» Fléchier , dans l ’oraifon funèbre du même
héros : Souvenez - vous / MeJJieurs , de ce temps
de défordre & de trouble, ozi Vefprit ténébreux
de difcorde confondoit le droit avec la pajfion,
le devoir avec Vintérêt, la bonne caufe avec la
mauvaife ; où-les afires les p lus brillants fouf-
f rotent prefque tous quelque éclipfe , & les plus
fidèles fu je t s fe virent entraînés malgré eux par
le torrent des partis , comme ces p ilo te s, qui ,
fie trouvant furpris de l'orage en pleine mer,
fo n t contraints de quitter la route qu'ils veulent
tenir & de s'abandonner pour un temps au
gré des vents & delà tempête. Telle efi lajufiice
de Dieu ; telle efi l'infirmité des hommes : mais
le Sage revient aïjement à fo i ; & i l y a dans
la Politique , comme dans la Religion , une
efpèce de pénitence p lus glorieufe que l'innocence
meme, qui répare avantageufement un peu de fr a gilité
, par des vertus extraordinaires & par une
ferveur continuelle.
» Le même orateur, dans l’Oraifon funèbre de
le Tellier : ^ Que dirai-je donc ? Dieu permit
auxvents & ci là mer de* gronder & de s'émouvoir,
efi temP ece fèleva. Un air empoifonné de
f f i cJ iOTf i ** f révoltes gagna le coeur de l'É ta t ,
& fe répandit dans les parties les plus éloignées :
les paffions que nos péchés' avoient allumées
rompirent les digues de la jufiiee & de la rai-
fionj & ^ s plus fâges mêmeentraînés par le
mal!ieur dês engagements & des conjonctures ,
contreleur propre inclination, fe trouvèrent ,fa n s
y penfer x hors clés, bornes de leur devoir. » -
* 9 n doit véritablement regretter qu'un fi grand
» maître n’ait fait, en quelque' forte jj qu’indiquer
» cette matière & n’en ait pas traite toutes les
p parties ». Ce font les propres termes de l ’abbé
M a lle t, en parlant ( Ejfai fu r ie s Bienféances
oratoires, tom. i , pàg. 41 ) de ce morceau qu’on
vient de lire de Rollin. Je ne prétends pas remplir
une tâche qu’on juge imparfaite chez lui $ mais
] olerai ajouter quelques obfervations aux tiennes^
Ce n eft pas feulement a 1 egard des fopérieurs
que les Précautions oratoires font néceflaires : il
faut en ufer avec tous ceux dont on- fe propofe de
eombalire les p a fiions , d’attaquer les prétentions,
de contredire les opinions; autrement, on s’expofe
à manquer le but qu’on doit toujours-fe propofer en
parlant, qui effdeperfuader.
On font aifément quelles peuvent être les reff
fourcês des Précautions oratoires-„■ l ’Ëuphémifmè
fort a adoucir les expreflions, que leur dureté ou
meme trop de naïveté pourroit rendre offenfàntes ~
l ’Aftéifme déguife, fous le voile de la louange ]
le defagrément de l’inftruétïon ou l ’amertume de
la, çorreétion-'; la Prolepfo va au devant dès diffi- •
cultes que famour propre ne manquer oit pas de
fuggérer ; la Communication fôumet paifiblemerït
a un examen, raifonné les vues ou les principes 1
qu’on a t t a q u e & amène: les partjes intéïeflées àen
reconnoître d’elles-mêmes l ’injuftice ©u la fauf-
•’n ,u UVe»t ^ Conceflîon devient un moyen
infaillible d obtenir beaucoup plus qu’on n’accorde
ou qu on ne paroît accorder ; l’Allégorie, fous le
mafque d un perfonnage étranger,' fait goûter à ceux
memes qu on accufe leur propre condannation, avant
que le voile de la fiction fe lève ou fe déchire. Royer
Euphémisme, A s t é ism e , Prolepse, C ommunication
, C oncession , A llé go r if « ?
