
m o rt de Z o p ire , c e lle de S ém iram is, c elle de
Z a ïre , celle d’In è s , e ft-e lle p our nous fi d o ulo u-
reufe ? parce qu’e lle eft douloureufe à l’excès pour
le s auteurs dont nous prenons la p lace. P o urqu o i
le dénouaient de B ritatinicus eft - il fi froid ,
to u t funefte qu’il eft ? parce qu’il n’excite , ni dans
l ’âm e de N éron , ni dans celle de B urrhus, ni dans
c e lle d’A g rip p in e , une allez forte ém otion. Junie
dem ande vengeance au p eu ple , & fe retire parm i
le s veftales : la douleur n’a rien de touchant. Mais
Sém iram is égorgée tend les bras à fon m eu rtrier,
& fon m eurtrier eft fon fils ; mais Z o p ire fe traîne
vers fes enfants q ui viennent de l’aflaffiner , & leu r
a prend q u ’ils o n t p lo n g é le poignard dans le fein
de leu r père $ mais O rofm ane , en retirant fa m ain
ian g lan te du fein de Z a ïr e , aprend qu’e lle é to k
innocente , & qu’e lle n’a jam ais aim é que lu i ;
m ais Inès , entourée de fes enfants , fent les atteintes
du p o ilo n m o r te l, & P è d re , au m om ent qu’il fe
c ro it le plus heureux des époux & des p ères,tro uv e
fa fem m e , qu’il a d o re , em poilonnée & rendant les
derniers foupirs : voila de ces évènements q ui ,
p o u r déchirer l ’âm e des fpeétateurs, n’ont pas befoin
d e la furprife , & qui font m êm e d’autant plus
p a th é tiq u e s, qu’ils font annoncés & prévus. Auffi les
an cien s, lo rfq u ’ils p réparoient une cataftrophe funefte
, ne prenoient-ils aucun loin de la cacher au
fp e& ateu r; & c’e ft, p o ur ce genre de T ra g é d ie , un
avantage que je n’ai pas voulu diflîm uler.
Si au contraire le p o è te m édite un dénoum ent
heureux , il faut abfoîum ent qu’il le cache ; & le
p lu s sûr m oyen eft de le faire naître du tum u lte &
du choc des pallions : leurs m ouvem ents orageux
& divers trom pent à chaque inftant la prévoyance
-du fpeéfateür, & le laiffent jufqu’à la fin dans le
doute & dans l’inquiétude : le fort des personnages
intéreflants eft alo rs com m e un vailfeau battu par
la tem p ête. F era-t-il naufrage ou gag nera-t-il le
p o rt? C ’eft cette incertitude qu i nous attache & nous
ag ite jufqu’au dénouaient.
» P a r les m oe urs, dit A riftote , on prévoit les
Révolutions » . O u i , p ar les moeurs habituelles
d’une âm e qui fe pofsède & fe m aitrife ; & voilà
ce lle s qu’on d o it é v ite r, fi l ’on veut cacher un
dénoûm ent qui naifïe du fonds des caractères. N e
fa u t-il donc em p lo y er alors que des perfonnages
fans moeurs , ou dont les m oe urs foient indécifes ?
N o n ; mais il faut que l’évènem ent dépende de la
réfolution d’une âme agitée par des forces qui fe
co m b a tte n t, com m e le devoir & le p enchant, ou
deux pafiions oppofées. Q u o i de plus décidé que
le caractère de C léop âtre , & quoi de moins décidé
q u e le parti qu’e lle prendra , quand R odogune p ro -
p o fe l ’eflai de la coupe ? q u oi de plus Surprenant
8c quoi de plus vraifem b lab le, que de la voir fe
réfoudre à boire la prem ière , p o ur y engager, par
fo n exem ple , Rodogune & A ntiochus ? V o ilà ce
q u i s’a p p e lle un coup de génie. Il feroiî injufte ,
je le fais , d’en exiger de pareils ; mais toutes les
fois qu’on aura p o ur m oyen le contrafte des p allio ns,
il fera facile de tromper l’attente des fpeétateurs
fans s’éloigner de la vraifemblânce, & de rendre,
l’évènement à la fois douteux & poffible.
Pourcacher un dénoûment heureux, les anciens,
au défaut des pallions, n’avoient guère que la re-
connoiflance ; & tout l ’intérêt portoit alors fur
l ’incertitude où l ’on é to it, fi les a&eurs intéreflants
fe reconnoitroient à propos : tel eft l ’intérêt de
Y Iphigénie en Tauride. C’elt un excellent moyen
pour produire la Révolution ; mais, comme l ’obtenue
Corneille , i l n’a point la chaleur féconde des
mouvements paflionnés.
