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ger , par les rendre robuftes, patients , courageux
; elle leur a fait fentir enfuile l ’avantage d’un
ciel plus doux & d’une terre plus fertile , & les
y a poulies en foule & par torrents. Ainfi , le
Nord a toujours pefé & débordé -fur le Midi ;
ainfi, les danois, les Taxons, les normands, les
cimbres, les gotlis, les lombards, les vendales
ont inondé l ’Europe ; ainfi , le s fcythes ont inondé
l ’Afie y ainfi, les tartares-ont inondé la Chine.
.Tout s’eft réduit de même , dans les temps éloignés,
auméchanifme naturel des caufes morales &
phyfiques; & il n’y a plus eu demiraeles , que ceux
du génie & de la vertu.
I l eft bien vrai que cette partie reculée de notre
Hifioire eft d’une fécherefle extrême, en com-
paraifon de 1 HiHoire fabuleufe des anciens temps :
mais ce n’eft ni pour les enfants, ni pour le
peuple quelle eft écrite ; & du moins ce qui nous
en refte, on peut le croire fans rougir. -
Mais il eft pour YHijîoire un autre genre de
fuperftition, nationale ou perfonnelle, dont elle
n’a jamais allez écarté les illufions. Un hifiorien
; pour être impartial & jufte, devroit n’être,
comme on l a dit, d aucun pays, d’aucun fyftême
politique , d’aucun parti religieux. Celui qui fe
paflïonne, ou pour les intérêts de fa fecte ou de
fa patrie, -ou pour la fa&ion qu’il embraffe , ou
pour le caraétère -du perfonnage qu’il met en
fcène ; celui qui fe laifle éblonïr par des talents,-
par dés exploits, ou par des qualités brillantes;
celui dont l ’admiration fe range du côte de la
bonne fortune, & pardonne tout au fuccès ; celui
qui, dans le ‘ foible , ne voit que le jouet du fo r t,
& qui , dans les évènements , oublie le jufte &
l ’honnête , pour tout accorder à l ’utiîe ; celui enfin
qui n’a pas droit d’écrire , comme Tacite à la
tête de fes Annales, fine ira & jlu d io , n’eft pas
digne de la confiance de la poftérité : & i l en -
èft peu d’affez libres de toute efpèce de préventions
ou d’affe&iôns perfonnelles, pour fe rendre
ce témoignage. L a Politique a fes préjugés; l ’ef-
prit de parti, fon délire ; les intérêts de l ’ambition,
de l ’o rgueil, de la*faufle gloire, la paflion
de dominer & d’envahir , enfin le zèle du bien public
, l ’amour de la cité, l ’efprit de corps, ont
aulfi leurs préjugés fuperftitieux & leurs maximes
fanatiques , dont 1’;hifiorien doit être dégagé pour
etre impartial & jufte. Eh qui l’eft parmi les modernes
? qui le fut parmi les anciens ?
-1 Partout Y Hifioire s’eft pliée aux moeurs & à
l ’efprit du temps. Un peuple a-t-il voulu primer
dans fon pays comme fes athéniens , fe rendre
uniquement guerrier comme les fpartiates, conquérant
comme les romains, maître de la mer
& du commerce comme les carthaginois ? YHif-
toire a trouvé jufte .& grand tout ce qu’il a fait
pour atteindre au but de fon ambition. Le fyftême
de fon gouvernement, fes lo is , fa Politique , fa
jMorale même; tout a été fournis à la raifon d’État.
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Les crimes néceflaires , ou feulement utiles à là
grandeur, a fa puiffànce, fe font érigés en vertus.
L Hifioire, __ ainfi que les nations déprédatrices
& conquérantes , femble avoir pris pour règle
d équité le mot de BrennTîs Vce victis.