La nature, toujours fupérieure â l ’art, fuggère
elle-meme .ces Précautions fi importantes a quiconque
a un grand intérêt à ménager. J’en citerai-
un exemple pris de Racine : c’eft donc , va-t-on
dire, un ouvrage de l ’art, & non une fuggeftion
de latîatUEc ? Oui , c’eft -un ouvrage de l ’art, c'en
eft meme un chef-d’oeuvre ; mais il ne. mérite ce
nom que^ parce qu’il rend en effet la nature avec
fidelité. C eft l ’aveu que Phèdre, fait à CEnone de
fon amour pour Hippolyte ( act. I , fi'. 2 )1
écoutons-lav CE N o N E.
Madame, au nom dès p leurs que pour v ous j’ai verfés.»
P a r vos foibles g en ou x que je tiens embrafles,
D eb v re z mo n elprit de ce funefte doute.
P h è d r e .
T u le. veux?! lè v e -to i.
■ CE. N o N E.
, P a r le z , je v;ous êfcoute»
P H È D R E.
Ciel- ! que lu i va»js-j,e d ir e , & par o ù c om m e n c e
CE N O N E.
Par de vaines, frayeurs ceffez. de nr'offenfer. 1
P H JÈ D R E.
O haîne de V é n u s ! O fatale colère i
Dans, quels égarements l’ amour jeta ma m è r e f
(E N O N E.
O u b liez - le s , M a d am e , & qu’a tout l ’ avenir
U n filence éternel cache ce fbuV-enir..
P H E D R E .
A r ian e , ma feeur, de qu el am o u r b le fle e ,
V o u s mourûtes aux bords o ù vous fûtes laiifée !■
OE N O N Ê.
Que faîte s -vo u s ,.M a d am e ? & quel mortel e n n u i
C o n tre tout vo tre fan g vous anime aujourdhui*-
P h è d r e ;
Puifqne Vénus le- veut.,, de ce- fang déplorable:
J e péris la dernière & la- plus1 miférable,-
CE N © N E - A im ez ; - Vous Y\ f
P H È. D R E.
De- l’amour j ’ai toutes les fureursi.
Po'ur qui?
(E N O N E.
P h è d r e .
T u vas o u ï r le comb le des horreurs.
J 'a im e . . . . A ce nom fatal je trem ble , je friffonne.
J 'aim e . . . , (E N O N E.
Q u i?
P h è d r e .
T u connois ce fils de l ’Am a zo n e ,
C e prince fr lo n g temps par mo i-même opprimé.
CE N O N E.
Hipp o lytg ? Grands d ieu x î
P h è d r e .
C ’ eft. t o i qui l ’as nommé.
On voit que Phèdre ne fe réfout à faire à fa
Confidente l’aveu de fon amour inceftueux, qu’après
les plus fortes inftances de celle-ci; & c’eft une
première Précaution. Quand en conféquence elle
a promis de parler, que dit-elle? elle héfite, elle
pouffe des exclamations , elle rappelle la mémoire
de tous les crimes dont l’amour a noirci fa famille ,
& femble .vouloir s’entourer de complices,, pour
affoiblir l ’idée de fon propre crime ; elle commence
.enfin à s’ouvrir, mais de manière qu’OEnone venant
À nommer Hippolyte, Phèdre paroît triompher de
ce qu'elle eft difpenfée par là de le nommer elle-
même. { M . B e a u z ê e . ) , ,
PRÉCIPICE3 G O U F FR E , ABÎME. Syno-
nymes.
On tombe dans le Précipice ; on eft englouti
parle Gouffre; on fe perd dans Y Abîme. Le premier
emporte avec lui l ’idée d’un vide efoarpé de
toutes parts, d’où il eft prelque impoflible de fe
retirer quand on y eft. Le fécond renferme une
idée particulière de voracité infàtiable, qui entraîne,
fait difparoître , & confume tout ce qui en
aproche. Le troifîème emporte l’idée d’une profondeur
immenfe, jufqu’où l ’on ne fauroit parvenir,
& où l ’on perd également de vue le point d’où l’on
eft parti, '& celui où l’on vouloit allèr.
