arbie
forbus qui le porte fe nomme indiftindlement
cormier ou fprbicr ; de c en ƒ dans raifin venu
de race mus : de f en g dans le lalin tergo tiré
du grec éolien : de g en J dans le fupin
même terfum venu de tergo, & dans mifer tiie
de f/Ajyifif- de f en d dans médius qui vient de
/mW , & dans tous' les génitifs latins en dis
venus des noms en ƒ , comme lampas , gén. lam-
padis pour lampafis / hccres gén. hceredis pour
hcerefis ÿ lapis y gén. lapidis pour lapifis ; eufios,■
gén. cufiodis pour eufiofis : inc us , gén. incudis
pour ineufis ; la u s , gén. laudis pour laufis ,*
glans y gén. glandis pour glanfis j fr o n s , gén.
frondis pour fronfis ; vecors , gén. vecordis pour
vecorfis : de d en f dans rafer du latin radere ; &
dans tous les mots latins, ou tirés du latin com-
pofés de la particule ad & d’un radical commençant
par fy comme afiervare , afiimilare, afiltr-
gere , & en françois afiefieur, afiidu , afiojnption ,
ajfujetir : de f en t dans fa illis qui vient de aA<ros,
& dans tous les génitifs latins en tis venus avec
crément dés noms terminés par ƒ , comme estas ,
gén. cetatis ; miles , gén. militis ; l i s , gén. litis ;
çompos , gén. compotis ; virtus, gén. virtutis ;
ars , gén. anis ; expers , gén. expertis ; fors ,
gén.-fortis ; fo n s , gén. fo n d s \ dens , gén. den-
ti'sy & ce changement étoit fi commun en g rec,
qu’il eft l ’objet d’un des dialogues de Lucien, où
le figma fe plaint que le tau le chaflé de la
plupart des mo ts : de t eu f dans naufea venu de
vavr/a / ôc prefque partout où nous écrivons ù
avant une voyelle , ce' que nous prononçons par fy
action , patient ,• factieux , comme s’i l y avoit
aefion, paffient, faefieux ; & dans ces cas-là ne
feroit-il pas fage d’avertir du fifflement du t par la
cédille , qui en eft le figne naturel ? J •
Enfin le dernier & le moindre degré d’affinité
de l’articulation fy eft avec celles qui tiennent à
d’autres organes, par exemple, avec les labiales.
Les exemples de permutation entre, ces efpèces
font plus rares , cependant on trouve encore f
changée en m dans rurfum pour rurjus, & m e n f
dans fors venu de (Mpof ,* f changée en n dans fdn-
guinis , fanguinaire , venus de fanguis ,* & ‘n
changée en f dans p lu s tiré de -orAeo» ; '&c.
I l faut encore obferver un principe étymologique
, qui femble propre à la lettre / ’relativement
à iiotre langue : c’eft que dans la plupart des mots
que mous avons empruntés des langues étrangères,
& qui commencent par la lettre J fuivie d’une
autre copfonne', nous avons mise avant f ; comme dans
efearbot de e-Kapaêo?, efprit de fpiritus , efquif
de mcnçn , eftomac de fiomachus. Nous avons encore
beaucoup de mots qui ont une pareille origine
, mais d’où l ’ufage a retranché f par laps
Gr a m m . e t L i t t é r a i t Tome I I I .
de temps , en ne Iaiffant fubfifter que Ve que l a
Profthèfe y avoit mis d’abord : comme école pour
efcole y de fcjiola ; épier pour efpier, de jp e cu la n ;
étang ponr ejlang , dejtagnum.
Il me femble que nous pouvons attribuer l ’origine
de cette Profthèfe à notre dénomination alphabétique
efie de la lettre S : la difficulté de
prononcer de fuite deux confbnnes a conduit infen-
fiblement à prendre , pour point d’appui de la première
, le fôn e que nous trouvons dans fon nom.
Mais , dira-t-on, cette difficulté a-uroit du influer
fur tous les mots qui ont une origine fem-
blable , & .elle n’a pas même influé fur tous ceux
qui viennent d’une même racine j nous difons efpace.
& fpacieux y efprit & fpirïtuel, &c. Henri Ef^
tienne , dans fes Hypomnêfes ( pag. 114) > répond
à cette objeftion : Sed quin hase adjecliva longé
fuhfiantivis pofieriora f in t , non efi quod dubi-
temus. Je ne fais s’i l eft bien conftaté que les mofs'
qui ont confervé plus d’analogie avec leurs racines
font plus récents que les autres j je ferois au contraire
porté à les croire plus anciens , par la raifon
même qu’ils tiennent plus de leur origine : mais
i l eft hors de doute que fp a c ieu x , fp é c ieu x ,
fpiritutl j fpongieux , Jltidieux , &• autres fembla-
bles , fe font introduits dans notre langue , ou dans
un autre temps , ou par des moyens tout autres ,
que les mots efpace, efpèce , e fprit, éponge ,
anciennement efponge , étude , originairement
efiude ; & que c’eft là l ’origme de leurs différentes
formations.
Quoi qu’il en fo it , cette Profthèfe a déplu ou
a été négligée infenfiblement dans plufieurs mots;
& l ’Euphonie, au lieu de fupprimer Ve qu’une
dénomination fauffe y avoit introduit, en a fup-
primé la lettre ƒ elle-même ; comme on le voit
dans lès mots que l ’on prononçoit & que l’on écri-
voit anciennement efiat , efiernuerejerire , efcole,
efcureuil, que l ’on écrit & prononce aujourdhui
état y éternuer y écrire y école y écureuil y & qui
viennent de fiatus , fiernutare, feribere , fchola ,
a-nnvpos. Si l’on ne eonfervoit cette obfervation ,
quelque étymologifte diroit un jour que la lettre ƒ
a été changée ,en e dans ces mots : mais comment
expliqueroit-il le méchanifme de ce changement ?
Le détail des ufages de la lettre ƒ dans notre
langue occupe affez de place dans la Grammaire
françoife de l ’abbé Regnier , parce que de fon
temps ou écrivoit encore cette lettre dans les mots
de la prononciation defquels l ’Euphonie l’avoit
fapprimée : aujourdhui que, l ’Orthographe eft plus
raprochée de la prononciation , elle n a plus rien
à obferver fur les ƒ qui ne fe prononcent pas, à
la réferve du feul mot e f i , ou de quelques noms
propres de famille , q u i, rigoureufement parlant, ne
font pas du corps de la langue.
Pour ce qui concerne notre manière de prononcer
la lettre ƒ quand elle eft écrite , onpeut établir quelques
obfervations affez certaines. ^