A l’égard des Modernes, je veux bien m’interdire
toute efpèce d’application : mais, à parler
librement des Aùciens, voyez , dans Y Hifioire romaine
, fi jamais le droit de conquête & de rapine
eft mis en doute; fi aux dévaftateurs du monde.on
a reproché d’autre crime que le péculat , c?eft à
dire , le brigandage .perfonnel ; & s’il y a rien
de plus honorable que le pillage militaire 8c que
les dépouilles des nations portées en triomphe au
Capitole, & entaffées dans ce gouffre qu’on ap-
peloit le^ trefor de Saturne , pour exprimer fans
doute qu il dévoroit tout comme le Temps. Voyez,
lorfqu’il s’agit des diffentions du Sénat & du peup
le ; voyez, dis - je , de quel côté fe rangera
1 hifiorien. Il avouera les torts des Grands,. le
defpotifme 8c l’arrogance du Sénat , fes ufures ,
fes injuftices, fon avarice infatiable , fon luxe &
fon fafte infolent, l ’état de'misère & d’oppreflion
oii il tenoit le peuple, la mauvaife foi des pro-
melfes qu’il lui fefoit pour le calmer , fa haine
& fes reftentiments contre ceux qui le proté-
geoient : mais il en reviendra toujours à louer,
dans ce Sénat même , fa confiance , fa dignité ,
fa fermeté inébranlable à maintenir ce qui! appellera
fa grandeur & fa majefté. Les vrais ro-
maius feront pour lui ceux des patriciens qui
auront eu le plus éminemment l ’efprit du corps ,
le defpotifme ariftocratiquc ; & vous le furpren-
drez fans cefTe a regarder comme les défenleurs,
les vengeurs de la liberté & les pères de la patrie,
ceux qui en étoient les tyrans.
Dans Y Hifioire grèque on ne trouve pas la
même déférence pour l’ariftocratie : mais dans les
guerres inteftines que la. miférable vanité de la
préféance alluma entre cé£ républiques , on voit
Y hifiorien, tout occupé de leur conduite militaire ,
de leurs conférences politiques , de l ’Éloquence
de leurs députés, de l ’habileté de leurs capitaines,
de leurs combats, de leurs fuccès divers,
oublier la futilité du point d’honneur qui les
divife, & y attacher la même importance qu’au
-•péril dont la Grèce a été menacée à l ’invafion
de Xercès ; fans même" trouver jnfenfée une guerre
de vingt huit ans, q u i, pour de folles jaloufîes
entre deux villes ambitièufes, vient d’épuifer de
fang toutes les veines de la Grèçe , & va la livrer
à demi vaincue au tyran de la Macédoine,
à ce Philippe, q u i, mieux qu’homme du monde ,
favoit divifer pour réduire & corrompre pour
affervir.
Dès qu’un écrivain s’eft frapé d’admiration pour
un peuple ou pour un perfonnage illuftre , il
n’eft rien qu’il ne lui accorde : l ’enthoufiaftc
d’Alexandre , Quinte - Curce, ne veut - il pas faire
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admirer' jufqu’à fa-continence au milieu de cent femmes
qu’il menoi-t avec lui ;■
Rien de plus conféquent que les lois de L y curgue
relativement au projet de maintenir fon
peuple libre. Mais tout ce qui eft in jufte & louable
dans fen objet ,vl’eft-il daus fès moyens? Eh
que n’a- pas loué Y Hifioire dans- les lois c!e
Lycurgue ? Plutarque ne vante-t-il pas la pudeur
des- filles de Sparte , qui danfo-ient nués devant
les hommes ?, ne dit - i l pas même que Sparte
étoit le trône de la pudeur ? n’y trouve-t-ii pas
l ’adultère merveilieufement établi, pour fe donner,
de beaux enfants | 8c n’ajoute-t-il pas qu’i l étoit
impollible qu’à Sparte il y eut des adultères-?'
blâme - t - il l ’ufage inhumain de jeter .dans les-
fondrières les enfants délicats & foibles ? n’exeufe
8c n’approuve-t-il pas ce qu’il y a de plus infâme
dans les moeurs,. en nous difant que, dans
leurs amours, les rivaux* ne penfoient qu à
chercher, en commun, les moyens de rendre
ki perfonne aimée p lus vertueufi & plus aima-'
bie ï & s’il a condanné la perfidie des fpartiates»
dans le maffacre des ilotes >• a-t-il eu le moindre
fciupule fur le dur efçlavage où ils étoient réduits
?: en un mot,, tout ce que Lycurgue avoit
inftitué pour dénaturer l ’homme, ne lui femble-
i-i-1 pas le chef-d’oeuvre de la fa g e (Te ?>;
Combien- de fois n’a-t - on pas répété- qu’A-
lexandre , en portant la guerre dans l’Afie , n’avoic
fait que venger là Grèce & que la mettre en
sûreté ? On a pu le dire à l ’égard de la Perfe ;
mais l ’Inde qu’avoic-elle fait à- la Grèce ? mais
les- fcythes»; qu’avaient-ils fait à Alexandre ?• quel
droit ou quel befoin avoit - il de les attaquer ?