Le Précipice a des bords' gliflants & dangereux
pour ceux qui marchent fans précaution , & inac-
ceflibiës pour ceux qui font dedans ; la chute y eft
rude. Le Gouffre. a des tours & des circuits dont
on ne peut fe dégager dès qu’on y a fait un pas ;
& l ’on y eft emporté malgré foi. U Abîme ne
préfente que des routes obfcures & incertaines ,
qu’auçun but ne termine*-: on s’y jette quelquefois
tetç baiffée , dans l ’efpéraûce de trouver une iflùë.;
majs le courage rebuté y abandonne l ’homme , &
le laifle dans ua chaos de doutes & d’inquiétudes accablantes,
Le chemin de la fortune e ft, à la C our, environné
de, mille Précipices , où chacun vous pouffe
de fon mieux. Une femme débauchée eft un Gouffre?
de malheurs : tout y périt ; la vertu, les biens, Sc
la fanté. Souvent la raifon du philofqphe , à force de
chercher de l ’évidence en tout, ne fait que fe creufoï
un Abîme de ténèbres; _
L ’avance eft le Précipice de l ’éauité. Paris eft le
Gouffre des provinces. L ’infini eft Y Abîme du rai-
fonnement. ( L'abbé GlRARD. )
(N . ) PRÉCIS, CONCIS. Synonymes.
Précis regarde ce qu’on dit ; & Concis, la
manière dont on le dit. L’un a la chofe pour objet ;
& l ’autre , l’expreflion. Le premier va au fait ; le
fécond en abrège l ’énoncé.
L e difeours précis ne s’écarte point du fujet ,
rejette les idées étrangères , & méprife tout ce qui eft
hors de propos. L e difeours concis explique fuccindle-
ment, énonce en peu de mots, & bannit tout le fu L'abondant.
Les digreftîons empêchent d’ être précis ' & le
ftyle diffus eft l ’oppofé du concis.
La première de ces qualités eft bonne en toute
occafion. La fécondé ne convient pas à toutes fortes
de perfonnes , parce que le demi-mot ne fuffit pas
à toutes fortes de gens; i l faut leur dire le mot entier.
( L'abbé G i r a r d .)
K Y article Br e f , Co u r t , Succinct , f y non,
l ’abbé Girard dit que le Diffu s eft l ’oppofé du
Succinct ; ici il l ’oppefe au Concis ■ ne feroit-
on pas autorifé à conclure que Succinct 3c Concis
font abfolument fynonymes ? Cela n’eft pourtant
pas, 6c ne peut pas être : je vas en indiquer les
différences dans Y article fpivant. .( M . B e a u -
ZÉ E . y
( N. ) P R É C I S , SU C C IN C T , CON CIS .
Synonymes,
C ’eft ainfî que l ’on qualifie un difeours où il
n'entre que ce qu’il faut mais il y a des nuances
qui différencient l’ufage de ces termes.
Le Précis & le Succinct regardent les idées : lè
Précis rejette celles qui font étrangères, & n’admet
que celles qui tiennent au fujet; le Succinct fe
débarrafle des idées inutiles , & ne choifit que celles
qui font effencielles' au but. Le Concis eft relatif
à l ’expreflion ; i l rejette les mots fuperflus, évite
les circonlocutions inutiles , & ne fait ufage que
des termes les plus propres tk les plus énergiques.;
L ’oppofé du Précis eft le Prolixe ; l’oppofé du
Succinct eft l ’Étendu ; l ’oppofé du Concis eft le
Diffus.
On peut dire du Succinct & du P r é c is , ce
que Quintilien difoit de Démofthène & de Cicéron;
« O11 ne peut rien ôter au premier, on ne peut
» rien ajouter au fécond » ; l l l i nihil de trahi
pot e f i , huiç nilïil adj ici ( Inftit. orat, X . 1 ) :