Quelquefois on emploie , à produire la Révolution,
un cara&èr'e équivoque & diflimulé , qui
fe préfente tour à tour fous deux faces , & lailfe
le fpe&ateur incertain de la réfolution qu’il prendra
: le chef-d’oeuvre de l ’art en ce genre eft le. complot
d’Exupère , moyen vifiblement caché du dénoûment
d ' Héraclius,
La reflourçe la plus commune & la plus facile ,
eft celle d’un incident nouveau; mais cet incident ne
produit fon effet, qu’autant que ce qui le précède le
prépare “fans l ’annoncer.
J’en ai dit allez pour faire voir que lè choix que
nous laifle Ariftote d’amener la Révolution, ou
néceffairement , ou vraifemblablement, n’eft rien
moins qu’indifférent & libre. Un dénoûment qui
n’eft que vraifemblable , n’en exclut aucun de pof-
fible ; il lailfe tout craindre & tout efpérer. Un
dénoûment néceflaire n’en peut laifler attendre aucun
autre ; & l’on ne doit pas fuppofer que, lorfque
l’effet tient de fi près à la caufe, le lien qui les
unit échape aux ieux des fpeéfateurs. Si donc le
dénoûment eft malheureux, comme i l eft bon qu’il
foit prévu, rien n’empèche qu’il ne foit néceflaire :
mais s’il doit être heureux , i l doit être caché, &
par conféquent n’être que vraifemblable.
L a même raifon permet de prolonger un dénoûment
funefte , & oblige à prefler un dénoûment
heureux. L ’un peut très-bien occuper un a£fce fans
que l ’aètion- languifle : il y a même , dans le
Théâtre grec, telle tragédie dont le noeud eft dans
l ’avant - fcène , & dont toute l ’adion n’eft qu’un
dénoûment prolongé ; tel eft cet OEdipe qu’on
nous donne pour un chef-d’oeuvre de l ’art. Mais fi
l ’autre, j’entends le dénoûment heureux, eft pris
de plus loin que d’une ou deux fcènes rapides
l ’ad ion, dénouée lentement & fil à fil, s’affoiblit
& tombe en langueur. Voye\ C atastrophe , D énoument
, Intrigue, Reconnoissance.
( M. M a r m o n t e l . )
RHAPSODES , f. m, pl. Belles-Lettres. Nom
que donnoient les anciens à ceux dont l ’occupation
ordinaire étoit de chanter en public des morceaux
des poèmes d’Homère, ou Amplement de les réciter.
M. Cuper nous aprend que les Rhapfodes étoient
habillés de rouge quand ils chantoient l ’Iliade, 8c
de bleu quand ils chantoient 1 Odyflee. Ils chantoient
fur des théâtres , 8c difputoient quelquefois
pour des prix.
Lorfque deux antagoniftes avoient fini leurs parties
les deux pièces, ou papiers fur lefquels elles
étoient écrites , étoient jointes & réunies enfemble ;
d’où eft venu le nom de Rhapfodes , formé du grec
p ol'srra , j e couds, &«ƒ»*, ode ou chant.
Mais i l y a eu d’autres Rhapfodes plus anciens
que ceux - ci : c’étoient des gens qui compofoient
des chants héroïques ou des poèmes en l ’honneur
des hommes illuftres, & qui alloient chanter leurs
ouvrages de ville en ville pour gagner leur vie.
C ’étoit là , dit-on, le métier qu’Homère fefoit lui-
même.
C ’eft aparemment pour cette raifon que quelques
Critiques ont fait venir le mot Rhapfodes , non
de j‘aurra 8c «oJSj , mais de fdGéa & déni ,
chanter avec une branche de laurier à la main ;
parce qu’il paroît en effet que les premiers Rhapfodes
portoient cette marque diftinétive. Philo-
corus fait auffi venir le nom de Rhapfodes de
f d'ami ras décis , compofer des chants ou
poèmes ; fuppofant que les poèmes étoient chantés
par leurs auteurs mêmes : luivant cette opinion*,
dont Scaliger ne s’éloigne pas, les Rhapfodes au-
roient été réduits à ceux de la fécondé efpèce dont
nous venons de parler.
Cependant il eft plus vraifemblable que tous les
Rhapfodes étoient de la même clafle , quelque
différence que les auteurs ayent imaginée entre
eux; 8c que leur occupation étoit de chanter ou de
réciter des poèmes , foit de leur compofition, foit
de celle des autres , félon qu’ils y trouvoient mieux
leur compte & plus de gain à faire. Auffi ne pou- ■
. vons-nous mieux les comparer qu’à nos anciens
Trouveurs 8c Jongleurs , ou encore à nos chanteurs
de chanfons, parmi lefquels quelques-uns font auteurs
des pièces avec lefquelles ils amufent la populace
dans les carrefours.