prétendoit-il régner du Nil au Tan aïs, du Tanaïs
au Gange?• & n’eft--ce pas du moins une ambition
infenfée , comme une bonne femme le difoit
à- Philippe, que l’ambition d’envahir ce que l ’on
.ne peut .gouverner ? 1J Hifioire reproche à Alexandre
le- meurtre de fon favori ; mais lui reproche-
t - elle d’avoir verfé le fang' de tant de nations
paifîbles , qu’il fit égorger à plaifir pour- fe faire
louer dés fophiftes d’Athènes., & faire dire à Lacédémone
, Puifqii Alexandre veut être dieu, q u il
Joit dieu T
Cependant l ’on conçoit comment, dans un
homme extraordinaire , le génie des grandes chofes,
l ’audace , la- valeur , la confiance dans les travaux,
en un mot , cette force d’âme qui juftifie en quelque;
forte l ’ambition de dominer, ont pu en ira-
pofer à des hifioriens fufceptibi.es d’enthoufiafme
& dans Quinte - Curce , on pardonné à l ’illufion
qu’il s’eft faite fur fon héros : comme elle étoit
fans intérêt, elle eft exempte du foupçon de bafTefle ;
i l a manqué de philofophie, & non pas de fincé-
iité. Mais qui condannoit Velleïns - Paterculus à
la plus .lâche proftitution où puilfe être réduit le
plus vil des efclaves ? C ’eft lu i qui nous a dit,
Semper magnæ fortunes cornes efi adulation &
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il femble avoir voulu le prouver par fon exem- '
pie , en rampant aux pieds de Tibère : encore
Tibère, ce’ monftrueux Prothée , par la diverfrté
,de fes moeurs & de fa- conduit^, 8c par le mé;-
lange impcrfantde quelques grandes qualités parmi
des vices déteilables, donnoit-il prife à la flatterie.
Mais quel prétexte peut - elle avoir, lorfqu’elle
veut trouver de l’héroïfme dans un orgueil fans
courage, & dans une arrogance oi-five & molle
qui ne fait qu’ordonner le crime & le malheur ?
Jamais un defpote indolent, qui du fein des fes
voluptés envoie à fes voifins 1 effroi, la d é f la tion,
le ravage , d e v ro it-il entendre Y Hifioire:
dire de lui- q.u’il a dompté des nations , remporté
des victoires ? La valeur de fes troupes, l ’habileté
de fès Généraux, quelques milliers d’hommes
de plus , qui, du côté de l ’ennemi, ont péri dans-
une campagne, quelques champs déva fiés & inondés-
de fang, dont .il eft refté poffefFeur jufqu’au premier
revers : voilà les titres de fa gloire ; 8c
des guerres injuftes , qui ont ruiné fes peuples
lui' ont obtenu la même place que fi , au périt
de fa vie & au mépris de fon repos , il avoit pris-
& porté les armes pourle falut de fon pays.
Ainfi:, fans fe croire coupable d’adulation , 8C-
feulement féduite & entraînée par l ’opinion do.-
minante & par l’ivreffe populaire, Y Hifioire n’a
prefque jamais apprécié ni les faits ni les hommes à
leur jufte valeur.
' I l y a cependant quelque chofe de plus v il &
de plus Tâche que l ’adulation dans un écrivain :
c’eft la calomnie; & les hifioriens, animés de
l ’efpric de parti . n’en ont été prefque jamais
exempts. Soit paffion , foit complaifance, loin de
fe faire un fcrupule, une honte, de noircir-ou la
feéte ou la faction contraire , ils fembient s’en-
faire un devoir. Louis X IV avoit pu mériter l’a-
verfion clés proteftants ; mais les hifioriens pro-
teftants fe font déshonorés en outrageant Louis X IV^
Je', m’étonne cbmment des- nations généreufes ont
applaudi- à- la baffe (fe des écrivains q ui, pouir
plaire, fe font faits calomniateurs. On pardonne'
l ’injure aux- malheureux en qui l ’opprefEon 8c la»
foüffrance ont exalté les,, haînes & les reffenii-
ments ; -mais que les oppreffeurç eux - mêmes calomnient
les opprimés ; que lé defpotifme , iiv
digné d’une réâftance légitime., s’en venge en ouv-
trageant ceux qu’i l n’aura pu affervir ; c’eft un
genre d’indignité que les Anciens ne connoiffoiefit
pas. L e fanatifme national en eft l’ excüfe dans la-
populace ; rien ne peut Texcufer dans un hifio-
rien : la fituation de fon âme eft le calme & la-
liberté.
Celui-là feul eft donc impartial, dont on ne'
peut deviner, en lifant ; quels étoient fon pays Y
fa religion, fon éta ÿj*i 1 étoitgt.ee ,0« romain, ou
; famnite, françois, anglois, ou américain'; s’ il
; étoit de l’ ordre des fénateurs , ou du- collège des;
p o n tife so u de la claffe des plébéiens s’il tenoit