Depuis Homère il n’eft pas furprenant que les
Rhapfodes de l ’antiquité fe foient bornés à chanter
les vers de ce poète , pour qui le peuple avoit
la plus grande vénération , ni qu’ils ayent élevé
des théâtres daus les foires & les places publiques,
pour difputer à qui réciteroit mieux ces vers,
beaucoup plus parfaits & plus intéreflants pour les
grecs que tout ce qui avoit paru jufqu’alors.
On prétend, dit Madame Dacier, dans la Vie
d’Homere, que ces Rhapfodes étoient ainfi appelés
pour les raifons qu’on a vues ci-deflùs, &
encore parce qu’après avoir chanté, par exemple ,
la partie appelée la colère d-Achille , dont on
a fait le premier livre de l ’Iliade, ils chantoient
celle qu’on appeloit le combat de P a r is & de
Ménélas , dont on a fait le troifième livre , ou
1®1 autre qu on leur demandoit ,pcc-sj/eoc^of, [d'alovrts
ras déds. Cette dernière opinion eft la plus
vraifemblable , ou plus tôt la feule vraie. C’eft
ainfi que Sophocle , dans fon OE dipe , appelle
le Sphinx , pd-^aéoi , parce qu’il rendoit différents
oracles, félon qu’on l ’jnterrogeoit. Au refte, il y
avoit deux fortes de Rhapfodes ; les uns récitoienfc
fans chanter, & les autres récitoient en chantant.
( A n o n y m e . )
R H A P S O D I E , f. f, B elles-Lettres. Nom
qu’on donnoit dans l ’antiquité aux ouvrages en
vers qui étoient chantés ou récités par les Rhapfodes.
Quelques auteurs penfent que Rhapfodie figni-
fioit proprement un Recueil de vers , principalement
de ceux d’Homère , qui , ayant été long
temps difperfés en différents morceaux , furent enfin
mis en ordre 8c remis en un feul corps, par Pi-
fiftrate ou par fon . fils Hipparque , & divifés en
livres, qu’on appelle Rhapfodies ; terme dérivé
des mots grecs [d'aria , j e couds, & «ƒ* , chanta
poème, &c.
Le mot Rhapfodie eft devenu odieux , comme
le remarque Defpréaux dans fa troifième réflexion
critique fur Longin ; & l ’on ne s’en fert plus que
pour lignifier une Collection de paflages, de penfées, ,
d’autorités raflemblées de divers auteurs 8c unies
en un feul corps. Ainfi, le Traité de la P o litique
de Jufte-Lipfe eft une Rhapfodie , dans laquelle
il n’y a rien qui apartienne à l ’auteur que
les particules & les conjonctions. C ’eft pour avoir
pris ce mqt dans ce dernier fens , & à deflein de
faire paffer les poèmes d’Homère pour une collection
ainfi faite des ouvrages de différents auteurs
, que M. Perrault a fait une bévue en difant,
dans fes Parallèles : » Le nom de Rhapfodie ,
» qui fignifie en grec un Amas de plufieurs chan-
» fons coufues enlemble , n’a pu être raifonnable-
» ment donné à l ’Iliade & à l ’Odyflee , que fur
» ce fondement » ( que c’étoit une ColieCtion de
plufieurs petits poemes de divers auteurs fur différents
évènements de la guerre de Troie). » Jamais
» poète , a j o u t e - t - i l , ne s’eft avifé , malgré
» l ’exemple & l ’autorité d’Homère , de donner le
» nom de Rhapfodie à un feul de fes ouvrages ».
A cela Defpréaux répond, après avoir raporté
les diverfes étymologies dont nous avons parlé au
mot R h a p s o d e s , que» La plus commune opinion
» eft que ce mot vient de fd'alui &>Sds , & que
» Rhapfodie veut dire un Amas de vers d’H o-
» mère qu’on chantoit, y ayant des gens qui ga-
» gnoient leur vie à les chanter , & non pas à les
» compofer , comme notre Cenfeur fe le veut- bi-
»^zarrement perfuader : il n’y a qu’à lire fur cela
» Euftathius. Il n’eft donc pas furprenant qu’aucun
» autre poète qu’Homère n’ait intitulé tes vers
» Rhapfodies, parce qu’il n’y a jamais eu pro-
» prement que les vers d’Homere qu’on ait chantés
» de la forte. Il paroît néanmoins que ceux q u i,
» dans la fuite , ont fait de ces parodies qu’on
» appeloit Centons d’Homère ( ) , ont
» auffi nommé ces Centons Rhapfodies ,• & c’eft